[Point de vue] Les combats juridiques des Rohingyas.

Par Vincent Ricouleau, Professeur de Droit.

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Les peuples, martyrisés, déplacés de force, ont toutes les peines du monde à réintégrer leur territoire. C’est le cas du peuple Rohingya, en exil forcé, pour échapper à la folie génocidaire de l’armée birmane, dans une misère absolue, sans espoir, sinon d’obtenir devant les juridictions internationales et internes, le jugement de ses bourreaux, le droit de revenir chez lui et d’être indemnisé. Cet article tente de faire le point sur les combats juridiques du peuple des Rohingyas.

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Pour comprendre la dramatique situation de l’exil forcé des Rohingyas notamment au Bangladesh, pour échapper aux massacres de l’armée birmane, il faut se reporter à mon article « La tragédie des Rohingyas », publié, sur ce même site, le 27 février 2018.

Rappelons, parmi d’autres références, que la junte birmane, utilise l’article 3 du chapitre II de la Burma Citizenship Law du 15 octobre 1982, pour soutenir, que les Rohingyas ne vivaient pas sur le territoire birman avant 1823. Le gouvernement birman considère ainsi, qu’ils ne peuvent prouver leurs origines. Ils sont considérés comme des descendants de commerçants, de soldats arabes, de Mongols, de Turcs, de Bengalis, de Portugais, convertis à l’Islam mais en aucun cas, comme des Birmans.

La Constitution birmane du 29 mai 2008 a entériné la liste des 135 minorités ethniques reconnues par l’État, une liste dont les Rohingyas sont exclus. En l’absence de réformes constitutionnelles, face à une dictature militaire, la situation s’aggrave de jour en jour.

Que fait l’ONU et que dit la Cour internationale de justice ?

Dans son rapport du 18 septembre 2018, l’ONU cible, notamment, le général Min Aung Hlaing, le commandant en chef adjoint, Soe Win, le lieutenant-général, Aung Kyaw Zaw, l’ancien chef du commandement de la région ouest, Maung Maung Soe ainsi que Aung Aung et Than Oo, à la tête de la 33 ème et de la 99 ème division d’infanterie légère, impliquées dans les exactions.

Marzuki Darushan, rapporteur spécial de l’ONU, conclut que ces militaires, parmi d’autres responsables, doivent être poursuivis pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre envers les Rohingyas.

Marzuki Darushan, indonésien, né à Bogor en 1945, ancien procureur général, a présidé, à partir de juillet 2017, une mission d’enquête indépendante, sur le Myanmar, dont sont ressorties des informations effrayantes sur le sort des Rohingyas.

Il a participé auparavant à l’enquête des Nations-Unies sur l’assassinat, le 27 décembre 2007, à Rawalpindi, de l’ancienne Première ministre pakistanaise, Benazir Bhutto, 54 ans, alors chef de l’opposition. En 2010, il a été rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme en Corée du Nord. Puis au Sri Lanka. Darushan a contribué à prouver que le Myanmar est entré dans une logique génocidaire.

Noeleen Heyzer, singapourienne, a été nommée ensuite, envoyée spéciale pour le Myanmar, succédant à la suisse Christine Schraner Burgener.

Les enquêtes continuent, sans toutefois faire avancer le dossier politiquement. Mais le monde sait au moins ce qui s’est passé en Birmanie.

La mission de l’ONU recommande la création d’un mécanisme judiciaire international, d’un mécanisme indépendant pour mener des enquêtes pénales et préparer les poursuites, d’un bureau spécial, dûment financé, pour appuyer le travail du Haut-Commissaire et du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme, ainsi que d’un fonds d’affectation spéciale pour répondre aux besoins des victimes. Toute une panoplie, certes adaptée, mais pour le moment, en gestation, dans un contexte international très tendu où l’Ukraine mobilise les attentions.

