XIème Assises nationales des avocats d’enfants – 21 et 22 novembre 2008 (ENA, Strasbourg)
Texte de l’intervention de M. Grégory Thuan
(juriste référendaire à la Cour européenne des droits de l’Homme). Mis à jour juin 2009.
INTRODUCTION
I. L’actualité du sujet
Le thème abordé tout au long de ce colloque – la protection de l’enfant et la recherche de son meilleur intérêt – est incontestablement un sujet d’actualité. Il apparaît aujourd’hui comme étant une préoccupation centrale, tant au niveau régional qu’international.
Au niveau international, tout d’abord, il existe assurément une très forte dynamique en faveur des droits de l’enfant qui prévaut actuellement sur la scène internationale. Il n’est évidemment ni le lieu ni le moment d’exposer les grandes étapes de l’évolution des conventions et des traités en la matière, mais force est d’observer que le concept même des droits de l’enfant a considérablement et indéniablement transformé le statut de l’enfant, le faisant passer de sujet effacé à détenteur de droits à part entière. A cet égard, gardons à l’esprit que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant adoptée le 20 novembre 1989, en reconnaissant pour la première fois toute la panoplie des droits de l’Homme (au sens onusien du terme) aux mineurs et en faisant primer l’intérêt de l’enfant sur les autres intérêts concurrents dans les procédures le concernant, reste la pierre d’angle de la protection de l’enfant en droit international. C’est donc un texte fondateur et de référence pour bon nombre de législations nationales, qui constitue un dénominateur commun pour la quasi totalité des Etats du monde.
Au niveau régional, ensuite, le mineur est aujourd’hui au centre de l’action du Conseil de l’Europe (ci-après « CdE »).
Il est effectivement au cœur du programme « Construire une Europe pour et avec les enfants » qui tend à promouvoir de manière effective les droits de l’enfant (en particulier le droit d’accès à la justice nationale et internationale) et à prévenir et à éradiquer toutes formes de violence à l’égard des mineurs, couvrant ainsi les dimensions sociale, juridique, éducationnelle et de santé de la protection des enfants contre les diverses formes de violence.
Le mineur bénéficie en outre de droits et de libertés consacrés par les traités internationaux élaborés et adoptés au sein du CdE. Au nombre des textes spécifiques relatifs à la protection des mineurs figurent notamment :
la Convention pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels du 25 octobre 2007, qui est le premier instrument à ériger en infraction pénale les abus sexuels envers les enfants de toute nature, y inclus le « tourisme sexuel » et « la mise en confiance d’enfants à des fins sexuelles » (« grooming ») ;
la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 (en vigueur depuis février 2008), qui tient particulièrement compte de la vulnérabilité des enfants et de la nécessité de leur apporter une aide et une protection ciblées ;
la Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) du 27 novembre 2008 ;
la Convention sur l’exercice des droits de l’enfant de 1996 (entrée en vigueur en 2000) centrée sur les droits des enfants exercés lors des procédures familiales qui se déroulent devant un tribunal ;
la Convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants du 20 mai 1980
et, dans une moindre mesure, la Convention sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, dont l’article 9 se rapporte aux infractions pénales relatives à la pornographie enfantine.
Au nombre des textes généraux ayant vocation à s’appliquer à tous, sans condition d’âge mais dont les mineurs peuvent tout particulièrement se prévaloir, figurent la Charte Sociale Révisée de 1996, qui prévoit que les jeunes ont droit à une protection spéciale sur le plan social, juridique et économique contre les dangers physiques et moraux auxquels ils sont exposés (articles 7 et 17) et, enfin, la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après « CEDH » ou « la Convention »).
II. La place de l’enfant dans le mécanisme de protection institué par la CEDH
La CEDH est marquée par deux caractéristiques qui sont assez révélatrices de la place qu’occupe le mineur dans le système de protection qui découle de la Convention.
Premièrement, si très peu d’articles de la Convention se réfèrent directement aux mineurs , l’article 1er de la Convention, en revanche, dispose que les États contractants « reconnaissent à toute personne » les droits et libertés garantis par la Convention, et nul ne doute que les mineurs entrent bien dans cette définition. L’enfant jouit donc de tous les droits garantis par la Convention et ses protocoles au même titre qu’une personne adulte. Deuxièmement, de manière cohérente avec l’article 1er, l’article 34 de la CEDH dispose que « La Cour peut être saisie d’une requête par « toute personne » qui se prétend victime d’une violation des droits reconnus par la Convention ». Autrement dit, un enfant peut saisir directement la Cour, même s’il ne dispose pas de la capacité juridique pour ester en justice en droit interne.
Cependant, en pratique, très peu, trop peu de requêtes ont été portées directement par des mineurs devant la Cour, un certain nombre d’obstacles juridiques, économiques et sociaux notamment empêchant le mineur de jouir du droit d’accès au droit et à la justice internationale. Les principaux écueils à la saisine directe de la Cour tiennent en fait, d’une part, à un manque criant d’informations des enfants sur leurs droits et, d’autre part, au manque de capacité juridique de l’enfant pour agir en droit interne. Cette incapacité juridique pose en outre la question de savoir si le mineur doit épuiser les recours qui lui sont accessibles par l’intermédiaire de son représentant légal dans la mesure où, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention, les voies de recours internes doivent avoir été valablement épuisées avant toute saisine de la Cour.
La Cour est donc tributaire, en grande partie, de la volonté des parents et/ou des représentants légaux des enfants puisqu’il est constant que ce sont eux, la plupart du temps, qui introduisent une requête à Strasbourg dans les affaires relatives en particulier au droit de la famille, estimant qu’ils défendent là non seulement leur intérêt propre, mais aussi l’intérêt qu’ils estiment être celui de leurs enfants.
Ceci dit, le fait que peu d’enfants aient saisi directement la Cour ne signifie pas que celle-ci n’ait pas eu à traiter des affaires concernant leurs droits. En fait, leur nombre est en constante évolution et la Cour a eu l’occasion d’examiner d’importants problèmes de société concernant les mineurs, en adoptant une interprétation évolutive des droits que la Convention leur garantit. Sur ce dernier point, au titre des principes généraux gouvernant la CEDH, permettez-moi de vous donner quelques clés de lecture pour mieux comprendre comment la Cour appréhende l’instrument pour lequel elle a été créée. Une des règles essentielles du travail d’interprétation de la Cour réside dans le fait que la Convention est un instrument vivant qui doit s’adapter aux réalités de la société dans laquelle nous vivons. C’est ce qui oblige la Cour à s’engager dans la voie d’une interprétation évolutive dynamique parfois surprenante. A cet égard, et en particulier, le développement, au côté des obligations négatives, des obligations positives pesant sur les Etats, de même que l’application horizontale de la Convention, jusque et y compris dans les relations entre particuliers, ont joué – nous le verrons – un rôle important dans le domaine des droits de l’enfant.
Je vais donc tenter de vous montrer, dans la jurisprudence de la Cour, la nature et l’objet des affaires qui ont été introduites par des enfants ou qui concernent ceux-ci, en dégageant des grands thèmes qui recoupent en fait les ateliers de travail qui suivront dans la journée.
