L’article 1874 du Code Civil dispose :
« Il y a deux sortes de prêt :
Celui des choses dont on peut user sans les détruire ;
Et celui des choses qui se consomment par l’usage qu’on en fait.
La première espèce s’appelle "prêt à usage", ou "commodat".
La deuxième s’appelle "prêt de consommation", ou simplement "prêt". »
L’article 1892 du Code Civil dispose :
« Le prêt de consommation est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité ».
Enfin, il résulte de l’article 1905 du Code Civil que :
« Il est permis de stipuler des intérêts pour simple prêt soit d’argent, soit de denrées, ou autres choses mobilières ».
De manière schématique, la somme d’argent prêtée par le prêteur est sa propriété.
Les intérêts constituent la rémunération de la prestation offerte au titre du prêt.
Le droit de propriété a naturellement valeur constitutionnelle.
Ce principe est consacré à l’article 17 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, lequel prévoit :
« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».
L’article 17 de la déclaration universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 dispose également :
« 1. Toute personne aussi bien seule qu’en collectivité a droit à la propriété.
2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ».
Enfin, l’article 1er du protocole additionnel de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales tel qu’amendé par le protocole n°11, intitulé « PROTECTION DE LA PROPRIETE », prévoit :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
On constate, à la lecture de ces différents textes fondamentaux que l’atteinte au droit de propriété individuelle est admise, mais à titre exceptionnel, lorsque la nécessité publique l’impose.
Le droit du crédit à la consommation, et plus particulièrement les sanctions appliquées en cette matière doivent être étudiées à la lumière du droit de propriété énoncé par les textes précités.
La forclusion de l’action en justice du prêteur instaurée par l’article L. 311-37 du Code de la Consommation ne constitue-elle pas une sanction disproportionnée, violant de manière intolérable le droit de propriété de l’établissement de crédit ?
En effet, il convient de ne pas perdre de vue l’extrême rigueur des sanctions instaurées par les textes du Code de la Consommation en matière d’irrégularité formelle affectant le crédit à la consommation.
L’article L. 311-33 du Code de la Consommation prévoit en effet une déchéance automatique et intégrale du prêteur de son droit aux intérêts.
Par l’effet de cette sanction, et alors même que l’emprunteur aura joui du crédit et de ses avantages, le prêteur se verra privé de sa rémunération.
Un tel mécanisme revient à octroyer un crédit gratuit à l’emprunteur.
Cette sanction instaurée par le Code de la Consommation est extrêmement sévère pour le prêteur et apparaît spécifique au droit du crédit à la consommation.
En effet, le prêteur se voit, au motif d’une irrégularité formelle de l’offre de crédit, sanctionnée par la perte pure et simple de son droit à rémunération du crédit octroyé par ses soins.
Pire encore est la sanction de la forclusion pour le prêteur.
On assiste, en cas de prononcé de la forclusion, à une véritable « spoliation » du créancier.
En effet, la déchéance du droit aux intérêts atteint uniquement les intérêts.
La forclusion a pour conséquence la perte quasi-inévitable du capital prêté.
Le raisonnement est le suivant.
Par le biais de la forclusion de l’action du prêteur, celui-ci se voit privé de la possibilité d’agir en Justice à l’encontre de l’emprunteur défaillant afin d’obtenir un titre exécutoire constatant l’existence et le quantum de sa créance demeurée en souffrance.
Ainsi, faute de titre exécutoire, le prêteur ne peut mettre en œuvre à l’encontre de son débiteur les mesures d’exécution forcée, qui lui aurait permis d’obtenir le recouvrement de sa créance.
Pour autant, la forclusion n’affecte que le droit au recouvrement forcé de la créance du prêteur.
Celui-ci peut toujours tenter de parvenir à un recouvrement amiable des sommes lui étant dues, même si ces démarches sont demeurées par le passé infructueuses.
Mais le débiteur ne peut se voir contraint au règlement de ces sommes.
Faute de règlement, le débiteur demeurera fiché auprès du Fichier des Incidents de Crédits aux Particuliers.
Celui-ci devra procéder au règlement de sa dette auprès de son créancier afin que ce dernier sollicite de la Banque de France la levée du fichage.
Cependant, cette contrainte liée au fichage du débiteur n’est que temporaire, dès lors que la durée de ce dernier ne peut excéder cinq années.
A l’issue de ce délai, le fichage est levé.
Ainsi, à terme, le créancier ne dispose d’aucun moyen d’inciter son débiteur à honorer sa dette.
