Les rapports entre droit et science fascinent tant les juristes que les sociologues [1].
La recherche d’une justice (ou paix) sociale par la mise en place d’un régime d’indemnisation des victimes de la vaccination contre la Covid-19 en fournit une nouvelle illustration.
En droit de la responsabilité médicale, les victimes d’un acte médical souhaitant obtenir réparation doivent en principe prouver que l’auteur de leur préjudice a commis une faute [2].
Si ce régime classique était appliqué aux accidents issus d’une vaccination, cela signifierait que la victime devrait prouver que la personne qui lui a inoculé le vaccin a commis une faute lors de l’injection, ou que le vaccin lui-même était nocif pour son organisme. On perçoit immédiatement la difficulté de la situation de la victime souvent désarmée pour démontrer juridiquement, c’est-à-dire scientifiquement dans ce cas de figure, de telles fautes.
Il est déjà compliqué pour un patient lambda de démontrer la faute d’un professionnel dans la réalisation d’un acte médical, cela devient quasiment impossible s’il doit démontrer scientifiquement la nocivité d’un vaccin mis au point par une multinationale qui a obtenu de l’Etat toutes autorisations administratives pour l’utilisation de son vaccin auprès du public.
C’est précisément pour venir en aide à ces victimes désarmées que le droit français a développé un régime de responsabilité qui leur est favorable en cas de vaccinations « obligatoires », depuis la loi du 1er juillet 1964, qui n’implique pas de prouver de faute de la part du professionnel de santé ni de l’auteur du vaccin. Ce droit est aujourd’hui codifié aux articles L3111-2 et L3111-9 du Code de la santé publique principalement. L’article L3111-2 dresse la liste des vaccinations obligatoires : antidiphtérique, antitétanique, antipoliomyélitique, contre la coqueluche, contre les infections invasives à Haemophilus influenzae de type b, contre le virus de l’hépatite B, contre les infections invasives à pneumocoque, contre le méningocoque de sérogroupe C, contre la rougeole, contre les oreillons, contre la rubéole.
L’article L3111-9 prévoit la réparation intégrale des préjudices directement imputables aux vaccinations obligatoires par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et la subrogation de celui-ci dans les droits de la victime contre le véritable responsable du dommage (charge pour l’ONIAM, et donc pour la « solidarité nationale », de se tourner vers le véritable « fautif »).
Pour ce qui concerne la vaccination contre la Covid-19, le législateur aurait pu faire le choix d’inscrire ce vaccin dans la liste de ceux énumérés à l’article L3111-2 du Code de la santé publique. Il ne l’a pas fait. Non pas parce que cela aurait été impossible en raison de la circonstance qu’il n’est pas obligatoire pour tout le monde : le vaccin contre l’hépatite B fait partie de la liste, or, tout comme le vaccin contre la Covid-19, il n’est obligatoire que pour certaines populations (les professionnels de santé au sens le plus large).
Le législateur a fait le choix d’un mécanisme de renvoi d’articles de loi en articles de lois pour organiser un régime d’indemnisation plus compliqué en passant par les articles L3131-20, L3131-15 à L3131-17, L3131-3, L3131-4, L3131-9-1, L3131-10 et L3131-10-1 du Code de la santé publique. Au final, la victime échappe également à l’obligation de prouver la faute médicale à l’origine de son préjudice [3]. Si le mécanisme a l’inconvénient de la complexité, il présente l’avantage d’englober ceux pour qui la vaccination n’est pas « obligatoire ».
Ainsi, aucune distinction entre la victime ayant fait le choix de l’ermitage enterré à celui de l’Hermitage en terrasse.
En revanche, il faut bien avoir conscience que l’indemnisation des victimes sera le compromis, perpétuellement instable, entre la vérité scientifique et la vérité juridique.
En effet, l’article L3131-4 du Code de la santé publique prévoit l’indemnisation des seuls préjudices directement causés par la vaccination. La principale difficulté à laquelle se heurteront les victimes d’une vaccination contre la Covid-19, sera d’établir ce lien de causalité direct entre leur préjudice et la vaccination.