I. LA PROTECTION (SPECIALE) DU MINEUR VICTIME D’INFRACTION
A) Une protection qui passe nécessairement par la loi
Cette protection implique d’abord de garantir l’accès de l’enfant victime au droit (1) pour ensuite lui faire bénéficier d’un cadre législatif « suffisamment » protecteur (2).
1. Garantir l’accès à la justice pénale.
Le premier problème qui se pose à un enfant victime de sévices, d’abus sexuels ou d’un autre type de traitement contraire à la Convention est celui de l’accès aux tribunaux, et notamment la possibilité de porter plainte contre son agresseur.
L’arrêt paradigmatique est ici sans nul doute X. et Y. c. Pays-Bas du 26 mars 1985 [1], qui concernait le viol d’une jeune handicapée mentale de seize ans, dans un foyer privé pour enfants atteints de déficience mentale, par le gendre de la directrice du foyer. A l’époque des faits, il était impossible pour le père de procéder à des poursuites pénales au nom de sa fille, et impossible pour celle-ci d’introduire ces poursuites en raison de son incapacité mentale, le père ne pouvant agir que si sa fille avait moins de seize ans.
La Cour, se fondant sur les obligations positives de l’Etat vis-à-vis de la protection des mineurs contre des abus ou sévices, estima que la voie pénale instituée en droit néerlandais – seule susceptible d’assurer une prévention efficace et nécessaire contre ce type de méfaits – n’assurait pas une protection concrète et effective et conclut, dès lors, que la requérante avait été victime d’une violation de l’article 8, pris sous l’angle du droit à l’autonomie comme élément du droit à la vie privée. Fort opportunément, une loi du 27 février 1985 est venue amender le code pénal néerlandais de sorte que le représentant légal peut désormais agir en pareil cas. Depuis lors, la Cour a souligné à plusieurs reprises la nécessité de prévoir le recours à la voie pénale pour protéger les enfants.
2. Un cadre législatif suffisamment protecteur
Le mineur est en droit de jouir d’un cadre législatif incriminant et réprimant de manière « effective » l’infraction pénale dont il a été victime.
L’arrêt Siliadin c. France du 26 juillet 2005, qui concerne une adolescente togolaise de 15 ans, victime de ce que l’on appelle communément aujourd’hui « l’esclavage domestique », illustre particulièrement bien la problématique.
Dans cette affaire, la requérante avait été tenue en état de « servitude », au sens de l’article 4 de la Convention (interdiction de la servitude), la Cour tenant compte, pour parvenir à cette conclusion, du fait qu’elle était étrangère en séjour irrégulier en France, qu’elle était mineur et totalement à la merci des personnes pour lesquels elle travaillait quinze heures par jour, sans rémunération et sans aucune liberté de mouvement. La Cour constata toutefois que la législation pénale française ne lui avait pas offert une protection « suffisante » contre cet état de fait, dans la mesure où le code pénal ne prévoyait pas le délit en question [2], que les dispositions dudit code manquaient de précision et étaient susceptibles d’interprétations variant largement d’un tribunal à l’autre (notamment sur les notions d’abus, de vulnérabilité, de situation de dépendance et de dignité humaine) entraînant ainsi des ambiguïtés préjudiciables à leur application. Enfin, elle s’étonna de ce que les personnes responsables de sa situation, s’ils furent poursuivies, ont été par la suite relaxés sur le plan pénal pour être seulement condamnées, sur le plan civil, à payer des dommages-intérêts alors que, aux yeux de la Cour, la réponse la plus adéquate au regard de la gravité des faits passait nécessairement par une réponse pénale.
B) Une pratique adéquate, corollaire de la protection par la loi
Une fois le cadre législatif mis en place, une protection efficace du mineur victime implique une application et une interprétation adéquate de la loi par le juge, sous peine de vider celle-ci de sa substance et de son effet dissuasif.
Un arrêt important, M.C. c. Bulgarie du 4 décembre 2003, mérite d’être ici signalé.
L’affaire concernait le viol d’une jeune mineur de 14 ans n’ayant opposé aucune « résistance physique notable » à ces agresseurs, étant paralysée par la peur. Elle ne put obtenir leur condamnation pour ce motif là, et sa plainte fut classée sans suite. Devant la Cour, elle dénonçait la pratique courante des juridictions internes consistant à ne poursuivre les auteurs de viol que lorsqu’il existait des preuves d’une « résistance physique notable », critère qui, à ses yeux, était ajouté à la loi pénale bulgare laquelle restait muette sur ce point.
La Cour considéra que la démarche adoptée par les autorités judiciaires bulgares était excessivement restrictive pour la victime, en cela qu’elles avait élevé la « résistance physique » au rang d’élément constitutif de l’infraction de viol, alors que les normes contemporaines de droit international et de différents systèmes juridiques européens punissent toutes les formes de viol et de violence sexuelle, le seul critère déterminant étant celui de l’absence de consentement de la victime, et nullement celui de la résistance physique. L’interprétation donnée du juge bulgare dans cette affaire ne cadrait manifestement pas, selon la Cour, avec les obligations positives découlant des articles 3 (interdiction des traitements dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention, ce qui aboutit à un double constat de violation des dispositions précitées.
Un arrêt plus récent, Okkali c. Turquie, rendu le 17 octobre 2006, a permis à la Cour d’étoffer sa jurisprudence quant aux obligations positives de l’Etat en matière de poursuites pénales. Le requérant, un mineur de douze ans placé en garde à vue, avait subi des mauvais traitements lors de son interrogatoire au commissariat de police. Sa plainte avait débouché sur la condamnation des policiers auteurs des sévices à des peines minimales, dont il avait été sursis à l’exécution. Aucun dédommagement ne fut accordé au mineur, son action ayant été déclarée prescrite. Outre le constat que la procédure ainsi menée a abouti à une impunité des responsables des mauvais traitements, la Cour a considéré qu’en appliquant et en interprétant la législation nationale a minima, les juges nationaux avaient réduit à peau de chagrin l’effet dissuasif de l’acte illégal d’une extrême gravité et avaient ainsi manqué à leur obligation de prévenir toute apparence de tolérance d’un tel acte. Elle parvint à la conclusion que « l’issue de la procédure pénale litigieuse n’a pas offert un redressement approprié de l’atteinte portée à la valeur consacrée dans l’article 3 de la Convention, [et souligna] qu’aucune voie civile n’aurait pu remédier à la situation décrite ci-dessus ».
C) Une protection contre toutes formes de violences
Au-delà de la question des violences policières commises sur des mineurs en garde à vue que la Cour a eu l’occasion de connaître , ainsi que des châtiments corporels atteignant une certaine intensité qui sont encore largement répandus en Europe , mon propos vise deux formes particulières de violence, véritables fléaux dans nos société actuelles.
1. Les violences occasionnées au sein de la cellule familiale
La Cour a eu plusieurs fois l’occasion de se prononcer sur des actes de violences physiques contre des enfants intervenus au sein de leur propre famille, et de faire ainsi une application horizontale de la Convention, sous l’angle des articles 2 (droit à la vie) et 3 de la Convention.
