Pour commencer, dressons le portrait des barreaux par nombre d’avocats, en janvier 2025 :
50 barreaux (sur 164) ont donc perdu des avocats en deux ans (au moins -1%. Nous verrons plus en détail l’ampleur dans les graphes ci-dessous).
Notre questionnement a été corroboré par des témoignages de bâtonniers ou d’avocats, dont celui d’une avocate au Barreau de la Meuse qui se réjouissait début 2024, dans un post sur les réseaux sociaux, de la venue de deux nouveaux avocats pour son barreau, "un événement rare" pour ce dernier qui n’avait pas connu cela depuis 15 ans [2]. Son message comme celui de bon nombre de bâtonniers de petits et moyens barreaux : « Le Barreau a besoin d’autres jeunes, rejoignez-nous ! »
En effet, lorsque l’on constate que sur l’augmentation de 2 308 avocats entre 2023 et 2025, 1 420 (plus de la moitié) ont renforcé le Barreau de Paris, on comprend clairement que certains barreaux sont moins bien dotés que d’autres et que cela peut, à terme, être un problème crucial quant au nombre suffisant d’avocats présents sur un territoire donné et la réponse juridique apportée localement à la population.
Par nos rencontres, nos recherches, nous sentons que certains bâtonniers ont pris en compte cette problématique et qu’ils ont la volonté (alors que cela ne fait pas partie de leurs attributions premières) d’attirer de nouveaux avocats, de développer leur barreau afin que ce dernier ne s’éteigne pas petit à petit, ou à tout le moins puisse répondre à la demande de droit locale.
La dynamique des barreaux étudiée de près, en chiffres et en graphiques.
Nous avons observé ici l’évolution du nombre d’avocats inscrits par barreau, entre janvier 2023 et janvier 2025.
Les situations sont très variables et même s’il faut prendre garde à la taille du barreau (rapportée à la population locale) pour analyser ce que représente la perte ou le gain d’un même nombre d’avocats (4 par exemple) dans un barreau, il semble évident que les effets sont importants sur l’offre juridique locale, quand un cabinet ferme ou ouvre (puis deux, puis trois...).
Quelques éléments de réflexion inspirés par cette dynamique extrêmement variée des barreaux...
- La centralisation des écoles de formation initiale des avocats, ne les éloigne-t-elle pas d’une majorité de petits et moyens barreaux ? Cette cartographie est-elle (toujours) la bonne ?
- Vaut-il mieux s’installer dans un barreau saturé en avocats, mais porteur d’affaires, ou s’installer dans un barreau moins dense, mais potentiellement moins "intéressant" ?
- Quelle est l’incidence du travail à distance ? La possibilité pour un avocat de télétravailler et de s’installer dans une localité éloignée de son barreau peut-il lui permettre de bénéficier de clients potentiels sur son lieu de vie, et donc de changer de barreau ou d’ouvrir un cabinet secondaire ?
- La technologie ne va-t-elle pas bouleverser la nécessité de la présence géographique de l’avocat, avec des outils de conseil à distance de plus en plus répandus ? La notion de barreau est-elle toujours adaptée ?
- Faudra-t-il que les instances représentatives des avocats repensent leur organisation pour créer, comme l’ont fait les notaires, des Conseils régionaux et des Chambres départementales pour un maillage au plus près du justiciable et une entraide entre barreaux ?
- Quelles sont les stratégies mises en place par les barreaux pour attirer de nouveaux avocats et/ou pour fidéliser ceux déjà présents ?
- Afin de pouvoir répondre à la demande juridique locale, faut-il s’appuyer par exemple sur les membres des cliniques juridiques présentes dans les universités de Droit, qui organiseraient des permanences auprès des barreaux en manque d’avocats ? Cela se pratique au Canada [3]...
De la centralisation des écoles d’avocats à la délocalisation des étudiants de leur lieu d’études initial...
Il existe 11 écoles d’avocats en formation initiale pour 164 barreaux ; elles sont réparties ainsi : Bordeaux, Bruz, Issy-les-Moulineaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Poitiers, Strasbourg, Toulouse et Viroflay. À noter que de telles écoles n’existent pas dans les DROM, les étudiants de ces territoires doivent venir en métropole. Les régions dessinées par cette situation centralisée des Écoles d’avocats sont-elles trop vastes ?
Selon les témoignages de bâtonniers, il semblerait que la situation géographique de l’école d’avocat dans une grande ville se fasse au détriment des plus petits barreaux liés à cette école ou de ceux les plus éloignés. C’est ce que nous expliquait Me Girot-Marc, bâtonnier de Grenoble (2024-2025), dans un entretien en février 2024 : "Depuis que Grenoble a perdu son école de formation des avocats, l’école des avocats pour la région ayant été centralisée à Lyon (EDERA), peu d’avocats reviennent sur Grenoble, alors qu’ils sont natifs de cette ville ou qu’ils y ont fait leurs études. Et c’est pareil pour Chambéry, Annecy, ou encore Albertville...". Si cela pose un problème pour le barreau de Grenoble (ce dernier faisant tout de même partie de la "Conférence des 100" plus grands barreaux), alors que dire pour des barreaux plus petits et/ou plus éloignés... ou encore pour les barreaux ultra-marins dont les étudiants sont délocalisés sur le continent pour accéder à l’une des écoles d’avocats...
