Encadrement du commerce international des espèces menacées : actualisation du Règlement européen « CITES » suite à la COP19.

Par Ellena Brunetti, Juriste.

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Explorer : # espèces menacées # commerce international # réglementation européenne # protection de la biodiversité

Alors que plusieurs mois se sont écoulés depuis la tenue de la COP19 [1] de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (plus communément désignée par son acronyme « CITES » ou « Convention de Washington » ), le règlement européen [2] qui vient traduire en droit communautaire la nouvelle répartition au sein des annexes à la CITES des espèces concernées vient quant à lui d’être publié, et entrera en vigueur dès demain mardi 23 mai 2023.

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Pour mémoire, un décryptage de l’issue des négociations de la COP 19 est proposé (Voir l’article 50 ans de la CITES : résumé de la COP 19 avant traduction en droit européen).

1.Convention internationale CITES versus règlement CITES : une classification des espèces semblable quoique non rigoureusement identique.

Malgré leur objet commun - à savoir, l’encadrement du commerce transnational des espèces menacées et de ses dérives - la Convention CITES et le règlement CITES ne prévoient pas toujours un statut identique pour une même espèce.

En effet, pour rappel, la Convention CITES répartit les espèces répondant à certains critères biologiques et commerciaux au sein de trois annexes (annexes I, II et III), ce qui leur confère un statut « CITES ». De ce statut résulte l’application d’un régime juridique gradué, entraînant des formalités administratives plus (annexe I) ou moins (annexe II) strictes lors du transfert transfrontalier des espèces concernées. Le règlement CITES, qui constitue en définitive la traduction au sein du marché unique de cette Convention, adopte en toute logique le même schéma, et ses annexes A, B et C reflètent globalement assez fidèlement le contenu des annexes de la Convention CITES dont elles sont le pendant (à savoir, l’annexe I pour l’annexe A, l’annexe II pour l’annexe B et l’annexe C pour l’annexe III).

Toutefois, ce n’est pas toujours le cas, puisque certaines espèces pourront bénéficier d’une protection plus stricte en droit européen qu’en droit international. En effet, la classification des espèces opérée en son sein est plus fine, puisque celle-ci conduit à répartir les espèces au sein de non pas trois, mais quatre annexes (annexes A, B, C et D), afin de tenir compte des spécificités et caractéristiques du marché européen, la répartition au sein de ces quatre annexes étant opérée de la manière suivante :

  • annexe A : espèces inscrites à l’annexe I CITES, auxquelles s’ajoutent certaines espèces des annexes II et III auxquelles l’UE souhaite conférer un statut de protection plus élevé. Y figurent en outre des espèces non protégées par la CITES et certaines espèces autochtones protégées par les Directives Oiseaux [3] et Habitats [4] ;
  • annexe B : espèces de l’annexe II CITES non inscrites à l’Annexe A, ainsi que quelques espèces de l’Annexe III CITES ou non-inscrites à la CITES ;
  • annexe C : espèces de l’annexe III CITES qui ne sont inscrites ni à l’annexe A, ni à l’annexe B ;
  • annexe D : espèces qui ne sont pas inscrites à la CITES, mais pour lesquelles l’Union européenne estime que les volumes d’importation justifient une mise sous surveillance.

Ainsi, certaines espèces inscrites à l’annexe II de la CITES pourront être classées en annexe A du règlement CITES, leur conférant en pratique la même protection en droit européen que des espèces figurant pourtant en droit international à l’annexe I de la Convention. Par ailleurs, certaines espèces n’ayant pas réussi à accéder à une inscription au sein des annexes I, II ou III de la Convention CITES pourront néanmoins rejoindre l’annexe D du règlement CITES, lorsque celles-ci ne sont pas déjà inscrites dans les annexes A, B et C et que leur importation dans la Communauté nécessite une surveillance.

La vigilance doit donc être de mise lors de la détermination du statut « CITES » d’une espèce, puis du régime juridique qui en découle.

2. Traduction en droit européen des modifications apportées aux annexes de la Convention CITES issues de la COP19.

La refonte des annexes de la Convention provoquée par les primo classements, surclassements et déclassements actés lors de la COP19, conduit par ricochet aux modifications suivantes des annexes A, B, C et D du règlement européen CITES :

