Introduction.
Je travaille et étudie dans le domaine des crypto-actifs en tant que juriste, qu’est-ce que ça veut dire ? En vérité pour mieux comprendre ce métier, on pourrait dire qu’il s’agit avant tout d’un métier de traducteur.
En effet, là où une entreprise veut proposer une crypto, un produit ou plus généralement réaliser un contrat avec un partenaire ou un client, celle-ci sait d’ores et déjà ce qu’elle veut faire : tout a déjà été discuté, convenu, précisé. Le schéma contractuel de qui est obligé à quoi et de quelle manière, fait l’objet d’un accord : reste à le consolider par un contrat.
C’est dans ce contexte que le juriste entre en scène : il ou elle va décortiquer les attentes des parties au contrat, comprendre ce qui a été convenu, ce qui est voulu, et si c’est possible, puis va le traduire juridiquement dans ledit contrat. Il va alors pinailler et poser nombre de questions : est-ce que X s’engage à proposer le produit A, B ou C ? En même temps ? Dans l’ordre ? À qui ? Dans combien de temps ? Etc. Et oui, on ne voudrait pas déformer, ne serait-ce qu’un peu, ce à quoi est prête à s’engager une partie, éviter tout quiproquo, car même mineur, sur le long terme tel un effet papillon, les conséquences pourraient être terribles.
Toutefois avant de faire cette traduction, comme je viens de l’évoquer, il va vérifier si c’est possible. Le professionnel peut alors s’interroger : « Comment ça ? Nous sommes déjà d’accord. Je suis un professionnel, je sais exactement ce qu’il s’engage à vendre et à quelles conditions, pourquoi serait-ce impossible ? ». La réponse est simple : cet autre professionnel qui vous propose ce service ou de vous vendre ce produit, en a-t-il seulement le droit ?
En France, pour se faire de l’argent en proposant le service d’opération de crédit ou de prêt bancaire, il me faut une autorisation, un tampon : l’agrément d’établissement de crédit. Cet agrément est délivré par la Banque Centrale Européenne, la “BCE” (l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, étant la porte d’entrée pour l’obtention de cet agrément, institution directement liée à la Banque de France). En outre, si je n’ai pas cet agrément et que je souhaite quand même proposer ces services, je m’expose notamment à 3 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende pour exercice illégal de la profession de banquier [1]. C’est ce qu’on appelle le monopôle bancaire.
Les exemples comme celui-ci sont nombreux. Dans le cas des crypto-actifs, ou « actifs numériques » au sein du régime juridique français, je ne peux proposer le service d’achat/vente de tels actifs si je ne suis pas enregistré, ou agréé, pour ce service en tant que prestataire de services sur actifs numériques (PSAN).
Mon bref exposé pourrait s’arrêter là, si nous étions certains de ce cadre juridique pour les cryptos : je n’ai qu’à exercer dans le respect du cadre juridique posé pour les actifs numériques, en m’enregistrant en tant que PSAN, qu’importe la crypto que je propose. Problème : en est-on si sûr ?
La réponse, vous vous en doutez : absolument pas.
En effet, la question qui me revient souvent est la suivante : « Cette crypto, est-ce un security token ? Ces services sont-ils des securities ? ».
Cette question, en termes juridiques, c’est ce qu’on appelle la question de la « qualification » juridique. Elle consiste à catégoriser une personne, un bien, un service, une notion, pour appliquer le régime juridique qui lui est propre.
Par exemple, ce contrat consiste en un bail d’habitation : j’applique le régime juridique qui s’impose aux baux d’habitation. Au final ce contrat semble s’apparenter d’avantage à un bail commercial ? Dans ce cas j’applique le régime juridique qui s’impose aux baux commerciaux, les deux régimes étant différents à bien des égards, contenant surtout chacun des règles impératives (c’est-à-dire obligatoires).
Le problème récurrent avec la question de la qualification de cryptos ou services cryptos, à savoir si ce sont ou non des securities : c’est que je n’ai aucune certitude absolue à ce jour.
Du moins, je sais que je ne pourrai qu’avoir des suppositions, qui ne seront que des points de vue : ce n’est pas satisfaisant pour un juriste, qui se passionne à éclairer la lanterne de celui ou celle qui lui demande conseil.
Mais alors pourquoi je ne sais pas ? C’est là où le constat est encore plus problématique, car je suis loin d’être le seul à ne pas savoir. Juristes, avocats, régulateurs et même législateurs, sur la question de la qualification de securities pour les cryptos : tout le monde y va de son point de vue, mais personne n’est sûr.
La question subsidiaire légitime (j’adore me questionner comme vous l’aurez remarqué, peut-être un peu trop) : pourquoi personne n’est sûr ? Car le droit ne dit rien (enfin, pas grand-chose plus précisément). Aucun consensus, aucune certitude, aucun texte ad hoc : rien sur quoi s’appuyer.
Et pourtant, en parlant des cryptos, le 3 octobre 2022 :
« The law is clear. I believe based on the facts and circumstances most of these tokens are « securities », en français : « La loi est claire. Je crois en me basant sur les faits et circonstances que la plupart de ces tokens sont des securities », Gary Gensler, président de la Securities and Exchanges Commission (SEC).
Le président de l’organe régulateur des marchés financiers américain, martèle à qui veut bien l’entendre sa conviction sur la nature des cryptos : ce sont des securities.
Mais finalement, qu’est-ce que des securities ? Pourquoi les cryptos le seraient ? Le président de la SEC a-t-il raison ? Et dans le reste du monde, qu’en pense-t-on ?
C’est à toutes ces questions que je vais tenter de répondre dans cet article. Attention, je préfère vous prévenir : vous ne trouverez pas dans cet article de réponses claires, de certitudes. Ce n’est que mon opinion mais, quiconque affirmerait aujourd’hui sans doutes, que les cryptos seraient ou non des securities : serait un affabulateur, ou quelqu’un d’immensément talentueux dont j’ai hâte de lire la démonstration de son assertion.
Alors, les cryptos : securities or not securities ?
La réponse internationale n’est certes pas consensuelle, toutefois se dégage un schéma qui semble se répéter.
1° Tout d’abord, grossièrement, les cryptos seraient catégorisées en 3 types :
- le currency token, alternative à la monnaie étatique dit « fiat » et aux fins de paiement
- l’utility token, qui confère l’accès à des droits, biens ou services à son détenteur
- le security token.
(NB : il y a en réalité beaucoup plus de catégories, de sous-catégories, ou encore d’autres manières de catégoriser, mais pour simplifier l’article qui est déjà assez long et technique, j’ai préféré choisir cette dernière qui me semble plutôt claire).
2° Chaque État (ou organisation internationale concernant l’Union européenne), possède une définition ou un cadre propre à chacune de ces catégories, un ou plusieurs régulateurs compétents pour traiter de ces cryptos.
Enfin, il faut préciser que concernant la pratique du droit, à l’échelle internationale, existent deux grands systèmes : le droit romano-civiliste (par exemple la France et plus globalement l’Union européenne) et le common law (États-Unis, Royaume-Uni ou encore Singapour). La plus grande différence entre ces deux systèmes, c’est là où le droit prend sa source. En effet, là où le droit romano-civiliste prend avant tout comme source principale la règle de droit, écrite et codifiée, et la jurisprudence à titre subsidiaire, le common law va plutôt faire l’inverse en se basant sur la jurisprudence et la pratique du droit.