Le droit est toutefois rompu à cette difficulté et c’est là que le raisonnement juridique diffère du raisonnement scientifique. Si l’on n’exclut pas que le raisonnement juridique soit scientifique, l’opposition désigne ici les différences entre le juriste et le biologiste dans la mise en œuvre des raisonnements qui leur sont propres et les conduisent à déterminer, chacun différemment, un rapport de causalité certain entre deux phénomènes. Cela s’explique aisément par la différence des objectifs poursuivis entre le juriste et le biologiste, le physicien ou le mathématicien. Ces derniers recherchent la compréhension du réel, ou la vérité. Le premier recherche une forme de paix sociale, ou de justice.
1) Quels faisceau d’indices pour déterminer le lien de causalité juridique, et non scientifique, entre le vaccin contre la Covid-19 et le préjudice subi ?
Pour bien saisir l’enjeu, on peut se référer au régime de l’indemnisation des préjudices « directement causés » par la vaccination obligatoire contre l’hépatite B.
Il est scientifiquement extrêmement compliqué (et même impossible, semble-t-il, à ce jour) de démontrer l’existence d’un lien de causalité direct entre la vaccination contre l’hépatite B et certaines maladies dont on peut néanmoins penser qu’elles ont été causées par cette vaccination. La jurisprudence a alors recours à la méthode, bien connue des juristes, du « faisceau d’indices » pour établir ce lien de causalité et considérer que l’indemnisation doit être allouée à la victime.
Ainsi, lorsque des « lésions musculaires de myofasciite à macrophages » (dont les symptômes sont la fatigue chronique, les douleurs articulaires et musculaires, les troubles du sommeil et les troubles cognitifs) apparaissent « immédiatement après la vaccination », « alors que l’intéressée ne présentait pas d’antécédents de cette pathologie », et qu’elles se sont développées « dans un délai normal eu égard au délai d’apparition des premiers signes de la maladie », « le lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B subie par Mme L dans le cadre de l’obligation vaccinale liée à son activité professionnelle et la myofasciite à macrophages dont elle souffre doit être regardé comme établi et de nature à ouvrir droit à réparation à son profit au titre de la solidarité nationale » [4].
Autrement dit, pour le juriste, la réunion de trois indices établit la « causalité certaine » entre le vaccin et le préjudice et entraîne le régime d’indemnisation au titre de la solidarité nationale en cas de lésions musculaires de myofasciite à macrophages suite à une vaccination obligatoire contre l’hépatite B : un indice de temporalité (l’apparition des premiers symptômes doit survenir « immédiatement » après la vaccination), un indice de bon état de santé antérieur du patient et un indice de développement normal de la maladie suite à l’apparition des premiers symptômes (on met volontairement de côté les hypothèses dans lesquelles l’Etat parviendrait à renverser ce qui ne constitue en réalité qu’une présomption juridique, car cela n’est jamais arrivé en jurisprudence).
Le critère du développement normal de la maladie n’est pas exigé dans le cas l’apparition d’une polyarthrite rhumatoïde survenue après une vaccination contre l’hépatite B [5] : seuls sont exigés le critère de temporalité (doit être regardée, dans cet arrêt, comme l’apparition de la maladie dans un bref délai après la vaccination, une symptomatologie survenant 3 mois après l’injection) et celui de l’absence d’antécédents.
Le bref délai est constitué lorsqu’il s’écoule seulement 5 mois entre les premiers symptômes et le dernier rappel de vaccination [6], s’agissant d’une sclérose latérale amyotrophique.
La jurisprudence est identique dans le cas de la sclérose en plaques survenue après une vaccination contre l’hépatite B : bref délai constitué par l’écoulement d’un laps de temps de 2 mois entre le « rappel » de vaccination et les premiers symptômes, et absence d’antécédents [7]. En revanche, toujours à propos de la sclérose en plaques suite à une vaccination contre l’hépatite B, un délai de 10 mois entre la dernière injection et les premiers symptômes n’est pas un « bref délai » et le lien de causalité juridique n’est alors pas établi, ce qui entraîne le rejet de la demande d’indemnisation [8].
Enfin, il faut également préciser que le mécanisme d’indemnisation par la solidarité nationale ne peut jouer que si l’état des connaissances scientifiques permet d’imputer une certaine symptomatologie au vaccin. Plus exactement, selon les conclusions de Mme le Rapporteur public sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 11 juillet 2008 Ministre de la santé, il faut que les troubles survenus postérieurement à la vaccination soient des « affections identifiées scientifiquement ».