La procédure devant la Cour internationale de justice dont le siège est à La Haye, commence étonnamment, à l’initiative de la Gambie, pays enclavé dans le Sénégal, de 2 500 000 habitants, de 11 295 km 2, dont le président est Adama Barrow.

Précisons, que la Gambie et le Myanmar, sont tous deux parties à la Convention pour la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, entrée en vigueur le 12 janvier 1951.

La Gambie a adhéré le 29 décembre 1978. Le Myanmar a déposé son instrument de ratification le 14 mars 1956, après avoir signé le 30 décembre 1949, sans formuler de réserve à l’article IX. Il a, en revanche, formulé des réserves aux articles VI et VIII.

Par ordonnance du 23 janvier 2020, sous la présidence de Abdulqawi Ahmed Yusuf, la Cour a prescrit un certain nombre de mesures conservatoires au Myanmar. Comme celle de prendre toutes les mesures en son pouvoir, afin de prévenir la commission à l’encontre des membres du groupe Rohingya, présents sur son territoire, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Le message est clair, il faut cesser de massacrer, sous tous les prétextes, sous toutes les formes, le peuple Rohingya.

La venue de Aung San Suu Kyi, en décembre 2019, pour expliquer en personne, à la Cour, que la Birmanie ne pouvait se voir reprocher de tels actes génocidaires, tout en concédant certains crimes de guerre, par des éléments isolés de l’armée qui seraient de toute façon punis, provoque un énorme malaise. Elle insiste aussi sur la réconciliation en cours, ce que rien ne démontre.

La Cour ne se fait pas abuser.

Elle ordonne à la Birmanie de faire rapport dans les quatre mois, puis tous les six mois, afin de détailler les mesures prises pour protéger la population des rohingyas.

La Birmanie était-elle en mesure de respecter de telles mesures quand bien même le coup d’État n’aurait pas eu lieu ? Rien n’est moins certain. Quelle est l’opportunité d’une telle mesure ? Confier une telle mission à l’agresseur est périlleux, mais quelle marge de manœuvre a, en réalité, la CIJ, sinon de mettre la Birmanie, devant le fait accompli et de démontrer qu’elle prend conscience de ses agissements.

Aung San Suu Kyi, née en 1945, prix Nobel en 1991, dirige la Ligue nationale pour la démocratie (LND). Elle remporte les élections législatives du 8 novembre 2020. L’armée dirige le parti de l’union, de la solidarité et du développement (PUSD).

Les modalités, complexes, opaques, de la transition du pouvoir entre civils et militaires inquiètent l’armée. Le général Min Aung Hlaing, né en 1956, organise alors un coup d’État, le 1 février 2021, qu’il réussit, réprimant toutes les oppositions intérieures en ne s’embarrassant pas des protestations internationales. Les emprisonnements politiques se multiplient. Aung San Suu Kyi est jetée en prison, comme beaucoup de ses collaborateurs.

La Birmanie revient à ses heures les plus sombres, un dictature militaire mêlée d’un narco Etat.

La Cour internationale de justice poursuit son travail. Le 22 juillet 2022, elle rend un arrêt sur les exceptions préliminaires, d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête, déposée par la Gambie.

La Cour internationale de justice est présidée, depuis le 8 février 2021, par Joan E. Donghue, américaine, née en 1957, succédant au Somalien Abdulqavi Ahmed Yusuf.

Le vice-président est le russe Kirill Gevorgian, né en 1953. Il a succédé à la Chinoise Xue Hanqin. Il a été ambassadeur de Russie aux Pays-Bas de 2003 à 2009. En mars 2022, lors du dossier de l’Ukraine, Gevorgian a voté contre l’adoption de mesures provisoires, ordonnant à la Russie de cesser sa prétendue opération spéciale. Il estime que la Cour n’est pas compétente. La Chinoise, Xue Hanqin, étant l’autre voix dissidente.

