Le juge...ment au nom d'une partie. Par Jérôme Turquey, Enseignant.

Le juge...ment au nom d’une partie.

Par Jérôme Turquey, Enseignant.

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Explorer : # harcèlement moral # non-respect de la loi # partialité judiciaire # droit du travail

Dans son Guide sur l’article 6 de la Convention - Droit à un procès équitable (volet civil) en date du 31 décembre 2021 [1], la CEDH laisse entendre dans le développement sur l’administration des preuves que la Cour peut remettre en cause, sous l’angle de l’article 6§1, l’appréciation des tribunaux nationaux lorsque leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables [2].

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Tout jugement, au sens large de l’action de juger quelqu’un, une affaire, dans le respect des lois et règlements en vigueur (première définition du Larousse pour le nom jugement), est prononcé au nom du peuple français. Pourtant, un arrêt récent semble-t-il non publié d’une Cour d’appel sur un sujet de harcèlement moral, manquement à l’obligation de sécurité de moyens renforcés et manquement à la loyauté de l’employeur, interroge à sa simple lecture attentive : il parait déséquilibré pour dire le droit au nom d’une partie, l’employeur en l’occurrence, en mentant par action et par omissions pour dissimuler, déguiser volontairement la vérité, nier ou taire ce qu’on devrait dire (première définition du Larousse pour le verbe mentir).

S’il s’agit d’une question de droit social, le même type de déséquilibre problématique pour dire le droit est susceptible de se produire pour une autre branche du droit (litige avec un client, un fournisseur…) et intéresse les justiciables, personnes morales ou physiques

Alors que des Etats généraux de la justice ont été lancés à l’initiative du Président de la République [3], les observations techniques au sens de l’article 434-25 du Code pénal qui suivent relatifs à un arrêt concomitant à la clôture des contributions aux Etats généraux de la justice, sont rédhibitoires pour des magistrats professionnels d’autant que, s’agissant d’une Cour d’appel avec des magistrats expérimentés, le pourvoi en cassation ne regardera en principe pas les faits, encore que l’article L411-3, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire dispose que la Cour de cassation peut, à l’instar de ce que peut faire le Conseil d’État, « statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » sans définir toutefois les critères de cet “intérêt”. Cette possibilité a été ouverte par loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle complétée par le décret n° 2017-396 du 24 mars 2017 portant diverses dispositions relatives à la Cour de cassation.

Il serait sans doute intéressant d’avoir accès au détail des pièces du dossier que seules les parties et les juridictions connaissent, mais une simple lecture attentive de l’arrêt anonymisé sur le noms et les lieux pour ne pas stigmatiser, en y relevant et questionnant ce qui est dit et ce qui n’est pas dit, permet de faire des commentaires techniques au sens de l’article 434-25 sur la manière de dire le droit, raison d’être de toute juridiction (juris dictio, dire le droit).

L’analyse rigoureuse de l’arrêt fait apparaître le non-respect grossier de la loi et la jurisprudence établie (I) se traduisant par le parti pris pour une partie (II).

I. Le non-respect grossier de la loi et la jurisprudence établie claire pour débouter un salarié de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral, de manquement à l’obligation de sécurité de moyens renforcés et manquement à la loyauté de l’employeur.

Pour débouter le salarié de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral, de manquement à l’obligation de sécurité de moyens renforcés et manquement à la loyauté de l’employeur, la Cour d’appel a ignoré sciemment la loi (A) et n’a pas appliqué la jurisprudence établie sur la non autorité de la chose jugée au pénal comme devant le juge administratif.

A. Pour débouter le salarié, la Cour d’appel a ignoré sciemment la loi.

Nul ne peut ignorer la loi, et en particulier ceux qui veillent à son application dans les juridictions en disant le droit au nom du peuple français.

La cour, composée de trois magistrats professionnels a ignoré l’article 430 du Code pénal et les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail.

1) La Cour d’appel a ignoré l’article 430 du Code pénal en se fondant sur de simples déclarations d’enquête préliminaire.

La Cour d’appel s’appuie principalement sur des propos considérés probants mais qui n’étaient pas sous serment de la direction et de salariés tous sous l’autorité de l’employeur.