Je vous propose donc de commencer par un pays basant son droit sur le common law, celui qui m’a donné l’envie d’écrire cet article, celui qui déchaîne les réseaux cryptos dernièrement, je parle bien évidemment des États-Unis.
I) Le cas des États-Unis.
1) La SEC et les cryptos.
Comme évoqué plus tôt, Gary Gensler, président de la Securities and Exchange Commission (SEC) a déclaré :
« The law is clear. I believe based on the facts and circumstances most of these tokens are securities ».
La SEC est l’organisme fédéral américain chargé du contrôle et de la réglementation des marchés financiers, Gary Gensler en est l’actuel président, nommé en tant que tel en avril 2021 par le 46ᵉ Président des États-Unis : Joe Biden.
Selon ce dernier, la loi est claire : les cryptos sont des securities.
Mais que sont donc les securities aux États-Unis ? De plus, la loi américaine est-elle réellement claire sur le sujet des cryptos ?
a) Historique.
Les securities aux États-Unis, sont régies par le « Securities Act » de 1933. Ce sont des titres financiers négociables que la loi précitée définit par une liste, comprenant par exemple : les actions, les titres de créances, les contrats à terme sur titre, ou encore les contrats d’investissement ou « investment contract ».
En outre, le texte impose à toute société désireuse de proposer un produit financier tombant dans la qualification de securities, et donc le régime juridique du Securities Act, d’enregistrer auprès de la SEC ledit produit. Ceci en détaillant notamment sa construction et en quoi il consiste, donnant des informations sur la société, sa direction etc.
C’est un autre texte législatif, le « Securities Exchange Act » de 1934 qui crée la SEC. Elle a pour rôle de réaliser les enregistrements des produits qualifiés de securities, mais également de contrôler a posteriori la conformité des sociétés proposant ces produits, ainsi que les produits eux-mêmes. Le cas échéant : elle sanctionne les sociétés non conformes, ou proposant des securities non enregistrées, en allant jusqu’à poursuivre l’assujetti devant une juridiction civile ou administrative.
Voici donc, très vulgairement, un tour d’horizon du régime juridique des securities aux États-Unis. Mais, je voudrais revenir sur un type de security que j’ai cité : l’investment contract.
Pourquoi ? Car c’est en 1946, dans une affaire opposant la SEC à la société W.J. Howey Co. que le fameux « Howey test », utilisé régulièrement, par la SEC, a été créé.
Ce test a pour finalité de démontrer qu’un produit rentre dans la qualification d’investment contract et donc, a fortiori : de security. Un produit qui passe le Howey test sera donc soumis au Securities Act de 1933. Dans cette affaire SEC vs W.J. Howey Co., la Cour Suprême des États-Unis a retenu la qualification d’investment contrat lorsque sont réunis cumulativement 4 critères :
- un investissement d’argent (1)
- dans une entreprise commune (2)
- dans l’attente de profits (3)
- ces profits ne dépendant pas des efforts des investisseurs (4).
Le 14 juin 2018, au Yahoo Finance All Markets Summit, l’ancien directeur de la division « finance de l’entreprise » de la SEC William Hinman, sous la présidence de la SEC par Jay Clayton, a pu indiquer la position de la SEC sur cette question de l’articulation des cryptos avec le régime des securities [2].
Tout d’abord, Hinman précise que l’analyse ne doit pas se faire sur la crypto en soi, mais sur sa vente et promotion :
« The digital asset itself is simply code. But the way it is sold - as part of an investment ; to non-users ; by promoters to develop the enterprise - can be, and, in that context, most often is, a security - because it evidences an investment contract ».
Traduction :
« Le crypto-actif lui-même est simplement du code. Mais la façon dont il est vendu - dans le cadre d’un investissement ; aux non-utilisateurs ; par des promoteurs pour développer l’entreprise - peut être, et, dans ce contexte, est le plus souvent, un security token - parce qu’il matérialise un contrat d’investissement ».
Ainsi, Hinman précise que la plupart des offres/ventes de cryptos passent le Howey test, et seraient donc des investment contracts, en décrivant chaque condition :
1) Un investissement d’argent.
« For a while, some believed such labeling might, by itself, remove the transaction from the securities laws. I think people now realize labeling an investment opportunity as a coin or token does not achieve that result. Second, this labeling might have been used to bring some marketing “sizzle” to the enterprise ».
Traduction :
« Pendant un certain temps, certains ont cru qu’une telle appellation pourrait, à elle seule, retirer la transaction des lois sur les securities. Je pense que les gens réalisent maintenant que qualifier une opportunité d’investissement de "coin" ou de token n’atteint pas ce résultat. Deuxièmement, cet étiquetage aurait pu être utilisé pour apporter un intérêt marketing à l’entreprise ».
Donc bien que l’appellation du produit soit "token", cette dernière serait purement marketing, et dans la volonté de dissimuler la qualification réelle d’investissement d’argent.
2) Une entreprise commune.
Ici, en parlant des ICO (Initial Coin Offering : l’offre initiale de jetons par l’émetteur servant de levée de fonds ouverte au public)
« The purchaser usually has no choice but to rely on the efforts of the promoter to build the network and make the enterprise a success. At that stage, the purchase of a token looks a lot like a bet on the success of the enterprise and not the purchase of something used to exchange for goods or services on the network ».
Traduction :
« L’acheteur n’a généralement pas d’autre choix que de s’appuyer sur les efforts du promoteur pour construire le réseau et faire de l’entreprise un succès. A ce stade, l’achat d’un jeton ressemble beaucoup à un pari sur le succès de l’entreprise et non à l’achat d’un objet servant à échanger contre des biens ou des services sur le réseau ».
Les termes utilisés sont sans équivoque : Hinman considère ces ICO comme s’encrant dans une entreprise commune.
3) L’attente de profits.
« Funds are raised with the expectation that the promoters will build their system and investors can earn a return on the instrument - usually by selling their tokens in the secondary market once the promoters create something of value with the proceeds and the value of the digital enterprise increases ».
Traduction.
« Les fonds sont levés dans l’espoir que les promoteurs construiront leur système amenant une valeur et que les investisseurs peuvent gagner un retour sur investissement - généralement en vendant leurs cryptos sur le marché secondaire une fois que les promoteurs aient créé une valeur ajoutée au produit, augmentant la valeur du crypto-actif ».
Également ici, de façon non équivoque, le directeur de la SEC semble constater un leitmotiv dans les projets cryptos : l’espoir d’un retour sur investissement.
4) Enfin, la passivité des investisseurs.
« Like in Howey, the investors are passive ».
Traduction :
« Comme dans le cas Howey, les investisseurs sont passifs ».
Pour cette dernière condition, cela ne nécessite aucun commentaire.
Donc, selon Hinman, la plupart des projets cryptos passent effectivement le Howey test, et seraient donc des investment contracts, des securities. Sauf si… le réseau est assez décentralisé !
« If the network on which the token or coin is to function is sufficiently decentralized - where purchasers would no longer reasonably expect a person or group to carry out essential managerial or entrepreneurial efforts - the assets may not represent an investment contract ».
[…]
« As a network becomes truly decentralized, the ability to identify an issuer or promoter to make the requisite disclosures becomes difficult, and less meaningful ».
