I. Le référencement de sites internet résultant d’une recherche sur Google : un outil de communication très puissant.
Les moteurs de recherche comme Google utilisent le référencement pour donner plus de visibilité à certains sites internet qu’à d’autres. Les exploitants de ces moteurs de recherche décident quels contenus auront plus de visibilité et seront lus par les internautes. Ils peuvent décider quels contenus seront visibles dans la première page des résultats des recherches en ligne.
Ce pouvoir de décider quels contenus seront lus par les internautes a des répercussions sur la liberté de la presse, la liberté d’expression et le droit à la protection des données personnelles. Normalement, les internautes ne vont pas au-delà de la première page de résultats des recherches. Les sites qui sont affichés en deuxième ou troisième page ont généralement beaucoup moins de visites en raison de ce manque de visibilité.
Un lien vers un site internet affiché au dessus de la première page des résultats d’une recherche sur Google.
Dans un arrêt récent la CJUE a dû se prononcer à propos d’une question préjudicielle d’interprétation l’article 17 du RGPD. Dans ce cas, la cour devait déterminer si Google avait l’obligation de déréférencer des articles publiés en ligne concernant deux individus qui considéraient les informations fausses. L’article sus-cité garantit le droit à l’oubli des personnes concernées. Il consacre aussi une exception à ce droit lorsque les informations relèvent de la liberté d’expression et d’information du public. Lorsque ces informations publiées sont l’intérêt général du public.
II. La demande de déréférencement adressée à l’exploitant du moteur de recherche.
Dans cette affaire, les articles publiés sur Internet prétendaient alerter le public sur les activités frauduleuses d’un couple qui gérait plusieurs sociétés d’investissements.
Les personnes concernées demandaient à Google de :
- a) Déréférencer les articles qui apparaissaient dans la liste de résultats d’une recherche sur Google avec leurs noms et prénoms.
- b) Enlever les images d’eux qui apparaissaient sous forme de vignettes (thumbnails) comme résultat d’une recherche avec leurs noms sur Google images.
Les demandeurs étaient président et associé unique d’un groupe de sociétés d’investissement. Une société domiciliée à New York avait publié trois articles, les accusant de fraude et évasion fiscale. L’un de ces articles montrait des images d’eux prétendant montrer qu’ils menaient une vie de luxe, photographiés dans un hélicoptère ou conduisant des voitures haute gamme. Cette société prétendait être un lanceur d’alerte et se présentait comme ayant pour but uniquement de pointer du doigt les sociétés ayant recours à la fraude fiscale.
Les demandeurs quant à eux, prétendaient que ces accusations étaient infondées et que la société avait publié ces articles pour demander ensuite un paiement pour les retirer. Selon eux, elle pratiquait du chantage envers plusieurs autres groupes de sociétés.
Dans un premier temps Google a refusé de donner suite à leur demande de déréférencement en faisant valoir que d’ une part, il lui était impossible de déterminer la véracité des informations et d’autre part, que les articles avaient été publiés dans un contexte professionnel, dans un cadre journalistique d’information du public.
III. Existe-il une obligation de déréférencement pour Google ?
La CJUE a du répondre aux questions suivantes :
- 1) Est-ce que les personnes concernées peuvent obliger un responsable du traitement à déréférencer un contenu considéré comme inexact ?
- 2) Dans quels cas la demande de déréférencement peut-il avoir une incidence sur les vignettes (thumbnails) ?
Dans cet arrêt, la cour rappelle que la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel est un droit fondamental qui n’est pas absolu. Il doit être concilié avec d’autres droits fondamentaux dans le respect du principe de proportionnalité. Dans les cas où la liberté d’expression et d’information prévalent sur le droit à l’oubli, le contenu ne peut pas être supprimé par le moteur de recherche.
IV. Dans quels cas le droit à la protection des données personnelles et le respect de la vie privée peuvent prévaloir sur la liberté d’expression et d’information ?