L’arrêt E. et autres c. Royaume-Uni du 26 novembre 2002 constitue une décision importante dans la mesure où, pour la première fois, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention, sous l’angle des obligations positives de l’Etat, en raison de la « grave défaillance » des autorités compétentes de l’Etat et des services sociaux à leur devoir de protéger les enfants ou, à tout le moins, de minimiser les risques de maltraitance. Dans cette affaire, les requérants mineurs étaient tous victimes de violences physique et sexuelle de la part de leur beau-père, lequel avait déjà été condamné à plusieurs reprises pour ce type d’infractions à leur encontre. Celui-ci jouissait d’une « liberté surveillée » sans aucun contrôle qu’il ne respectait d’ailleurs même pas, sans que les services sociaux et l’autorité de police, tous deux alertés de la situation par divers signalements, prennent leur responsabilité. Les autorités et les services sociaux savaient ou auraient dû savoir que les enfants étaient face à un danger réel, et n’ont pas agi en temps voulu.
Plus topique encore est l’arrêt de Grande Chambre Z. et autres c. Royaume-Uni du 10 mai 2001, dans lequel la Cour souligna la responsabilité quasi exclusive des services sociaux en cause. La requête concernait quatre enfants laissés par leurs parents à l’abandon et livrés à eux-mêmes dans des conditions d’hygiène et de salubrité alarmantes pendant plusieurs années. En dépit de signes de commencement de maltraitance physique, les services sociaux, régulièrement alertés de la situation notamment par la mère elle-même qui s’estimait incapable de faire face à ses obligations, ne crurent pas bon de les inscrire sur la liste des mineurs à risque.
Dans ces affaires la Cour a conclu en outre à l’existence d’une violation de l’article 13 de la Convention , relevant que, selon la jurisprudence de la House of Lords, les mineurs ne pouvaient pas s’adresser aux tribunaux pour réclamer des dommages-intérêts pour la négligence de l’autorité locale .
Dans une affaire récente, Kontrová c. Slovaquie du 31 mai 2007, concernant la mort des enfants infligée par leur père qui s’était déjà montré violent avec eux, la Cour a constaté une violation de l’article 2 en raison de l’inaction des autorités compétentes (notamment la police), lesquelles avaient failli à leur obligation positive de prendre les mesures préventives nécessaires pour protéger la vie des enfants .
Cette obligation n’est cependant pas illimitée : il faut que l’autorité compétente ait su ou aurait dû savoir que les enfants étaient face à un danger réel. Dans une affaire contre le Royaume Uni, D.P et J.C du10 octobre 2002, la Cour a conclu qu’il n’avait pas été prouvé que l’autorité locale était au courant des abus du beau-père sur les enfants.
2. Protection des mineurs contre les prédateurs sexuels sur internet
Dans une très récente affaire, K.U. c. Finlande (arrêt du 2 décembre 2008), concernant le domaine des télécommunications en pleine expansion, la Cour souligna le risque de « menace potentielle » que peut constituer le réseau internet pour un mineur, et appliqua le concept des obligations positives, cette fois sous l’angle de l’article 8 de la Convention.
La requête concernait un enfant de douze ans victime de la mise en ligne, par un inconnu, sur un site Internet de rencontres, d’une annonce à caractère sexuel. Son père ne put faire poursuivre le coupable, la législation finlandaise de l’époque ne permettant pas à la police ou à la justice d’exiger du fournisseur d’accès à Internet qu’il identifie l’auteur de l’annonce. Constatant un déséquilibre entre la confidentialité des données à la disposition des services d’Internet et la protection des mineurs, au détriment de ces derniers, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
D) Une protection procédurale de l’enfant victime lors du procès pénal
La Cour a eu l’occasion d’apprécier la position de l’enfant victime – notamment d’abus sexuels – lors de la procédure pénale suivie contre son agresseur, et en particulier la manière de recueillir son témoignage.
1. le cas des témoignages
L’éprouvante confrontation avec son agresseur peut représenter pour l’enfant victime une épreuve supplémentaire au préjudice qu’il ou elle a déjà subi. Bien que les éléments de preuve, comprenant le droit d’interroger ou de faire interroger des témoins, dussent normalement être produits devant l’accusé en audience publique en vue d’un débat contradictoire, ce principe connaît des exceptions. Dès lors, des mesures peuvent être prises afin de protéger la victime et éviter que ses intérêts soient mis en péril, si et dans la mesure où elles sont compatibles avec l’exercice effectif des droits de la défense. Tel fut le principe posé dans l’arrêt du 2 juillet 2002 S.N. c. Suède, dans lequel la victime avait été interviewée par la police et un enregistrement vidéo de l’interview fut visionné par le tribunal, afin d’évaluer le témoignage : lorsque les tribunaux et l’accusé sont à même de vérifier la fiabilité des preuves données par une jeune victime, le principe d’un procès équitable est respecté.
Dans des affaires postérieures, toutefois, la Cour a conclu à la violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1, lorsque les enfants victimes avaient été entendus par la police, sans que l’accusé ou son avocat n’aient eu la possibilité de voir un enregistrement de l’entretien, ni de poser des questions aux enfants [3]. La Cour est arrivée à la même conclusion dans l’affaire W.S. c. Pologne , où le père avait été accusé d’abus sexuels à l’encontre de sa fille de deux ans dans le cadre d’une procédure de divorce. Pour condamner le requérant, le tribunal s’était fondé sur les rapports d’un expert qui avait interviewé la victime, incapable d’être interrogée par la police en raison de son âge. Cependant, cet entretien n’avait pas été enregistré, et ni le tribunal ni l’accusé n’en avaient eu connaissance. Eu égard à la place prééminente du droit à un procès équitable en Europe, il semble que l’on assiste à un mouvement jurisprudentiel de plus en plus exigeant en la matière [4].
2. La limitation de la publicité des débats
Dans une décision d’irrecevabilité, Tamburini c. France, 7 juin 2007, la Cour a estimé que le huis clos des débats devant une Cour d’Assises était une mesure qui correspondait à un besoin manifeste de protection de la vie privée de la victime mineure partie civile, ce qui entrait dans le champ des restrictions à la publicité des débats énumérées à l’article 6 § 1 de la Convention.
II. LE MINEUR DELINQUANT
A) La privation de liberté du mineur
L’article 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit, aux alinéas (a) et (c), plusieurs conditions relatives à la détention avant et après le procès. Dans le cas de délinquants mineurs, toutefois, l’emprisonnement ne doit être qu’une mesure de dernier recours, que l’on se trouve au stade de l’enquête préliminaire ou à celui de l’exécution de la peine.
1. La détention du mineur avant condamnation
Lorsque des soupçons, au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention, pèsent sur un mineur et conduisent à son arrestation et à son placement en garde-à-vue, ce dernier doit bénéficier, pour se conformer aux exigences découlant du droit à un procès équitable de la Convention, de l’assistance effective d’un avocat, au besoin commis d’office, dès les premiers stades des interrogatoires de la police. C’est dans un arrêt très récent, rendu en Grande Chambre (Salduz c. Turquie, du 27 novembre 2008), que la Cour, renvoyant au nombre important d’instruments juridiques internationaux traitant de l’assistance juridique devant être octroyée aux mineurs en garde-à-vue, a souligné « l’importance fondamentale de la possibilité pour tout mineur placé en garde à vue d’avoir accès à un avocat pendant cette détention » pour conclure en l’espèce à la violation des articles 6 §§1 et 3 c) de la Convention .
