Au sommaire de cet article...
- Conditions de la confidentialité
- Conditions liées à l’auteur
- Conditions liées au destinataire
- Conditions liées à l’acte
- Périmètre de l’opposabilité
- Levée de la confidentialité
- Mesure d’instruction - litige civil ou commercial (art. 58-1, IV, al. 1)
- Visites administratives (art. 58-1, IV, al. 2)
- Garanties du procès équitable
Le principe du legal privilege de l’article 49 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 est le suivant : « Les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise, ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur sont confidentielles. »
Comme l’indiquait l’exposé des motifs de l’amendement : « l’enjeu est trop important aujourd’hui pour ne pas proposer une écriture unique, parfaitement lisible de l’entier dispositif. C’est cela qui pousse le Gouvernement à déposer un amendement compilant et coordonnant de nombreuses suggestions des députés pour proposer un dispositif complet. ».
ACTUALISATION (17/11/2023) :
Le risque était connu, celui d’une censure constitutionnelle du texte en raison de la qualification d’un cavalier législatif. Tel est ce qui ressort de la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023 (§142 et s.). :
« 147. Introduit en première lecture, le paragraphe IV de l’article 49 ne présente pas de lien, même indirect, avec les dispositions de l’article 19 du projet de loi initial, relatif au diplôme requis pour accéder à la profession d’avocat. Il ne présente pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.
148. Dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs et sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adopté selon une procédure contraire à la Constitution, le paragraphe IV de l’article 49 lui est donc contraire. »
Sur l’évolution de la réforme et les différentes prises de position, voir Legal privilege à la française : 100 fois sur le métier, remettez votre ouvrage ?
Conditions de la confidentialité
L’exposé des motifs de l’amendement précise que la « réécriture a pour but de placer la nature du document au cœur du régime de protection proposé ». Cela étant, les conditions d’application de la confidentialité ne sont pas seulement lié à l’objet ou la nature du support de l’information.
Pour mémoire, l’amendement Terlier (retiré en commission des lois) [3] précisait ce qu’il fallait entendre par « consultation juridique » : « tout écrit, quel que soit son support, y compris un document d’analyse préparatoire, portant la mention "confidentiel – consultation juridique juriste d’entreprise" et destiné exclusivement à un service ou à un organe de direction de l’entreprise d’emploi du juriste d’entreprise, ou d’une entreprise du même groupe. »
Conditions liées à l’auteur
- Diplôme (Master) : « le juriste d’entreprise ou membre de son équipe placé sous son autorité, est titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français ou étranger » (art. 58-1, II, 1°)
- Déontologie : « le juriste d’entreprise justifie du suivi de formations initiale et continue en déontologie » (art. 58-1, II, 2°, al.1). « Ces formations sont conformes à un référentiel défini par arrêté conjoint du ministre de la Justice et du ministre chargé de l’Économie, sur proposition d’une commission dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret » (art. 58-1, II, 2°, al.2) ;
- Lien de subordination : « juriste d’entreprise, ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité » (art. 58-1, I)
Conditions liées au destinataire
L’employeur du juriste d’entreprise doit être le destinataire exclusif des consultations.
Le texte précise qu’il s’agit :
- du représentant légal / son délégataire de l’entreprise ;
- de tout autre organe de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui emploie le juriste ;
- de toute entité ayant à émettre des avis aux dits organes, aux organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui, le cas échéant, contrôle l’entreprise (au sens de C. com., art. L. 233‑3) ;
- des organes de direction, d’administration ou de surveillance des filiales contrôlées par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise (au sens de C. com., art. L. 233‑3).
Conditions liées à l’acte
- Mention de confidentialité et traçabilité (art. 58-1, II, 4°) : les consultations devront :
- comporter la mention « confidentiel – consultation juridique juriste d’entreprise »
- faire l’objet, à ce titre, d’une identification et d’une traçabilité particulières dans les dossiers de l’entreprise et le cas échéant, dans les dossiers de l’entreprise membre du groupe qui est destinataire desdites consultations
- Sanction du faux : « est puni des peines prévues par l’article 441-1 du Code pénal, le fait d’apposer frauduleusement la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » sur un document qui ne relève pas du présent article » (art. 58-1, VII).