Traduction :
« Si le réseau sur lequel le jeton doit fonctionner est suffisamment décentralisé - où les acheteurs ne s’attendraient plus raisonnablement à ce qu’une personne ou un groupe accomplisse des efforts de gestion ou d’entreprise essentiels - les actifs peuvent ne pas représenter un contrat d’investissement ».
[...]
« À mesure qu’un réseau devient vraiment décentralisé, la capacité d’identifier un émetteur ou un promoteur pour faire les divulgations requises devient difficile et moins significative » (« assets »/« actifs » = au sens de crypto-actifs).
Si le réseau est assez décentralisé, c’est le 3ᵉ critère du Howey Test qui tombe : l’entreprise commune. Et je rappelle que les critères de ce test sont cumulatifs, et non alternatifs !
C’est en donnant deux exemples d’exception par la décentralisation, Bitcoin et Ethereum, qu’Hinman conclut :
- Sur Bitcoin : « And so, when I look at Bitcoin today, I do not see a central third party whose efforts are a key determining factor in the enterprise. The network on which Bitcoin functions is operational and appears to have been decentralized for some time, perhaps from inception. Applying the disclosure regime of the federal securities laws to the offer and resale of Bitcoin would seem to add little value ».
- Sur Ethereum : « And putting aside the fundraising that accompanied the creation of Ether, based on my understanding of the present state of Ether, the Ethereum network and its decentralized structure, current offers and sales of Ether are not securities transactions.
And, as with Bitcoin, applying the disclosure regime of the federal securities laws to current transactions in Ether would seem to add little value ».
Traduction :
Sur Bitcoin : « Et donc, quand je regarde Bitcoin aujourd’hui, je ne vois pas un tiers centralisé dont les efforts sont un facteur déterminant dans l’entreprise. Le réseau sur lequel Bitcoin fonctionne est opérationnel et semble avoir été décentralisé depuis un certain temps, peut-être depuis sa création. L’application du régime de divulgation des lois fédérales sur les securities à l’offre et à la revente de Bitcoin semblerait ajouter peu de valeur ».
Sur Ethereum : « Et mis à part la levée de fonds qui a accompagné la création d’Ether, d’après ma compréhension de l’état actuel d’Ether, le réseau Ethereum et sa structure décentralisée, les offres et ventes actuelles d’Ether ne sont pas des opérations sur titres.
Et, comme pour Bitcoin, l’application du régime de divulgation des lois fédérales sur les securities aux transactions en cours dans Ether semblerait ajouter peu de valeur ».
Hourra ! Enfin des réponses claires dans cet article : Bitcoin et Ethereum ne seraient pas des securities aux Etats-Unis ?
Encore une fois : ça dépend. La qualification ou non d’une crypto en security n’est pas immuable et dépend de son cas d’usage, c’est la frontière très fine entre l’utility token et le security token :
« I would like to emphasize that the analysis of whether something is a security is not static and does not strictly inhere to the instrument. Even digital assets with utility that function solely as a means of exchange in a decentralized network could be packaged and sold as an investment strategy that can be a security. If a promoter were to place Bitcoin in a fund or trust and sell interests, it would create a new security. Similarly, investment contracts can be made out of virtually any asset (including virtual assets), provided the investor is reasonably expecting profits from the promoter’s efforts.
Let me emphasize an earlier point : simply labeling a digital asset a "utility token" does not turn the asset into something that is not a security ».
Traduction :
« Je tiens à souligner que l’analyse visant à déterminer si quelque chose est une security n’est pas figée et n’est pas strictement inhérente à l’instrument en lui-même. Même les crypto-actifs ayant une utilité qui fonctionnent uniquement comme un moyen d’échange dans un réseau décentralisé pourraient être emballés et vendus comme une stratégie d’investissement qui peut être une security. Si un promoteur plaçait Bitcoin dans un fonds ou une fiducie et vendait des intérêts, cela créerait une nouvelle security. De même, les contrats d’investissement peuvent être conclus à partir de pratiquement n’importe quel actif (y compris les crypto-actifs), à condition que l’investisseur attende raisonnablement des bénéfices des efforts du promoteur.
Permettez-moi d’insister sur un point précédent : le simple fait de qualifier un crypto-actif de "jeton utilitaire" ne transforme pas l’actif en quelque chose qui n’est pas une security ».
Ainsi donc, peu importe l’appellation de la crypto, si à un moment dans les faits, une offre de crypto remplit les 4 critères du Howey Test, que ce soit au début ou 2 ans après son émission : elle devient un investment contract et mon offre est une security. La crypto en tant que telle envelopperait donc une security mais n’est pas forcément la security en tant que telle.
BTC n’est pas une security, mais si moi, demain, je monte ma société aux États-Unis (que j’appelle disons : "Roche noire, Inc") et décide de placer Bitcoin dans un trust, par le biais duquel je vends et promeus des intérêts : je dois enregistrer auprès de la SEC mon produit comme une security pour être conforme au Securities Act.
Maintenant, je dois vous avouer qu’en écrivant tout ça, le régime américain pose des exceptions, des précisions de critères avec le Howey test, ce qui semble suffisamment clair…
Oui, mais non. Car ce n’est pas un régime juridique : ce n’est que le point de vue du régulateur américain indépendant qu’est la SEC. À ce jour, aucun texte aux États-Unis ne légifère les cryptos : un juge américain ne peut non plus se baser sur une décision de justice importante qui a pu faire jurisprudence sur ce débat de qualification de crypto ou non d’investment contract/security. En outre, une opinion est changeante, la SEC demain pourrait changer d’avis.
Problème : la SEC a déjà changé d’avis. Plus exactement, son actuel président : Gary gensler
b) Gary Gensler et les cryptos.
- Ripple :
En effet, depuis le 22 décembre 2020, le monde de la crypto surveille de très près le procès qui oppose la SEC à la société Ripple, la première reprochant à la seconde de ne pas avoir enregistré sa crypto XRP en tant qu’investment contract donc security. Car selon la SEC : ladite crypto passait le Howey test, Gensler a d’ailleurs multiplié cette année les actions contre les acteurs crypto américains.
- Gemini :
Tout d’abord le 12 janvier 2023, c’est contre la société Gemini que la SEC, menée par Gensler, va devant le juge pour essayer de prouver que cette fois, ce n’est pas une offre de crypto en tant que telle qui passe le Howey Test, mais une offre d’« earn lending ».
L’offre de lending ici se schématise grossièrement de cette manière : le client prête ses cryptos à un protocole, un particulier ou encore une plateforme en échange d’intérêts. Mais plutôt que de le faire soi-même sans forcément avoir les connaissances suffisantes dans le domaine de la finance décentralisée dite « DeFi » (pour « Decentralized Finance »), une plateforme centralisée telle que Gemini propose de se placer en tant qu’intermédiaire entre le client et ces différents emprunteurs, moyennant une commission sur les intérêts.
Et c’est vrai que.. ça semble passer le Howey Test.
En effet, on a bien un investissement d’une somme d’argent de la part du prêteur (1), qui s’attend à des profits via les intérêts promis (2), dans une entreprise commune avec la plateforme intermédiaire (3), qui rend ainsi l’investisseur passif (4). C’est en tout cas la thèse de la SEC, qui reproche donc à Gemini de ne pas avoir enregistré ce produit en tant qu’investment contract (et donc security).