En effet même si l’arrêt ne le précise pas, il s’agit de propos tenus dans le cadre d’une procédure ayant conduit à un classement sans suite évoqué page 10 et non pas un non-lieu ou une relaxe : il s’agit donc d’une enquête préliminaire. Par ailleurs, rien n’obligeait le salarié à se constituer partie civile dès lors que le conseil de prud’hommes était saisi.

La Cour d’appel écrit : « De manière générale, l’enquête de la gendarmerie, révèle les insuffisances professionnelles de M. S, qui avaient déjà été constatées par l’ancien directeur mais pour lesquelles il n’avait alors rien mis en place » (page 6).

S’ensuivent de larges extraits de l’enquête préliminaire recopiés in extenso pour intégrer avec force probante ces propos sans valeur et sans le moindre risque pour les intéressés, ce que la Cour d’appel ne pouvait ignorer, car les intéressés étaient :
- ni sous serment,
- ni sous attestation conforme au Cerfa n° 11527*03 Sachant que l’attestation sera utilisée en justice et connaissance prise des dispositions de l’article 441-7 du Code pénal réprimant l’établissement d’attestation faisant état de faits matériellement inexacts ci-après rappelés : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’établir une attestation ou un certificat faisant état de faits matériellement inexacts » (cette phrase doit être écrite, ci-dessous, entièrement de votre main) : cela donne une rédaction inventive en expressions : a attesté, a relaté, a témoigné, a affirmé, a ajouté, a confirmé y compris en citant par ouï-dire le précédent directeur sans préciser qu’il y avait une délégation.

Un magistrat expérimenté de second degré de juridiction ne peut ignorer l’article 430 du Code de procédure pénale et que lesdits propos n’ont en conséquence aucune force probante pour établir des faits : Il résulte de l’article 430 du Code de procédure pénale que, sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements. Encourt, dès lors, la censure l’arrêt qui, pour déclarer des prévenus coupables de vol et vol aggravé, énonce que les faits sont établis par les procès-verbaux des officiers et agents de police judiciaire, qui font foi jusqu’à preuve contraire [4].

Comme le rappelle le Conseil Constitutionnel [5], citant Henri Angevin certes dans le contexte des Assises avec l’article 331 CPP, l’obligation de prêter serment n’est pas que symbolique : « En prêtant serment de dire la vérité, le témoin prend en effet un engagement solennel qui distingue son témoignage de la simple déclaration ne valant que renseignement ».

Plus préoccupant, on peut légitimement penser que la Cour savait pertinemment que les renseignements obtenus dans le cadre de l’enquête préliminaire ne pouvaient donner lieu à une plainte pour faux témoignage. Pour preuve, à la lecture, la Cour ne reproche pas au salarié de ne pas s’être porté partie civile sans doute parce qu’elle savait parfaitement que les propos sont sans valeurs et ne pouvaient prospérer dans le cadre d’une plainte pour faux témoignage : Ainsi n’écrit-elle pas « Monsieur N. n’a déposé plainte pour faux témoignage contre aucune des personnes attestant ; Attendu qu’il résulte de ce qui précède que les six témoignages produits par l’employeur présentent des garanties suffisantes pour ne pas être écartés des débats » [6].

La Cour d’appel n’a pas appliqué les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail confirmés par la jurisprudence en matière de sécurité et santé au travail.

2) Les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail ne sont pas cités.

Dans sa décision du 25 novembre 2015 (N°14-24444) la Cour de Cassation a statué que ne méconnait pas l’obligation légale imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail.

Dans la décision du 1er juin 2016 (14-19702), qui a fait l’objet d’une note explicative, la Cour de Cassation permet de s’exonérer de la responsabilité en matière de harcèlement moral, quand un tel harcèlement s’est produit dans l’entreprise, si l’employeur a pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement, fait cesser effectivement le harcèlement, pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail, et mis en œuvre préalablement des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral.

