Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a indiqué samedi 2 décembre, lors d’une interview au Parisien : « Il faut des mesures drastiques de simplification pour les entreprises. […] Les TPE comme les PME, ETI ou grands groupes n’en peuvent plus de la paperasse et de la lourdeur des procédures. […] Aujourd’hui, lorsque vous licenciez une personne, un recours contre l’entreprise reste possible pendant 12 mois. Il est important que les salariés puissent être protégés, mais ce délai est trop long ».
Il a également ajouté que « Dans tous les autres pays développés, c’est deux mois. Cela me semble un bon délai ».
Cette réforme pourrait être proposée lors du projet de loi Pacte II qui vise à donner plus de liberté aux entreprises, que le ministre présentera début 2024.
Le délai a d’ores et déjà été réduit :
- Avec la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 qui a substitué à la prescription quinquennale de droit commun l’article L1471-1 du Code du travail, prévoyant une prescription de deux ans pour toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail ;
- Avec les Ordonnances Macron [1], passant de deux ans à 12 mois [2].
Un délai de deux mois apparait comme excessivement court et pourrait constituer une violation du droit d’agir en justice, droit fondamental protégé notamment par l’article 6§1 de la CEDH.
Les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit à un tribunal, ont plusieurs finalités importantes, notamment garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions [3].
Toutefois, le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa règlementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente [4].
Ainsi, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même.
En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé [5].
En 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que la réduction du délai de prescription de 5 ans à deux ans, applicable à toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail, ne méconnaissait pas les exigences de l’article 6, § 1 [6].
La solution pourrait bien être différente si cette proposition venait à entrer en vigueur.
Aucune étude n’a démontré que la réduction à 2 mois du délai de contestation d’un licenciement permettrait de créer des emplois comme le prétend le Ministre de l’Économie.
Aujourd’hui, le délai de contestation n’a pas à être précisé dans la lettre de licenciement.
Beaucoup de salariés laisseront passer ce délai de 2 mois qui est très court, sachant que souvent un salarié qui vient d’être licencié peut être dans un état de sidération du fait de la perte de son emploi.
L’introduction d’un tel délai serait une régression sociale très grave et bien pire que le Barème Macron de plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause car, le salarié pourrait être privé de tout recours du fait de la brièveté du délai.
Pour les avocats-conseils des salariés, cela impliquerait de préparer, en urgence, tous les dossiers devant le conseil de prud’hommes sachant que la requête doit être motivée et comporter un bordereau de pièces.
Sources :
- Bruno Le Maire : « Il faut des mesures drastiques de simplification pour les entreprises » [7] ;
- Article L1471-1 du Code du travail ;
- C. cass. 20 avril 2022, n° 19-17.614.
Discussion en cours :
Bonjour Maître CHHUM,
Le délai de deux mois s’apparenterait à un délai de forclusion.
Les délais de prescription sont admis pour restreindre le droit à un procès équitable, mais un délai de forclusion ou ce qui y ressemble serait normalement censuré sous l’empire de l’article 6 § 1 de la convention.
Aussi, la Cour de cassation opère-t-elle un contrôle sur l’inconventionnalité d’une norme nationale et le juge du fond est-il tenu de ne pas appliquer une telle norme.
Comme vous le releviez, un délai de deux mois serait de toute évidence trop court pour saisir la juridiction prud’homale, même si le salarié licencié était averti de ce délai dans la lettre de licenciement, puisque sous le choc de celui-ci.