De l’éventuelle remise en cause de l’exclusivité des retransmissions des matchs de football à la télévision.

Par Gautier Kertudo, Avocat

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Explorer : # droits tv # libre circulation des services # propriété intellectuelle # concurrence

Les qualificatifs sont déjà nombreux pour tenter de définir la portée de la décision rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 5 octobre 2011. Certains parlent de « l’arrêt Bosman des droits TV » et pourtant, les conséquences économiques et sportives restent, pour le moment, inconnues.

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La question des droits TV et de la diffusion des matchs de championnat à travers un pays européen est au centre du football moderne. Cette décision de la CJUE pourrait être l’acte fondateur d’un bouleversement total en la matière, au même titre qu’elle pourrait ne concerner que le microcosme des cafés-restaurants anglais.

Dans la décision du 5 octobre 2011, les faits concernent une gérante d’un établissement en Angleterre qui s’est procuré un décodeur afin de retransmettre dans son café-restaurant les rencontres de Premier League via un bouquet satellitaire grec alors que la Football Association Premier League (FAPL), en charge de la gestion des matchs de Premier League anglaise, a confié au bouquet BSKYB l’exclusivité de la diffusion des matchs de Premier League.

La Ligue anglaise assigne alors la gérante du café-restaurant devant la Portsmouth Magistrats Court qui la condamne pour deux délits visés par l’article 297, paragraphe 1 de la loi sur le droit d’auteur, les modèles et les brevets au motif qu’ « elle avait capté, par des moyens frauduleux, un programme inclus dans un service de radiodiffusion fourni depuis un endroit situé au Royaume Uni, avec l’intention d’éviter le paiement de tout prix applicable à la réception des émissions radiodiffusées ».

Suite à une décision négative de la Portsmouth Magistrate’s Court, la gérante du café restaurant décide de former un pourvoi devant la Hight Court of Justice. Cette dernière décide de surseoir à statuer et pose la question préjudicielle suivante à la CJUE :

«  Lorsqu’un dispositif d’accès conditionnel est fabriqué par ou avec le consentement d’un prestataire de services et qu’il est vendu sous réserve d’une autorisation limitée d’utiliser le dispositif à la seule fin d’obtenir l’accès au service protégé dans les circonstances données, ce dispositif devient-il un dispositif illicite, au sens de l’article 2 , sous e) , de la directive sur l’accès conditionnel, s’il est utilisé pour permettre l’accès à ce service protégé en un lieu ou d’une manière ou par une personne exclue de l’autorisation accordée par le prestataire de services ?  ».

En d’autres termes, le principe de l’exclusivité des droits de retransmission du football sur un territoire est–il contraire au principe de libre circulation des services ?

En son considérant 85, la Cour répond de manière très laconique à cette question.

Ainsi, elle rappelle les dispositions de l’article 56 TFUE relative à la suppression de toute restriction à la libre prestation des services. En l’espèce, la Cour énonce également que la réglementation nationale en Angleterre interdit l’importation, la vente et l’utilisation de dispositif de décodage étranger sur le territoire national, qui donne accès aux services de radiodiffusion satellitaire provenant d’un autre état membre.

La Cour considère de fait, que la réglementation de la FAPL relative à la diffusion des rencontres constitue une restriction à la libre prestation des services interdite par l’article 56 TFUE.

En réponse, la FAPL prétend que cette restriction à la libre prestation des services se justifie par un objectif de protection des droits de propriété intellectuelle. La Cour répond en l’espèce que la diffusion des rencontres de football ne constitue pas « des créations intellectuelles mais peuvent cependant, bénéficier de la protection de la propriété intellectuelle ».

De plus, sur le fondement de l’article 165 paragraphe 1 second alinéa TFUE qui énonce que «  l’Union doit contribuer à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative  », la Cour semble tenter de définir «  la nature  » des matchs diffusés à la télévision. La rencontre en elle-même ne constitue pas une œuvre littéraire au même titre qu’un film par exemple, mais le contenu lié au match, tels que les émissions qui suivent ou l’habillage choisi par la chaîne peuvent au contraire être protégés. L’analyse de la Cour est ici intéressante, la diffusion des matchs est clairement un service qui ne peut bénéficier de la même protection que celle des œuvres artistiques.