Périmètre de l’opposabilité
Opposabilité (voir aussi supra, les conditions (objet) liées à l’acte) :
- procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative (art. 58-1, III, al. 1)
- conséquence : aucune saisie ou remise obligatoire à un tiers possible, y compris à une autorité administrative française ou étrangère (art. 58-1, III, al. 1)
Inopposabilité :
- en matière civile, commerciale ou administrative, à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient (art. 58-1, III, al. 1) ;
- « dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale » (art. 58-1, III, al. 2). Cette exclusion se justifierait en ce que ces procédures « sont les premières garantes de l’ordre public économique ».
Levée de la confidentialité
Le texte précise le régime procédural de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise. Les règles (art. 58-1, IV) s’appliquent en 1re instance et en cas d’exercice des voies de recours.
Mesure d’instruction - litige civil ou commercial (art. 58-1, IV, al. 1)
- Possible saisine du président de la juridiction qui a ordonné une mesure d’instruction ;
- Assignation en référé ;
- Délai : 15 jours suivant la mise en œuvre de la mesure d’instruction ;
- Aux fins de contestation de la confidentialité alléguée de certains documents.
L’ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire est soumise, conformément au droit commun, à la procédure ordinaire à bref délai des articles 905 et suivants du Code de procédure civile (précisions dans l’exposé des motifs).
Visites administratives (art. 58-1, IV, al. 2)
- Possible saisine du JLD (juge des libertés et de la détention) qui a autorisé une opération de visite dans le cadre d’une procédure administrative ;
- Requête motivée de l’autorité administrative ayant conduit cette opération ;
- Délai : 15 jours suivant la visite ;
- Aux fins :
- de contestation de la confidentialité alléguée de certains documents,
- d’ordonner la levée de la confidentialité « dans la seule hypothèse où ces documents auraient eu pour finalité d’inciter ou de faciliter la commission des manquements aux règles applicables qui peuvent faire l’objet d’une sanction au titre de la procédure administrative concernée » ;
- Possibilité d’appel de l’ordonnance du JLD :
- devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué,
- par l’autorité administrative, l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou, le cas échéant, l’entreprise membre du groupe destinataire de la consultation juridique,
- le PP CA doit statuer dans un délai de 3 mois maximum.
Garanties du procès équitable
- Audition : Le juge statue sur la confidentialité après avoir entendu le requérant et l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise (art. 58-1, IV, al. 3) ;
- Avocat : assistance ou représentation de l’entreprise par avocat obligatoire (art. 58-1, V) ;
- Décision du juge et expertise : « Le juge saisi peut enjoindre à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise de mettre à sa disposition l’ensemble des documents dont elle allègue la confidentialité. Il peut en prendre connaissance seul ou avec l’assistance d’un expert qu’il désigne » (art. 58-1, IV, al. 3) ;
- Publicité de la décision : « le juge peut adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection de la confidentialité » (art. 58-1, IV, al. 5) ;
- Minimisation des documents produits : « s’il est fait droit aux demandes, les documents sont produits à la procédure en cours dans les conditions qui lui sont applicables. À défaut, ils sont restitués sans délai à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise » (art. 58-1, IV, al. 6) ;
- Coopération / auto-incrimination : Le texte prévoit sans surprise qu’« en tout état de cause, l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise peut lever la confidentialité des documents ».
Petite loi (article 49 de la LOPMJ) accessible ici (site du Sénat). ATTENTION : nous vous rappelons que ces dispositions relatives au legal privilege à la française ne sont pas du droit positif (censure constitutionnelle).
ACTUALISATION (17/12/2023) : Une proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise a été enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2023 (Sénat 2023-2024, PPL n°126). Déposé par le Sénateur Louis Vogel, le texte comporte un article unique, comportant quelques ajouts, dont celui de la définition de la consultation juridique.
ACTUALISATION (21/12/2023) : Une autre proposition de loi relative à la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2023. Le texte est porté notamment par le député Jean Terlier (texte initial ici (site de l’Assemblée nationale)).