- Kraken (Payward Ventures, Inc) :
Un mois plus tard, c’est au tour de Kraken d’être assignée devant le juge californien le 9 février 2023, et la plateforme a accepté de payer auprès de la SEC une amende de 30 millions de dollars pour avoir proposé un produit s’apparentant à un investment contract sans l’avoir préalablement enregistré auprès de la SEC.
Le produit en cause ici n’étant pas non plus une offre de crypto spécifique, mais une offre de staking, que la SEC met sur le même plan que le lending. Pour rappel, le staking est un mécanisme de validation des transactions au sein d’une blockchain, ce fonctionnement étant appelé « proof of stake » ou « preuve de détention » par lequel une personne va immobiliser ses cryptos qui serviront à sécuriser les transactions, ce dernier recevant en échange des intérêts.
Kraken ici propose de se placer en tant qu’intermédiaire pour une personne qui ne saurait pas comment « staker » ses cryptos et n’ayant pas le temps de creuser, encore une fois en percevant une commission sur les intérêts. C’est parce que la plateforme propose ce service d’intermédiation alors que le client pourrait le faire directement sur la blockchain qu’on parle de « staking-as-a-service » et non simplement de « staking ».
Là aussi il y aurait un investissement d’une somme d’argent de la part du client : les cryptos stakées (1), qui s’attend à des profits via les intérêts promis (2), dans une entreprise commune avec la plateforme intermédiaire (3), qui rend ainsi l’investisseur passif(4).
Enfin, plus récemment, c’est contre les plateformes d’échanges cryptos que la SEC a judiciairement agi : le 5 juin dernier contre Binance Holdings Limited (devant la juridiction de Caroline du Sud) et le lendemain contre Coinbase, Inc (juridiction californienne), cette dernière étant la plus grosse plateforme d’échanges cryptos aux États-Unis.
- Binance :
Concernant Binance, la SEC lui reproche plusieurs griefs :
Une offre « earn » de BUSD (un stablecoin, une crypto qui a donc pour but de garder une valeur stable indexée au dollar), qui est donc une security, selon la SEC, qui aurait dû être enregistrée par ledit régulateur comme j’ai pu vous l’expliquer dans l’affaire Gemini.
Une offre de service de staking sur la crypto Ether, qui serait une security, à l’instar de l’affaire Kraken, qui aurait dû faire l’objet d’un enregistrement préalable.
Idem, pour une offre d’ICO sur la crypto BNB, cette ICO serait selon la SEC : également une security.
Enfin, la SEC reproche à Binance, en tant que plateforme d’échanges cryptos, d’avoir listé des cryptos qui seraient des securities, manquant à son obligation d’enregistrement préalable au listing des securities, imposée à toutes les plateformes d’échanges, selon le « Securities Exchange Act » de 1934. Ces cryptos seraient les suivantes : SOL, ADA, MATIC, FIL, ATOM, SAND, MANA, ALGO, AXS, et COTI.
- Coinbase :
Ici, la SEC reproche pas mal de choses à Coinbase (non exhaustivement : le fait de ne pas s’être enregistrée auprès de la SEC en tant que broker, exchange etc) et notamment proposer des offres de staking sur 5 cryptos : ADA, SOL, XTZ, ATOM, ETH qui seraient des securities selon le même régulateur, qui n’ont pas fait l’objet d’un enregistrement préalable obligatoire.
Je ne vais pas plus détailler, mais dans chacune de ces affaires, la SEC va essayer de démontrer que ces différents produits passent le Howey Test. Ces affaires, à l’exception de Kraken (Payward Ventures, Inc) sont toujours pendantes devant les tribunaux. Si vous êtes toutefois désireux de les suivre au jour le jour, voici quelques liens qui vous le permettront :
- SEC v. Ripple (Ripple Labs Inc) [3]
- SEC v. Gemini (Genesis Global Capital, LLC & Gemini Trust Company, LLC) [4]
- Détails de l’affaire SEC v. Kraken (Payward Ventures, Inc) [5]
- SEC v. Binance Holdings Limited [6]
- SEC v. Coinbase Inc. [7].
Mais que dit la loi (Quid juris) ?
J’en reviens donc à la première citation de l’actuel président de la SEC, dans laquelle il estime que la majorité des cryptos sont des securities et qu’à ce sujet la loi est claire.
Et bien malheureusement non : la loi n’est pas claire aux États-Unis. Effectivement on a une loi qui définit les securities, mais en aucun elle cite le sort ni l’existence des cryptos. Si comme le dit Hinman, X crypto peut être à un moment une security ou une utility, elle pourrait en plus être une commodity. C’est en tout cas ce qu’a pu déclarer Gensler en 2022 sur le bitcoin.
Très brièvement, une commodity est une matière première définie par le « Commodity Exchange Act » de 1936 (vulgairement, ça peut être un contrat de vente future sur du pétrole, du bœuf ou encore des céréales). L’organe indépendant chargé de réguler, contrôler et sanctionner cette réglementation, à l’instar de la SEC pour les securities, est la Commodity Futures Trading Commission (CFTC).
Ce même régulateur a également, par le biais de son président Rostin Behnam devant le juge américain lors de l’affaire FTX le 13 décembre 2022, estimé que le bitcoin relevait de la qualification de commidity. Mais pas que : il estimait que l’ether, le LTC ou encore l’USDT (un des trois plus gros stablecoins au monde) relevaient des commodities.
Allons donc voir ce qu’en dit le rapport économique 2023 de la présidence des États-Unis sur la question de savoir si ce sont des commodities ou securities :
« Regardless of the label used, a crypto asset may be, among other things, a security, a commodity, a derivative, or another type of financial product, depending on the facts and circumstances ».
« Quel que soit le nom indiqué, un crypto-actif peut être tantôt, une security, commodity, un dérivé ou un autre type de produit financier, selon les faits et les circonstances ».
Donc ça dépend, c’est bien une réponse de juriste... mais on peut retenir qu’une qualification systématique de securities, ne serait pas adaptée.
La loi aux États-Unis semble trop vague au sujet des crypto-actifs pour que le mot "clarté" puisse être le premier auquel on pense à ce sujet. De plus, dans un pays du common law, où la décision de justice possède un poids plus que conséquent dans la hiérarchie des normes juridiques, vous comprendrez que l’industrie crypto américaine, a hâte de lire les jugements à venir sur la qualification ou non de securities, pour les offres sujettes aux affaires que j’ai pu évoquer.
c) Les propositions législatives.
C’est dans ce contexte d’insécurité juridique liée à l’imprévisibilité, que plusieurs propositions de lois virent le jour ces dernières années, des "Bill" :
i) Le « Securities clarity act » :
Littéralement : « loi sur la clarté des securities », le ton est donné. Cette proposition bipartisane est portée par Tom Emmer et Darren Soto (elle a été premièrement introduite en 2021 mais réintroduite le 18 mai dernier en réaction aux actions de la SEC).