La détention provisoire d’un mineur, conformément à l’article 5 § 3 de la Convention, doit reposer sur des motifs particulièrement pertinents et suffisants, compte tenu de l’âge de l’intéressé. En outre, la durée raisonnable de la détention provisoire doit être évaluée en fonction des circonstances de la cause, et notamment de l’âge et de la personnalité de la personne arrêtée. Bref, la détention provisoire d’un mineur devrait en toute logique être plus courte que celle d’une personne adulte. Lorsque les autorités ne tiennent pas compte de l’état de minorité du détenu afin de justifier un placement ou un maintien en détention, la Cour peut y voir une violation de la Convention. Dans l’affaire Selçuk c. Turquie (arrêt du 10 janvier 2006), la Cour a estimé que, les autorités nationales n’ayant à aucun moment tenu compte de l’âge du requérant pour décider du prolongement de sa détention (laquelle durait déjà depuis plus de quatre mois), il y avait eu violation de l’article 5 § 3 .
2. La régularité de la détention du mineur après condamnation
Aux termes de l’article 5 § 1 d) de la Convention, la détention régulière d’un mineur ne peut être autorisée que pour son « éducation surveillée » ou « afin de le traduire devant l’autorité compétente ». Le moindre degré de maturité des mineurs devant faire l’objet d’une attention particulière, l’objectif de cette disposition vise ainsi à protéger ceux-ci d’une détention arbitraire.
Très tôt, la Cour a connu d’une affaire dans laquelle un jeune marocain de 17 ans avait été placé, à neuf reprises, en détention en maison d’arrêt, pour des durées brèves et définies, en raison de l’impossibilité matérielle de trouver une personne ou une institution en mesure de l’accueillir sur-le-champ. Il resta en prison environ 119 jours. Or, en droit belge, ces différents placements en prison auraient dû déboucher à bref délai (15 jours) sur l’application effective d’un régime d’éducation surveillée, comme le prévoyait pourtant la loi elle-même. De l’avis de la Cour, il incombait à l’Etat belge, qui avait choisi le système de l’éducation surveillée pour mener sa politique en matière de délinquance juvénile, de se doter d’une infrastructure adaptée aux impératifs de sécurité et aux objectifs pédagogiques affichés pour remplir ces fonctions. Les diverses détentions subies par le requérant, qui ne pouvaient être considérées comme tendant à un but éducatif, étaient donc irrégulières [5].
Pareillement, dans l’arrêt D.G. c. Irlande du 16 mai 2002, la Cour a jugé que la détention provisoire d’un mineur pendant plusieurs mois en prison, du seul fait de l’absence de structures d’accueil appropriées à un régime d’éducation surveillée, ne saurait passée pour régulière aux fins de l’article 5 de la Convention. .
B) Des garanties procédurales adaptées au mineur délinquant lors de son procès
Au même titre que pour les adultes, les procédures pénales concernant les mineurs doivent s’entourer des garanties procédurales prévues à l’article 6 de la Convention, notamment en ce qui concerne les droits de la défense. Elles doivent même s’adapter à l’enfant, si celui-ci est trop immature, pour lui garantir un procès équitable.
1. Les garanties structurelles
Si, en matière de traitement pénal des mineurs et des adolescents, les législations européennes diffèrent quant aux garanties touchant à l’organisation de la justice des mineurs, de nombreux systèmes judiciaires ont créé des juridictions spécialisées dotées de procédures spécifiques visant à rééduquer l’enfant plutôt que de le punir. Dans cette configuration, très souvent, un même juge se charge d’instruire l’affaire avant de se prononcer, au fond. Ce cumul des fonctions d’instruction et de jugement peut soulever, sur le plan des principes, des interrogations quant à l’impartialité objective du tribunal pour enfant.
Pourtant, en l’affaire Nortier c. Pays-Bas (arrêt du 24 août 1993), dans laquelle toute la procédure s’était déroulée devant le même juge pour enfant qui cumulait, à l’instar du juge français des enfants, les fonctions d’instruction et de jugement , la Cour conclut à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Cet arrêt, qui peut s’expliquer par des considérations liées à l’intérêt du mineur délinquant , n’en reste pas moins un cas d’espèce, dans la mesure où la Cour, pour parvenir à une non-violation, s’est appuyée sur le fait que le juge néerlandais, à l’exception (notable) de la détention provisoire du requérant, n’avait pas usé de ses pouvoirs de juge d’instruction, et que le mineur, assisté par un avocat tout au long de la procédure, avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés dès le début de l’instance.
2. Participation effective du mineur à son procès
Dans certains pays, les tribunaux pour enfants n’existent pas. Les mineurs y sont jugés par les mêmes tribunaux que les adultes. Dans ce cas, les garanties procédurales entourant le procès du mineur doivent tendre vers un unique but : la participation effective de l’enfant à son procès.
Deux affaires britanniques, rendues par la Grande chambre de la Cour, sont paradigmatiques en la matière. Il s’agit des affaires V. c. Royaume-Uni et T. c. Royaume-Uni (arrêts du 16 décembre 1999), qui concernaient la condamnation, par un tribunal pour adultes, de deux mineur de dix ans pour le meurtre d’un petit enfant de deux ans dans des circonstances effroyables. La Cour fixa sa jurisprudence en ce domaine, relatif à l’autonomie processuel du droit pénal des mineurs, en soulignant « qu’il est essentiel de traiter un enfant accusé d’une infraction d’une manière qui tienne pleinement compte de son âge, de sa maturité et de ses capacités sur le plan intellectuel et émotionnel, et de prendre des mesures de nature à favoriser sa compréhension de la procédure et sa participation à celle-ci » . Elle conclut qu’il y avait eu violation du droit des requérants mineurs à un procès équitable au motif qu’ils n’avaient pu participer réellement au procès en raison de leur immaturité, de leur situation psychologique fragilisé (situation constatée par des expertises médicales) par la tension extrême qui régnait dans la salle d’audience et en raison de l’absence d’un véritable dialogue avec leur avocats respectifs.
Dans une affaire plus récente, S.C. c. Royaume-Uni (arrêt du 15 juin 2004), la Cour précisa qu’une participation réelle de l’enfant dans la procédure présupposait que l’accusé comprenne « globalement la nature et l’enjeu pour lui du procès, notamment la portée de toute peine pouvant lui être infligée » , notamment en conduisant le procès de façon à réduire autant que possible l’intimidation et l’inhibition de l’intéressé. Cela signifie que le mineur (si nécessaire avec l’assistance d’un interprète, d’un avocat, d’un travailleur social ou encore d’un ami) doit être en mesure de comprendre dans les grandes lignes ce qui se dit au tribunal, et être à même de suivre les propos des témoins à charge et, s’il est représenté, d’exposer à ses avocats sa version des faits, de leur signaler toute déposition avec laquelle il n’est pas d’accord et de les informer de tout fait méritant d’être mis en avant pour sa défense.