Même constat de la part d’Urielle Sébire, bâtonnière de Lisieux, barreau à la fois éloigné des centres universitaires de droit et des écoles d’avocats (Rennes, Lille, Paris). Son constat, le cursus pour devenir avocat étant de minimum 7 ans, beaucoup d’entre eux commencent leur vie près du lieu où ils ont fini leurs études et donc... pas à Lisieux [4].
La Rédaction du Village de la Justice a eu l’occasion de s’adresser aux différentes écoles d’avocats et voici ce que nous pouvons extraire de leurs propos sur ce point spécifique :
Selon l’École des Avocats Rhône-Alpes à Lyon (EDARA) : « L’examen d’entrée dans nos écoles est devenu national (depuis plusieurs années) et à ce titre, il n’y a pas d’IEJ prioritaire pour accéder à une école. (…) Les élèves sont à la fois motivés par la proximité géographique, par l’attractivité régionale, et le dynamisme des barreaux du ressort des écoles ».
Le constat de l’École des Avocats du Sud-Est (EDASE) est que : « La très grande majorité des nouveaux avocats reste en région ».
Pour l’École de Formation des Avocats Centre Sud (EDACS) : « L’attractivité de la profession d’avocat est souvent le fruit d’une synergie entre les écoles d’avocats et les barreaux ».
Voici le constat de l’École des avocats de la région Nord-Ouest (IXAD) : « En ce qui concerne la Prestation de Serment après le CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat), 80% des Élèves Avocats de la dernière promotion sortante se sont inscrits dans un Barreau du Ressort d’IXAD ».
... aux outils mis en place par les barreaux pour rester attractifs et "fidéliser" leurs avocats.
Parmi ces outils, on peut désigner les politiques volontaristes de certains barreaux en matière de diversité des formations continues, de QVCT, de RSE...
Politique de formation et d’accompagnement, c’est par exemple le Barreau de Nantes qui propose des formations continues dédiées aux avocats nouvellement installés traitant de la structuration de son activité, des démarches en début d’activité ou des bons réflexes au moment de l’installation [5].
Le Barreau d’Arras qui complète la formation pratique des jeunes avocats en matière de procédure pénale par un système de tutorat assuré par des avocats plus anciens [6]. Ou encore le Barreau de Grenoble qui propose à ses avocats une offre de formation continue très variée, allant des domaines les plus classiques (droit pénal, droit de la famille, droit du travail, droit des sociétés, droit fiscal...) aux plus pointus (RGPD, environnement, cybersécurité, finances, inter-professionnalité, RSE...).
Politique en matière de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et Qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) : comme dans toute profession, ces deux notions prennent tout leur sens auprès des avocats qui y sont de plus en plus sensibles, même si comme nous le disait Me Girot-Marc, la profession a près de 20 ans de retard en la matière (voir notre article). Et c’est ainsi, que certains barreaux mettent en place des politiques volontaristes en ce sens pour préserver l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle et éviter que leurs avocats ne quittent la profession, cette dernière devenant incompatible avec leurs valeurs, leur santé, leur vie familiale.
Cela passe par exemple par la création de crèche afin de faciliter l’organisation vie professionnelle/vie privée des avocats (Barreau de Bordeaux), par donner la priorité de passage aux audiences aux avocates enceintes (Barreau de Lyon [7]), par ouvrir un espace confortable et privé aux avocates allaitantes (Barreau de Paris [8], par mettre en place une commission « Qualité de vie au travail à l’ordre », une cellule d’aide et des partenariats entre des psychologues et le barreau, le tout pour lutter contre le burn-out (Barreau de Grenoble). C’est aussi doter son barreau d’une commission RSE, car les avocats souhaitent donner du sens à leur métier et sont sensibles à l’incidence de ce dernier sur leur environnement (Barreau de Nantes)...
Politique de communication : un autre moyen de devenir attractif, c’est de se rendre visible et c’est ce qu’ont bien compris un bon nombre de barreaux et de Bâtonniers en communiquant sur le site internet du barreau, sur les réseaux sociaux, les médias [9]...
En conclusion, si pour le moment, au vu du nombre d’avocats croissants en France, la dynamique des barreaux n’est pas en danger, il faut tout de même que les instances représentatives de ces professionnels restent vigilantes et en réflexion pour être prêtes à agir et accompagner les barreaux en difficulté.
Nous poursuivrons cette réflexion, et publierons chaque année une mise à jour de ces chiffres pour suivre les tendances.