Le premier siège à la chambre des représentants en tant que républicain, le deuxième en tant que démocrate. Tom Emmer est un représentant pro-crypto qui a souvent fait savoir, directement à Gary Gensler, son désaccord total avec sa politique de régulation par la sanction, quant à la qualification des cryptos en securities, comme le montre cet extrait du 19 avril 2023, où Emmer interpelle directement Gensler à la chambre des représentants, à propos des différentes actions de la SEC contre les sociétés cryptos américaines :
« In a statement on the SEC website you are quoted saying, "The Kraken staking-as-a-service enforcement action should make clear to the marketplace that staking-as-a-service providers must register". But again, you haven’t provided any rules for how that can be done. I must remind you, your public statements are not regulations. It’s not responsible to expect the American people to assume your statements are a substitute for rules ».
[…]
« You say the crypto market is rife with non-compliance. However, existing SEC rules make no sense for blockchain-based companies and following them would actually kill these businesses. Your regulatory style lacks flexibility and nuance and as a result, you’ve been an incompetent "cop on the beat", doing nothing to protect everyday Americans and pushing American firms into the hands of the CCP ».
Traduction :
« Dans une déclaration sur le site Web de la SEC, vous êtes cité en disant : "L’action de sanctionner le staking-as-a-service de Kraken devrait indiquer clairement au marché que les fournisseurs de staking-as-service doivent s’enregistrer". Mais encore une fois, vous n’avez fourni aucune règle sur la façon dont cela peut être fait. Je dois vous rappeler que vos déclarations publiques ne sont pas la réglementation.
Il n’est pas responsable de s’attendre à ce que le peuple américain suppose que vos déclarations remplacent les règles ».
[…]
« Vous dites que le marché des crypto-actifs est en proie à la non-conformité. Cependant, les règles existantes de la SEC n’ont aucun sens pour les entreprises basées sur la blockchain et les suivre tuerait en fait ces entreprises. Votre style de réglementation manque de souplesse et de nuance et, par conséquent, vous avez été un "flic qui n’en a fait qu’à sa tête" incompétent, ne faisant rien pour protéger les Américains ordinaires et pousser les entreprises américaines entre les mains du PCC. (Parti communiste chinois) ».
La proposition va essentiellement présenter une distinction, dans le cadre d’une ICO, entre le fameux investment contract qui rentre dans la qualification de security, et le crypto-actif sous-jacent de cet investment contract, qui lui ne serait pas forcément une security. Ainsi, peu importe si le crypto fait au départ partie d’un investment contract : sa vente, son échange n’en fait pas une security. En outre, si une plateforme d’échanges telle que Binance souhaiterait lister une crypto sous-jacente d’un investment contract : avec cette proposition, elle n’aurait pas à enregistrer ce listing auprès de la SEC comme lui reproche actuellement cette dernière pour les cryptos SOL, ADA, MATIC, FIL, ATOM, SAND, MANA, ALGO, AXS, et COTI.
ii) La proposition de Bill McHenry,Thompson, Hill et Jhonson :
Portée le 2 juin 2023 par Patrick McHenry, Glenn "GT" Thompson, Dusty Jhonson et French Hill, tous les quatre républicains élus à la chambre des représentants. Cette proposition souhaite créer une nouvelle catégorie d’actifs, les « digital assets » qui pourraient prendre deux formes : les « digital commodities » et/ou « restricted digital assets ».
Dans ce cas, deux solutions :
- Soit le crypto-actif nouvellement émis comme « digital asset » sera une « digital commodity » et donc pas comme une security (avec une réglementation sur les commodities beaucoup plus souple que le Securities Act).
- Soit il sera initialement qualifié de « restricted digital asset » qui est une security mais avec une obligation de conformité au Securities Act très diminuée. Si le « restricted digital asset » respecte 6 critères listés aux pages 39 et suivantes du texte comme par exemple : les crypto-actifs ne peuvent pas représenter une participation dans une entreprise ou être utilisés comme des obligations pour lever des capitaux (cela dans le but d’empêcher les entreprises souhaitant lever des fonds d’échapper au Securities Act en émettant des restricted digital asset, plutôt qu’émettre des actions pour augmenter le capital social, ces actions tombant dans le Securities Act), et si le crypto-actif, au bout d’un certain temps possède un réseau assez décentralisé : il sera alors qualifié lui aussi de « digital commodity ».
Pour conclure sur le cas États-unien, nous sommes actuellement au cœur du débat. Entre un régulateur qui multiplie les actions contre l’écosystème crypto, voulant sa qualification de security et des législateurs qui veulent nuancer cette position : il semble que la qualification d’une crypto en security sera, comme le disait Hinman en 2018, dépendante de la décentralisation du projet.
Et par chez nous, qu’en dit-on ?
II) Le cas de la France.
La France ne possède pas un système juridique du common law, mais bien du droit romano-civiliste, la règle de droit prime : le juge l’applique, il « dit le droit » (du latin jurisdictio). Mais que dit le droit ?
Le Code monétaire et financier (CMF) en son article L54–10–1 dispose que les « actifs numériques » (appellation actuelle des crypto-actifs par le CMF) comprennent :
« 1° Les jetons mentionnés à l’article L552–2, à l’exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L211–1 et des bons de caisse mentionnés à l’article L223–1 ;
2° Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».
C’est la partie en gras qui nous intéresse : un produit qui remplit les caractéristiques des instruments financiers n’est pas un actif numérique. Les « instruments financiers », sont les securities bien de chez nous.
Quels sont donc ces instruments financiers ? L’article pré-cité nous guide vers un autre : l’article L211–1 du même code qui liste ces securities, à savoir :
I. Les instruments financiers sont les titres financiers et les contrats financiers.
II. - Les titres financiers sont :
1. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ;
2. Les titres de créance ;
3. Les parts ou actions d’organismes de placement collectif.
III. - Les contrats financiers, également dénommés "instruments financiers à terme", sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret.
IV. - Les effets de commerce et les bons de caisse ne sont pas des instruments financiers.
En outre, en droit français, on distingue bien deux régimes juridiques distincts : les actifs numériques et les instruments financiers (qu’on appellera donc securities). De plus, que l’on traite des actifs numériques ou des securities, en France l’autorité publique indépendante chargée de la régulation, du contrôle et de la sanction de la réglementation de ces deux domaines est l’Autorité des marchés financiers (AMF), et sur certains points l’ACPR.
C’est à ce titre que le règlement général de l’AMF complète les dispositions législatives du CMF, que ce soit à propos des actifs numériques ou des securities et ce notamment concernant les émetteurs et prestataires de services (sur actifs numériques les "PSAN"/ou d’investissement pour les instruments financiers les "PSI").
Mais alors comment distinguer un instrument financier d’un actif numérique ? Pour aller plus dans le détail, il est nécessaire de s’intéresser à la réglementation de l’Union européenne, applicable à ses États membres, dont évidemment la France.
III) Le droit de l’Union européenne.
1) L’État actuel du droit.
Le cadre juridique des instruments financiers dans tous les États membres de l’Union européenne prend sa source dans la réglementation dite « MIF 2 » qui réunit un règlement européen « MIFIR » pour « markets in financial instruments and amending regulation » (en français « règlement concernant les marchés d’instruments financiers ») et une directive « MIFID 2 » pour « markets in financial instruments and amending directive » (en français « directive concernant les marchés d’instruments financiers »), une première directive MIFID existait mais a été amendée par une seconde, d’où la numérotation. Cette réglementation encadre donc a fortiori les fameux « PSI » qui proposent des services d’investissement (c’est-à-dire portant sur des instruments financiers/securities) comme la gestion, la réception-transmission d’ordres, l’achat/vente etc.