III. LE MINEUR ET SA FAMILLE
Les relations complexes de l’enfant avec sa famille sont certainement le domaine dans lequel la jurisprudence de la Cour relative au mineur s’est le plus développée. Est ici en jeu, essentiellement, l’article 8 de la Convention, qui garantit « le droit au respect de la vie privée et familiale », mais également l’article 6 (le droit à un procès équitable). Le mineur et sa famille, c’est avant tout le rattachement, d’un point de vue juridique, de l’enfant à une famille, puis son maintien au sein de celle-ci.
A) Le rattachement de l’enfant à une famille
Les relations familiales impliquent en effet le rattachement du mineur à une famille, mais pas nécessairement la sienne. La traduction du lien factuel ou biologique en un lien juridique (la filiation) a donné lieu à la consécration par la Cour à un droit de l’enfant à l’établissement de sa filiation et, en outre, a permis à la Cour de développer un droit de connaître ses origines, dont le champ d’application est plus large que le droit à l’établissement d’une filiation.
1. Le droit de l’enfant à l’établissement de sa filiation
Très tôt, la Cour a affirmé que la protection de la vie familiale impliquait la reconnaissance juridique des relations familiales, et que ce droit devait bénéficier à tous les enfants, légitimes ou naturels , alors même que la Convention ne consacre pas directement un tel droit.
Si la Cour a admis qu’une action en désaveu de paternité pouvait être soumise à des délais très courts dans l’intérêt de l’enfant et de la sécurité juridique , elle a en revanche considéré que des normes excessivement strictes à cet égard relatives à la possibilité de contester la présomption légale de paternité du mari concernant l’enfant né pendant le mariage, soit par l’épouse [6], soit par l’époux [7], étaient contraires aux articles 6 § 1 (accès à un tribunal) et/ou 8 (vie privée). La Cour a par ailleurs estimé que le droit à l’établissement de la filiation, vu comme le droit de traduire le lien biologique et affectif existant entre un enfant et l’un de ses parents en termes juridiques, pouvait aboutir à faire prévaloir la réalité biologique et sociale sur une présomption légale de paternité légitime. Dans un arrêt relativement récent, Rozanski c. Pologne du 18 mai 2006, la Cour a en effet considéré que le fait, pour un père biologique d’avoir été empêché d’établir sa paternité en raison de l’établissement de cette paternité par le nouveau compagnon de la mère de son enfant constituait une violation de son droit au respect de sa vie familiale.
Le cas des adoptions :
Bien que la CEDH ne garantisse pas un droit à l’adoption, la Cour a appliqué l’article 8 de la Convention aux demandes d’agrément, émanant de célibataires en vue d’adopter un enfant, lorsque la législation nationale accordait expressément à ces personnes le droit de demander un tel agrément. Dans l’affaire E.B. c. France, rendue en Grande chambre le 18 janvier 2008, elle est revenuE sur une précédente affaire [8] en considérant que le refus opposé par les autorités nationales à la requérante, célibataire homosexuelle déclarée, avait été dicté par des considérations discriminatoires au regard de la Convention, tenant notamment à son orientation sexuelle.
Une fois l’adoption prononcée, la Cour estime dès lors que les relations entre l’adoptant et l’adopté « sont en principe de même nature que les relations familiales protégées par l’article 8 » [9] et n’admet pas qu’un enfant adopté puisse ne pas jouir des mêmes droits, notamment successoraux, qu’un enfant par le sang [10]. Quant à l’effet d’un jugement d’adoption, la Cour a considéré, dans l’arrêt Wagner c. Luxembourg du 28 juin 2007, que le refus des autorités luxembourgeoises de donner l’exequatur à un jugement d’adoption plénière péruvien, au motif qu’une telle adoption par une personne célibataire au Luxembourg n’était pas admise, portait une atteinte disproportionnée à la vie familiale de l’enfant – au regard de son intérêt supérieur puisqu’il ne disposait d’aucune protection juridique – ainsi qu’à sa mère adoptive.
2. Le droit de connaître ses origines
Dès l’arrêt Gaskin c. Royaume-Uni, du 7 juillet 1989, la Cour avait déjà souligné que le requérant, un enfant qui avait fait l’objet d’un placement à l’assistance publique, conservait un « intérêt primordial, protégé par la Convention, à recevoir les renseignements qu’il [lui] faut pour connaître et comprendre [son] enfance ». Ce faisant, elle reconnut que le droit du mineur à accéder à son dossier personnel était un corollaire du droit de connaître les circonstances de son enfance. A ses yeux, le refus de lui octroyer même un accès partiel à ce dossier constituait, en l’absence d’un organe indépendant chargé de statuer sur la question de l’accès, une atteinte excessive au respect de sa vie privée et familiale.
Ultérieurement, la Cour a reconnu le droit d’un enfant de connaître les éléments de sa filiation [11], pour en déduire que le droit de connaître ses origines appartient au noyau dur du droit au respect de la vie privée [12].
Sur la question des moyens pouvant être mis en œuvre pour connaître ses origines, la Cour, dans l’affaire Mikulić c. Croatie relative à une action en recherche de paternité, a souligné que l’absence de toute mesure procédurale de nature à contraindre le père prétendu de la requérante à se plier à l’injonction d’un tribunal de se soumettre à un test ADN, n’était pas conforme au principe de proportionnalité découlant de l’article 8 de la Convention, dans la mesure où le système national en question n’offrait aucun autre moyen grâce auquel une autorité indépendante pouvait statuer rapidement sur l’action en recherche de paternité. La Cour va encore plus loin dans l’affaire Jäggi c. Suisse précitée, lorsqu’elle condamne la Suisse pour avoir refuser d’exhumer, à des fins d’expertise ADN post-mortem, le corps de celui dont le requérant alléguait qu’il était son père. En revanche la Cour s’est montrée plus restrictive en ce qui concerne le droit d’un enfant né en France d’un accouchement sous X de connaître ses origines, estimant que l’impossibilité pour une personne d’obtenir la communication d’éléments d’identifications sur sa famille naturelle n’emportait pas violation de l’article 8 [13].
B) Le maintien du lien familial
Les mesures prises par les autorités internes dans le cadre des procédures relatives à l’assistance éducative, au placement des mineurs ainsi qu’à la détermination des droits de garde, de visite et d’hébergement constituent, aux yeux de la Cour, une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale des parents et du ou des mineurs concernés, dont l’objectif est de prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics. La Cour a ainsi connu d’un très important contentieux lié au droit respect de la vie familiale qu’il m’est impossible d’exposer dans les détails à l’occasion de cette conférence. Je souhaite néanmoins vous en exposer les grandes lignes.
1. Principes issus de la jurisprudence de la Cour
Pour apprécier la nécessité et donc la proportionnalité des mesures litigieuses, la Cour examine si les motifs invoqués par les juridictions nationales pour les justifier sont pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8, et s’ils reposent sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant, lequel peut primer sur celui de ses parents dans la mise en balance des intérêts concurrents.
Dans le cadre de la protection de l’enfant en danger, la Cour, pour apprécier en particulier la nécessité de le prendre en charge et de le confier temporairement à un organisme spécialisé, reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude en la matière. Elle ne met généralement pas en doute la pertinence des décisions aboutissant au placement du mineur prises par les autorités ou les juridictions compétentes , sauf en cas d’arbitraire [14]. Elle se satisfait donc en principe des raisons invoquées par les juridictions internes sur ce point.
