Ce rappel semble d’autant plus important que les commentaires administratifs sur l’exit tax peuvent malheureusement induire les contribuables en erreur. En effet, rien ne signale dans le Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) le fait que le texte de loi a largement évolué depuis sa publication, ce qui conduira les contribuables (non avertis !) souhaitant connaître leurs obligations fiscales auprès de cette source officielle à des conclusions erronées.
1. Rappel sur l’esprit du dispositif.
L’exit tax est un impôt qui vise à dissuader les contribuables de s’expatrier avec pour seul objectif de vendre les titres de sociétés qu’ils détiennent (actions, parts sociales, etc.) une fois installés dans leur nouvel Etat de résidence, Etat où il y a généralement peu ou pas de fiscalité.
Lorsque l’on parle d’exit tax, l’exemple le plus classique régulièrement mis en avant par les parlementaires est celui du dirigeant français qui transférerait sa résidence fiscale en Belgique et qui, quelques semaines/mois après ce transfert de résidence fiscale, céderait l’intégralité des actions de sa société française. La manœuvre serait fiscalement habile puisque ce dirigeant n’aurait alors aucun impôt à acquitter chez nos voisins belges (la Belgique n’imposant pas – jusqu’à présent – les plus-values sur cession d’actions) alors que s’il était resté en France, il aurait dû acquitter une imposition de l’ordre de 30% sur sa plus-value.
L’exit tax vise à lutter contre ce schéma en instaurant une « taxe à la frontière » applicable aux contribuables qui seraient subitement attirés par le « soleil » belge (ou celui d’un autre Etat) : le dirigeant français qui s’expatrie est immédiatement imposable au titre de sa plus-value latente lors de son transfert de résidence fiscale, bien qu’il ait toujours la propriété de ses actions. Fort heureusement, cette « exit tax » bénéficie néanmoins d’un sursis de paiement puisque le dirigeant n’a pas encore vendu ses actions et qu’il n’a bien sûr pas de quoi acquitter l’impôt correspondant. Le jour où il cédera effectivement ses actions, le sursis de paiement expirera et la France pourra obtenir le paiement de l’exit tax : si le dirigeant français a acquitté un impôt dans son nouvel Etat de résidence, la France en tiendra compte et l’autorisera à le déduire de l’exit tax pour ne percevoir que la différence ; si le dirigeant français n’a au contraire acquitté aucun impôt à l’étranger, la France percevra l’intégralité de l’exit tax.
2. Contribuables concernés.
Pour entrer dans le champ d’application de l’exit tax, il faut normalement avoir résidé fiscalement en France pendant au moins 6 années au cours des 10 années précédant le transfert. Les personnes qui s’impatrient en France et repartent après quelques années seulement ne sont donc pas concernées.
Contrairement à ce qu’indique encore l’administration fiscale au Bofip, il faut par ailleurs détenir :
des titres d’une valeur de 800 000€ minimum ou représentant au moins 50% des bénéfices sociaux d’une société (l’administration fiscale indique à tort une valeur de 1,3M€ minimum ou des titres représentant au moins 1% des bénéfices sociaux d’une société) ; ou
des créances de complément de prix (earn out).
Par exception aux règles ci-dessus, les contribuables qui détiennent des plus-values en report d’imposition sont soumis à l’exit tax sans condition de durée de domiciliation et sans condition de pourcentage de détention ou de valeur de titres au jour du départ : ces contribuables sont donc toujours dans le champ de l’exit tax et, sur ce point, la règle n’a pas évolué depuis 2011.
3. Titres exclus du dispositif de l’exit tax.
Certains investissements sont expressément exclus de l’exit tax : on pense notamment aux titres détenus en PEA ou au contrats d’assurance-vie, de même qu’aux parts de sociétés à prépondérance immobilière soumise à l’impôt sur le revenu.
