Les origines de l’ensemencement des nuages.
La technique de l’ensemencement est née dans les années quarante aux Etats-Unis, où elle est toujours pratiquée, notamment pour accroître les chutes de neige. Si une étude récente a fait état de résultats prometteurs [1], ils restent peu concluants malgré les sommes investies dans la recherche [2].
Indépendamment des résultats de cette méthode, la manipulation de la météo est un sujet de préoccupation susceptible d’induire des conséquences géopolitiques.
Le 10 décembre 1976, un traité international a été adopté sous l’égide des Nations Unies afin d’interdire d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles [3]. Dans le contexte de la guerre froide et peu de temps après la guerre du Vietnam, les techniques de modification de l’environnement dont relève l’ensemencement des nuages sont apparues comme susceptibles de menacer la paix. Le champ d’application de cette convention reste toutefois limité puisqu’il exclut les techniques de modification de l’environnement dans un but pacifique. La France n’a par ailleurs pas signé cette convention [4].
Plus tard, la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, signée le 14 octobre 1994, a encouragé les activités de recherche qui « permettent d’accroître les ressources en eau disponibles dans les zones touchées, au moyen, notamment, de l’ensemencement des nuages » [5], sans plus de précisions.
La technologie connaît un regain d’attention ces dernières années, dans une perspective de lutte contre la sécheresse.
Son impact sur les précipitations est toutefois considéré comme modeste par les études les plus optimistes, qui évoquent un accroissement annuel des précipitations pouvant atteindre 15% [6].
Son utilisation s’est pourtant répandue dans de nombreux pays, comme la Chine, le Mexique, les pays du golfe Persique mais également la France.
L’ensemencement des nuages en France.
En France, l’ensemencement des nuages est utilisé pour prévenir les orages de grêles. Certaines collectivités financeraient le recours à cette technologie dans le but de protéger les vergers des grêlons [7].
L’ensemencement est notamment proposé par l’Association nationale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques (Anelfa) qui a recours à un générateur « de particules glaçogènes » qui vaporise « une molécule complexe d’iodure d’argent-iodure de sodium dans une flamme d’acétone » [8]. Autrement dit, la solution contenue dans un réservoir est envoyée dans une chambre de combustion pour être enflammée, laissant ensuite les particules se diffuser jusqu’à atteindre les nuages les plus bas.
D’autres sociétés privées proposent également des services de « gestion des risques météorologiques » et le lancement dans les nuages de ballons biodégradables sur lesquels sont embarquées des torches chargées de certains composés.
D’un point de vue juridique, cette pratique peut être appréhendée sous plusieurs angles : la méthode utilisée pour ensemencer, les composés utilisés et le milieu récepteur, à savoir les nuages.
Une carence réglementaire quant aux procédés d’ensemencement.
En France, l’ensemencement a principalement lieu depuis un projecteur situé au sol, par des techniques qui n’imposent pas le respect des règles de l’air.
Certaines techniques susceptibles d’induire le recours à un ballon seraient en revanche plus encadrées.
En effet, l’envoi de ballons libres non habités, qu’il s’agisse de ballons-sonde, de ballons de baudruche ou de lanternes volantes est soumis à un règlement d’exécution (UE) n°923/2012 du 26 septembre 2012. Toutefois, dès lors qu’ils ne transportent qu’une charge inférieure à 4kg, aucune autorisation ou notification préalable au lancement n’est requise. Ils doivent toutefois présenter le moins de danger possible pour les personnes, les biens et les aéronefs.
Ainsi, la technique d’ensemencement n’est que très peu encadrée en France.
L’encadrement limité du principal composé servant à l’ensemencement.
Le principal composé utilisé dans le cadre de l’ensemencement des nuages est l’iodure d’argent.
Déjà en 2010, une question parlementaire faisait état des inquiétudes liées à l’absence de réglementation de l’ensemencement des nuages [9]. Le Ministre de l’Écologie de l’époque s’était contenté en réponse d’un exposé sur l’iodure d’argent, « agent de nucléation des gouttelettes d’eau, transformant ainsi la vapeur d’eau en pluie ». Il avait alors indiqué que ce composé faisait « partie des polluants qui ne sont pas biodégradables et l’accumulation de l’iodure d’argent dans les écosystèmes, particulièrement aquatique peut perturber la reproduction des petits organismes ». Le Ministre avait alors estimé que la mise en œuvre du règlement européen sur l’enregistrement, l’évaluation et l’utilisation des substances chimiques (REACH) [10] comblerait le déficit en connaissance sur ce composé afin d’envisager ultérieurement une éventuelle restriction de son utilisation.