La Cour précise que pour pouvoir déroger au principe de libre circulation, les mesures prises doivent être justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l’objet spécifique de la propriété intellectuelle. C’est à sujet que la Cour développe une approche purement économique. Elle considère que la rémunération perçue par le titulaire des droits concernés, à savoir la Ligue de football anglais, doit être appropriée et raisonnable. Pour la Cour le constat est simple, la restriction imposée par la FAPL en matière d’interdiction d’utilisation des dispositifs de décodage étrangers n’est pas justifiée au regard de l’objectif de protection des droit de la propriété intellectuelle.

A titre subsidiaire, la Ligue anglaise soutenait que ces restrictions étaient justifiées par « l’objectif d’encourager la présence du public dans les stades de football ». Ainsi, en Angleterre, la réglementation interdit la diffusion de matchs le samedi après midi afin de favoriser l’augmentation de l’affluence dans les stades. Pour la Cour cet argument n’est pas valable en ce sens que la Ligue pourrait très bien inclure des clauses interdisant la diffusion des matchs le samedi après midi, dans chacun des contrats qu’elle pourrait être amenée à signer avec d’autres organismes de radiodiffusion.

C’est à ce sujet que la Cour remet en cause, mais peut-être pas définitivement, l’exclusivité en matière de droits TV. Pour les juges européens rien ne justifie que le bouquet satellitaire BSKYB détienne l’intégralité de la diffusion des matchs anglais et les bouquets satellitaires ne peuvent pas imposer ce monopole. Pour autant, les ligues pourront toujours confier à un seul opérateur la diffusion des matchs d’un championnat, ils seront dorénavant concurrencés par des décodeurs étrangers. Le téléspectateur pourra choisir entre un match commenté en anglais mais plus cher et un match diffusé par une chaîne étrangère, commenté en langue étrangère. L’utilisation des décodeurs étrangers n’est donc pas illicite. La portée de cet arrêt peut alors se résumer en une phrase :

« Un système de licences pour la retransmission des rencontres de football, qui accorde aux radiodiffuseurs une exclusivité territoriale par État membre et qui interdit aux téléspectateurs de regarder ces émissions avec une carte de décodeur dans les autres États membres, est contraire au droit de l’Union ».

Le législateur anglais devra modifier ses dispositions en la matière.

Aujourd’hui, et c’est très certainement la conséquence la plus redoutée par la Ligue anglaise et par le bouquet satellitaire BSKYB, les chaînes étrangères qui ont acheté le droit de retransmission en direct des matchs de Premier League pourront proposer des abonnements ou tout simplement la diffusion des matchs aux téléspectateurs anglais. Le monopole, jusque là détenu par le bouquet satellitaire, devrait alors faire face à l’envahisseur.

Un téléspectateur français pourrait, grâce à un décodeur grec, regarder les matchs de Premier League sans passer par le bouquet BSKYB. Pour sûr, le téléspectateur français pourrait alors bénéficier d’offres d’abonnement plus intéressantes. Et c’est bien là que semble se trouver le fondement de cette décision, la Cour européenne de justice a souhaité imposer la mise en concurrence des bouquets satellitaires en Europe et pour le sport en général. Ce qui est aujourd’hui valable pour le football pourrait également l’être demain pour le rugby, le basket…


Pour autant, il reste à savoir quel impact financier cet arrêt aura sur la valeur des droits TV et sur la part reversée aux clubs de football professionnels. Plus qu’un véritable séisme, cette décision pourrait juste être l’occasion de penser à une nouvelle redistribution des cartes en matière de retransmission d’événements sportifs.

Gautier KERTUDO,
Avocat,
Cabinet Barthélémy Avocats

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