L’argument principal du Myanmar est, que la Gambie ne serait qu’une tierce partie, obéissant à l’Organisation de la coopération islamique (OCI), basée à Jeddah en Arabie Saoudite, dont le secrétaire général est Hissein Brahim Taha. Une Organisation, créée sur décision du sommet historique qui a eu lieu à Rabat, le 25 septembre 1969. La Gambie aurait tenté de contourner les limites de la compétence ratione personae de la Cour.

Depuis le 27/01/2009, sur le site de l’OCI, sont notées toutes ses interventions et actions, en direction des Rohingyas. On peut retrouver aussi les contacts entre la Gambie et l’OIC sur le site depuis le 1 mai 2005. Le Comité ministériel ad hoc de l’OCI, sur la reddition des comptes, au sujet des violations des droits de l’homme contre les Rohingyas, a tenu une réunion, le 10 novembre 2022, au Secrétariat général de l’OCI à Djeddah, sous la présidence S.E. Dawda Jallow, le ministre de la Justice de Gambie.

Mais comment reprocher à l’OCI et à la Gambie de s’inquiéter pour le sort des Rohingyas ?

La Cour répond qu’il existait bien entre les parties, au moment du dépôt de la requête par la Gambie, le 11 novembre 2019, un différend relatif à l’interprétation, l’application et l’exécution de la Convention sur le génocide.

Etant donné que l’article VIII de la Convention sur le génocide, ne se rapporte pas à la saisine de la Cour, la réserve formulée par le Myanmar à cette disposition, n’est pas pertinente.

La Cour considère également, qu’elle n’a pas à examiner, les arguments du Myanmar, se rapportant à la réserve formulée par le Bangladesh, à l’article IV de la Convention sur le génocide.

Elle conclut donc que la Gambie a qualité, en tant qu’Etat, partie à la Convention sur le génocide, pour invoquer la responsabilité du Myanmar, à raison des manquements allégués aux obligations, incombant à celui-ci au regard des articles I, II, III, IV, et V de la Convention sur le génocide.

La juge chinoise, Xue, développe une opinion dissidente sur la qualité à agir de la Gambie. Elle soutient, comme le Myanmar, que l’OCI est l’instigatrice. Or, l’article 34 paragraphe 1, précise que les organisations internationales n’ont pas accès à la Cour.

En outre, un Etat non lésé ne peut saisir la Cour. Elle précise aussi que plusieurs juges siégeant en l’affaire sont des ressortissants d’Etats membres de l’OCI.

Le juge ad hoc allemand, Claude Kress, quant à lui, fait une déclaration, notamment sur le changement de représentation du Myanmar. La Cour aurait dû préciser les raisons qui l’ont conduite à admettre ce remplacement et à agir en conséquence. Il prône la conciliation de deux enjeux, la protection des intérêts collectifs, et le risque de prolifération des différends.

Le juge rappelle l’équité procédurale.

Le coup d’État militaire a évidemment bouleversé l’équipe de la Birmanie, la junte plaçant ses pions. Mais la CIJ en a tiré les conséquences dans son arrêt. Par ordonnance du 22 juillet 2022, la Cour fixe au 24 avril 2023, la nouvelle date d’ expiration du délai, pour le dépôt du contre-mémoire du Myanmar.

Que développera la junte militaire comme arguments ? Ils pourraient reprendre largement l’opinion dissidente de la juge chinoise.

Où en est la procédure devant la Cour pénale internationale ?

Le 4 juillet 2019, le Procureur de la Cour pénale internationale demande l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis contre les Rohingyas. Le 14 novembre 2019, la Chambre préliminaire III de la Cour pénale internationale, présidée par la dominicaine Olga Herrera Carbuccia, composée du juge tchèque, Robert Fremr et du juge trinidadien, Geoffrey Henderson, l’autorise. La Chambre a également reçu les vues de centaines de milliers de victimes, souhaitant une enquête.

