Pour son contrôle, il a été institué le Comité de disparitions forcées (article 35), mais qui n’est compétent qu’à l’égard des disparitions forcées ayant débuté postérieurement à son entrée en vigueur.
Pour pallier à cette insuffisance, le Comité des droits de l’Homme (ci-après "CDH"), institué initialement comme organe de contrôle du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), s’est saisi des cas de disparitions forcées, considérant qu’il s’agissait d’un phénomène d’extrême gravité qu’il fallait aider les familles à déterminer le sort de proches disparus.
La protection contre les disparitions forcées est donc une notion qui se dégage lentement et qui comporte encore un grand nombre de lacunes, de sujets de contestation et d’incertitude.
Contexte du sujet :
Cette étude se conçoit dans le cadre du développement progressif du droit international relatif aux droits de l’Homme et de la lutte contre l’impunité. Il consiste à analyser les décisions du Comité des droits de l’Homme (CDH) sur les disparitions forcées, pour en dégager les fondements juridiques. L’analyse aura pour finalité d’apprécier les décisions du CDH dont les conclusions constituent une sorte d’indicateur de protection.
Problématique :
Les disparitions forcées sont considérées aujourd’hui comme un phénomène universel et qui, dans un nombre considérable des pays, correspond à une pratique systématique.
Pour la combattre au niveau universel, certaines normes ont été mises au point, dont l’adoption de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées entrée en vigueur le 23 décembre 2010. Pour son contrôle, il a été institué le Comité de disparitions forcées (article 35), mais qui n’est compétent qu’à l’égard des disparitions forcées ayant débuté postérieurement à son entrée en vigueur.
Par ailleurs, le CDH institué initialement comme organe de contrôle du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) s’est saisi des cas de disparitions forcées, considérant qu’il s’agissait d’un phénomène d’extrême gravité qu’il fallait aider les familles à déterminer le sort de proches disparus.
Question fondamentale :
Comment le CDH répond-il à la question des cas de disparitions forcées ?
Questions subsidiaires :
- Quels sont les fondements juridiques des décisions du CDH ?
- Ses fondements juridiques sont–ils efficaces, pour assurer la protection entière et efficace ?
Délimitation du sujet :
En deux parties principales, l’analyse rendra compte de la nature juridique du Comité des droits de l’Homme et de la notion de disparitions forcées (I), pour ensuite, faire la lecture de la jurisprudence du CDH sur les dispositions forcées (II) et tirer une conclusion.
I. Nature juridique du Comité des droits de l’Homme et notion de disparitions forcées.
A. Nature du Comité des droits de l’Homme.
1. Définition.
Le CDH est un organe composé d’experts indépendants qui surveille l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les États parties. Il est créé en 1977 en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Il a pour but de promouvoir l’exercice des droits civils et politiques et de susciter ainsi de nombreux changements dans la législation, les politiques et les pratiques. Ce faisant, il permet d’améliorer la vie des populations dans toutes les régions du monde. Il continue de veiller à ce que tous les droits civils et politiques garantis par le Pacte puissent être exercés pleinement et sans discrimination par tous.
2. Compétence du CDH en matière de disparition forcée.
Le Pacte n’énonce pas expressément le droit d’être protégé d’une disparition forcée, mais il reconnaît d’autres droits voisins, comme le droit de disposer des recours internes utiles ( art.2.3), le droit à la vie (art.6),l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels ,inhumains et dégradant(art.7), le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (art.9), le droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité et avec le respect de leur dignité (art.10), le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique (art.16) et le droit des enfants à des mesures spéciales de protection (art.24).
Dans le cadre de son examen des rapports présentés par les États en vertu de l’article 40 du Pacte, le Comité a adopté en juillet 1982 une observation générale sur le droit à la vie.
B. Notion de disparition forcée.
1. Évolution du phénomène.
Les disparitions forcées constituent un phénomène relativement récent. Il semble avoir été inventé par Adolf Hitler dans son décret Nuit et Brouillard du 7 décembre 1941.
Ce phénomène resurgit sous la forme d’une politique systématique de répression étatique à la fin des années 1960 et au début des années 1970 en Amérique Latine. Depuis cette époque, la disparition forcée est devenue un phénomène universel.