  • espèces nouvellement inscrites à l’annexe A (primo inscription ou surclassement de l’annexe B vers l’annexe A) : sont désormais intégrées à l’annexe A du règlement CITES, d’une part, les espèces qui ont à l’issue de la COP19 bénéficié d’une première inscription à l’annexe I de la Convention CITES. C’est notamment le cas de plusieurs reptiles, à savoir la scinques à langue bleue et les tortues de boue Cora et Vallarta. D’autre part, rejoignent également l’annexe A les espèces ayant été surclassées de l’annexe II vers l’annexe I lors du réexamen des annexes de la Convention CITES (pour les reptiles, tortue kachuga à front rouge, tortue-boîte à front jaune et tortue à carapace molle Leith, ou encore s’agissant de l’avifaune, bulbul à tête jaune) ;
  • espèces nouvellement inscrites à l’annexe B : plusieurs classes d’espèces sont concernées, dont pour les vertébrés les oiseaux (dont le Shama à croupion blanc), les reptiles (dragon d’eau vert, gecko jeyporensisle et casqué, lézard à cornes ou iguane à cornes Phrynosoma, tortue Matamata, Serpentine ou encore Alligator, tortues à tête large du genre Graptemys, tortue des bois néotropicales, tortues musquées à pont étroit et géante, tortue boueuse du Mexique, tortues de vase Kinosternon et à carapace molle à épine lorsqu’elles ne sont pas d’ores et déjà inscrites à l’annexe I), les amphibiens (grenouille Lémur arboricole, salamandre Laotriton laoensis ainsi que la famille des emblématiques grenouilles de verre), et les poissons (familles aussi bien de requins requiems et marteaux que de raies d’eaux douces américaines et raies guitares, ainsi que le Piéco-zèbre). Enfin, s’agissant des invertébrés, le concombre de mer fait également son entrée - quoique retardée - à l’annexe B. Quant aux végétaux, plusieurs espèces (nommément, Dipteryx spp, Handroanthus, Roseodendron, Tabebuia spp, Rhodiola, Afzelia, Dipteryx, Pterocarpus spp, Khaya spp) quittent l’annexe D à laquelle ils figuraient jusqu’alors, pour intégrer l’annexe B, afin de prendre acte de leur inscription à l’annexe II de la Convention CITES ;
  • inscription à l’annexe C faisant suite à l’inscription récente de certaines espèces à l’annexe III de la Convention CITES : en raison de la modification seulement périodique du règlement CITES (celui-ci n’ayant pas été actualisé depuis le 19 janvier 2021, date de l’entrée en vigueur de la dernière modification opérée suite à la COP 18 qui s’est achevée le 28 août 2019) [5], les toilettages des annexes de la Convention CITES qui surviennent entre deux Conférences des parties ne sont pas toujours immédiatement traduites en droit européen. C’est par exemple le cas du poisson-ange Clipperton, dont l’inscription à l’annexe III de la Convention CITES [6] à la demande de la France a été consacrée le 13 juin 2022, soit durant la période intermédiaire entre la COP 18 et la COP 19. Par conséquent, afin de remédier à cette discordance entre Convention CITES et règlement CITES, le poisson-ange est désormais intégré à l’annexe C du règlement CITES ;
  • inscription et suppression d’espèces à l’annexe D : parmi les végétaux, la famille Dipteryx est désormais classifiée au titre de l’annexe D du règlement CITES.

Par ailleurs, par souci de cohérence avec le contenu des autres annexes du règlement, et afin d’éviter les doublons, certaines espèces qui, à l’occasion de la COP19, ont intégré l’une des annexes de la Convention CITES, ne bénéficient dès lors plus de leur inscription à l’annexe D. C’est notamment le cas des espèces végétales précitées qui ont rejoint l’annexe B.

A l’inverse, le déclassement de certaines espèces au sein des annexes CITES est également synonyme d’un amoindrissement de leur protection en droit européen.

Ainsi, le déclassement de l’annexe I vers l’annexe II respectivement de la population namibienne du rhinocéros blanc, du chien de prairie mexicain, de l’oie bernache des Aléoutiennes, de l’albatros à queue courte, du boa de Porto Rico, de la population de l’aire brésilienne du caïman à museau large et des populations des îles de Palawan du crocodile marin, entraîne mécaniquement leur transfert de l’annexe A vers l’annexe B du règlement CITES.

Enfin, le règlement CITES dans sa version actualisée intègre également aussi bien les modifications apportées à la section interprétation des annexes de la Convention lors de la COP 19, que les nouvelles références de nomenclature pour les animaux et les végétaux.

Ellena Brunetti
Juriste titulaire du CAPA (droit des espèces protégées)

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Notes de l'article:

[1Conférence des Parties

[2Règlement (UE) n° 2023/966 de la Commission du 15 mai 2023 modifiant le règlement (CE) no 338/97 du Conseil afin de tenir compte des modifications adoptées lors de la 19e réunion de la conférence des parties à la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.

[3Directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages.

[4Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.

[5Règlement (UE) 2021/2280 de la Commission du 16 décembre 2021 modifiant le règlement (CE) no 338/97 du Conseil relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce et le règlement (CE) no 865/2006 de la Commission portant modalités d’application du règlement (CE) no 338/97 du Conseil, C/2021/9174, JO L 473 du 30.12.2021, p. 1–130.

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