Introduction
Le territoire du Sahara occidental est source de contentieux. L’apparition des nouveaux États issus de la décolonisation ne pouvait que multiplier les difficultés en raison du caractère le plus souvent artificiel des frontières coloniales. Aussi, l’une des premières initiatives de l’Organisation de l’Unité Africaine a-t-elle été le vote d’une recommandation destinée à gérer la situation telle qu’elle résulte du découpage colonial afin d’éviter une remise en cause généralisée qui aurait été source d’un gigantesque et inépuisable contentieux. Il eut été trop beau de croire qu’une recommandation pouvait régler un problème aussi complexe. L’affaire du Sahara occidental en est l’illustration [1].
La délimitation d’une frontière est une opération importante, car elle est en même temps un facteur de paix, un signe d’indépendance et un élément de sécurité [2]. Les conflits frontaliers existent depuis belle lurette, la possession d’un vaste territoire était considérée comme synonyme de puissance militaire dans le passé. Même si aujourd’hui cette conception n’existe plus dans nos esprits, les conflits liés aux délimitations frontalières subsistent toujours. Cependant, le nombre élevé des conflits frontaliers dans le monde montre combien les lignes frontalières sont sources de division.
En Afrique, seule la situation juridique du Sahara occidental demeure assez équivoque, c’est le seul territoire africain dont le statut juridique est ambigu, loin d’affirmer qu’il n’existe plus de conflits de territoire en Afrique, il convient de noter l’option optée par les Africains de laisser intangible les frontières héritées de la colonisation pour éviter au continent noir une suite de conflits frontaliers sans fin. Comme en Amérique latine, la notion “utis possedetis” a épargné à l’Afrique des guerres frontalières généralisées, en effet, le découpage actuel de l’Afrique est le résultat d’un accord des Européens, précisément celui de Berlin connu sous l’appellation de « Conférence de Berlin » de 1885.
Malgré la résolution AGH/Rés. 16 (1) adopté en 1964 ou encore la résolution du Caire de l’Organisation de l’Unité Africaine, le problème frontalier continue d’être sujet des affres en Afrique. Par la résolution du Caire, les États africains avaient convenu de laisser inchangés les frontières tracées durant la colonisation qui est un d’héritage de la conférence de Berlin de 1885.
En dépit de cela, la Cour internationale de Justice a connu plusieurs différends frontaliers entre pays africains dont le celui du Burkina Faso contre le Mali, du Bénin et le Niger ou encore le différend relatif à la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria. La Cour internationale de Justice a été saisie à maintes reprises afin de statuer sur des conflits des frontières en Afrique.
Le conflit du Sahara occidental dure plus d’une décennie, les efforts entrepris par la communauté internationale pour instaurer une paix durable sur ce territoire non autonome sont jusqu’à présent inefficaces. La volonté de la communauté internationale d’offrir aux sahraouis la possibilité d’exercer leur droit à l’autodétermination conformément aux prescrits des résolutions onusiennes, dont la résolution 2072, la résolution 1514 (XV), ou encore de certains instruments internationaux entre autres les Pactes internationaux du 16 décembre 1966 ou encore la Charte des Nations unies, est nonchalante. À ces jours, l’idée de l’autodétermination de ce territoire non autonome devient de plus en plus une chimère.
Les désaccords entre les antagonistes ont rendu la résolution de ce conflit encore plus complexe, outre les désaccords des parties, il est important de souligner que le Maroc exerce aujourd’hui sa souveraineté sur au moins 80% du territoire du Sahara occidental après la marche verte organisée par l’ancien roi marocain Hassan II.
1. Droit des peuples de disposer d’eux-mêmes.
Le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes ou le droit à l’autodétermination est un droit collectif qui présente des difficultés dans son application effective, cela peut être, sans nul doute, à cause de son caractère politique. En effet, on entend par « autodétermination », le droit qui est reconnu à chaque peuple de fixer sans aucune influence extérieure son statut politique et de garantir son développement économique, social et culturel.
Cette conception est un aspect interne du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dans cet aspect le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est vu comme le droit de s’auto-administrer sans aucune ingérence extérieure ou aussi le droit à une autonomie gouvernementale.