Une cour d’appel ne peut pas débouter le salarié de ses demandes de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de prévention des agissements de harcèlement moral dès lors que ce dernier n’a pris aucune mesure après avoir été notamment informé par un courriel de l’intéressé adressé à sa hiérarchie de la souffrance qu’il ressentait, ainsi que son incompréhension quant à son absence d’évolution de carrière au sein de la société et à la réaction disproportionnée et violente verbalement du président de l’entreprise, lors d’un incident survenu auparavant [7].

La Cour écrit : « Il ressort de l’ensemble des pièces versées au dossier que, suite au courrier du conseil de M. S un harcèlement moral, reçu le 4 février 2010., M. D et son épouse ont annoncé leur intention de démissionner (…) M. S a été pris à partie par le personnel qui ne souhaitait pas que le nouveau directeur, visiblement très apprécié, démissionne » (page 8).

La réponse de l’entreprise au courrier du salarié a été la menace de démission de la direction salariée soutenue par le représentant légal.

L’employeur, appuyé par des déclarations sans serment de salariées sous son autorité, ne semble avoir fait aucune diligence après l’agression au travail.

Il n’est ainsi pas fait mention d’une enquête interne ou de PV du CHSCT produit pour prouver les diligences au titre de la protection de la santé.

La Cour d’appel banalise les manquements de l’employeur aux principes en matière de santé et sécurité au travail. Elle écrit que « lorsqu’il a commis des manquements, la situation a été réglée n’engendrant aucun préjudice pour le salarié (absence de déclaration d’accident du travail qui a été établie par le salarié) » (page 10).

Lorsqu’un salarié est victime d’un accident de travail, la seule obligation légale de l’employeur est de faire une déclaration à la CPAM dans un délai de 48 heures [8].

La Cour écrit que « Le seul fait de contester le caractère professionnel de l’accident subi par le salarié ne caractérise manifestement pas un agissement malveillant en vue de le déstabiliser, le tourmenter ou l’humilier » (page 9).

Le problème est que l’arrêt est muet sur la pertinence des réserves : selon la Cour de cassation, constituent des réserves au sens de l’article R441-11 du Code de la sécurité sociale, les contestations par l’employeur du caractère professionnel de l’accident, qui portent sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail [9].

B. Pour débouter le salarié la Cour d’appel n’a pas appliqué la jurisprudence établie sur la non autorité de la chose jugée au pénal comme devant le juge administratif.

La Cour d’appel a donné explicitement l’autorité de la chose jugée au classement sans suite par le terme « de surcroit » et implicitement une valeur probante aux décisions de la justice administrative faisant fi du régime probatoire strict de l’arrêt de la Cour de Cassation en date du 8 juin 2016.

1) La Cour d’appel a donné explicitement l’autorité de la chose jugée au classement sans suite par le terme « de surcroit ».

La manière de parler de la plainte classée après avoir parlé des autorités administratives, exactement comme l’employeur lui donne explicitement une autorité de la chose jugée : De surcroît, la plainte déposée par M. S, pour harcèlement moral, a été classée sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée », écrit la Cour d’appel page 10.

Or, le classement sans suite, décision administrative, n’a pas autorité de la chose jugée ce que ne peut ignorer le magistrat qui commence la phrase par « de surcroit » i.e. Ce qui s’ajoute à quelque chose en en augmentant l’importance, la quantité, le nombre : Un surcroît de travail (Larousse).

Est ainsi dépourvu de l’autorité de la chose jugée le classement sans suite de la plainte par le procureur de la République : Attendu que le salarié fait grief à la cour d’appel de l’avoir débouté de sa demande, en invoquant notamment le fait que la plainte pénale déposée par l’employeur avait fait l’objet d’un classement sans suite ; Mais attendu, d’abord, que le classement sans suite d’une plainte par le procureur de la République constitue un acte dépourvu de l’autorité de la chose jugée [10].

2) La Cour d’appel a ignoré la jurisprudence coordonnée des deux ordres de juridictions.