Il en va de même des gains d’acquisition afférents aux stock-options, aux actions gratuites et aux BSPCE qui ne sont pas concernés par l’exit tax : la portée de cette exclusion est néanmoins limitée car ces gains restent généralement imposables en France lorsqu’ils se rapportent à une activité exercée sur le sol français.
Inversement les SICAV et les parts de FCP sont dans le champ de l’exit tax alors que l’administration fiscale continue d’indiquer le contraire dans sa doctrine…
On notera enfin avec intérêt que les actifs numériques (cryptomonnaies, jetons, etc.) et les NFT ne sont pour l’instant toujours pas concernés par l’exit tax.
4. Calcul de la plus-value imposable.
S’agissant des créances d’earn out ou des plus-values en report d’imposition, le calcul ne pose généralement pas de difficultés puisque les montants qui doivent être reportés sur la déclaration d’exit tax ont été arrêtés en amont du départ lors de l’apport des titres ou dans le contrat de cession.
Le calcul des plus-values latentes peut en revanche être plus complexe, notamment si les titres sont non cotés puisque la valeur déclarée dans la déclaration d’exit tax résulte dans ce cas d’une évaluation faite par le contribuable à une date proche du départ et pouvant bien sûr faire l’objet d’une contestation de l’administration fiscale, en particulier dans des cas où les titres seraient cédés peu de temps après le départ pour un prix significativement supérieur à la valeur retenue pour le calcul de l’exit tax. L’évaluation des titres côtés se fait pour sa part par référence au dernier cours connu à la date du transfert du domicile fiscal hors de France ou à la moyenne des trente derniers cours qui précèdent cette même date si cette valeur est plus favorable.
On notera par ailleurs que, depuis 2018, l’imposition des plus-values se fait à la flat tax (imposition forfaitaire de 30%) ou, sur décision expresse du contribuable, au barème de l’impôt sur le revenu avec un système d’abattements pour durée de détention : en cas de départ hors de France, cette option est heureusement maintenue pour le calcul de l’exit tax mais on relèvera que les taux d’impôt sur le revenu de 19% ou 24% et de prélèvements sociaux de 15,5% auxquels fait référence l’administration dans sa doctrine ne sont plus en vigueur depuis longtemps…
5. Sursis de paiement.
Qui dit exit tax dit sursis de paiement. En effet, le contribuable n’ayant pas encore cédé ses titres ou perçu le prix de sa créance, ce dernier est bien souvent dans l’incapacité de s’acquitter de l’exit tax à la date de son transfert de résidence fiscale. Le législateur a donc prévu un mécanisme de sursis de paiement permettant de différer le paiement de l’impôt à la date de cession effective des titres ou de l’encaissement de la créance d’earn out.
Ce sursis de paiement s’obtient :
De manière automatique en cas de transfert de résidence fiscale vers un Etat membre de l’Union Européenne ou vers un Etat ayant signé avec la France une convention d’assistance administrative et une convention d’assistance au recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, et qui n’est pas un Etat ou territoire non coopératif (ETNC).
Sur option en cas de transfert de résidence fiscale vers un autre Etat. Dans ce cas, l’octroi du sursis de paiement est conditionné à la désignation d’un représentant fiscal en France destiné à recevoir toutes les communications concernant l’exit tax et à la constitution de garanties auprès du comptable public à hauteur du montant de l’exit tax (séquestre, nantissement, hypothèque, etc.). Contrairement à ce qui est indiqué dans la doctrine administrative, il n’est d’ailleurs plus possible de bénéficier d’une dispense de garantie en cas de départ obéissant à des raisons professionnelles.
Le sursis de paiement n’est donc plus réservé aux départs vers les seuls Etats de l’Union Européenne comme ce fut le cas entre 2011 et 2019 mais encore faut-il, pour avoir droit au sursis de paiement, que l’Etat d’arrivée ait signé les bonnes conventions avec la France !
