Extrait de : Droit des affaires et des sociétés

Secret des affaires et procédure de Discovery : quelle situation juridique pour les entreprises françaises ?

Par Omar Attia, Juriste.

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Explorer : # secret des affaires # procédure de discovery # conflit juridique international # protection des entreprises

Une entreprise française ou européenne investissant à l’étranger peut parfois faire l’objet d’investigations internationales.
La directive n° 2016/943 du 8 juin 2016 sur le secret des affaires apporte-t-elle une véritable protection pour ces entreprises ?

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Les Etats sont parfois dotés d’arsenaux législatifs qui ont pour mission la recherche de preuves.
De ce fait les systèmes procéduraux du pays d’immatriculation de la société et celui où cette dernière est mise en cause peuvent entrer en conflit, lors de procédures administratives ou contentieuses.
Aux Etats-Unis elles doivent parfois faire face à la procédure dite de Discovery. Cette procédure de Discovery a entrainé de nombreux débats en France, il lui était reproché notamment nombres d’abus, qui visaient à porter atteintes et menacer les intérêts et les secrets des sociétés françaises qui devaient faire face à des procédures aux Etats-Unis du fait de leur filiales ou de leur activité. La directive n° 2016/943 du 8 juin 2016 sur le secret des affaires apporte-t-elle une véritable protection pour ces entreprises ?

Les différences entre le France et les Etats-Unis en termes d’instruction.

La plupart du temps, la demande de documents précède l’ouverture d’une procédure judiciaire, dès lors on parle de « Pre-Trial Discovery ». Cette phase est très importante en termes de procédure civile et commerciale aux États-Unis.
En effet, la procédure de Discovery, est considérée comme un élément indispensable à la recherche de preuves au sein des pays régis par la common law. Aux Etats-Unis elle est régie au niveau fédéral par la règle 26 des règles fédérales de la procédure civile (Federal Rules of Civil Procedure). Cette procédure prévoit qu’un demandeur à une action en justice puisse accéder à des documents et des informations qui sont alors détenus par le défendeur à l’action. La Discovery impose aux parties de produire tous les documents en relation avec le litige même si les pièces demandées ne sont pas toutes précisément désignées, peu importe leur localisation, leur forme ou leur contenu. La transmission est imposée, que ces dernières soient favorables ou non à la partie divulgatrice. A l’inverse, En France on ne peut exiger d’une partie qu’elle fournisse une pièce en sa défaveur.

En France, le maître de l’instruction est le juge. Le juge contrôle donc étroitement la collecte des preuves. Il est en charge de l’instruction au pénal et procède à la mise en état de l’affaire au civil. Lors de transmissions de données à l’international, entre la France et un pays étranger, la transmission doit être effectuée par l’intermédiaire d’une commission rogatoire internationale. Ces divergences de système juridique sont une des facettes qui cristallisent les tensions vis-à-vis de cette procédure visant les entreprises françaises.

Le 16 décembre 2014, la Délégation Parlementaire au renseignement a remis son rapport annuel au Président de la République. Déplorant une vulnérabilité en matière d’espionnage économique de la part de nos alliés américains. Les Etats-Unis sont l’un des principaux partenaires économiques de la France.

Le 15 juin 2016 la directive n° 2016/943 « sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicite » est publié au JO-UE. Les débats à ce sujet ont été particulièrement houleux.
Cette directive a été transposée en France par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires. Elle s’inscrit dans un contexte déjà très complexe concernant les secrets d’affaires des différentes entreprises européennes et plus spécifiquement françaises.
En effet la procédure de Discovery est accusée d’abus. Les abus des sociétés américaines sont à l’origine du mécontentement de la France et de l’Union Européenne. Sous couvert de cette procédure, des sociétés américaines ont réclamé des informations stratégiques détenues par les entreprises européennes. Plus la demande est posée en des termes larges et vagues, plus cette dernière va pouvoir affecter des éléments éloignés de l’objet du conflit entre les parties. Les informations sensibles et stratégiques sont donc vulnérables. La détention par un tiers de ces informations peut fragiliser la position des acteurs économiques européens aux Etats-Unis et participe à l’affaiblissement de l’économie et de la souveraineté nationale des pays de l’UE. A l’ère du tout numérique et du tout informatique, les informations compilées et conservées peuvent représenter des volumes considérables. Cette pratique des entreprises américaines est désignée par le terme « fishing expedition » ou encore de « tourisme juridique » [1].