Préalablement au classement sans suite la Cour d’appel écrit page 10

« il sera relevé que M. S a formé un recours hiérarchique devant le ministre du travail qui a confirmé le 21 août 2012 la décision de l’inspecteur du travail autorisant son licenciement. Le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le 20 mai 2014 la requête de M. S contre la décision d’autorisation du licenciement de l’inspecteur du travail et la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé le 12 mai 2015 la-décision du Tribunal administratif de Strasbourg. M. S a à nouveau saisi le tribunal administratif pour demander l’annulation de l’autorisation de licenciement et s’est finalement désisté de sa demande. M. S a également contesté le 16 juin 2014 ses avis médicaux d’inaptitude du 3 et du 18 mars 2011. Une décision implicite de rejet est intervenue le 16 août 2014 qui a été confirmée par l’inspecteur du travail le 17 septembre 2014 puis par le Ministre du travail le 8 décembre 2014 ».

Elle ne pouvait pas reprendre un tel argumentaire d’employeur contraire à la jurisprudence claire combinée des deux ordres de juridiction :
- D’une part, le Conseil d’Etat : « la décision de l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié, s’il s’y estime fondé, fasse valoir devant les juridictions compétentes les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur » [11] ;
- D’autre part, la Cour de cassation : « Mais attendu que dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement ; qu’il ne lui appartient pas en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d’un harcèlement moral dont l’effet, selon les dispositions combinées des articles L1152-1 à L1152-3 du Code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail ; que, ce faisant, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations » [12].

La Cour d’appel aurait dû éventuellement reprendre la formule coordonnée pour écarter ce qui s’est passé devant les juridictions de l’ordre administratif qui n’ont jamais traité le sujet d’éventuels manquements de l’employeur à ses obligations.

Au-delà du non-respect grossier de la loi et la jurisprudence établie sur la non autorité de la chose jugée au pénal et devant le juge administratif, c’est en réalité un parti pris grossier rédhibitoire pour une partie, qui apparait à l’analyse de l’arrêt.

II. Le parti pris grossier pour une partie.

La Cour d’appel n’a volontairement pas pris en considération des éléments allant dans le sens de la version du salarié et plus généralement la Cour d’appel n’a pas une égale considération pour les preuves des parties.

A. L’absence délibérée de prise en considération des éléments allant dans le sens de la version du salarié.

1) La Cour d’appel a ignoré des sujets présents dans le PV de gendarmerie suite à l’enquête préliminaire.

Le PV de gendarmerie exploité pour entériner la version de l’employeur précise pourtant par ailleurs :
- « M. P, président du conseil d’administration, a ajouté [lors de l’enquête de gendarmerie] que le nouveau directeur l’a informé d’un retard important et de graves lacunes dans la préparation de la certification V2* qui conditionne l’autorisation des soins et donc la survie de l’établissement » (page 6) ;
- « l’ancien directeur M. P était une personne très autoritaire » (page 6) ;
- « l’ancien directeur était quelqu’un de très autoritaire et que le nouveau directeur M. D est tout à l’opposé. Il semble très apprécié par le personnel », « l’actuel directeur comme quelqu’un de posé, calme, respectueux d’autrui et très compétent », « mes relations entre la direction et le personnel se sont nettement améliorées et que le climat social est apaisé » (page 8).

Le PV recopié évoque clairement notamment :
- La situation sous l’ancienne direction dont il ressort qu’elle était controversée selon les déclarations des salariés,
- Le climat anxiogène pour les salariés avec le discours de risque de la fermeture tenu par la nouvelle direction repris par le représentant légal…

Or :
- D’une part, la Cour d’appel n’a pas recherché si le management autoritaire de l’ancienne direction avait pu affecter M. S ;
- D’autre part, la Cour d’appel a nié la menace faite au personnel de fermeture de l’établissement : Elle écrit « En outre, M. S mentionne une éventuelle fermeture de l’établissement qui n’a jamais été évoquée par la direction » (page 11).

Jamais ? Pourtant on voit clairement que les propos même du représentant légal cités dans l’arrêt page 6 sont contradictoires avec ce que la Cour d’appel écrit elle-même.

C’est le représentant légal en personne qui évoque le risque de fermeture (Survie : Prolongation d’une activité au-delà du moment où elle semblait menacée de disparition (Larousse)).

2) La Cour d’appel n’a pas apprécié les éléments dans leur ensemble en minimisant des actes dépourvus d’objectivité et a surinterprété en défaveur du salarié l’exigence de preuve.