L’exemple de la sclérose en plaques suite à une injection du vaccin contre l’hépatite B offre un exemple pédagogique : il n’existe pas de consensus scientifique sur la question de la causalité certaine entre le vaccin et la sclérose en plaques. Cette causalité directe n’est alors admise en jurisprudence qu’en cas d’une symptomatologie consistant en le développement d’affections démyélinisantes.
On perçoit alors la difficulté qu’éprouvera le juriste, dont le raisonnement est tributaire de l’état des connaissances (et donc des incertitudes) scientifiques, pour déterminer si juridiquement, une certaine pathologie est directement imputable au vaccin contre la Covid-19. Si, à ce jour, il semble que la majorité des scientifiques considère le vaccin inoffensif, il existe néanmoins quelques opinions discordantes, tout comme il en existait déjà s’agissant du vaccin contre l’hépatite B lors de la mise sur le marché de celui-ci.
Surtout, les données de la pharmacovigilance de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé semblent indiquer un lien de causalité entre la vaccination contre la Covid-19 et l’apparition de divers symptômes particulièrement variés chez certains sujets (affections du système nerveux, problèmes vasculaires - thromboses, AVC -, problèmes cutanés, affections hématologiques, troubles de la vision et/ou de l’audition). Une telle variété scientifique ne va pas aider à la détermination juridique des symptômes qui ouvriront le droit à l’indemnisation.
De plus, quelques voix font entendre que certaines affections pourraient se révéler à long terme, ce qui devrait conduire à écarter l’indice du « bref délai » dans la détermination du lien de causalité juridique. On rappelle en effet que nous ne nous intéressons qu’à l’enjeu juridique de l’indemnisation des victimes de la vaccination, qui sera fondé sur un outil, ou un raisonnement, proprement juridique. Il sera évidemment éclairé par le virologue ou l’infectiologue, mais il obéira à sa propre logique.
Alors, quel faisceau d’indices ?
Le bref délai entre l’inoculation du vaccin et les premiers symptômes ? Cela ne semble pas évident au regard des opinions scientifiques selon lesquelles les effets à long terme de ces nouveaux vaccins ne sont pas encore connus, en raison notamment de l’ignorance de l’endroit du corps où va se loger la fameuse protéine « Spike ». To « do the right thing », il conviendrait sans doute d’écarter l’indice du « bref délai » dans la détermination du lien de causalité juridique. Il est exact que ces positions sont minoritaires, mais l’Histoire invite à l’humilité dans la recherche scientifique.
L’absence d’antécédent ? Ce serait sans doute cohérent scientifiquement, mais cela pourrait sembler injuste. En effet, les populations les plus encouragées à se faire vacciner sont celles qui souffrent de facteurs de comorbidité. Les écarter de l’indemnisation en cas de préjudice lié au vaccin au motif de cette comorbidité serait particulièrement cynique.
Une symptomatologie en rapport avec les risques connus du vaccin ? Ce serait l’indice le moins contestable. Le problème est néanmoins double. D’abord, la majorité de la communauté scientifique indique que le vaccin est inoffensif et donc insusceptible d’occasionner la moindre pathologie. Ensuite, les données de la pharmacovigilance de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé indiquent que les premiers symptômes révélés par les médecins sont extrêmement divers. Jacques Prévert, tiens-toi prêt !
Au regard de ces incertitudes, on peut comprendre la prudence du législateur à ne pas mettre en place trop rapidement un instrument juridique permettant de traiter les premières demandes d’indemnisation. Mais ce n’est que déplacer le problème car les victimes, ou leurs ayant droits, elles, n’attendront pas et se tourneront vers le juge. On aura alors beau jeu de reprocher à celui-ci des errances dans le traitement des demandes d’indemnisation dont il sera saisi.
2) Quelle différence de temporalité entre la vérité scientifique et la vérité juridique ?
Les atermoiements observés dans l’élaboration d’une loi organisant clairement l’indemnisation des victimes du vaccin contre la Covid-19 mettent en évidence une incapacité à respecter le schéma pensé par les philosophes et les théoriciens du droit pour parvenir au modèle de société dans lequel la séparation des pouvoirs correspond à la division du temps.