En revanche, elle exerce un contrôle plus poussé sur les restrictions supplémentaires au placement comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents et au maintien du contact enfant-parent. La Cour met à la charge de l’Etat l’obligation positive de prendre des mesures tendant à faciliter la reconstitution de la cellule familiale ou, pour le moins, à maintenir autant que faire se peut un minimum de vie familiale. Le critère décisif en la matière est de déterminer si les autorités ont pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles, c’est-à-dire si elles ont entrepris de réels efforts, sérieux et soutenus, à cette fin.
Sont alors pris en compte plusieurs éléments :
a) Les efforts des autorités tendant à favoriser la collaboration, la compréhension et la coopération des personnes concernées.
b) L’exploitation des mesures légales à la disposition des juges en droit interne.
c) La réponse des autorités nationales vis-à-vis du parent avec lequel vit l’enfant lorsque son comportement, manifestement obstructif, fait délibérément échec aux tentatives de contact avec l’autre parent.
Dans l’affaire Zavrel c. République Tchèque (arrêt du 18 janvier 2007), l’enfant avait développé envers son père un syndrome d’aliénation parentale et refusait catégoriquement de le voir. La Cour, après avoir relevé notamment un manque de perspicacité des autorités, considéra que l’absence totale de mesures de sanction envers le parent aliénant (la mère) avait entrainé la tolérance de facto, de la part des autorités, de son comportement obstructif visant à rendre ineffectif un droit de visite dûment institué, alors que le père avait des qualités éducative et parentale reconnues. Elle conclut à une violation de l’article 8 de la Convention.
Dans les affaires relatives aux enlèvements d’enfants ayant une dimension internationale, si des mesures coercitives ne sont pas souhaitables dans ce domaine du droit familial, le recours à des sanctions ne doit pas être écarté en cas de comportement illégal du parent avec lequel vivent les enfants [15]. L’imposition d’une amende et d’une ordonnance de détention, non exécutées, ne reflète pas d’effort effectif et adéquat de la part des pouvoirs publics pour réunir le parent et son enfant [16].
d) Le niveau de diligence pris car le passage du temps peut avoir des effets irrémédiables sur la relation parent-enfant.
La Cour l’a souligné à maintes reprises : les affaires concernant les relations entre un parent et son enfant doivent être traitées avec une diligence toute particulière, étant donné le risque que le passage du temps ne finisse par régler de facto la situation et par amputer les relations familiales entre un enfant et ses deux parents ou l’un des deux . La Cour a ainsi jugé, dans l’affaire Hokkanen c. Finlande (arrêt du 23 septembre 1994) que l’inobservation du droit de visite du père pendant environ trois ans et demi portait atteinte à l’article 8.
Des mesures rapides sont également nécessaires dans les cas d’enlèvement d’enfant. Interprétant la Convention à la lumière de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, et en particulier de son article 11 [17] , la Cour considère que les autorités nationales manquent à leurs obligations positives au regard de l’article 8 lorsqu’il s’écoule un délai de plus de dix-huit mois entre la date à laquelle le requérant a demandé le retour de l’enfant et celle de la décision définitive J [18] .
2. Les garanties procédurales
Davantage que le fond des raisons invoquées, la Cour exerce aussi (et surtout) un contrôle plus rigoureux sur les garanties procédurales offertes aux parents et à l’enfant, puisqu’elle estime que le processus décisionnel doit être « équitable ». Elle a en effet développé une jurisprudence tendant à déduire de l’article 8 une protection procédurale de plus en plus exigeante.
a) Étant donné l’impact de ce genre d’affaires dans le maintien de l’unité de la famille et des relations entre les différents membres de celle-ci, les parents doivent pouvoir participer de manière effective au processus décisionnel durant toutes les phases (administratives et judiciaire) de la procédure. Ils doivent être en mesure de présenter leurs arguments par écrit ou oralement et avoir accès aux éléments essentiels du dossier [19].
b) Les parents sont en outre en droit d’attendre que les décisions rendues par les tribunaux civils, tant dans des affaires concernant la levée de mesures de placement d’enfants , que dans celles relatives à l’exercice du droit de visite après divorce , soient rapidement et pleinement exécutées.
Dans l’arrêt Plasse-Bauer c. France du 28 février 2006, la Cour constata que la non-exécution d’une décision de justice accordant un droit de visite à la mère, du fait de l’impossibilité matérielle pour l’association gérant le point rencontre où devait se déroulait les visites, d’assurer la présence d’un tiers comme il était stipulé dans ladite décision, fut la cause directe de l’interruption des rencontres entre la requérante et sa fille. Elle releva en outre que les autorités internes avaient manqué à leur obligation de vérifier préalablement la possibilité pour l’association désignée d’assurer les modalités du droit de visite prévues, et en déduisit qu’en s’abstenant de prendre des mesures efficaces et nécessaires pour se conformer à une décision judiciaire exécutoire, les autorités judiciaires avaient privé les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.
La non-exécution des décisions de justice a par ailleurs entraîné une remarquable augmentation des affaires relatives à l’enlèvement international d’enfants et à l’application de la Convention de la Haye précitée, qui commande le retour immédiat de l’enfant au parent qui s’est vu confié la garde [20].
c) L’importance donnée à la parole de l’enfant et à ses souhaits est une garantie procédurale de plus en plus affirmée par la Cour. Bien qu’il n’y ait pas de disposition spécifique sur l’audition de l’enfant, la Cour semble suivre le mouvement amorcé au niveau international en faveur du recueillement et de la prise en compte de la parole de l’enfant. Elle adopte toutefois une attitude casuistique de la question, et ne semble pas avoir fixé sa jurisprudence.
Il n’existe pas d’obligation générale et systématique d’entendre le mineur.
Dans une affaire de Grande Chambre, Sahin c. Allemagne du 8 juillet 2003, la Cour a expressément estimé que « ce serait aller trop loin » que d’imposer aux tribunaux internes une audition systématique de l’enfant en audience « lorsqu’est en jeu le droit de visite d’un parent n’exerçant pas la garde », et ajouta que « cela dépend des circonstances particulières de chaque cause et compte tenu de l’âge et de la maturité de l’enfant concerné. »
Sur le poids accordé à la parole de l’enfant.
C’est dans une affaire relative au placement d’un enfant qui refusait de recevoir les visites de son père que la Cour a accepté l’opinion, exprimée par la cour d’appel d’Helsinki, d’après laquelle la fille (âgée de douze ans) du requérant « était devenue suffisamment mûre pour que l’on tînt compte de son avis, et qu’il ne fallait donc pas autoriser des visites contre son gré » [21]. De même, dans l’affaire Bronda c. Italie susmentionnée, la Cour a attaché une importance particulière au fait que la jeune fille, alors âgée de quatorze ans, avait manifesté fermement sa volonté de ne pas quitter sa famille d’accueil.
Toutefois, la Cour a accepté que l’audition de l’enfant puisse être écartée.