Il convient de s’interroger sur l’opportunité de la sanction de la forclusion.
Une telle sanction vise-t-elle à responsabiliser l’emprunteur ?
L’impact de la forclusion est d’autant plus grand que la Cour de Cassation fait, dans certains cas, une interprétation de l’article L.311-9 du Code de la Consommation entraînant une application extensive de cette sanction.
L’article L. 311-9 du Code de la Consommation dans sa rédaction issue de la loi n°2005-67 du 28 janvier 2005, dispose :
« Lorsqu’il s’agit d’une ouverture de crédit qui, assortie ou non de l’usage d’une carte de crédit, offre à son bénéficiaire la possibilité de disposer de façon fractionnée, aux dates de son choix, du montant du crédit consenti, l’offre préalable est obligatoire pour le contrat initial et pour toute augmentation du crédit consenti ».
La rédaction de ce texte reste, malgré l’intervention du législateur, particulièrement ambigüe et peut donner lieu à diverses interprétations, s’agissant de la légalité du mécanisme du découvert utile et du découvert maximum autorisé.
Certains y verront une condamnation de ce mécanisme et estimeront qu’il ressort de l’article L. 311-9 du Code de la Consommation l’obligation pour le prêteur d’émettre une nouvelle offre de crédit à l’attention de l’emprunteur à chaque augmentation du découvert utile.
D’autres estimeront que le crédit consenti, tel que visé à l’article précité, correspond au découvert maximum autorisé et que l’émission d’une nouvelle offre de crédit serait justifiée par le seul dépassement du découvert maximum autorisé constituant le crédit consenti.
Toute augmentation du découvert utile jusqu’au montant du découvert maximum autorisé serait donc dispensée de l’émission d’une nouvelle offre de crédit à l’attention de l’emprunteur.
A la lecture même de l’article L. 311-9 du Code de la Consommation, il pourrait sembler logique de faire prévaloir cette seconde acception.
En effet, ledit article prévoit que l’ouverture de crédit offre à son bénéficiaire la possibilité de disposer « de façon fractionnée du montant du crédit consenti ».
Dès lors, il apparaît de bon sens que les diverses fractions du montant du crédit consenti correspondent au découvert utile initial et aux différentes augmentations de celui-ci jusqu’à atteindre le montant du crédit consenti correspondant au montant du découvert maximum autorisé.
Il n’apparaît donc pas erroné de considérer que la loi elle-même consacre la distinction entre découvert utile et découvert maximum autorisé et pouvait laisser subodorer que l’émission d’une nouvelle offre de crédit était justifiée par le seul dépassement du découvert maximum autorisé et non du découvert utile.
Le choix opéré par la jurisprudence entre ces deux analyses textuelles est d’importance lorsque l’on sait qu’en matière de crédit renouvelable, la Cour de Cassation estime que le délai de forclusion de l’action du prêteur court à compter du dépassement du découvert autorisé, caractérisant la défaillance de l’emprunteur.
La question est donc de savoir ce qu’il convient d’entendre par dépassement du découvert autorisé.
S’agit-il du dépassement du découvert utile ou du découvert maximum autorisé ?
La jurisprudence de la Cour de Cassation et des Juges du fond est loin d’être univoque sur ce point.
Toutefois, une tendance se dégage, faisant une interprétation fort critiquable de l’article L.311-9 précité.
Ainsi, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a t-elle pu juger le 16 janvier 2007 « que le dépassement du découvert autorisé manifeste la défaillance de l’emprunteur et constitue le point de départ du délai biennal de forclusion ».
Cet arrêt est un arrêt de Cassation, la Cour d’Appel de BORDEAUX ayant estimé dans son arrêt du 28 novembre 2005 que le découvert utile de 20 000 F ne pouvait être considéré comme une échéance impayée ayant manifesté la défaillance du débiteur.
Au travers de cet arrêt, la Cour de Cassation prenait manifestement partie pour la première acception de l’article L. 311-9 du Code de la Consommation, estimant que le dépassement du découvert utile devait être considéré comme le dépassement du découvert autorisé et constituait, à défaut d’émission d’une nouvelle offre préalable de crédit, le point de départ du délai de forclusion caractérisé par la défaillance de l’emprunteur.
Cette jurisprudence a par la suite été réaffirmée par la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation, notamment au travers des arrêts des 25 avril 2007 et 12 juillet 2007.
Dans l’espèce du 25 avril 2007, l’ouverture de crédit contractée le 21 août 1998 stipulait un découvert initial de 30 000 F et un découvert maximum autorisé de 140 000 F.