La Cour écrit dans un paragraphe titré « Sur le harcèlement moral et l’obligation de sécurité » que

« M. S soutient qu’il a été victime de harcèlement moral parle nouveau directeur qui a orchestré son éviction de l’hôpital pour octroyer un poste à responsabilités à son épouse. M. S soulève la multiplication de reproches infondés, la tentative d’extorsion de rétractation du harcèlement moral dénoncé, le refus de déclarer son accident du travail, la demande de justifier de ses diplômes, la succession de fiches de poste, le refus d’exercer son droit individuel à la formation (DIF), la diminution de ses attributions, le défaut de recherche de reclassement sérieuse, l’absence de prise en compte du caractère professionnel de l’inaptitude, le caractère erroné et le défaut de mentions obligatoires sur les documents de la procédure de licenciement et l’absence de loyauté de l’employeur. Il estime que l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité et que le harcèlement moral est à l’origine de sa perte d’emploi ».

Elle n’a pas appliqué le régime probatoire strict posé par la Cour de Cassation, les éléments n’ayant pas été appréciés dans leur ensemble [13].

Elle écrit que « Par courrier en date du 16 décembre 2009 et par courrier du 13 janvier 2010, l’employeur a reproché à M. S, responsable de la gestion et de la qualité, des insuffisances en matière de démarche de qualité. L’E a notamment reproché à M. S le non suivi d’une demande de déclaration des fichiers détenus par l’établissement à la CNIL, faute que le salarié reconnais et pour laquelle, je présente mes excuses tel qu’il en résulte de son courrier du 16 décembre 2009. Il lui a également été reproché que les plans d’action issus de la V1 n’ont pas été menés et que la certification V2 (groupes d’auto-évaluation, groupes d’évaluation des pratiques professionnelles) n’a pas été préparée, ce qui est corroboré par les auditions réalisées par la gendarmerie » (page 6).

Deux points peuvent être commentés :
- Est-il crédible que M. S. aux insuffisances professionnelles prétendues par l’employeur pour se justifier puisse avoir fait partie des groupes de certification après le reproche fait que la certification V2 (groupes d’auto-évaluation, groupes d’évaluation des pratiques professionnelles) n’a pas été préparée ? La Cour d’appel écrit que « M. S. soutient qu’il a été privé de ses fonctions dès le mois de septembre 2009 et qu’il a, été exclu des groupes de certification mais produit aucun élément démontrant qu’il a été dépouillé de ses attributions et qu’il a été écarté du groupe de certification avant son arrêt de travail en février 2010, la liste des participants qu’il produit n’étant pas datée » (page 7) ;
- Est-il crédible que le grief de non déclaration des fichiers détenus par l’établissement à la CNIL, pour laquelle Mr S a fait amende honorable, soit objectif dès lors qu’une consultation du rapport public de certification V2 de l’établissement datée de janvier 2011 page 82, plus de deux ans après, montre le retard de déclaration (18c La sécurité du système d’information est assurée, Eléments d’appréciation : Mise en œuvre des démarches et formalités prévues par la législation Informatique et liberté, Constat : Les formalités sont en cours de régularisation auprès de la CNIL).

En réalité la Cour n’a rien voulu regarder sur la foi d’auditions sans prestation de serment qui ont corroboré (c’est le terme de la Cour d’appel : ce qui est corroboré par les auditions réalisées par la gendarmerie).

Il y a eu en droit visite de reprise le 3 mars 2011 mettant fin à la suspension du contrat de travail (Cass. soc., 16 févr. 1999, n° 96-45394).

La Cour d’appel a banalisé les manquements délibérés de l’employeur ne considérant pas dans leur ensemble les faits.