Lorsque les conditions de recueil de la parole de l’enfant ne sont pas satisfaisantes, notamment quand celui-ci fait face à de fortes pressions parentales, son avis peut ne pas être pris en compte [22]. En raison de son âge et de son manque de maturité, la Cour considère que son audition peut même être inutile Eskinazi et chellouche c. Turquie, décision du 6 décembre 2005. Enfin, le poids accordé aux souhaits de l’enfant par les juridictions peut être excessif et contrevenir ainsi à son propre intérêt. La Cour est parvenue à un constat de violation de l’article 8 dans une affaire où la Cour suprême de Finlande s’était exclusivement fondée sur l’avis des enfants pour refuser à leur père le bénéfice du droit de garde, sans prendre en considération d’autres éléments qui jouaient clairement en faveur du père et aussi dans leur propres intérêts, sans tenir d’audience et sans prendre de mesure d’expertise, la loi finlandaise interdisant à l’époque aux tribunaux de mettre en œuvre des décisions contre la volonté exprimée du mineur [23].
IV LE MINEUR ETRANGER
Le droit des étrangers et, a fortiori, des mineurs étrangers, se heurte à celui des Etats membres, découlant d’un principe de droit international généralement reconnu, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Il est de jurisprudence constante que la CEDH ne reconnaît pas aux étrangers le droit de résider ou de rester dans un pays donné. Toutefois, l’expulsion d’un étranger du pays hôte dans lequel il a développé de fortes attaches familiales (et même privées) constitue une ingérence aux fins de l’article 8 de la Convention, non seulement pour lui-même mais également pour son enfant – ingérence qui doit être justifiée et reposer sur de solides motifs. Le droit au respect de la vie familiale du mineur étranger peut donc se trouver affecté de diverses façons.
A) L’éloignement du parent étranger du territoire
1. L’éloignement du parent du territoire suite à refus de permis de séjour (dans le cadre d’une séparation des parents)
Dans cette hypothèse, on peut qualifier l’attitude de la Cour de bienveillante.
Dans un arrêt rendu il y plus de vingt ans – Berrehab c. Pays-Bas du 21 juin 1998 – la Cour condamna l’expulsion d’un marocain, père d’une petite fille vivant au Pays-Bas et se trouvant en situation irrégulière suite au divorce d’avec une ressortissante hollandaise, au motif que cette expulsion l’aurait empêché de garder des contacts réguliers pourtant essentiels vu le jeune âge de l’enfant (5 ans). Plus récemment, la Cour s’est appuyée sur la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Dans l’arrêt Rodriguez da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas du 31 janvier 2006, la Cour condamna l’expulsion programmée d’une ressortissante brésilienne en situation irrégulière, aux motifs, d’une part, qu’il était manifestement dans l’intérêt de son enfant qu’elle demeure aux Pays-Bas et, d’autre part, que le bien-être économique du pays ne l’emportait pas sur les droits découlant pour les requérantes de l’article 8.
2. L’éloignement du parent frappé d’une interdiction du territoire suite à une condamnation pénale
La Cour, dans ce cas de figure, se veut plus stricte envers les parents délinquants, d’autant plus lorsque ces derniers ont commis des infractions graves.
Un arrêt de principe, Üner c. Pays-Bas, rendu le 12 octobre 2006 en Grande Chambre, illustre bien, à mon sens, l’attitude de la Cour en la matière. Dans cette affaire où le requérant, père de deux enfants en bas âge, avait été expulsé vers la Turquie après avoir purgé sa peine de trois ans de prison pour homicide volontaire et coups et blessures, la Cour considéra qu’eu égard à la nature et à la gravité des infractions commises par l’intéressé, l’Etat avait ménagé un juste équilibre en faisant prévaloir ses propres intérêts, lorsqu’il expulsa le requérant frappé d’une mesure d’interdiction du territoire limitée à dix ans. A mes yeux, la Cour, tout en rappelant les critères devant être utilisés pour l’appréciation de la question de savoir si une mesure d’expulsion est nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi , a « sur-pondéré » la nature et la gravité du crime au détriment des autres critères qui, eux, jouaient en faveur d’une violation de l’article 8 de la Convention.
B) L’expulsion du mineur délinquant ayant commis des infractions pendant sa minorité
L’une des réponses possibles à la délinquance juvénile peut consister à prononcer l’expulsion des mineurs étrangers auteurs d’infractions à la loi. La Cour se montre toutefois scrupuleuse envers les autorités étatiques, du fait de l’état de minorité des requérants, et en particulier lorsque les infractions commises sont de faible gravité ou n’impliquent pas d’actes de violence.
La Cour a souligné la nécessité d’avancer de « très fortes raisons » (« very weighty reasons » en version anglaise) pour pouvoir justifier l’expulsion et l’interdiction du territoire d’une durée de dix ans d’un jeune homme de seize ans, tout seul, vers un pays (la Serbie) qui vient de traverser une période de conflit armé et alors que rien ne prouve que l’intéressé y ait des parents proches (son père étant porté disparu) [24]. Pareillement, dans l’arrêt Radovanovic c. Autriche du 22 avril 2004, la Cour a abouti au même constat de violation de l’article 8. Il s’agissait de l’expulsion d’un étranger ayant vécu depuis son enfance en Autriche et qui avait été condamné, alors qu’il était mineur, pour des vols et des cambriolages. Outre sa peine, il fut frappé d’une interdiction de séjour illimitée. Sans négliger la gravité des infractions commises par le requérant, la Cour note que celui-ci les a accomplies alors qu’il était en état de minorité, qu’il n’avait pas d’antécédents judiciaires et que sa peine fut assortie d’un sursis.
L’arrêt Maslov c. Autriche, rendu en Grande Chambre le 23 juin 2008, insiste sur la profondeur des liens unissant le mineur délinquant à son pays d’accueil afin de déterminer la proportionnalité de la mesure d’interdiction du territoire. Eu égard au caractère non violent des infractions commises par le requérant alors qu’il était mineur, à la durée pendant laquelle il a séjourné légalement en Autriche, à ses liens familiaux, sociaux et linguistiques avec l’Autriche et à l’absence de liens démontrés avec le pays d’origine (Bulgarie), la Cour estime que l’imposition et l’exécution d’une interdiction de séjour de 10 ans était disproportionnée au but légitime poursuivi, à savoir la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales.
C) Le regroupement familial
La CEDH ne protège pas, en tant que tel, le droit au regroupement familial. La Cour fait donc prévaloir, en principe, le droit et l’intérêt des États à réguler le flux migratoire, et refuse finalement de leur imposer le droit pour les parents de faire venir leur enfant mineur sur le territoire de l’Etat membre sur lequel ils résident.
Elle fait toutefois exception lorsqu’il est établi que la vie familiale ne peut se reconstituer dans le pays où se trouve l’enfant. Je me contenterais, dans mon exposé, de citer deux affaires dans lesquelles la Cour est parvenue, au vu des circonstances de l’espèce, à un constat de violation de l’article 8 de la Convention. Il s’agit de l’arrêt Sen c. Pays-Bas du 21 décembre 2001 et, dernièrement de l’arrêt Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas du 1er décembre 2005 dans lequel la Cour a estimé que le meilleur moyen pour les requérants (le couple, leur deux enfants résidant sur le sol néerlandais et la fille de l’épouse) de développer une vie familiale était de faire venir cette dernière d’Érythrée aux Pays-Bas.