Pour rappel concernant la différence entre une directive et un règlement : alors que la première, une fois adoptée par les institutions de l’Union européenne, laisse un certain temps aux États membres pour créer une loi permettant au Parlement national de la transposer dans son droit, un règlement européen, une fois adopté, s’applique dans tous les États membres de l’Union européenne, sans avoir besoin de passer par les parlements nationaux.
Ceci étant rappelé, il convient de préciser ce qu’entend MIF 2 par instruments financiers/securities, non exhaustivement : les valeurs mobilières, les instruments du marché monétaire, les parts d’organismes de placement collectif (OPCVM), les contrats d’option les contrats à terme ferme ("futures"), tous autres contrats dérivés concernant des actifs, des droits, des obligations, des indices qui présentent les caractéristiques d’autres instruments financiers dérivés etc.
Pour résumer, MIF 2 est l’équivalent européen des Securities Act et Securities Exchange Act (d’autres textes relatifs à ces deux derniers existent, mais la liste est bien assez longue pour figurer ici).
Donc pour l’instant, le constat est le même qu’aux États-Unis : un régime juridique bien établi existe : pour la qualification d’une offre d’un produit en security. Mai quid des crypto-actifs ?
C’est là où se distingue l’Union européenne, avec ce règlement que beaucoup de personnes commencent à connaître : le Règlement européen 2023/1114 du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs dit « MiCA » pour « Market in Crypto-Assets ».
D’ailleurs, si vous souhaitez en apprendre un peu plus sur ce que contient globalement MiCA, de façon résumée, voici un lien vers mon article à ce sujet : Article résumé MiCA [8].
On a un cadre juridique, une définition et donc une qualification juridique européenne des crypto-actifs :
Article 3.5) du règlement (UE) 2023/1114 :
« « crypto-actif » : une représentation numérique d’une valeur ou d’un droit pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire ».
Ce même règlement divise les crypto-actifs en trois catégories : 1) les jetons se référant à un ou des actifs/ asset-referenced tokens (ART)/ 2) les jetons de monnaie électronique/e-money tokens (EMT)/ 3) les jetons autres qu’ART/EMT.
1) les « jetons de monnaie électronique » : « un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie officielle » [9].
Ce sont les stablecoins types USDC/USDT.
2) les « jetons se référant à un ou des actifs » : « un type de crypto-actif qui n’est pas un jeton de monnaie électronique et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à une autre valeur ou un autre droit ou à une combinaison de ceux-ci, y compris une ou plusieurs monnaies officielles » [10].
On peut citer pour exemple le stablecoin DAI de MakerDAO qui repose notamment sur des réserves de cryptos.
3) les jetons « autres que les jetons se référant à un ou des actifs et les jetons de monnaie électronique », ils comprennent notamment les utility tokens ou « jetons utilitaires », ces derniers étant définis par le même règlement comme « un type de crypto-actif destiné uniquement à donner accès à un bien ou à un service fourni par son émetteur » [11].
Nb : En plus du règlement MiCA, existe un règlement européen 2022/858 dit « Régime Pilote »/« Pilot Regime », ou règlement « DLT » (pour « distributed ledger technology », désignant la technologie des registres distribués, dont fait notamment partie les blockchains). Ce projet de règlement instaure un cadre réglementaire temporaire : il concernera l’utilisation de la blockchain appliquée au domaine des instruments financiers/securities.
Entré en vigueur le 23 mars dernier, il sera testé sur une période de 3 ans et pourra être prolongé de 3 années supplémentaires. À l’issue de cette période, les institutions de l’Union européenne décideront de son adoption définitive (avec ou sans modifications), ou son abrogation.
Très vulgairement, il faut comprendre qu’on parle d’ici de tokeniser de véritables securities en tant que tels : je souhaite échanger mes actions de bourses via la blockchain, je vais donc faire appel à un prestataire dit DLT TSS (Distributed Ledger Technology, Trading and Settlement System), dont le statut a été créé par ledit régime pilote. Donc il faut comprendre que lorsqu’on parle de ce règlement, il n’y a pas d’ambiguïté sur la qualification : on parle d’authentiques instruments financiers déjà régulés, ce n’est que la finance traditionnelle qui utilise la blockchain comme outil d’échange.
Mais est-ce que MiCA touche de près ou de loin au securities ?
Non. Comme l’évoque MiCA lui-même :
« Certains crypto-actifs, en particulier ceux qui sont qualifiés d’instruments financiers tels qu’ils sont définis dans la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil, relèvent du champ d’application des actes législatifs existants de l’Union relatifs aux services financiers. Par conséquent, un ensemble complet de règles de l’Union s’applique déjà aux émetteurs de ces crypto-actifs et aux entreprises qui exercent des activités liées à ces crypto-actifs ».
La directive 2014/65/UE ici, vous l’aurez compris : c’est MIFID 2, relative aux securities.
En conclusion, on a bien deux régimes distincts, contrairement aux États-Unis : un pour la crypto, un pour les securities, hourra !
Attendez… si on nous dit qu’une crypto relève de MiCA, mais qu’elle relève avant tout de MIFID 2 si c’est une security : comment savoir si mon produit crypto est une security ou non ?
Vous comprenez alors où nous en sommes au niveau de l’Union européenne, c’est d’ailleurs à ce titre que MiCA, prévoit en son article 2, 5 MiCA :
« Au plus tard le 30 décembre 2024, l’AEMF (Autorité européenne des marchés financiers) émet, aux fins du paragraphe 4, point a), du présent article, des orientations conformément à l’article 16 du règlement (UE) no 1095/2010 sur les conditions et critères permettant de qualifier des crypto-actifs d’instruments financiers ».
2) Le rapport demandé par la commission ECON.
C’est dans ce contexte qu’en mai 2023, a été publié un rapport demandé par la commission des affaires économiques et monétaires (ECON) [12] du Parlement européen (c’est cette commission qui représentait le Parlement dans le cadre des trilogues avec le Conseil et la Commission, pour la création de MiCA). Ce rapport se nomme « Remaining regulatory challenges in digital finance and crypto-assets after MiCA » en français « les challenges réglementaires restants concernant la finance numérique et les crypto-actifs après MiCA ». Ce rapport a été rédigé notamment par des professeurs de droit de plusieurs horizons (Luxembourg, Hong Kong ou en encore Sydney Australie).
Alors que dit ce rapport ?
Tout d’abord, il rappelle bien cette difficulté à trancher sur la qualification d’une crypto/ service crypto : tantôt crypto-actif/service sur crypto-actif (donc relevant de MiCA), tantôt instrument financier (security)/ service d’investissement (relevant alors de MIF 2 et bien d’autres textes de la finance traditionnelle comme Prospectus, MAR etc.) :
« Due to complexity and divergent views across Member States, there is a legal uncertainty inherent in EU concepts of financial regulation (e.g. in the term “financial instrument” under MiFID). As MiCA builds on these concepts, its scope is in some respect uncertain. In turn, MiCA foresees at least seven different tools that aim at classification. We do not think that more can be done. However, applying and implementing these potentially complex classification criteria will be conditioned on the NCAs’ resources and capacity to inquire into the IT features, client base and solicitation practice of some 10 000 crypto-assets where each of these crypto-assets is somewhat unique ».