Un refus des entreprises françaises de se soumettre à une procédure de Discovery peut avoir de lourdes conséquences.
Ces dernières sont prévues dans la section 442 (1) (b) du Restatement (Third) of Foreign Relations Law :
« Failure to comply with an order to produce information may subject the person to whom the order is directed to sanctions, including finding of contempt, dismissal of a claim or defense, or default judgment, or may lead to a determination that the facts to which the order was addressed are as asserted by the opposing party ».
Les sanctions peuvent représentées une simple sanction pécuniaire, des sanctions quant au litige en cours, le rejet d’un recours ou encore un jugement par défaut.

Face à cette situation les autorités ont entendu très tôt se munir de dispositions afin de pouvoir protéger les entreprises françaises bien avant la directive n° 2016/943.

Le « French Blocking statute » et la Convention de la Haye du 18 mars 1970.

C’est en 1968 que la France se dote de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 ayant pour but de faire face aux demandes intempestives et abusives des autorités américaines. Cette loi a pour but d’interdire aux entreprises de livrer aux autorités des documents très souvent stratégiques et confidentiels.

Par la suite le 18 mars 1970 est conclue la Convention de la Haye sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale. L’objectif des Etats signataires, dont la France et les Etats-Unis est de :
« Faciliter la transmission et l’exécution des commissions rogatoires et promouvoir le rapprochement des diverses méthodes qu’ils utilisent à ces fins, soucieux d’accroître l’efficacité de la coopération judiciaire mutuelle en matière civile ou commerciale »

Cette Convention a pour but de favoriser et faciliter les échanges entre les systèmes de tradition romano-germanique comme la France et les systèmes de Common Law comme les Etats-Unis.
Il est prévu que lorsque qu’une autorité judiciaire étrangère souhaite obtenir des documents ou bien encore un acte d’instruction, cette dernière devra s’adresser à l’autorité centrale désignée par l’autre Etat par l’intermédiaire d’une commission rogatoire internationale. Pour la France il s’agit du ministère de la Justice. La véritable intention des Etats signataires de tradition romano-germanique était de faire en sorte que les parties américaines appliquent cet accord international lorsqu’elles désiraient des pièces qui se trouvaient sur leur territoire. Cela en lieu et place de la procédure de Discovery.

En 1980, la France décide d’amender la loi du 26 juillet 1968. L’intention de la France est ici de pouvoir renforcer la Convention de la Haye récemment adoptée. La France souhaite surtout élargir le champ d’application de la loi. Il y est fait référence, à la « souveraineté, à la sécurité et aux intérêts économiques essentiels de la France ».
Cette loi dite de « blocage » semble de prime abord très sévère. Elle place en effet les entreprises françaises dans une situation délicate. Ces dernières sont à la fois tiraillées entre une procédure de Discovery infernale et de l’autre côté une législation nationale qui vise à les sanctionner s’ils osent obéir aux injonctions américaines.

L’idée de la loi était plus dissuasive que répressive. L’objectif était de pousser les autorités américaines à plébisciter l’utilisation de la commission rogatoire mise en place par la Convention de la Haye de 1970. En effet bloquer des procédures est en contradiction avec l’ouverture économique. Avec la Convention de la Haye et la modification de la loi de blocage en 1980, on pouvait imaginer la disparition des procédures de Discovery visant les entreprises françaises. Tous ces espoirs ont été malmenés par un arrêt du 14 janvier 1987 rendu par la Cour Suprême des Etats-Unis qui est venue remettre en cause la Convention de la Haye et la procédure prévue par cette dernière afin d’obtenir des preuves à l’étranger.