Le règlement n’impose un enregistrement de la substance qu’à condition de la produire ou de l’importer en quantité supérieure à une tonne par an, ce qui est le cas au sein de l’Union européenne. À ce titre, elle fait l’objet de consignes d’utilisation. La fiche REACH sur cette substance fait état de risques pour la reproduction ainsi que d’une toxicité durable pour les organismes aquatiques. Une étude de 2016 a également relevé son impact sur les organismes présents dans les sols [11]. L’exposition à un composé chimique implique également de considérer l’« effet cocktail », c’est-à-dire sa toxicité résultant de sa combinaison avec d’autres substances. A titre d’exemple, les effets combinés de l’exposition à plusieurs perturbateurs endocriniens peuvent conduire à accentuer leur dangerosité pour la santé humaine [12].
Un rapport sur la sécurité chimique n’est exigé au titre du règlement REACH que pour les substances faisant l’objet d’un enregistrement « en quantités égales ou supérieures à 10 tonnes par an par déclarant » (article 14). Le seuil n’est pas atteint par les importateurs et fabricants en Union européenne, étant précisé que chaque ensemencement ne mobilise par ailleurs que quelques grammes de cristaux d’iodure d’argent.
Les données produites par les fabricants et importateurs au titre de REACH restent ainsi parcellaires et n’ont donné lieu à aucune restriction de l’utilisation de la substance sur le territoire français.
L’absence de toute réglementation imposant a minima la réalisation d’études préalablement au recours à des composés chimiques lors des opérations d’ensemencement doit inquiéter.
La réglementation française ne prévoit des valeurs moyennes d’exposition pour l’argent que dans le milieu professionnel [13]. La dispersion dans l’environnement de cristaux d’iodure d’argent n’est donc pas appréhendée.
Une réglementation des composés utilisés dans le cadre des opérations d’ensemencement devrait reposer sur une étude approfondie de leurs effets sur la santé humaine, sur l’environnement et ses composantes, et sur les cultures sur lesquelles ils sont censés faire tomber la pluie.
Enfin, dès lors qu’ils sont fabriqués sous forme d’aérosols, les générateurs utilisés pour l’ensemencement sont susceptibles de relever de la réglementation idoine. Cela est confirmé par un règlement n°2021/821 qui indique que « les poudres chimiques utilisées pour ensemencer les nuages sont des exemples d’aérosol ».
La Directive européenne du 20 mai 1975 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux générateurs d’aérosols prévoit principalement des obligations d’information à destination des consommateurs. Elle prévoit toutefois que les aérosols qui présentent un danger pour la sécurité ou la santé peuvent faire l’objet d’une restriction voire d’une interdiction temporaire de la mise sur le marché.
Cette Directive a été transposée en droit français par plusieurs décrets qui encadrent notamment les modalités d’étiquetage et de conditionnement des aérosols mais pas leur utilisation [14].
Les utilisations de la principale substance utilisée pour l’ensemencement sont donc peu encadrées en France.
Le statut des nuages.
Le sujet de l’ensemencement des nuages met en évidence le fait qu’ils pourraient être considérés comme une ressource, dans un contexte de raréfaction de la ressource en eau.
Si les nuages sont mouvants et traversent les frontières, de sorte que les précipitations sur un territoire ne résultent pas forcément d’eau qui s’est évaporée sur ce même territoire, le nuage fait partie de l’espace atmosphérique de l’État au-dessus du territoire duquel il est situé. Ces nuages de passage sont donc en principe une composante de sa souveraineté territoriale [15], bien que leur statut ne soit pas explicitement établi.
Leur appréhension en tant que ressource pourrait conduire à remettre en cause la pertinence de ce statut, notamment afin d’envisager les modalités de leur appropriation.
Récemment, des voies se sont élevées, comme celle de l’écrivain et ancien avocat Mathieu Simonet, afin de faire reconnaître les nuages en tant que biens communs, dans le but d’éviter leur appropriation en tant que ressource, dans le contexte de développement du recours à l’ensemencement.
Le droit international, comme les droits internes, peine à anticiper ce sujet qui, loin de se cantonner à un enjeu de souveraineté pourrait devenir un enjeu environnemental de plus à appréhender.