En effet, c’est par un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 Octobre 2020, qu’il a été réaffirmé que la célèbre chaise n’est pas protégée par le droit d’auteur. Cette décision s’inscrit dans la veine jurisprudentielle déjà bien établie et n’opère qu’une simple confirmation de celle-ci.
Dès lors, on peut se demander pour quelles raisons une chaise qui semble en apparence d’une certaine originalité au sens du droit français serait-elle donc dépourvue de protection par le droit d’auteur ?
Les faits en cause.
La société américaine Knoll Inc. et sa filiale française Knoll international fabriquent et distribuent du mobilier contemporain. Ces éditeurs ont assigné en contrefaçon de droits d’auteur, concurrence déloyale et parasitisme la société MTOP. En effet, Knoll soutenait que le designer, leur avait cédé, à titre exclusif les droits patrimoniaux sur deux modèles de chaise et de fauteuil, dénommés Tulip. La société MTOP avait fourni à la chambre de commerce et d’industrie d’Amiens quatre-vingt chaises qui reprenaient les caractéristiques de la chaise éditée par Knoll. La société italienne Matrix international, fournisseur de la société MTOP, est également intervenue volontairement à l’instance.
Une solution issue des discriminations provoquées par le droit international privé.
L’arrêt commenté fait application de l’article 2 § 7 de la Convention de Berne qui prévoit que si la création n’est protégée dans le pays d’origine qu’au titre du droit des dessins et modèles, alors seule cette protection spéciale pourra être réclamée dans les autres pays de l’Union ; ce n’est donc que dans l’hypothèse d’une absence de protection au titre de la propriété industrielle dans le pays d’origine que les œuvres d’art appliqués pourront être protégées par le droit d’auteur. Dans le cas de la Tulipe, ces éléments ont été confirmés par l’existence d’un « design patent » et d’un brevet d’invention aux États-Unis issus du Patent Act de 1952 et dans lequel les avantages de l’assise sont invoqués en lien avec sa pure technicité.
Ainsi, la société Knoll ne pouvait bénéficier en France de l’effet des dispositions de la Convention de Berne en droit d’auteur mais seulement de la protection des dessins et modèles.
L’application de la loi américaine : la prééminence de la notion de séparabilité.
Par ailleurs, la décision réaffirme la méthode applicable au cas d’espèce. En effet, c’est en ayant recours à la notion issue de l’arrêt Star Athletica v. Varsity Brands rendu par la Cour Suprême des États-Unis en 2017, qui évoque le concept de séparabilité que cette solution est justifiée.
Contrairement, à la théorie de l’unité de l’art, développée en droit français en vertu de laquelle une même création peut être protégée à la fois au titre du droit d’auteur et du droit des dessins et modèles, la loi américaine applique le concept de « separability ». Cette méthode consiste à protéger par le Copyright les éléments artistiques qui peuvent se détacher physiquement de l’objet utilitaire.
La loi américaine conduit donc à protéger plus fréquemment les objets utilitaires par le « design patent » équivalent au droit des dessins et modèles français que par le « Copyright » si les ornements ne sont pas détachables de l’objet. Un tel système n’admet donc pas un cumul de protection au sens du droit français, mais seulement un possible fractionnement de protections.
En l’espèce, la forme d’une chaise ne peut être considérée comme une œuvre picturale, graphique ou sculpturale dès lors que la forme suit irrémédiablement la fonction. Malgré une recherche esthétique évidente, la chaise remplie des « objectifs fonctionnels tenant à des impératifs d’économie, de construction, de solidité ou encore de confort pour l’utilisateur » et n’est de ce fait pas détachable de son caractère fonctionnel.
Par conséquent, le juge français devient exécutant de la loi étrangère et l’applique au cas d’espèce avec rigueur en constatant
« qu’aucun élément artistique ne peut être séparé de cette forme fonctionnelle, et retient par des motifs exempts de contradiction ou de dénaturation, que les sociétés Knoll ne peuvent solliciter en France la protection du droit d’auteur ».
Ainsi, la loi du pays d’origine de la célèbre Tulipe ne protège pas celle-ci au titre du Copyright et ne lui accorde qu’une protection au titre du droit industriel. En conséquence, les modèles en cause ne sont pas protégeables par le droit d’auteur en France.
Référence Légifrance :
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 7 octobre 2020, 18-19.441, Inédit.
Références des décisions citées dans la base de données Darts-IP :
Fr-18-19447_20201007 : Décision commentée de la Cour de cassation du 7 Octobre 2020.
Fr-15-05833_20180413 : Décision de la Cour d’appel de Paris du 13 Avril 2018.
Fr-1307066_20150116 : Décision du Tribunal de Grande Instance de Paris du 16 Janvier 2015.
Fcg170412002_20170322 : Décision de la Cour Suprême des États-Unis du 22 Mars 2017.