Elle écrit :
- « S’il est avéré que la seconde convocation à l’entretien préalable limite l’assistance aux IRP ; que le courrier de licenciement ne mentionne pas le DIF et que l’attestation destinée à Pole Emploi contient des erreurs, ces faits ne peuvent être définis comme des agissements susceptibles de dégrader les conditions de travail du salarié » (page 9) ;
- « Il sera relevé lorsqu’il a commis des manquements, la situation a été réglée n’engendrant aucun préjudice pour le salarié (absence de déclaration d’accident du travail qui a été établie par le salarié et engagement d’une procédure de licenciement pour inaptitude non professionnelle qui s’est transformée en licenciement pour inaptitude professionnelle) » (page 10) ;
- M. S estime que la recherche de reclassement n’a pas été réalisée de manière sérieuse puisque l’employeur n’a pas donné d’informations précises sur lui aux autres établissements sollicités dans le cadre de la recherche. Or, l’employeur, alors qu’il ne fait pas partie d’un groupe, a de sa propre initiative élargi sa recherche de reclassement à d’autres établissements hospitaliers sans que cela ne soit une obligation si bien que, malgré l’absence de CV annexé, cet acte n’a pas eu pour conséquence de rendre la recherche de reclassement entreprise non sérieuse ni eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (page 9) ;
- « L’association E reconnaît l’absence de déclaration d’accident du travail, qui a donc été établie par le salarié lui-même, et reconnaît qu’elle a d’abord tenté de licencier M. S pour inaptitude non professionnelle, pour ensuite le licencier pour inaptitude professionnelle compte tenu du refus de l’inspection du travail, mais le seul fait de contester le caractère professionnel de l’accident subi par le salarié ne caractérise manifestement pas un agissement malveillant en vue de le déstabiliser, le tourmenter ou l’humilier » (page 9).

L’accumulation de manquements est ainsi banalisée et normalisée au long de l’arrêt sans prendre les éléments dans leur ensemble.

La Cour est allé jusqu’à dispenser l’employeur de donner des explications de ses décisions dépourvues d’objectivité dans une interprétation restrictive des conditions de travail, dont la DARES donne la définition suivantes : Les conditions de travail recouvrent les aspects matériels (contraintes physiques, moyens, conditions sanitaires, etc.), organisationnels (temps de travail, rythme de travail, autonomie et marge de manœuvre, etc.), et psychosociaux (relations avec les clients, la hiérarchie et les collègues, sentiment d’utilité, etc.) dans lesquels est exercée l’activité professionnelle).

Les faits relèvent bien des aspects psychosociaux (relations avec les clients, la hiérarchie et les collègues, sentiment d’utilité, etc.) dans lesquels est exercée l’activité professionnelle et devaient être apprécié pris dans leur ensemble.

Sur le plan médical, la Cour d’appel écrit que « La dégradation de l’état de santé du salarié, matérialisée par l’arrêt maladie du 4 février 2010, est concomitante là l’accident du, travail du même jour correspondant à l’altercation avec une partie du personnel, et M. S ne produit aucune pièce médicale tel que des certificats médicaux pouvant mettre en évidence un lien entre son état de santé et un éventuel harcèlement moral » (page 10). Une telle pièce médicale est une sur-exigence par rapport à définition du HM (susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’aItérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel). En outre il y a bien un avis du médecin du travail qui a écrit « pas de proposition de reclassement » sans que la cour ne recherche pourquoi (page 9).

B. Malgré des anomalies la Cour a entériné un soi-disant reclassement proposé au salarié pour un poste n’ayant en réalité juridiquement aucune existence.

Malgré des anomalies, la Cour a entériné un soi-disant reclassement pour un poste n’ayant en réalité juridiquement aucune existence

1) Les anomalies autour du poste proposé.

La Cour d’appel n’a pas relevé qu’aucune procédure de licenciement n’a été engagée à l’arrivée du nouveau directeur et de son épouse alors que rien ne s’y opposait.

La Cour d’appel écrit en recopiant l’enquête de gendarmerie que « Mme W, secrétaire de direction, a attesté que Très vite avec la directrice des soins et de la qualité nous nous sommes aperçues qu’aucun travail sérieux n ’avait été fait pour l’obtention de la certification V2. M. S n’avait réalisé aucun travail de fond pour obtenir cette certification » (page 6).

Chronologiquement à la lecture de l’arrêt la venue de Madame D, directrice des soins et de la qualité, sur les fonctions de Mr S, salarié protégé, semble donc bien antérieure à la proposition de reclassement.