Le Procureur actuel est Karim Khan KC. Ses Procureurs adjoints sont Mame Mandiaye Niang (Sénégal) et Nazhat Shameem Khan (Fidji). Le Bureau bénéficie des services d’environ 380 fonctionnaires de plus de 80 nationalités différentes. Karim Khan KC, britannique, a remplacé Fatou Bensouda, gambienne, élue le 12 décembre 2011, succédant elle-même à Luis Moreno-Ocampo, argentin.

Le Procureur est un organe indépendant de la Cour. Au même titre que les juges de la Cour.

Le Procureur et le Procureur adjoint sont élus par l’Assemblée des États parties pour un mandat de neuf ans non renouvelable.

La Chambre a conclu, que la Cour pouvait exercer sa compétence, concernant des crimes, lorsqu’une partie des comportements criminels serait commise, sur le territoire d’un État partie. Certes, le Myanmar n’est pas un État partie. Mais le 23 mars 2010, le gouvernement du Bangladesh a ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, avec une entrée en vigueur le 1er juin 2010. C’est au Bangladesh que la plupart des Rohingyas sont réfugiés.

La Cour est très claire. Selon ses termes, il existe une base raisonnable de croire que des actes de violence généralisés et / ou systématiques pourraient être qualifiés de crimes contre l’humanité de déportation à la frontière entre le Myanmar et le Bangladesh et de persécution pour des motifs d’ordre ethnique et / ou religieux contre la population Rohingya.

La Chambre préliminaire III a donc autorisé l’ouverture de l’enquête pour tout crime, y compris les crimes futurs, tant que, (et la liste est primordiale) : a) il relève de la compétence de la Cour ; b) il serait commis au moins en partie sur le territoire du Bangladesh ou le territoire de tout autre État partie ou État acceptant la compétence de la CPI ; c) il est suffisamment lié à cette situation ; et d) il aurait été commis après la date de l’entrée en vigueur du Statut de Rome pour le Bangladesh ou un autre État partie concerné.

Le rapport d’Amnesty International, intitulé The Rome Statute at 40 Amnesty International and T.M.C. Asser Instituut, publié en Mai 2021, de 44 pages, recense un certain nombre de critiques et rappelle les difficultés d’accès des victimes à la CPI. La question du budget reste centrale. Il faut des fonds, notamment pour le bureau du Procureur, considéré en sous-financement chronique.

La CPI a été saisie de 31 affaires depuis sa naissance. Elle a prononcé, au cours de son histoire, 10 déclarations de culpabilité et quatre acquittements.

Mais son existence gêne beaucoup d’Etats et ne fait pas l’unanimité. Il manque beaucoup de signataires, notamment les Etats-Unis, la Russie, l’Israël. En Asie, la Birmanie, le Vietnam, le Laos, les Philippines, la Thaïlande, le Bruneï, la Malaisie, l’Indonésie, la Chine, l’Inde, Taïwan, le Bhoutan, le Népal, la Corée du Nord, Singapour, n’ont pas signé le Statut de Rome. Seuls le Japon, la Corée du Sud, Timor-Leste, la Mongolie, le Cambodge, le Bangladesh, l’ont signé.

Toutes les questions se posent donc, concernant le travail, pourtant essentiel, de la CPI, dans le dossier des Rohingyas.

Comment réagit l’ASEAN ?

Le rapport de l’envoyé spécial du président de l’ASEAN sur le Myanmar aux 40 e et 41 e sommets de l’organisation, de 19 pages, publié sur le site du ministère des affaires étrangères du Cambodge, le 17 novembre 2022, interroge sur le rôle du Premier ministre cambodgien, Samdech Hun Sen, dont le titre officiel est Samdech Akka Moha Sena Pedei Techo, se traduisant par seigneur exalté premier ministre et commandant militaire suprême.

Titre que les médias cambodgiens ont pour instruction d’utiliser. Comment le Premier ministre cambodgien fait-il pour communiquer avec la junte birmane ? Quelle pression exerce-t-il ? Le Cambodge a décidé, en tout cas, de pas inviter le ministre birman de la défense, le général Mya Tun Oo, à la réunion des ministres de la défense des pays membres de l’ASEAN, à Siem Reap.