L’aspect externe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes peut être succinctement considéré comme le droit à l’indépendance politique, économique, sociale et culturelle. C’est le droit de sortir d’une domination étrangère, le droit de s’affranchir, de briser le joug colonial. Mais aussi, c’est le droit à la reconnaissance d’une souveraineté internationale, incluant en son sein, l’égalité étatique.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a connu un essor prodigieux durant le siècle de Lumière, à ce sujet Christian Chabonneau écrit : « C’est toutefois avec le siècle des Lumière et ses philosophes naturalistes ainsi qu’avec la Révolution française et américaine que ce concept connaîtra un essor de développement prodigieux » [3].
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été au lendemain de la Première Guerre mondiale encensé et prôné par la politique de Washington à travers le discours du président Wilson, mais c’est pratiquement au crépuscule de la Seconde Guerre mondiale que ce principe va connaître son expansion totale en se cristallisant dans différents traités et accords internationaux.
La Première Guerre mondiale a eu un rôle majeur quant à l’évolution du droit à l’autodétermination, le rôle important de la Grande guerre réside du fait que l’autodétermination était considérée avant celle-ci uniquement sous sa facette interne, c’était le droit de choisir son gouvernement. Après la Guerre, sous l’impulsion donnée par la doctrine wilsonienne et dans le souci de démanteler les grands empires les visées expansionnistes telles l’Autriche-Hongrie et l’Empire Ottoman, on y a ajouté une composante externe : le droit de se libérer de toute domination [4].
Dans son célèbre discours « Les Quatorze points » au congrès américain le 2 avril 1917, le président américain Woodrow Wilson a fait référence à l’autodétermination externe sans pourtant utiliser le mot « droit à l’autodétermination ».
On trouve le principe de l’autodétermination dans une myriade des traités et accords internationaux. La Charte des Nations unies crytalise ce principe d’une manière assez expresse en consacrant deux dispositions relatives au droit des peuples de disposer d’eux-mêmes [5].
L’article 1er § 2 de la Charte de l’ONU annonce le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes parmi les buts des Nations unies, cet article dispose :
« Les buts des Nations unies sont les suivants : ... Développer entre nations des relations amicales fondées sur le principe de l’égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes mesures propres à consolider la paix du monde ».
Comme l’a affirmé la CIJ dans son arrêt du 30 juin 1995 relatif à l’Affaire du Timor oriental, le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes comme étant l’un des « principes essentiels du droit international contemporain » ainsi, ce principe est enfiché ou inséré non seulement dans les résolutions des Nations unies mais aussi dans une panoplie d’accords internationaux et régionaux, de ce qui précède, ce principe figure dans :
- Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
- La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
- L’acte final d’Helsinki du 1er août 1975 ;
- La résolution 1514 (XV) ;
- La résolution 2625 (XXV) ;
- La résolution 2542 (XXIV) etc.
2. Succinct historique du conflit du Sahara occidental.
Les revendications marocaines et mauritaniennes sur le territoire du Sahara occidental et l’opposition à une annexion ou à une quelconque scission du Sahara occidental au profit du Maroc et de la Mauritanie par le mouvement indépendantiste appelé Front Polisario sont à l’origine du conflit du Sahara occidental.
Jadis, le Sahara occidental était une colonie espagnole, d’où son ancienne appellation “Sahara espagnol”, après l’indépendance du Maroc, ce dernier a commencé à revendiquer le territoire du Sahara en se basant sur les liens historiques unissant les marocains aux peuples sahraouis.
Suite aux efforts et à l’abnégation du Maroc, en 1963, le Sahara occidental fut inscrit à la liste des territoires non autonomes aux termes du chapitre XI de la Charte des Nations unies. À cet effet, les Nations-unies adoptèrent une résolution (la résolution 2072) insistant l’Espagne à décoloniser le Sahara occidental, ce qui par la suite entraîna le retrait de l’Espagne au territoire du Sahara occidental. La concrétisation ou la matérialisation de ce retrait se fait entre autres suite aux accords de Madrid du 14 novembre 1975, qui sont des traités tripartites ayant pour modus vivendi le transfert par l’Espagne de l’administration du Sahara occidental au Maroc et à la Mauritanie.