La Cour d’appel écrit en recopiant l’enquête de gendarmerie :
- « M. S produit le projet de restructuration de E établi par la nouvelle direction en novembre-décembre-2009 qui mentionne la suppression du « poste affecté à la prise en compte de l’activité « Qualité », détenu par l’appelant » (page 7) ;
- « L’association E conteste le harcèlement moral et soutient notamment que le projet de suppression de poste n’était pas synonyme d’éviction de M. S, puisqu’il était bien question de lui octroyer un nouveau poste dans le cadre de cette restructuration et souligne que ce n’était qu’un projet qui n’a pas été suivi d’effet » (page 5) ;
- « Mme R a attesté pendant l’enquête de la gendarmerie que « début février une proposition de reclassement dans l’établissement a été proposé à M. S lors ’d’une réunion en présence du président du conseil d’administration, du directeur, de la directrice des soins, de la représentante cadre du CE Mlle R et moi-même. Il lui a été proposé un reclassement comme responsable des achats. M. S a accepté la proposition » et M. P a confirmé que « Au cours de cette réunion, M. S a accepté le poste et en a remercié le directeur » M. S s’est ensuite rétracté dès le 4 février 2010 » (page 8) ;
- « la suppression de poste et la proposition de reclassement n’étaient pas fautives puisqu’elles s’inscrivaient dans le cadre d’une réorganisation interne étant précisé que M. S n’a en réalité jamais été privé de son poste puisque, d’une part, le salarié s’est rétracté deux jours après avoir donné son accord pour un changement de poste et d’autre part, il a été licencié pour inaptitude professionnelle et non suite à une suppression de poste » (page 11).

2) Un poste en réalité sans existence légale et que le salarié n’a jamais accepté par écrit.

Il est écrit dans l’arrêt que « la cour relève que M. S a d’abord accepté le poste de responsable des achats proposé à la réunion du 2 février 2010 de niveau de responsabilités et de salaire équivalents à son poste actuel. Il a indiqué dans son courriel du même jour que : Comme suite à la réunion de cet après-midi, je tiens tout d’abord à vous renouveler mes excuses si ce que j’ai pu dire ou faire vous a blessé et ensuite à vous remercier d’avoir proposé une solution sous la houlette de Monsieur P vous pouvez pleinement compter sur moi pour soutenir et défendre votre action » (page 8).

On ne sait pas de quoi il s’agit (quelle « solution » ?), le salarié remercie d’avoir proposé mais ne dit pas avoir accepté, on ne sait pas sur quoi les excuses portent et en tout état de cause défendre ses droits n’a pas pour but de blesser, rien de ce qui a été dit ou fait n’étant rétracté par le salarié, qui réaffirme la reconnaissance du pouvoir de direction et sa loyauté. Aucune insubordination ne peut être reprochée.

La Cour d’appel a entériné l’acceptation d’un reclassement par le salarié alors que Juridiquement le poste n’avait en réalité aucune existence :
- Aucune convocation à un entretien préalable produite, pourtant obligatoire, s’agissant d’une sanction lourde en raison de ses conséquences sur la fonction du salarié (rétrogradation disciplinaire d’un salarié protégé présenté incompétent) : pour mémoire l’article L1332-2 du Code du travail dispose que lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié,
- Aucun respect des droits de la défense de Mr S. dans une telle réunion,
- Aucun avenant même en projet produit sur le soi-disant poste proposé en reclassement : la Cour d’appel s’est basée sur des dépositions non probantes n’étant pas sous serment ou avec engagement de dire la vérité en donnant explicitement autorité de la chose jugée à un classement sans suite (« De surcroit… » : Ce qui s’ajoute à quelque chose en en augmentant l’importance, la quantité, le nombre : Un surcroît de travail. (Larousse)),
- Aucun document signé d’une acceptation du poste (juste des échanges de courriels qui ne citent même pas de poste précis).

En conclusion, de tels arrêts, techniquement et humainement ni faits ni à faire par leur partialité évidente, alimentent la défiance des citoyens qui a amené le Président de la République à lancer les Etats généraux de la justice.

La charge de travail des magistrats ne saurait être un fait justificatif d’autant que les conseillers de la formation collégiale ayant connu de cette affaire ne se sont pas plaints de leurs conditions de travail, n’étant semble-t-il pas signataire de la pétition inédite de plus de 3 000 magistrats il y a quelques mois [14].