L’arrêt du 14 Janvier 1987 rendu par la Cour Suprême des Etats-Unis : l’affaire Aérospatiale.

Dans un arrêt du 14 Janvier 1987, Société Nationale v. District Court 482 U.S. 522, la Cour Suprême qualifie la procédure de commission rogatoire de « supplément permissif, et non d’une solution préemptive de remplacement ». La Cour reste très floue quant à la balance des intérêts entre les deux parties. Pour la Cour Suprême les parties américaines n’ont pas à se conformer à des procédures défavorables alors même que les Etats étrangers refusent d’appliquer la procédure américaine. Pour la Cour suprême, une partie étrangère ne peut donc pas demander l’application de la Convention de la Haye mais elle ne peut également pas tenter d’avancer le fait qu’une loi de blocage nationale l’empêche de pouvoir se soumettre aux procédures telles que la Discovery.
L’arrêt Aérospatial va être l’occasion pour la Cour Suprême de définir des critères cela à travers le « comity test ». Il s’agit de la mise en balance des intérêts des parties. Le juge va devoir juger de l’importance de plusieurs points comme des informations demandées par rapport aux enjeux du litige, du degré de spécificité de la requête, de la localisation géographique des informations requises, de l’existence d’alternatives « simples et efficaces » dans le pays étranger pour obtenir les documents, des intérêts nationaux respectifs des États-Unis et de l’État étranger et enfin de l’effectivité des sanctions encourues dans l’État prévues en cas de violation de la loi de blocage (critère du hardship ou encore critère d’effectivité de la loi). La Cour suprême estime que la loi du 26 juillet 1968 est inappliquée en France, et l’entreprise qui se soumet à la procédure de Discovery ne risquait aucunes sanctions réelles.

Les juridictions américaines n’ont alors eu de cesse d’appliquer la position de la Cour suprême. Comme ce fut le cas d’un arrêt « AccessData Corp. v. ALSTE Technologies » rendu le 21 janvier 2010 par la cour du District de l’Utah qui a rejeté l’ensemble des arguments d’une société allemande qui invoquait en défense à la fois la Convention de La Haye précitée, la loi fondamentale de la République fédérale allemande et la législation allemande sur la protection des données à caractère personnel [2].
Ce fut également le cas de juridictions d’Etat de common law comme le Royaume-Uni jugeant également la loi de blocage française comme ineffective [3].

Un semblant de conciliation apparait avec un arrêt du 21 février 2014 de la Cour de la Chancellerie du Delaware elle constate que la loi de blocage n’est pas efficiente.

Les sanctions sont extrêmement rares. Un seul arrêt de la Cour de cassation est venu condamner par une amende le non-respect de cette loi de blocage.

Il s’agit d’un arrêt rendu par la chambre criminelle le 12 décembre 2007 et cela dans le cadre de l’affaire Executive Life. Toutes les autres décisions rendues par des juridictions n’ont pas été assortie de sanctions pécuniaires.

L’apport réel de cet arrêt est que la Cour du Delaware fait primer la Convention de la Haye mais cela dans de stricts délais. Il est imposé un délai de 5 jours pour obtenir une commission rogatoire et transmettre les documents. Un délai maximal de 37 jours est prévu pour la communication totale des documents. Cet arrêt démontre une volonté de conciliation de la part des juridictions américaines, notamment concernant les procédures nationales des Etats étrangers. Concernant les cas fréquents de disproportions des demandes la Cour rappelle la position de la Cour Suprême des Etats-Unis qui prévoit un simple renvoi à l’appréciation des juridictions saisies.
Cette procédure de Discovery a fait pourtant l’objet de nombreux abus, des abus qui visent à porter atteinte aux secrets de productions des sociétés françaises. Depuis, la notion de secret des affaires s’est considérablement développée.

La protection du Secret des Affaires face aux procédures de Discovery.