Déjà avant la conclusion des accords tripartites de Madrid, le roi marocain, Hassan II juste après l’avis consultatif du 16 octobre 1975 de la Cour internationale de Justice fit appel aux marocains à l’organisation d’une marche, la célèbre “Marche verte” afin d’obtenir pacifiquement l’ancienne colonie espagnole, c’est alors que fut signé peu de temps après cette marche les accords de Madrid.
Le Front Polisario, n’étant pas partie aux accords, s’opposa farouchement à l’application de ces accords et entra en conflit avec le Maroc et la Mauritanie. En réaction, le mouvement indépendantiste ou le Front Polisario a donné vie à la République arabe sahraouie démocratique et revendique une totale souveraineté sur tout le territoire.
Le conflit du Sahara dure depuis des lustres, les antagonistes se livrent à des affrontements perpétuels. Par ailleurs, malgré la rétraction mauritanienne au conflit et les efforts d’instauration de paix de l’Union africaine et l’ONU, les tensions entre le Maroc et le Front Polisario persistent jusqu’à ces jours. La nature hétérogène des aspirations et des revendications des parties aux conflits sont si opposées que celles-ci paralysent malheureusement la concrétisation d’une résolution pacifique de ce conflit qui dure maintenant depuis belle lurette.
En effet, comme l’a écrit Lucile Martin : “le conflit du Sahara occidental oppose depuis 1975 le Front Polisario au Maroc pour le contrôle de l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental. La République arabe démocratique du Sahara, fondée par le Polisario en février 1976 au lendemain du départ des Espagnols, s’appuie sur le droit international et le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, fondement des politiques de l’Organisation de l’Union africaine depuis 1964, afin de légitimer sa souveraineté sur les territoires du Sahara occidental. Le royaume chérifien du Maroc base quant à lui ses revendications sur son « droit historique » à contrôler les « provinces du Sud », qui faisaient partie du « Grand Maroc » historique. Depuis le cessez-le-feu de 1991, les opposants restent figés sur leurs positions, séparés par un « mur de protection », le Maroc occupe 80 % du territoire au Nord, et le Polisario les 20 % restants au Sud” [6]
Aujourd’hui, les tentatives d’organisation d’un référendum pour déterminer l’avenir de ce territoire non autonome querellé se heurtent à la problématique de la composition du corps électoral, en effet, il a été créé en 1991 par le Conseil de Sécurité des Nations unies suite à la résolution 690 une Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Malheureusement, l’organisation du référendum n’a jamais eu lieu. Comme mentionné ci-haut, les divergences opiniâtres des belligérants sur la composition du corps électoral ont fâcheusement fait obstacle à l’organisation du référendum.
3. Position de la Cour internationale de Justice.
Toute la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (ci-après "la Cour") présente le principe de non le recours à la force armée comme une règle indélogeable relevant du “Jus Cogens”, dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua en 1986 [7], la Cour a souligné le caractère coutumier du principe de l’interdiction du recours à la force. Ainsi, il est proscrit en droit international de régler un différend en ayant recours à la force armée.
La Cour s’est toujours penchée en faveur de la décolonisation et de l’autodétermination. Déjà à son article premier, la Charte des Nations-Unies cite parmi ses buts le développement entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et ce but s’étend même au territoire non autonome repris au chapitre XI [8] .
En octobre 1975, suite à la résolution 3292 (XXIX) adoptée le 13 décembre 1974, la CIJ a rendu un avis consultatif aux questions lui soumises par l’Assemblée générale des Nations-unies, celles de savoir si le Sahara occidental était, au moment de la colonisation par l’Espagne, un territoire sans maître ? Si la réponse à la première question est négative, quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Maroc et la Mauritanie ?
Dans son avis, la Cour a répondu négativement à la première question, en effet, pour cette dernière le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) n’était pas un territoire sans maître (terra nullius) au moment de la colonisation par l’Espagne ; à la seconde question, la Cour conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part. La Cour n’a donc pas constaté I ‘existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) quant à la décolonisation du Sahara occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire [9].