Au Législatif la mission de graver une loi dans un socle d’airain pour le futur ; à l’Exécutif l’exécution de la loi dans le Présent par l’élaboration des décrets et arrêtés ; au Juge, le soin d’appliquer la loi aux situations du Passé au moment où il statue.
Ce schéma, parfaitement inscrit dans la constitution, aurait dû conduire les 577 représentants du peuple à l’Assemblée nationale (on peut mettre le Sénat de côté en ce que le bicaméralisme français lui ôte le dernier mot) à élaborer une loi réglant clairement la question de l’indemnisation des victimes de la vaccination contre la Covid-19. Problème : la loi du 5 août 2021 n’a été votée que par 156 députés, soit 27% des représentants du peuple (sur 230 votants, soit un absentéisme et un refus de voter de plus de 60% des députés, ce qui devrait inviter à la réserve lorsqu’est fustigé le manque de civisme des électeurs qui ne se rendent pas aux urnes au moment des élections). Surtout, en se bornant à renvoyer in fine, à l’article L3131-4 du Code de la santé publique, le législateur n’a rien prévu d’autre que de laisser à la victime la charge de prouver que le dommage qu’elle a subi, a bien été directement causé par la vaccination.
Bien sûr, on objectera qu’au cas par cas, des experts seront missionnés pour rendre un avis. Mais on rejoint le problème de différence ontologique entre la recherche de la vérité par la Science et la recherche du compromis social par le Droit. Ce ne devrait pas être à l’expert, au regard des incertitudes scientifiques et de la pression qu’il pourrait ressentir, de trouver la justice, mais au juge de la rendre.
Pour en revenir au schéma de la séparation des pouvoirs le Législatif aurait dû, en premier lieu, voter une loi instituant un faisceau d’indices déterminant, pour le Futur, les hypothèses de causalité juridique entre un préjudice et la vaccination. En deuxième lieu, l’Exécutif aurait dû prendre, dans le Présent, les décrets d’application de cette loi. En dernier lieu, le Judiciaire, à l’aide de la loi et du recul nécessaire à son office de pacification sociale issu de ce qu’il n’est saisi que de situations nées dans le Passé, aurait pu statuer sereinement sur les demandes d’indemnisation.
En guise de quoi, le juge, en l’état, va se retrouver confronté à des demandes d’indemnisation qu’il devra traiter sans outil juridique adapté à la situation que nous connaissons. Il n’est pas question de parler de « vide juridique », il a été montré que l’expression n’avait aucun sens [9], mais de constater une absence d’anticipation illustrant une nouvelle fois que les leçons de l’Histoire n’ont pas été retenues.
C’est ainsi qu’un parallèle peut être réalisé avec la mise en place d’un instrument juridique spécial d’indemnisation des militaires français victimes des essais nucléaires réalisés à compter de 1960 dans le Centre saharien des expérimentations militaires, puis à compter de 1966 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, la Polynésie française, et l’atoll de Hao, puis à compter de 1974 dans certaines zones de l’île de Tahiti. Schématiquement, l’armée française a réalisé différentes campagnes d’essais nucléaires et certaines de ses troupes, présentes sur les lieux, ont été chargées de différentes tâches allant de l’observation au ravitaillent en passant par la collecte des déchets.
De fait, ces troupes ont été exposés aux radiations et un certain nombre d’agents est, par la suite, décédé de différents cancers (poumon, côlon, glandes salivaires, œsophage, cerveau etc., cf. décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français).
Au regard des incertitudes scientifiques quant à la causalité certaine que les cancers développés par les militaires exposés aux radiations ont été causés par les essais nucléaires, ceux-ci n’ont, longtemps, bénéficié d’aucune indemnisation. Ce n’est qu’en 2010, soit cinquante ans après la réalisation des premiers essais nucléaires, que le législateur a décidé que si la science ne permettait pas d’établir avec certitude le lien de causalité entre les essais et le cancer des militaires, la causalité juridique pouvait néanmoins être acquise par la réunion d’un faisceau d’indices : présence sur les lieux au moment des essais et type de cancer, l’Etat ne pouvant échapper à sa responsabilité que s’il démontre que l’exposition du militaire aux radiations a été quasiment nulle [10].