La directive du 15 juin 2016 n° 2016/943 définit les « conditions nécessaires » à la reconnaissance d’une information comme étant un secret d’affaire à l’article 2 « Définitions » :
« Aux fins de la présente directive, on entend « Secret d’affaires », des informations qui répondent à toutes les conditions suivantes :
a) elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles,
b) elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes,
c) elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes
 »

La directive européenne n° 2016/943 du 8 juin 2016, adoptée à une large majorité par le Parlement européen, instaure un dispositif complet de secret des affaires au niveau européen. Il y a également une harmonisation européenne concernant la procédure de blocage. L’article 9 alinéa 1er de la directive dispose que les Etats membres devront, au minimum, veiller : « à ce que les parties, leurs avocats ou autres représentants, le personnel judiciaire, les témoins, les experts et toute autre personne participant à une procédure judiciaire relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret d’affaires (…) ne soient pas autorisés à utiliser ou divulguer un secret d’affaires ou un secret d’affaires allégué que les autorités judiciaires compétentes ont, en réponse à la demande dûment motivée d’une partie intéressée, qualifié de confidentiel et dont ils ont eu connaissance en raison de cette participation ou de cet accès (…). »

Il est également prévu par la directive, au deuxième alinéa de l’article 9, que :
« Les États membres veillent également à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande dûment motivée d’une partie, prendre les mesures particulières nécessaires pour protéger le caractère confidentiel de tout secret d’affaires ou secret d’affaires allégué utilisé ou mentionné au cours d’une procédure judiciaire relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret d’affaires. Les États membres peuvent aussi permettre aux autorités judiciaires compétentes de prendre de telles mesures d’office. »

L’intention du législateur européen est clairement d’apporter une harmonisation concernant la procédure de blocage, afin que cette dernière puisse être appliquée un minimum à travers les pays de l’Union Européenne. Une harmonisation plaide en faveur de l’argument d’efficacité si cher à la Cour Suprême des Etats-Unis.

L’harmonisation au sein de l’Union Européenne concernant la protection des secrets d’affaires semble être l’un des objectifs de la directive.
Cependant qu’en est-il des entreprises européennes qui sont situées ou bien commercent à l’étranger comme aux Etats-Unis ?
Quelle protection est réellement apportée concernant les procédures américaines de Discovery ?
Le secret d’affaire a vocation à devenir une protection supplémentaire face aux procédures de Discovery ?

Comme il a été cité précédemment il semble que la Convention de la Haye du 28 mars 1970 ait encore et toujours un rôle à jouer. Néanmoins il est clair que les juridictions américaines à travers les différentes décisions précitées n’ont pas l’intention d’appliquer pleinement la Convention de la Haye. Les entreprises françaises restent devant le fait établi, soit elles transmettent leur secret d’affaires à des concurrents soit elles se voient appliquer des sanctions extrêmement sévères de la part des juridictions américaines.

La directive aurait pu être l’occasion d’affirmer une position conjointe en provenance de l’Union Européenne et protéger les entreprises européennes à l’international contre les différentes procédures de Discovery dissimulant des « fishing-expedition ».
Le législateur français restait en effet libre de renforcer les dispositifs prévus par la directive lors de sa transposition en droit interne, il n’a malheureusement pas saisi cette occasion. La directive n° 2016/943 est-elle un véritable Economic Espionage Act « à l’européenne » ?

Omar Attia, Avocat

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Notes de l'article:

[1Voir : Meyer Fabre, L’obtention de preuves à l’étranger. Travaux du comité français de droit international privé. Années 2002-2004. Éditions Pédone, 2005.

[2Voir également : Adidas (Canada) Ltd v. SS Seatrain Bennington, WL 423 (S.D.N.Y., 30 mai 1984), et In re Vivendi Universal, WL 3378115 (S.D.N.Y., 16 novembre 2006). Contra : In re Perrier Bottled Water Litigation, 138 F.R.D. 348 (D. Conn. 1991).

[3Queen’s Bench Division, Partenreederi M/S "Heidberg" v. Grosvenor Grain and Feed Company Ltd, 31 mars 1993.

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