Pour le combattre, la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées a été adoptée en 1992. Enfin, la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, élaborée en 2005, vient combler les lacunes : elle définit et interdit la disparation forcée dans toutes les circonstances.
2. Définition.
On entend par disparition forcée : « L’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par les agents de l‘État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimilation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ».
Le Statut de Rome qui crée la CPI, dispose que : « Par disparition forcée ,on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée ».
Si l’on analyse ces définitions, on note que ce qui caractérise une disparition forcée est l’implication des autorités, qu’elles soient directement ou indirectement responsables.
3. Nature juridique de la disparition forcée.
La disparition forcée est une violation cumulative des droits humains, car elle peut porter atteinte à toute une série de droits, y compris : le droit à la vie, puisque la personne disparue risque d’être tuée ou qu’on ignore ce qui lui est arrivé ; le droit à la sécurité et à la dignité de sa personne ; le droit de ne pas être détenu arbitrairement ; le droit de ne pas être soumis la torture ou à d’autre peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ;le droit à des conditions de détention humaines le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique ; le droit à un procès équitable et le droit à une vie de famille.
La disparition forcée est une violation particulièrement cruelle, elle enfreint aussi les droits des proches de la victime et constitue un crime contre l’humanité quand elle est commise dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile.
4. La constatation d’une violation.
Dans les cas de disparitions forcées, le Comité est susceptible de fonder un constat de violation de l’article 7 sur la présomption réfragable selon laquelle le disparu aurait subi des mauvais traitements. Il juge en outre que les membres de la famille de la victime disparue peuvent également être de la violation de l’article 7 en raison de leur anxiété et de leur détresse provoquée par la disparition et par l’incertitude quant au sort de leur proche.
Les décisions du Comité ne possèdent pas de force obligatoire, ne lient pas les États et sont dépourvues de l’autorité de la chose jugée, mais elles ont toutes les apparences d’un jugement.
Le Comité motive ses décisions et « dit le droit » conformément au sens étymologique juridictio. Il qualifie juridiquement les faits et les conclut, le cas échéant, à la violation de la Convention. Ensuite, il se contente, il est vrai, de recommander et non d’ordonner les mesures à prendre par l’État, notamment en matière de réparation. De plus, la constatation du Comité est définitive est exclut la saisine d’autres organes internationaux tels que les cours régionales.
L’ensemble de ces éléments permet de parler, comme le suggère Fréderic Sudre, d’autorité de la Chose constatée à défaut de la chose jugée.
5. Le mécanisme de contrôle du PIDCP
Diversité de méthodes de contrôle :
- Le contrôle sur plainte : Le contrôle sur plainte porte sur des faits précis constituant une violation alléguée par un État donné d’obligations conventionnelles définies.
- Le contrôle sur rapport : Le comité a qualité pour connaître par le biais de communication individuelles et étatiques, d’atteintes précises aux droits énoncés dans le pacte, mais il ne dispose pas d’une compétence de décision au fond ni, à fortiori, d’un pouvoir de contrainte.
- Les procédures hybrides : En dehors du PIDCP, il existe des procédures hybrides que sont les procédures thématiques. Ces procédures extraconventionnelles, ont été mises en place depuis 1980 par la Commission des droits de l’homme dans des domaines divers : disparitions forcées ; détentions arbitraires ; intolérance religieuse ; vente et prostitution d’enfants ; violence contre les femmes...
II. Lecture de la jurisprudence du Comité des droits de l’Homme sur les disparitions forcées.
Comme le suggère Fréderic Sudre, les éléments de constatations permettent de parler d’autorité de la Chose constatée à défaut de la chose jugée.
Sur le plan terminologique, on utilise les termes propres au Pacte et au protocole en se référant à la « communication individuelle » pour designer la plainte, à « l’auteur de la communication » pour designer le plaignant ou le requérant, « la constatation » pour designer la décision du CDH et « la jurisprudence » pour parler de l’ensemble des décisions prises par le CDH en tant qu’organe non juridictionnelle.
A. Quelques cas d’illustration.
1. Communication no R.7/30 du 23 mai 1978.
Dès 1978, le Comité a reçu la première communication concernant un cas de disparition présentée en vertu du Protocole facultatif. Le Comité constata qu’il y avait eu violation des articles 7,9 et 10.1 du Pacte, et de sérieuses raisons de croire que les autorités uruguayennes s’étaient rendues coupables de la violation capitale de l’article6.
