Telle sera la question qui pourrait être prochainement trancher par le Conseil Constitutionnel une fois le filtre de l’avis du Conseil d’Etat passé, suite au recours à la question prioritaire de constitutionnalité par la société BETCLIC, opérateur de jeux en ligne, au mois d’août 2010.
À l’appui de cette demande, la société BETCLIC a soutenu d’une part que ce droit au pari serait contraire au droit à l’information, droit qui ne saurait être réservé à des groupements publics ou privés qui prétendrait s’en réserver l’usage parce qu’ils en monopolisent les moyens.
En outre, pour BETCLIC (comme pour ses concurrents), la taxe mise en place pour lutter contre la fraude serait plus élevée que les coûts réels engagés par les fédérations.
L’affaire a été mise en délibéré, après que le Commissaire du Gouvernement ait pris le revers des arguments développés par la société de paris en ligne et souligné notamment que la « rémunération due aux organisateurs serait justifiée ».
La question mérite pourtant d’être très sérieusement étudiée.
La Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 sur l’ouverture à la concurrence du marché des jeux en ligne a instauré un droit au pari entre les fédérations sportives et les opérateurs et ce notamment afin de financer la lutte contre la fraude.
D’après la nouvelle règlementation, les opérateurs auraient l’obligation de négocier des accords avec l’organisateur d’un évènement sportif afin de pouvoir proposer des paris sur cette compétition.
Ceci oblige la fédération et l’opérateur légal à signer un contrat qui doit comprendre les obligations à la charge des opérateurs de paris en ligne en matière de détection et de prévention de la fraude, notamment les modalités d’échange d’informations avec la fédération.
Une telle obligation semble pourtant critiquable.
Si le code du sport a effectivement instauré un « droit d’exploitation des évènements sportifs » au profit des fédérations délégataires, le législateur s’est abstenu de préciser l’étendue d’un tel droit.
L’article L 333-1 du Code du Sport dispose, en effet, que les fédérations sportives « sont propriétaires du droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent ».
Le même article précise immédiatement après que ces mêmes fédérations « peuvent céder aux sociétés sportives, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie des droits d’exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations sportives organisées chaque saison sportive par la ligue professionnelle qu’elle a créée, dès lors que ces sociétés participent à ces compétitions ou manifestations sportives. La cession bénéficie alors à chacune de ces sociétés ».
Le texte même du Code du Sport laisse à penser que l’étendue de ce droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives serait très limitée et concernerait principalement les droits audiovisuels y afférents.
Il semble curieux de pouvoir attribuer de facto à une fédération délégataire la titularité de droits sur les résultats sportifs, résultats qui par essence entrent dans le domaine public.
En effet, il semblerait logique que le droit du public à l’information lui permette d’utiliser gratuitement et sans le consentement des organisateurs, les données des manifestations et compétitions sportives, en ce compris les résultats sportifs.
L’information sportive serait ainsi réduite aux résultats, tandis que le spectacle serait lui intégré dans la sphère commerciale.
Telle n’est pas la position actuelle ni du législateur ni des juges qui ont eu à connaître de la question.
En effet par un arrêt en date du 14 octobre 2009, la cour d’appel de Paris a confirmé un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 30 mai 2008, opposant la fédération française de tennis à la société Expekt.com, filiale d’Unibet, et considéré « qu’en l’absence de toute précision ou distinction prévue par la loi concernant la nature de l’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qui est l’objet du droit de propriété reconnu par ces dispositions, que toute forme d’activité économique, ayant pour finalité de générer un profit, et qui n’aurait pas d’existence si la manifestation sportive dont elle est le prétexte ou le support nécessaire n’existait pas, doit être regardée comme une exploitation au sens de ce texte. »
En tout état de cause, il apparaît nécessaire d’une part de clarifier les droits respectifs des organisateurs de compétitions et des opérateurs de paris et d’autre part de mieux définir le droit de propriété des organisateurs.*
Ce nouveau droit au pari est également contestable en ce qu’il met à la charge des opérateurs de paris en ligne une redevance qui n’a fait l’objet d’aucune ratification par la loi de finance et ce alors même les dispositions de l’article 4 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit une telle obligation.
Outre cette absence de ratification, se pose le problème du taux de prélèvement qui représenterait à lui seul de 25% à 40% du produit des paris en ligne, soit un montant plus élevé que les coûts réels engagés par les fédérations.
L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs décidé d’intervenir sur cette question et examinera prochainement les conditions d’accès au marché et notamment la question des conventions organisant le « droit au pari ». A cette fin, seront relevées les distorsions de la concurrence pouvant être créées dans ce cadre, notamment les modalités de fixation de la rémunération du droit d’organiser les paris.
L’Autorité rendra son avis d’ici à la fin de l’année.
On le voit donc bien, ce nouveau droit au pari risque de créer un contentieux massif, dont les avocats intervenants sur Avosports ne manqueront de faire écho.
Antoine Séméria
Avocat à la Cour
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*le Projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne avait prévu d’ajouter un article L-334-2 du Code du Sport qui aurait disposé que « l’utilisation, à des fins commerciales, de tout élément caractéristique des manifestations ou compétitions sportives, notamment leur dénomination, leur calendrier, leurs données ou leurs résultats » ne peut être effectuée sans le consentement des propriétaires des droits d’exploitation de celles-ci, formalisé dans un contrat.