Alors que les résultats des Etats Généraux seront bientôt connus, une telle manière de dire le droit au nom du peuple français ne relève pas de l’aléa judiciaire.

Elle est rédhibitoire et appelle dans le contexte de réformes à venir plusieurs propositions :
1. De tels arrêts posent la question de la qualité des décisions de justice ne relevant pas uniquement de la surcharge de travail. Un document ayant près de dix ans émanant de l’ENM expose la méthodologie du jugement civil [15], notamment sur la question de la motivation et des preuves. Un travail est à faire sur la nécessaire rigueur intellectuelle élémentaire des décisions de justice qui a manqué dans l’arrêt analysé dont les carences vont bien au-delà d’une question de méthodologie ;
2. De tels arrêts sont couteux en frais d’avocat pour les justiciables, ce qui pose la question d’une responsabilité pécuniaire des magistrats qui disent le droit sans respecter la prudence et les « règles de l’art » pour dire le droit. On pourrait imaginer une caisse avec cotisation obligatoire des magistrats pour indemniser les justiciables des frais d’avocats résultant des manquements des magistrats (il ne s’agit pas de mettre en cause le magistrat qui fait de bonne foi une erreur d’appréciation pour laquelle il est possible d’interjeter appel ou se pourvoir en cassation) mais d’être implacable lorsque l’accumulation de négligences faisant douter de l’impartialité est rédhibitoire : l’affaire Delcourt c. Belgique devant la CEDH consacre l’adage « Justice must not only be done ; it must also be seen to be done » : la justice ne doit pas seulement être dite, elle doit également donner le sentiment qu’elle a été bien rendue ;
3. De tels arrêts nécessitent enfin une prise de position implacable du CSM à l’égard de magistrats manquant à leurs devoirs qui doivent s’en expliquer et être sanctionnés au nom de l’exigence de responsabilité. Dans son Avis au Président de la République en date du 24 septembre 2021 [16], le CSM écrit que « Si la magistrature est au cœur de cette exigence de responsabilité, c’est parce qu’elle est perçue, non seulement comme délégataire de l’autorité de l’État et au-delà du peuple français, mais encore comme l’expression d’une exemplarité que les conditions concrètes de son exercice doivent garantir en toutes circonstances. Il en va du respect du justiciable tout comme du respect par le justiciable de ceux qui sont appelés en définitive et en toute indépendance à le juger ». Comment le justiciable peut-il respecter ?

De tels arrêts posent la question de la mise en cause disciplinaire des magistrats qui ne s’avère pas satisfaisante devant le CSM eu égard au faible nombre de plaintes qui ont prospéré. Peut-être serait-il intéressant de croiser les instances disciplinaires en faisant statuer sur les fautes disciplinaires des magistrats les avocats et vice versa pour éviter « l’esprit de corps ».

Jérôme Turquey
Consultant en management et gouvernance
Enseignant en ressources humaines
www.qualitiges.org

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Notes de l'article:

[2Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], 2015, § 61, et López Ribalda et autres c. Espagne [GC], 2019, §§ 149, 159-161.

[4Cass. Crim., 28 octobre 2014, 13-84840, Publié au bulletin.

[5Décision n° 2019-828/829 QPC du 28 février 2020.

[6Cf. Cour d’appel, Metz, Chambre sociale, 3 Juillet 2012 - n° 10/01296.

[7Cass. soc. 5-1-2022 n° 20-14.927 F-D.

[8Cf. articles L441-2 et L471-1 du Code de la Sécurité Sociale modifié et leur application : Cass. soc., 15 novembre 2001, N°99-21638.

[9Cass. civ 2, 10 juillet 2008, 07-18.110, Publié au bulletin ; Cass. Civ.2, 23 janvier 2014, 12-35.003, Publié au bulletin.

[10Cass. soc., 20 nov. 2001, n° 99-45756.

[11CE 20 novembre 2013, n° 340591.

[12Cass. soc., 27 novembre 2013, N°12-20301.

[13Cass. soc, 8 juin 2016, N°14-13418, Publié au bulletin.

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