2. Communication 107/1981.
Le Comité avait conclu à la violation des articles 7, 9 et 10.1 du Pacte à l’égard de Mme Quinteros. Les réparations qu’il recommandait étaient analogues à celles qu’il avait recommandées dans l’affaire Bleier et comprenaient aussi l’obligation pour les autorités uruguayennes de faire remettre la victime en liberté. Cette jurisprudence a été développée par la suite par le Comité dans un certain nombre d’autres affaires.
3. Communication 1495/2006.
Pour qualifier les faits, le Comité s’est référé à la définition des disparitions forcée figurant au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
4. communication 1588/2007.
Réuni en date du 26 juillet 2010, le Comité rappelle la définition de la disparition forcée figurant à l’article 2 de la Convention et ajoute que tout acte de disparition forcée de cette nature constitue une violation de nombreux droits consacrés par le Pacte.
5. communication 1781/2008.
le CDH constate que les faits dont il est saisi font apparaitre des violations par l’État partie de l’article 6,paragraphe 1, de l’article 7 ; de l’article 9, de l’article 10 paragraphe 1, de l’article16 et de l’article 2, paragraphe 3, lus conjointement avec les articles 6, paragraphe 1 ; 7 ; 9 ; 10, paragraphe 1 ; et 16 du pacte à l’égard de Kamel Djebrouni et de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2, paragraphe 3 du Pacte à l’égard de l’auteur.
B. Le raisonnement du Comité des Droits de l’Homme.
1. Sur la compétence.
le CDH s’est estimé autorisé par l’article 5 du Protocole facultatif à examiner les communications relatives aux cas de disparitions forcées. Le Groupe de travail a largement interprété son mandat, qui est non seulement d’informer la Commission sous forme d’un rapport d’ensemble, mais également « d’enquêter sur des cas » de détention arbitraire-entendue au sens de toute privation de liberté.
2. Quant au fond.
Le CDH a successivement utilisé les dispositions du Pacte, son observation générale. Ensuite, la dans la qualification des faits le CDH a emprunté la définition de la disparition forcée telle que faite dans le statut de Rome et celle de la Convention qui a comblé les lacunes.
a. La Preuve : le CDH rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires.
b. Les victimes : tout au long de sa jurisprudence, le Comité s’est trouvé devant de nombreuses affaires de disparitions forcées avec violation de l’article 6 du Pacte au préjudice des victimes, sans savoir de façon certaine ce qui c’était passé. Cela ne l’a pas empêché de suivre un raisonnement déductif.
À noter que les recommandations ne sont pas contraignantes.
Conclusion générale.
Une disparition forcée entraine la violation d’une multitude de droits. C’est la raison pour laquelle, avant 2006, les victimes de disparitions forcées étaient contraintes de s’adresser aux organes de l’ONU garants de ces droits (Comité contre la torture, Comité des droits de l’homme, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, etc. ), faute d’un organe propre à la situation des disparitions forcées.
La protection contre les disparitions forcées est une notion qui se dégage lentement et qui comporte encore un grand nombre de lacunes, de sujets de contestation et d’incertitude.
Bibliographie :
- Instruments internationaux :
- Pactes relatifs aux droits civils et politiques, NU, 23 mars 1976,
- Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, NU, 20 décembre 2006,
- Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, NU, 18 décembre 1992.
- Ouvrages de Droit :
- Ludovic Hennebel, La jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Collection droit et justice, 2007.
- Droit international Pénal, sous la direction d’Hervé Ascencio, Emmanuel Deceaux et Alain Pelet, Edition A.Pedone, 2000,
- Blaise TCHIKAYA, mémento de la jurisprudence du droit international public, Maître de conférences à la Faculté de droit et de l’économie de la Maritime ,4eme édition, Hachette Supérieur, 2007.
- Emmanuel Deceaux avec le concours d’Olivier de Frouville, Droit international public ,7 eme édition Dalloz, 2010 .
- La Cour Pénale Internationale, le statut de Rome, introduit et commenté par William Bourdon avec Emmanuel Duverger, édition du Seuil, 2000.
- Fréderic Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme ,10 eme édition refondue, Presse universitaire de France, janvier 2011.