Traduction :
« En raison de la complexité et des divergences de vues entre les États membres, il existe une incertitude juridique inhérente aux concepts de réglementation financière de l’UE (par exemple, dans le terme « instrument financier » dans le cadre de la directive MiFID). Comme MiCA s’appuie sur ces concepts, sa portée est à certains égards, incertaine. À son tour, MiCA prévoit au moins sept outils différents qui visent à la classification.
Nous ne pensons pas qu’il soit possible d’en faire plus. Cependant, l’application et la mise en œuvre de ces critères de classification potentiellement complexes dépendront des ressources et de la capacité des autorités nationales compétentes à enquêter sur les fonctionnalités informatiques, la clientèle et les pratiques d’offres de quelque 10 000 crypto-actifs, chacun de ces crypto-actifs étant quelque peu unique ».
Ce que dit ce passage, en plus de rappeler que chaque crypto a ses propres particularités et qu’il serait donc humainement complexe pour les autorités nationales d’étudier la question à chaque fois, c’est qu’en effet, MiCA emprunte dans sa structure beaucoup d’éléments de la réglementation sur la finance traditionnelle : les services proposés par les acteurs cryptos (les futurs PSCA/CASP : prestataires de services sur crypto-actifs/ crypto-asset services providers), sont calqués sur les services des PSI (prestataires de services d’investissement) : réception-transmission d’ordres, portfolio management etc. rendant l’étanchéité entre les deux régimes juridiques difficile à établir. Le texte parle même d’« admission à la négociation » pour désigner les exchanges cryptos, une assimilation non équivoque aux services de trading.
D’ailleurs l’article 60 de MiCA l’exprime clairement :
Rappel : la directive 2014/65/UE, c’est MIFID 2 traitant des securities/services d’investissement/PSI
Voyons donc ce que propose le rapport, pour trancher la question security or not securtity.
La « default rule » :
Pour trancher la question de savoir si une crypto en elle-même (ou service crypto) est ou non une security (car je le rappelle, une offre crypto relève de MiCA si au préalable on vérifie qu’elle ne correspond pas à une security : MiCA est une réglementation subsidiaire à MIF 2), le rapport propose : une « default Rule ».
En vertu de cette règle, toutes les offres de crypto-actifs/services cryptos peuvent être considérées, ab initio comme « transferable securities » ou « instruments financiers transférables ».
Cela signifie que ces cryptos, ou les prestataires de services respectifs, sont soumis par défaut au champ d’application de MIF 2 et les autres textes UE relatifs aux securities, sauf si l’offre crypto est exemptée par une autorité nationale compétente de l’UE (à titre d’exemple l’AMF pour la France).
Cela concernerait ainsi, en plus de la crypto en tant que telle : le lending-as-a-service, le staking-as-a-service, ou encore des obligations incombant aux exchanges cryptos listant ces mêmes cryptos.
On retrouve donc ici un point de vue assez dur et semblable à celui de la SEC : on applique systématiquement le régime des securities, MiCA ne faisant que figure d’exception, a posteriori d’une étude sur la qualification de la crypto/du service.
Ce n’est pas pour rien que je fais référence ici à la SEC, le rapport semble directement s’inspirer de la vision du régulateur américain, par exemple sur le staking-as-a-service (donc proposé par un intermédiaire) en citant l’affaire SEC v. Kraken et l’articulation du Howey Test, sans exprimer ni approbation, ni désapprobation :
« L’existence d’un intermédiaire peut avoir des effets significatifs sur la classification du service, du moins en vertu de la législation américaine sur les securities. SEC v. Kraken illustre comment la SEC a déterminé que le service de staking de Kraken était en fait un Investment contract ».
« Le staking est largement utilisé dans ce que l’industrie de la crypto appelle des plates-formes "entièrement décentralisées". En fait, le staking conduit à une concentration du contrôle sur certains processus, et fait ainsi de la notion de « full DeFi » un mythe ».
Également sur le lending :
« If title transfer takes place, as stated above, crypto lending is more akin to securities lending than cash-based credit. In fact, if the crypto-asset is classified as “transferable security”, it is outright securities lending and EU financial laws will apply.
[…]
The notion to apply EU law on securities lending to crypto lending is not entirely novel. In fact, while the term ‘security’ under US law is based on a broader concept than the EU’s financial instrument, dubbed the Howey test, some lessons can be learned from the classification of (now bankrupt) crypto lender BlockFi’s Earn Programme in a settlement with the US SEC. Gemini Earn and Genesis were also charged by the SEC for offering unregistered securities via their Earn Programme.
These characteristics mimic what investors that transfer securities for the purposes of securities lending to an investment firm would receive. Under EU law, the contract with the investment firm underlying the securities lending arrangement could be classified as financial instrument ».
Traduction :
« Si le transfert a lieu, comme indiqué ci-dessus (citant ici l’offre de lending-as-a-service de Celsius), le lending-as-a-service s’apparente davantage à une offre de securities lending (ou « prêt et emprunt de titres financiers ») qu’un crédit en espèces. En fait, si le crypto-actif est classé comme "transferable security", il s’agit purement et simplement d’un prêt de titres et les lois financières de l’UE s’appliqueront.
[…]
L’idée d’appliquer la législation de l’UE des securities au lending n’est pas entièrement nouvelle. En fait, alors que le terme « security » dans la législation américaine repose sur un concept plus large que celui de l’instrument financier de l’UE, baptisé le Howey test, certaines leçons peuvent être tirées de la classification du programme Earn du prêteur crypto BlockFi (maintenant en faillite) dans un accord avec la SEC. Gemini Earn et Genesis ont également été accusés par la SEC d’avoir offert des titres non enregistrés via leur programme Earn.
Ces caractéristiques imitent ce que recevraient les investisseurs qui transfèrent des titres aux fins d’un prêt de titres à une entreprise d’investissement. En vertu du droit de l’UE, le contrat avec l’entreprise d’investissement sous-jacent à l’accord de prêt de titres peut être qualifié de securities ».
Cette proposition pourrait ressembler au « Bill » que j’ai cité de McHenry, Thompson, Hill et Jhonson, qui par défaut, qualifie une offre crypto de « restricted digital asset » qui est une security mais avec une obligation de conformité aux réglementations sur les securities très diminuée, soumis après coup à un contrôle, notamment sur la décentralisation réelle du projet, pour in fine : la ranger dans la case security ou crypto.
Ce rapport n’est qu’une proposition et ne reflète pas forcément la position du Parlement de l’UE. Toutefois il est très probable qu’une règle semblable sera appliquée aux offres cryptos pour les ranger ou non dans la case security. Ce sera probablement, peu importe la forme de la règle de droit : un contrôle au cas par cas.
Enfin, pour conclure le cas de l’UE, je rappelle que la proposition initiale de MiCA de 2020 contenait des articles 36 et 45 disposant, pour les émetteurs de stablecoins ou prestataires proposant des services sur stablecoins la prohibition d’intérêts :
Article 36 de MiCA version 2020 : « Les émetteurs de jetons se référant à des actifs et les prestataires de services sur crypto-actifs n’octroient pas d’intérêts aux détenteurs de ces jetons ni un quelconque autre avantage lié à la durée de cette détention ».
À quoi fait référence cet article : les intérêts du lending ? Du staking ?
Voici la version finale de cet article, devenu l’article 40 de MiCA :
« 1. Les émetteurs de jetons se référant à un ou des actifs n’accordent pas d’intérêts en lien avec ces jetons.