Joko Widodo, président de l’Indonésie, prend la présidence tournante pour un an de l’ASEAN dont le dernier sommet vient de se dérouler à Phnom Penh. Le Secrétariat de l’ASEAN se trouve d’ailleurs à Djarkarta. Sans la Birmanie, non invitée. Des élections sont prévues l’année prochaine par la junte et font déjà l’objet de rejets si la dictature militaire n’opte pas pour des réformes démocratiques. Les espoirs sont bien minces.

Les amnisties et les libérations ne trompent personne.

Des amnisties et libérations ont été décidées le jour de la fête nationale. 5774 prisonniers dont 600 femmes. Les arrestations d’étrangers vont aussi bon train. Les correspondants de l’agence Reuter, Wa Lone et Kyaw Soe Oo avaient été arrêtés le 12 décembre 2017 en application du Burma Official Secrets Act (India Act XIX - 1923 - 2nd April 1923), une loi adoptée par le colonisateur britannique puis libérés le 7 mai 2019. Trois anciens ministres de Suu Kyi ont été libérés. L’ancien conseiller économique de Aung San Suu Kyi, l’australien Sean Turnell, incarcéré après le coup d’État du 1 février 2021, condamné à une peine de trois ans de prison, pour divulgation de secrets d’État, a été libéré. L’ancienne ambassadrice du Royaume-Uni au Myanmar, entre 2002 et 2006, accusée d’avoir violé les lois sur l’immigration, condamnée à un an de prison, a été libérée. Son mari, birman, artiste, a été également libéré. Le photographe de presse japonais, Toru Kubota, condamné à dix ans d’emprisonnement, a été libéré. L’Américain d’origine birmane, Kyaw Htay Oo, condamné à 14 mois de prison pour terrorisme, a été libéré.

Le chef d’accusation préféré par la junte, est l’article 505 (a), punissant de trois ans de prison, la diffusion de fausses nouvelles.

L’association d’assistance aux prisonniers politiques, ONG birmane installée en Thaïlande, avance les chiffres de 2300 civils tués et de 16 200 personnes arrêtées depuis février 2021.

Les décisions de libérer les prisonniers ne permettent pas de conclure que la junte militaire a changé de visage.

Bombes et mines !

Un rapport d’Amnesty International, publié en mai 2022, apporte des éléments sur les frappes aériennes contre des civils. Un rapport publié le 1 juin 2022 intitulé Bullets rained from the sky, war crimes and displacement in eastern Myanmar, fait état d’attaques aériennes et terrestres de grande ampleur, d’actes de torture, d’exécutions sommaires, d’exactions, de pillages, d’incendies systématiques de villages, de déplacements forcés de population. Un rapport publié en juillet 2022, démontre aussi l’utilisation par l’armée de mines antipersonnel, notamment des M-14 et des MM-2. Pratique totalement bannie par la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, datant de 1997. Le site Landmine and Cluster Munition Monitor suit très précisément ce dossier.

La responsabilité de Facebook est attaquée devant des juridictions anglaise et américaine !

En Birmanie, Facebook est le réseau social le plus utilisé. Mais nul ne pouvait imaginer une telle utilisation par les ennemis des Rohingyas.

Le rapport intitulé « L’atrocité des réseaux sociaux : Meta face au droit à réparation des Rohingyas », publié par Amnesty International le 29 septembre 2022, est très alarmant.

Ce document démontre que les systèmes d’algorithmes de Facebook, ont joué un rôle dans les atrocités commises par l’armée birmane. Condition aggravante, la propagation des contenus haineux, d’incitation à la violence, à la discrimination, aux incendies volontaires, n’a pas été freinée par Meta, qui ne pouvait pas ignorer la situation.