Alors que la Cour d’Appel de ROUEN avait jugé le 6 décembre 2005 « qu’il n’y avait pas lieu, pour l’établissement de crédit, de proposer de nouvelles offres dès lors que le montant maximum autorisé de 140 000 F n’avait jamais été atteint », la Cour de Cassation décide de censurer cette position en cassant l’arrêt d’Appel au motif « qu’alors qu’elle avait constaté que le montant de 30 000 F initialement accordé lors d’une ouverture de crédit avait été augmentée sans qu’une nouvelle offre n’ait été formulée et acceptée et sans rechercher la date à laquelle le premier incident de paiement non régularisé s’était produit, la Cour d’Appel [avait] violé le premier texte sus visé et [n’avait pas] donné de base légale à sa décision au regard du second ».
Ainsi, il résulte de cet arrêt que constitue le point de départ du délai de forclusion le dépassement du découvert utile figurant à l’offre de crédit, peu important que le découvert maximum autorisé fixé contractuellement n’ait pas été atteint.
La défaillance de l’emprunteur est caractérisée par le dépassement du découvert utile stipulé au contrat, dès lors qu’aucune nouvelle offre de crédit n’avait été établie.
Dans l’espèce du 12 juillet 2007, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation adopte une position similaire à celle développée dans l’arrêt précédemment énoncé.
En l’espèce, le contrat stipulait un découvert initial de 36 000 F pouvant être porté à un montant maximum autorisé de 150 000 F.
La Cour d’Appel de DOUAI, dans un arrêt du 24 février 2005, a estimé que le plafond du découvert autorisé de 36 000 F a été dépassé sans que l’emprunteur ne se soit vu proposer l’augmentation de capital par le prêteur conformément aux termes de l’offre préalable.
La Cour d’Appel a pu en déduire que le dépassement du découvert autorisé de 36 000 F constituait le point de départ du délai biennal de forclusion.
Ce raisonnement a été entériné par la Cour de Cassation.
Dès lors, le vocable utilisé laisse entendre que la Cour de Cassation assimile le dépassement du découvert utile au dépassement du découvert autorisé.
Pourtant, et logiquement, le dépassement du découvert utile indiqué dans l’offre de crédit ne devrait être sanctionné que par la déchéance du droit aux intérêts dans l’hypothèse où, en tout état de cause, le prêteur n’aurait pas émis de nouvelle offre de crédit à l’attention de son client.
Or, en jugeant que le dépassement du découvert utile ou disponible, sans émission d’une nouvelle offre de crédit, constitue un incident de paiement faisant courir le délai de forclusion de l’action du prêteur, la jurisprudence n’hésite pas à sanctionner une simple irrégularité formelle, trouvant sa source dans l’absence d’émission d’une nouvelle offre de crédit et donc une défaillance du prêteur, par la forclusion de l’action du prêteur et l’impossibilité pour ce dernier de recouvrer de manière forcée le principal lui étant dû.
Cette sanction apparaît, au vu des textes fondamentaux énoncés plus haut, certainement disproportionnée.
Le problème de droit est ici relativement simple : une simple irrégularité formelle commise par le prêteur peut-elle justifier l’atteinte à son droit de propriété que constitue la forclusion de son action en Justice empêchant le recouvrement forcé des sommes lui étant dues au près de l’emprunteur ?
A cette question, il convient de répondre assurément par la négative.
Qui plus est, au terme de l’article 1er du protocole additionnel de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, chacun a droit au respect de ses biens, parmi lesquels figurent assurément les droits et les créances.
Assurément, la privation plus que probable du prêteur de sa propriété matérialisée par la forclusion de son action en Justice aux fins d’obtention d’un titre exécutoire permettant le recouvrement forcé des sommes lui étant dues à titre principal par l’emprunteur, ceci en raison d’une simple irrégularité formelle liée à l’absence d’émission d’une nouvelle offre de crédit en raison du dépassement du découvert devrait être, au regard des textes fondamentaux applicables, considérée comme un atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Il paraît difficilement envisageable de soutenir que la forclusion, constituant intrinsèquement une atteinte au droit de propriété individuelle, se justifierait par des raisons d’utilité publique et d’intérêt général.
En l’espèce, s’opposent en cette matière l’intérêt particulier du prêteur et celui de l’emprunteur.
L’intérêt général n’est nullement concerné par les litiges individuels de crédit à la consommation...
Amaury PAT