D) Le mineur à la frontière
J’évoquerais une affaire dont les faits ont amené la Cour a constaté une triple violation de la Convention – l’arrêt Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique du 12 octobre 2006. Cette affaire concerne la détention pendant deux mois d’une fillette congolaise de cinq ans non accompagnée, dans un centre fermé conçu pour des adultes étrangers en séjour irrégulier, ainsi que son refoulement vers Kinshasa sans que des mesures d’encadrement et d’accompagnement psychologiques ou éducatives n’aient été dispensées par un personnel qualifié.
S’agissant du grief tiré de l’article 3 de la Convention, la Cour souligna la situation « d’extrême vulnérabilité » dans laquelle se trouvait la mineure, qui se caractérisait par son très jeune âge, le fait qu’elle était étrangère en situation illégale dans un pays inconnu et qu’elle n’était pas accompagnée car séparée de sa famille et donc livrée à elle-même. Elle estima que sa détention, dans un tel centre et dans ces conditions, l’avait placée dans un état de « profond désarroi » et, en l’absence de mesure de protection de la part des autorités nationales, elle en déduisit que l’Etat défendeur avait fait preuve « d’un manque d’humanité » pour conclure que le seuil requis pour être qualifiée de traitement inhumain avait été atteint. En outre, elle parvint à un constat de violation de l’article 3 quant au refoulement de la fillette en raison du manque de préparation et d’absence de mesures d’encadrement et de garanties entourant la mesure en cause.
Constatant par ailleurs que l’enfant était détenue dans les mêmes conditions que celles d’une personne adulte, lesquelles n’étaient certainement pas adaptées à sa situation, la Cour considéra que le système juridique belge en vigueur à l’époque n’avait pas garanti de manière suffisante le droit de la requérante à la liberté, tel que consacré à l’article 5 § 1 f) de la Convention.
Enfin, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, la Cour estima que l’Etat belge avait pour obligation de faciliter la réunification familiale et, qu’eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, la fille comme la mère avait subi une ingérence disproportionnée dans leur droit au respect de leur vie familiale.
V. LE MINEUR ET L’ECOLE
Je souhaiterais, pour finir, aborder deux problématiques – actuelles et qui se recoupent – liées à l’enfant évoluant à l’école.
A) Le droit à l’instruction
Aux termes de l’article 2 du Protocole n° 1 à la Convention :
« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »
L’obligation découlant de cette disposition et pesant sur l’Etat implique d’instaurer une scolarisation obligatoire, qu’elle ait lieu dans les écoles publiques ou au travers de leçons privées de qualité. En d’autres termes, en s’interdisant de « refuser le droit à l’instruction », les Etats contractants garantissent à quiconque relève de leur juridiction un droit d’accès aux établissements scolaires existant et la possibilité de tirer, par la reconnaissance officielle des études accomplies, un bénéfice de l’enseignement suivi. En outre, c’est sur le droit fondamental à l’instruction que se greffe le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et philosophiques [25].
L’article 2 du Protocole n° 1, en somme, lu à la lumière des articles 8, 9 et 10 de la Convention, vise à sauvegarder la possibilité d’un pluralisme éducatif, essentielle à la préservation de la « société démocratique » telle que la conçoit la Convention. Il met en relief l’importance de la scolarisation des enfants dans des écoles primaires, non seulement pour l’acquisition des connaissances mais également pour l’intégration des enfants dans la société.
L’inscription à l’école de tous les enfants en âge scolaire est d’autant plus importante lorsque les enfants appartiennent à des minorités.
Le cas des minorités roms
La Cour a récemment eu l’occasion de se prononcer sur la question et d’étoffer, ainsi, sa jurisprudence.
Dans l’affaire D.H. c. République Tchèque, qui donna lieu à un arrêt le 13 novembre 2007 rendu par la Grande Chambre de la Cour, les requérants – des enfants mineurs appartenant à la minorité rom – se plaignaient au regard de l’article 2 du Protocole n° 1 combiné avec l’article 14 de la Convention qu’ils avaient été placés dans des écoles spéciales destinées aux enfants atteints de déficiences intellectuelles, après avoir passé des tests psychotechniques (dont ils contestaient la fiabilité), et suite au consentement de leurs parents (dont ils estimaient que ceux-ci n’avaient pas été suffisamment informés des conséquences de leur accord). Ils soutenaient que leur placement dans ce type d’écoles consistait en une pratique générale créant une ségrégation et une discrimination raciale.
Selon le Gouvernement défendeur, la différence de traitement entre les enfants roms et les autres résidait dans la nécessité d’adapter le processus d’éducation aux capacités de ceux ayant des besoins particuliers. Les requérants possédants des capacités intellectuelles dont le niveau, inférieur, avait été établi à l’aide des tests psychologiques, effectués dans les centres de conseil psychopédagogique, ils avaient été naturellement dirigés vers des écoles spécialisées. La question soulevée était donc celle de la discrimination indirecte.
La Cour ne fut convaincue par les arguments du Gouvernement. Elle conclut à une violation de l’article 14 de la Convention (interdiction de discrimination) combiné avec l’article 2 du Protocole no 1. Elle considéra d’abord que le processus de scolarisation des enfants roms n’avait pas été entouré de garanties suffisantes (notamment en l’absence de toute information pertinente sur la portée du consentement accordé). Après avoir constaté qu’à l’issue de ce processus, les enfants avaient été placés dans des écoles destinées à des enfants souffrant d’un handicap mental dont le programme était d’un niveau inférieur à celui des écoles ordinaires, la Cour estima qu’ils avaient en fait reçu une éducation qui avait accentué leurs difficultés et compromis leur développement personnel ultérieur, au lieu de s’attaquer aux racines des problèmes rencontrés, de les aider à intégrer plus tard les écoles ordinaires et de développer les capacités facilitant leur vie au sein de la population majoritaire. Elle conclut que la différence de traitement ainsi instituée n’était nullement justifiée [26].
B) La liberté de religion (article 9 de la Convention)
Très récemment, la Cour connut de la question, hautement sensible en France, de l’interdiction de porter le foulard à l’école et de ses conséquences.
La requête Dogru c. France, qui aboutit à un arrêt du 4 décembre 2008, concerne en effet l’interdiction faite à une élève d’un collège public, âgée de onze ans, de porter un foulard lors des cours d’éducation physique et sportive, ainsi que son exclusion définitive pour défaut d’assiduité à ces cours en raison de son refus de l’enlever. La Cour, constatant à la non-violation de l’article 9 de la Convention, y traite de manière approfondie de la conciliation entre, d’un côté, les convictions religieuses d’une élève de l’enseignement public et, de l’autre, les exigences de sécurité, d’hygiène et d’assiduité pour les cours d’éducation physique et sportive.
Elle ferme la porte à d’autres requêtes en estiment que l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics était motivée uniquement par la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité et que cet objectif est conforme aux valeurs sous-jacentes à la CEDH.
Grégory Thuan, juriste référendaire à la Cour européenne des droits de l’Homme, en charge de l’instruction des requêtes déposées contre la France et la Principauté de Monaco.