2. Les prestataires de services sur crypto-actifs n’accordent pas d’intérêts lorsqu’ils fournissent des services sur crypto-actifs liés à des jetons se référant à un ou des actifs.
3. Aux fins des paragraphes 1 et 2, toute rémunération ou tout autre avantage lié à la durée pendant laquelle un détenteur de jetons se référant à un ou des actifs détient de tels jetons est considéré comme un intérêt. Cela inclut la compensation ou les remises nettes, ayant un effet équivalent à celui d’un intérêt reçu par le détenteur de jetons se référant à un ou des actifs, directement de la part de l’émetteur ou de tiers, et directement associées aux jetons se référant à un ou des actifs ou provenant de la rémunération ou de la tarification d’autres produits ».
Cela ne nous avance pas plus, le doute selon moi est toujours de mise, sauf pour le lending, lorsqu’on lit la nouvelle version du considérant n°94 de MiCA :
« Le présent règlement ne devrait pas traiter le lending and borrowing (en français prêt emprunt de crypto-actifs), y compris de jetons de monnaie électronique, et devrait donc s’entendre sans préjudice du droit national applicable. Il convient d’évaluer de manière plus approfondie la faisabilité et la nécessité d’une réglementation de ces activités ».
Certes, le lending n’est pas encore compris dans MiCA, mais ça ne saurait tarder : selon l’article 140 de MiCA, au plus tard le 30 juin 2027, la Commission européenne sera chargée de rendre un rapport sur l’approche réglementaire adéquate de la finance décentralisée, et rien ne nous dit que le lending-as-a-service ne tombera pas d’ici là dans le giron de précisions réglementaires de MiCA. Idem pour le staking-as-a-service.
Pour conclure sur le cas de l’Union européenne : certes nous avons une réglementation dédiée aux cryptos contrairement aux États-Unis, mais rien pour l’instant nous permet d’affirmer, du moins textuellement, si X ou Y crypto relève de MIF 2 (securities) ou de MiCA (crypto-actifs). De plus, l’approche réglementaire européenne pourrait très bien suivre l’approche qui sera retenue outre-Atlantique.
En attendant, l’approche des régulateurs se fera sûrement in concreto, c’est-à-dire au cas par cas.
Pour terminer, j’aimerais mentionner deux cas notables, en Asie, tous deux du common law, où le régulateur y a décidé d’adapter la législation financière aux crypto-actifs.
IV) Singapour et Hong Kong.
1) Singapour.
Le régulateur à Singapour, la MAS, pour « Monetary Authority of Singapore » (autorité monétaire de Singapour), est en fait la banque centrale.
C’est la MAS qui est à l’origine de plusieurs lois : tout d’abord le « Payment Services Act » (PSA) en janvier 2020, base réglementaire pour les exchanges cryptos et les services de paiement en crypto.
Mais surtout, et c’est ce qui va nous intéresser ici, le PSA va créer une nouvelle qualification dédiée aux crypto-actifs : les digital payments tokens, les "DPT" dans lesquelles figurent notamment bitcoin et ether.
Toutefois, dans le cadre d’une ICO, le PSA prévoit que les cryptos seront soumis au régime des securities du « Securities and Futures Act » (SFA), qualifiés alors de « produits du marché des capitaux à toutes fins ».
2) Hong Kong.
Ici, deux institutions vont nous intéresser : la HKMA pour « Hong Kong Monetary Authority » (autorité monétaire de Hong Kong, c’est la banque centrale) et la SFC pour « Securities and Futures Commission ».
L’état du droit quant à la qualification des cryptos semblent aussi incertaine qu’aux Etats-Unis et dans l’Union européenne : puisqu’une crypto est soumise par défaut au régime juridique des securities (la loi ici étant la « Securities and Futures Ordinance » (SFO)) et sous le contrôle de la SFC.
Les securities étant définis par la SFO par une liste figurant à l’Annexe 1 dont, non exhaustivement, les actions, débentures, titres de créances, contrats d’options etc.
Si la crypto ne possède pas les caractéristiques d’une security, un acteur pourra déposer, depuis le 1ᵉʳ juin 2023, une demande de licence « VATP » pour « Virtual Assets Trading Platform ».
La nuance entre virtual assets et securities reste si floue, que la SFC et la HKMA, qui fournissent aux acteurs des lignes de bonnes conduites et autres doctrines (et donc les seuls supports réglementaires sur lesquels s’appuyer pour le moment), ont recommandé aux acteurs souhaitant se lancer dans la proposition de services de trading de crypto : d’obtenir à la fois une licence VATP et une licence SFO.
Encore une fois, la limite entre securities et cryptos reste floue, et le cas par cas semble pour le moment la seule solution.
Conclusion.
Il faut comprendre que la régulation reste avant tout politique, « finance décentralisée », le mot "décentralisée" sonne comme un caillou dans la chaussure pour un régulateur et plus encore pour le législateur : si c’est décentralisé, qui est responsable ? Le marché primaire est trop capital pour que n’importe qui puisse y rentrer et faire ce qu’il y veut sans rendre de comptes. C’est en ce sens qu’une acceptation des cryptos semble beaucoup plus probable si l’acteur est d’ores-et-déjà une institution dans les clous : les établissements de crédit n’ayant besoin d’aucun agrément MiCA pour émettre des ART (cf Considérant 44 de MiCA, disposition rajoutée tardivement dans le texte) pour l’Union européenne, ou encore l’acceptation par la SEC de trust, si la société derrière la proposition a les épaules assez solides. Reste-t-il de la place pour les sociétés crypto-natives ?
Oui, mais certainement pas toutes : les agréments à obtenir pour émettre des cryptos sous MiCA ou proposer des services en tant que CASP sont lourds, très lourds, en temps et en argent. Ils le sont encore plus lorsqu’il s’agit de les garder. En outre, si des sociétés crypto-natives auront vocation à côtoyer des institutions, c’est parce qu’elles le seront devenues elles-mêmes, rentrant dans les clous de « la place ».
Si MiCA a vu le jour, c’est notamment pour la question urgente de la souveraineté monétaire et la question des monnaies numériques de banque centrale. En effet, en substance, le texte concerne les émissions et services sur cryptos qui sont principalement, dans les faits, des stablecoins. Et ce n’est nullement une réaction à la crise d’un des plus gros stablecoins, l’UST (qui a perdu sa parité avec le dollar), mais bien la menace que semblent représenter ces stablecoins. Et je n’invente rien : c’est ce qui est clairement indiqué dans l’exposé des motifs de MiCA.
Si ce dernier règlement a pu enfin ajouter une pierre à l’édifice réglementaire européen de la crypto, la réglementation décisive pour l’écosystème sera celle qui tranchera la qualification des cryptos en securities. C’est à ce moment que le ton sera donné, sur un plus long terme.
Si vous êtes arrivés jusqu’ici, je vous remercie infiniment de m’avoir lu. J’espère vous avoir appris quelque chose ou éclairé votre lanterne. Si vous remarquez des coquilles, imprécisions ou même des erreurs : n’hésitez pas à me le faire savoir !
Tout acteur crypto est un explorateur, tranchant par ses réflexions les nombreuses lianes, de questions qui parsèment le chemin de l’avenir de la blockchain et des cryptos dans notre société.