On relèvera ainsi par exemple que, contrairement aux apparences, la Suisse n’est pas éligible au sursis de paiement automatique car, bien qu’ayant signé une convention d’assistance administrative et une convention d’assistance au recouvrement avec la France, ladite convention d’assistance au recouvrement n’a pas une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 [1].
Il en va de même des Emirats Arabes Unis (EAU) qui, bien qu’étant partie à la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale depuis le 1er septembre 2018, ne participent pas effectivement à l’assistance au recouvrement avec la France. Les EAU ont effet émis dès le 1er septembre 2018 une réserve [2] selon laquelle ils « se réservent le droit de ne pas accorder d’assistance en matière de recouvrement d’une créance fiscale quelconque, ou de recouvrement d’une amende administrative, pour tous les impôts ».
L’étude des différentes conventions signées par la France est donc primordiale car elle détermine la possibilité de bénéficier du sursis automatique ou non. De manière étonnante, on découvre ainsi qu’il est possible de bénéficier du sursis automatique en s’expatriant vers des Etats tels que l’Azerbaïdjan, le Vanuatu ou les îles Cook alors qu’un transfert de résidence fiscale vers le Canada, le Brésil ou la Chine devra donner lieu à la mise en place de garanties et à la désignation d’un représentant fiscal pour pouvoir bénéficier du sursis de paiement sur option !
Bonne nouvelle néanmoins, qui méritera confirmation, on apprend dans une décision TA Montreuil du 23 novembre 2021 (n°1908751) que le sursis de paiement s’applique également aux éventuels supplément d’imposition qui serait mis à la charge des contribuables postérieurement au départ, en cas de contestation du montant de la plus-value déclarée lors du transfert de résidence fiscale par exemple. En tous cas lorsque le transfert de résidence fiscale se fait vers un Etat de l’Union Européenne…
6. Dégrèvement.
Autre mesure de satisfaction pour les contribuables concernés par l’exit tax, l’imposition calculée lors du départ est désormais dégrevée (c’est-à-dire annulée) en cas de retour en France ou après seulement 2 années de résidence fiscale à l’étranger - délai porté à 5 années si la valeur des titres détenus au jour du transfert de résidence fiscale excède 2,57M€ - sous réserve que le contribuable détiennent encore les titres soumis à exit tax à l’issue de cette période.
Mais ce délai de dégrèvement très bref ne s’applique qu’aux départs postérieurs au 1er janvier 2019. Il est de 8 années pour les départs intervenus entre le 3 mars 2011 et le 31 décembre 2013 (seul l’impôt sur le revenu peut dans ce cas être dégrevé, les prélèvements sociaux restent dus) et de 15 années pour les départs intervenus entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018.
Ce raccourcissement drastique de la durée au terme de laquelle il est désormais possible d’annuler l’exit tax était justifié – selon le termes du projet de loi de finances à l’origine de cette réforme – par la volonté de renforcer l’attractivité de la France (l’idée, politiquement non acceptable, était même initialement de supprimer l’exit tax). Mais il semble qu’il s’agissait tout autant de libérer la DINR des obligations de contrôle et de suivi très lourdes en lien avec cet impôt apparemment peu rémunérateur.
7. Obligations déclaratives.
Des obligations déclaratives assez fastidieuses liées au suivi de l’exit tax doivent en effet être respectées au titre de l’année du départ et des années suivantes. Néanmoins depuis le 1er janvier 2019, on relèvera que la déclaration annuelle de suivi des impositions se limite aux seules créances de complément de prix et plus-values en report d’imposition (une déclaration de suivi n’est donc plus nécessaire lorsque le contribuable déclare uniquement des plus-values latentes le jour de son transfert de résidence fiscale).
Il est néanmoins fondamental de retenir qu’en cas de départ non éligible au sursis de paiement automatique, la première déclaration d’exit tax doit être déposée avant la date du transfert de résidence fiscale pour pouvoir prétendre au sursis de paiement sur option.