Seuls quelques modérateurs parlant birman, semblaient avoir été recrutés. Quand bien même, leur rôle aurait été clairement de modérer et surtout de bannir certains comptes, leur nombre empêchait tout filtrage. Des procédures devant des juridictions anglaises et américaines sont en cours, visant à condamner Meta, à payer des centaines de millions de dollars pour indemniser les Rohingyas.

L’agence Reuter a également fait son enquête et a relevé des milliers de messages prônant la haine.

Ce nouvel aspect du dossier du massacre des Rohingyas trouve, entre autres, sa source dans les Facebook Papers.

Frances Haugen a été cheffe de produit, chez Google, Pinterest, Yelp et surtout Facebook.

Elle a publié 20 000 pages sur le fonctionnement interne de son employeur, Facebook, destinées évidemment à rester secrètes.

De cheffe de produit, ou ingénieure, on ne sait pas très bien, elle est passée au vrai job de lanceuse d’alerte à l’américaine. Auditionnée par le sénat américain le 5 octobre 2021, elle a exposé toute l’arrière boutique de Facebook. Elle a lancé l’association Beyond the Screen, dont l’objectif est d’assainir les réseaux sociaux, suspectés de véhiculer la haine et la discrimination. Elle souhaite créer une base de données en open source, afin de documenter les manquements légaux et éthiques des grandes plates-formes.

Lire les interviews de Libby Liu, directrice de l’ONG Whistleblower Aid, qui a fourni une aide juridique à Frances Haugen et de l’avocat John Napier Tye, peut éclairer quelque peu, sur le contexte des lanceurs d’alerte aux Etats-Unis.

Facebook a déclaré avoir supprimé le compte du commandant en chef de l’armée, tout comme celui d’autres protagonistes de la dictature, notamment celui de la télévision militaire Myawady, en août 2018.

Mais Marzuki Darushan mentionne la responsabilité de Facebook, intervenant beaucoup trop tardivement dans une tentative de modération, dont l’effet a été nul.

On voit bien que les arguments de Facebook seront insuffisants tant à protéger son image, déjà désastreuse, que pour éviter une condamnation. Toutefois, le chemin judiciaire sera long, Meta ayant les moyens financiers, malgré les déboires financiers relatés par les médias, de faire durer le contentieux.

La solution de la compétence universelle ?

La compétence universelle permet de juger, sous certaines conditions, les faits constitutifs des crimes les plus graves, indépendamment du lieu de leur commission, de la nationalité de leurs auteurs et de celle de leurs victimes.

L’ Argentine a retenu sa compétence universelle, après une requête de Maung Tun Khin, président de l’Organisation des Rohingyas birmans du Royaume-Uni (BROUK), basée au Royaume-Uni, pour juger les auteurs des crimes contre les Rohingyas.

La compétence universelle est régie, en France, par les dispositions des articles 689 et suivants du Code de procédure pénale. Le 2 novembre 2022, la Cour d’assises de Paris a condamné l’ex-commandant rebelle libérien, Kunti Kamara, à la réclusion criminelle à perpétuité pour actes de barbarie et complicité de crimes contre l’humanité. Après le Rwanda, le Libéria. Peut-être le Myanmar, un jour. Toutefois, ces Etats, appliquant leur compétence universelle, sont bien isolés sur une scène internationale où les compromissions sont légion, outre les difficultés matérielles et financières pour mener à bien de tels procès.

Rien ne vaut une justice internationale, préparée, financée. Mais elle est bien longue, bien aléatoire, bien politique, bien partielle, et souvent partiale. L’opinion publique est plus ou moins intéressée. L’exemple des Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens pourrait faire réfléchir sous tous les angles. Pour le moment, la Birmanie est une gigantesque caserne et une chambre de torture. Les Rohingyas sont à la merci de la junte en cas de retour, dans un pays où la haine à leur égard ne disparaîtra pas par magie.

Au moins, améliorons sans tarder leurs conditions de vie dans les camps du Bangladesh où ils résident par centaines de milliers.

Vincent Ricouleau
Professeur de droit au Vietnam et au Laos
Legal Counsel / CAPA

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