La résolution 3292 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies a clairement réaffirmé que le droit des populations du Sahara occidental à l’autodétermination n’était ni atteint, ni modifié par la requête pour avis consultatif ou l’une quelconque des dispositions de cette résolution. Par ailleurs, l’AG considère que la persistance d’une situation coloniale au Sahara occidental compromet la stabilité et l’harmonie dans la région du nord- ouest de l’Afrique [10].
Sachant que l’avis consultatif a été demandé pour guider l’Assemblée générale dans le processus de décolonisation, il est nullement envisageable une quelconque interruption de l’application de la résolution 1514. Dans son avis, la Cour mentionne sans équivoque l’existence d’aucun liens juridiques de nature à faire obstacle au processus de décolonisation du Sahara occidental au regard du principe d’autodétermination repris dans la résolution 1514 (XV) car il sied de signaler caractère erga omnes c’est-à-dire opposable à tous de principe d’autodétermination.
Le caractère erga omnes de l’autodétermination est plus ou moins d’ordre jurisprudentiel, la Cour dans son arrêt sur le Timor oriental du 30 juin 1995 a souligné le caractère erga omnes du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes.
Cet arrêt relève d’une importance majeure dans la mesure où l’exercice de l’autodétermination est opposable à toute la société internationale et les États sont liés à cette situation sans même qu’il soit nécessaire que ces derniers manifestent leur volonté d’être liés, car l’autodétermination est un fait objectif.
Ainsi, non seulement l’effet pour un État de se mettre en travers le processus d’application d’autodétermination sans avoir aucun lien juridique de nature à empêcher l’accomplissement de la résolution 1514(XV) est une conduite prohibée par le droit international car étant contraire aux buts des Nations unies [11], mais aussi, cette conduite est au regard de la résolution 1514 un déni des droits fondamentaux de l’homme. Cette résolution qualifie la sujétion des peuples à une domination, à une subjugation et à une domination et exploitation étrangère comme étant un déni des droits fondamentaux de l’homme.
Les États ont le devoir de veiller au respect de la réalisation de droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, conformément à la résolution 2625 (XXV) : « Tout État a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes… », l’hégémonie étant bannie dans la coopération internationale, aujourd’hui les États ont l’obligation d’assurer aux peuples désirant exercer leur droit à disposer d’eux-mêmes une assistance active ou passive.
La Cour, par son avis consultatif, a élucidé les lacunes créant des doutes sur la situation du territoire du Sahara occidental, celle-ci a mis fin à l’ambiguïté concernant le Sahara occidental. Par cet avis, la Cour a invité les parties au conflit de poursuivre le sentier de l’autodétermination conformément aux prescrits des dispositions de la Charte des Nations et de ses résolutions. Car, comme le souligne la Cour dans son arrêt du 21 juin 1971, l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires [12].
Conclusion.
Dans les relations interétatiques modernes, la colonisation est un concept has been. Ce concept est considéré aujourd’hui comme étant une pratique primitive n’ayant plus aucune place dans la société internationale, qui est une société inspirée par le système westphalien c’est-à-dire un système basé sur l’égalité souveraine des États. Aujourd’hui, le Sahara occidental n’étant plus une colonie espagnole, celui-ci est inscrit à la liste des territoires non autonomes des Nations unies en attendant l’organisation du référendum de l’autodétermination.
Malheureusement, le processus du référendum a été interrompu par des violences qui ont abouti à un accord de cessez-le-feu en 1991. L’affaire du Sahara occidental a pris une physionomie agressive et contraire aux principes de droit international car en effet, le recours aux armes comme mode de règlement de conflit est une pratique interdite en droit international.
Actuellement, le statut juridique du Sahara occidental reste toujours ambigu, la communauté internationale reste divisée entre la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental et l’autodétermination des Sahraouis.
Après plus d’une vingtaine d’années, le conflit du Sahara reste jusqu’à ces jours un problème non résolu et ce, malgré les efforts entrepris par l’Organisation des Nations-Unies et au niveau régional par l’Union africaine. Le conflit du Sahara est loin d’être terminé, les parties au conflit ont des positions totalement opposées qu’il est important d’accentuer les négociations diplomatiques afin de mettre un terme avant que la situation ne devienne irréversible et déstabilise la partie nord de l’Afrique.