Or, l’administration fiscale continuer d’indiquer à tort dans sa doctrine que le dépôt de la déclaration d’exit tax en cas de départ dans un Etat non éligible au sursis de paiement automatique doit se faire dans les 30 jours précédant le départ alors que, depuis le 22 novembre 2019, cette déclaration et la proposition de garantie qui va avec doit être déposée au moins 90 jours avant le départ… cette absence de mise à jour des informations concernant les modalités déclaratives liées au sursis de paiement sur option peut s’avérer dramatique pour les contribuables qui continueraient de se référer à la doctrine administrative puisqu’ils déposeraient alors leur déclaration d’exit tax hors délai, autorisant ainsi la DINR à leur réclamer leur exit tax sans leur accorder le sursis de paiement pourtant sollicité avant le départ.
On peut par ailleurs regretter l’extrême lenteur mise par l’administration fiscale pour traiter les déclarations d’exit tax reçues. Il n’est ainsi pas rare que les contribuables concernés mettent plusieurs années avant de recevoir les avis d’imposition mettant en recouvrement l’exit tax et accordant le sursis de paiement correspondant ou, au contraire, les avis de dégrèvement auxquels ils peuvent prétendre une fois la durée légale de détention atteinte…
8. Expiration du sursis de paiement.
Sauf cas de dégrèvement intervenu entre temps, le sursis de paiement expire et l’impôt devient définitivement exigible en France lors de la survenance de plusieurs événements dont le principal est la cession des titres détenus le jour du départ.
Le contribuable est alors tenu de déposer des déclarations de suivi au service des impôts des particuliers non-résidents de la DINR pour déclarer l’événement ayant mis fin totalement ou partiellement au sursis de paiement, permettre le calcul de l’exit tax devenue définitivement exigible et, le cas échéant, acquitter l’imposition correspondante.
Afin d’éviter une double imposition lorsque le sursis de paiement expire, l’impôt éventuellement acquitté dans le nouvel Etat de résidence est imputable sur l’impôt dû en France dans certaines limites (à la condition que la plus-value déclarée à l’étranger ait bien été calculé à partir du prix ou de la valeur d’acquisition des titres concernés retenu(e) pour la détermination de la plus-value constatée lors du transfert du domicile fiscal hors de France et que l’impôt acquitté à l’étranger soit un impôt personnel afférent à cette même plus-value).
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Depuis le 1er janvier 2019, l’exit tax est plus facile à appréhender et à accepter pour les contribuables candidats à une expatriation. La durée très courte au terme de laquelle il est désormais possible d’obtenir un dégrèvement de cette « taxe à la frontière » s’apparente d’ailleurs à une suppression déguisée de l’exit tax.
Le respect des obligations déclaratives en lien avec cet impôt reste néanmoins primordial pour ne pas se retrouver dans une situation inconfortable face à une administration fiscale qui continue malgré tout à faire preuve de peu de mansuétude lorsqu’elle se confronte aux contribuables emmêlés dans des problématiques de délais et de lectures des conventions.
Cette situation est d’autant plus inacceptable que l’administration fiscale est elle-même responsable de cette situation en laissant perdurer une doctrine administrative complètement erronée depuis si longtemps. Il nous semble pourtant que l’effort à faire par cette dernière pour éclairer les contribuables s’interrogeant sur les conséquences fiscales de leurs expatriation n’est pas si important ! Pourquoi, a minima et faute de mieux, ne pas indiquer de manière non équivoque que le Bofip n’est pas à jour ?
Il lui reste 20 jours pour nous faire mentir… Mais les amendements qui figurent actuellement au projet de loi de finances pour 2023 et qui proposent de revenir aux anciennes règles d’exit tax (délai de dégrèvement allongé à 15 ans, sursis de paiement automatique réservés aux départs vers des Etats européens, dispense de garantie pour les départs professionnels) ne risquent pas d’inciter l’administration fiscale à accélérer la cadence pour ne pas avoir à souffler sa 10e bougie…