En pratique, le droit à l’oubli des personnes concernées et la protection de leurs données personnelles prévaut très souvent sur le droit à l’information du public.
Pour déterminer si une information publiée concernant une personne physique doit être retirée pour empêcher aux internautes d’y avoir accès, il faut faire une appréciation in concreto au cas par cas avec les critères suivants :
- Quel est le type d’information ? s’agit t-il d’informations tirées de faits objectifs connus du public ou s’agit-il au contraire d’informations très sensibles ou intimes ? Si elles sont sensibles, elles devront être davantage protégées d’une connaissance du public ;
- Quel est l’impact de cette information sur la vie privée de la personne concernée ? est-ce que la divulgation de cette information peut porter préjudice à cette personne ?
- Est-ce que le public peut avoir un intérêt légitime à avoir accès à cette information ? Cela dépendra de la notoriété de la personne concernée et de son rôle dans la société.
La cour rappelle aussi que dans tous les cas, la liberté d’information et d’expression ne peut jamais justifier la publication d’informations inexactes.
V. Quelles sont les obligations pour les parties ?
Dans cette affaire, la cour a décidé que les demandeurs devaient démontrer que les informations publiées en ligne étaient entièrement inexactes. Si elles ne l’étaient que partiellement, il leur appartenait de démontrer que l’inexactitude partielle revêtait une importance considérable.
Pour faire une mise en balance des intérêts des parties, la cour considère dans cet arrêt que les demandeurs étaient uniquement tenus de rapporter la preuve qui pouvait être raisonnablement attendue de leur part. Contrairement aux juges du fond, la cour estime qu’il est disproportionné de leur exiger de fournir une décision de justice qui puisse attester de l’inexactitude des faits publiés par la société new-yorkaise.
Quant aux exploitants des moteurs de recherche comme Google, la cour considère qu’ils ne sont pas tenus de vérifier l’exactitude du contenu ou des informations qui feraient l’objet d’une demande de déréférencement. Ceci risquerait de mettre à leur charge une obligation trop importante qui pourrait remettre en cause leur modèle d’entreprise. Dans ce cas, la cour estime que Google n’est tenu de déréférencer le contenu que lorsque les personnes concernées parviennent à rapporter la preuve de l’inexactitude de l’information elles-mêmes.
Un juge ne pourrait forcer Google à déterminer si les informations sont inexactes que dans le cas où la personne concernée aurait fait une demande en justice à cette fin. Si Google était contraint de faire cette recherche, il devrait également informer tous les internautes et usagers de son moteur de recherche de l’existence de cette procédure de vérification de l’exactitude des informations publiées, concernant une personne physique déterminée.
VI. Le sort des vignettes (thumbnails).
Dans cet arrêt la cour se prononce également sur l’obligation pour Google d’enlever les vignettes qui s’affichent dans les résultats des recherches d’images. Elle considère que Google doit vérifier si l’affichage des vignettes est nécessaire pour garantir le droit d’information des usagers. Google est tenu de déterminer si les images font partie d’un débat d’intérêt public et dans ce cas, quelle est leur valeur informative, indépendamment du contexte de leur publication.
La cour admet par ailleurs que si les images apparaissent uniquement sous forme de vignettes, elles ont très peu de valeur informative et devraient être retirées pour protéger le droit au respect à la vie privée. Même si les articles avaient été rendus indisponibles temporairement par la société new-yorkaise, les images étaient toujours visibles sous forme de vignettes dans les résultats de recherche sur Google images.
En l’espèce, étant donné que les demandeurs ont rapporté la preuve de l’inexactitude du contenu des articles, il est très probable que les juges nationaux ordonneront à Google de déréférencer les articles et supprimer les vignettes de la liste des résultats des recherches.
Arrêt de la cour (grande chambre) du 8 décembre 2022 (demande de décision préjudicielle du Bundesgerichtshof - Allemagne) - TU, RE / Google LLC (Affaire C-460/20).