Et encore, le système mis en place par le législateur a déjà été modifié à deux reprises en raison des difficultés à trouver un consensus scientifique sur le principe et les modalités de l’indemnisation. Le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, chargé d’examiner les dossiers de demande d’indemnisation, a lui-même connu certaines difficultés d’exercice, six de ses neuf membres, ayant démissionné en juillet 2017.
Alors, il ne s’agit pas de comparer la situation des militaires victimes des essais nucléaires français aux victimes, présentes et futures, du vaccin contre la Covid-19.
Simplement d’inviter, de nouveau, à l’humilité en observant qu’en raison de l’évolution constante (et heureuse) de l’état des connaissances scientifiques, la science d’un jour n’est pas celle du lendemain. En 1960, l’état des connaissances scientifiques a conduit à considérer que les militaires n’encouraient aucun risque à se trouver exposés aux essais nucléaires français (l’examen des dossiers montre que les dosimétries d’ambiance des lieux où avaient lieu les essais donnaient des résultats nuls, de même que les anthropogammamétries des militaires).
Si l’affirmation rend aujourd’hui pour le moins sceptique, elle était la vérité scientifique de 1960, et même de 1996 pour reprendre la date officielle des derniers essais nucléaires français à Mururoa et Fangataufa. Elle est d’ailleurs encore la vérité d’une partie de la communauté scientifique puisque plus de soixante ans après, il n’est toujours aucun consensus scientifique sur le lien de causalité entre les cancers développés par les militaires et leur exposition aux essais nucléaires.
D’où le recours à un instrument juridique mis en place par la loi du 5 janvier 2010, fait d’indices et de présomptions pour permettre l’indemnisation de certaines victimes et d’obtenir une forme de compromis social, qui est, fondamentalement, le but de la règle de droit, qui diffère de la règle scientifique. Et le rappel, encore une fois, de la différence entre la règle de droit, ou la Loi, dont l’ambition est régler les situations futures, et la règle scientifique, dont l’objet est de comprendre le réel à un moment présent.
Pour ce qu’il vaut, le parallèle permet également de prendre conscience qu’il a fallu cinquante ans pour que le droit parvienne à la justice sociale dont il est l’instrument. Autrement dit, la plupart des militaires victimes étant décédés depuis longtemps, l’indemnisation des victimes des essais nucléaires n’a « bénéficié » qu’aux veuves et aux orphelins.
Il pourrait donc sembler souhaitable que les autorités, à qui on ne peut reprocher de lenteur dans la mise en place d’une règlementation pour lutter contre la Covid-19, s’attèlent également à la mise en place d’un instrument d’analyse permettant de concilier vérité juridique et vérité scientifique sans laisser le juge et l’ONIAM en première ligne. Il semble que les premières demandes dont l’Office eu à traiter, ont abouti à des refus d’indemnisation (Voir l’article Vaccination contre la Covid-19 : qui est responsable en cas de préjudices ? Par Patrick Lingibé, Avocat.)
Cela impliquerait que le législateur, en se fondant évidemment sur la science mais en ayant bien conscience de la relativité temporelle de celle-ci, mette en place un outil de détermination du lien de causalité juridique entre la vaccination et les victimes de celles-ci afin d’obtenir, sinon une vérité scientifique qui n’est pas la finalité du droit, une forme de paix sociale. Si la vérité scientifique peut attendre, la paix sociale réclame davantage de célérité.
Bien sûr, ceux qui sont soucieux de l’état des finances publiques pourraient tiquer : l’impôt a financé la recherche contre le vaccin, il est désormais utilisé pour en acquérir les doses, et il servira demain à en indemniser les victimes. La facture manquera d’autant moins de sel que le législateur a prévu que l’Etat ne pourra se retourner contre les laboratoires si, dans le futur, la science montrait que les vaccins inoculés présentaient une forme quelconque de nocivité [11].
Elle rend la mise en place d’un instrument d’analyse juridique des préjudices des victimes de la vaccination contre la Covid-19, à un moment où les autorités encouragent la vaccination, inconfortable politiquement. Mais il s’agirait également, sans aucun doute et sans mauvais jeu de mots, d’une politique « responsable ».