1) Une obligation déontologique d’origine prétorienne
Tout d’abord, il convient de rappeler que cette obligation se différencie de l’obligation de discrétion professionnelle qui impose aux agents de ne divulguer aucunes informations émanant de son service.
Par ailleurs, il s’agit d’une obligation purement prétorienne posée dans les années 30 par quelques célèbres jurisprudences (CE 11 janvier 1935 Bouzanquet, CE 10 février 1939 Ville de Saint Maurice).
L’obligation de réserve pouvant être définie comme une interdiction faite aux fonctionnaires d’éviter pendant et en dehors du service (CE ASS 31 janvier 1975 n°88338 W) toute manifestation d’opinion ou de comportement de nature à porter atteinte à l’image et à la considération du service public et ce quel que soit le média utilisé, le caractère oral ou écrit des propos, le caractère public ou non des propos.
A ce propos, rappelons que les contenus des messageries électroniques ou de forums de discussion peut donner lieu à l’engagement de procédure disciplinaire pour manquement à l’obligation déontologique de réserve (CE 23 avril 2009 Mr G N°316862).
On le voit, il s’agit donc d’une modulation à la liberté d’opinion et d’expression du fonctionnaire, prévue à l’article 6 de la loi 1983 qui varie en fonction de sa position de son rang (détenteurs d’emplois fonctionnel, agent de catégorie C), et de sa fonction (préfet, militaire ou magistrats), ou si le fonctionnaire détient ou non un mandat syndical.
Ainsi un syndicaliste aura beaucoup plus de latitude qu’un simple agent pour dénoncer des dysfonctionnements au sein de son service ou de son établissement sans toutefois dépasser certaines limites comme des propos virulents et violents portant atteinte à la réputation du service et au fonctionnement du service (CAA Bordeaux, 4 nov. 2008, n° 07BX01721, CE 23 avril 1997 bitauld).
Il doit donc se garder de toute forme de dénigrement de son service
D’autre part, certaines professions sont soumises à une stricte application de leurs devoirs de réserve telles les militaires, la police et la gendarmerie.
2) Une évolution des juridictions administratives sur ce sujet
Jadis, le Conseil d’État avait adopté une attitude très ferme quant au respect de cette obligation déontologique par les agents de la fonction publique (ex : CE 22 octobre 1986 n°60912 Hôpital local de sault/Brisson).
C’est la même conception qu’a suivie la Cour Européenne Des Droits de l’Homme (CESDH) au visa de l’article 10 et qui confirme la prégnance de cette obligation de réserve (ex : dans l’affaire Matelly, CEDH 15 sept 2009 req n°303330/04Mattely /France).
Néanmoins, dans cette même affaire la haute juridiction, tout en confirmant la violation du devoir de réserve par un agent de la force publique (un gendarme), a estimé dans un considérant que la sanction de radiation était disproportionnée compte tenu « du caractère mesuré » des propos et que ces derniers qui « exprimaient une critique de fond présentée comme une défense du corps d’appartenance » (CE 12 janvier 2011 N°338461 Mr Matelly).
Ainsi, sur le fond, un assouplissement de la position jurisprudentielle semble voir le jour à l’occasion du contrôle normal désormais possible, par les juridictions administratives, sur la proportionnalité de la sanction disciplinaire à la faute (voir en ce sens l’arrêt d’assemblée CE Ass 13 novembre 2013 Mr D n°337704).
3) Les lanceurs d’alertes et l’évolution souhaitable de cette obligation déontologique.
Il convient d’emblée d’écarter de notre étude les cas où les fonctionnaires et agents publics sont dans des situations d’obligation légales (Ex : article 40-2 CPP) c’est-à-dire sans l’aval de leur hiérarchie.
En effet, dès lors qu’il s’agit d’une prescription légale, il s’agit stricto sensu d’une obligation pour l’agent public et non d’une position librement acceptée guidée par une éthique.
Pour autant, n’est-il pas possible de faire évoluer cette notion de lanceurs d’alerte au sein de la fonction publique en prenant appui sur cette avancée jurisprudentielle citée plus haut ? Sans pour autant en dénaturer ses fondements.
Ceci en considérant, par exemple, que le loyalisme dont est astreint tous agents public vis-à-vis de l’État n’est pas incompatible avec une certaine forme d’alerte ou de prise de conscience adressée à l’État et aux collectivités territoriales voire aux citoyens par des agents publics ; sans y voir systématiquement une attaque directe contre la hiérarchie et plus généralement contre la puissance publique.
C’est d’ailleurs déjà le cas puisque notre législation prévoit un droit d’alerte des agents vers leur autorité hiérarchique et au CHSCT lorsqu’ils ont un motif raisonnable de constater l’imminence d’un danger grave pour leur santé et leur sécurité (voir sur ce point les conditions d’usage du droit de retrait au sein de la fonction publique).
Pour autant, peut- on considérer que nous sommes dans une configuration de lanceur d’alerte car il ne s’agit d’une exception au principe d’obéissance hiérarchique reconnue par la législation (article 5-6 du décret 1982) et qui reste malgré tout individuelle, tout en s’inscrivant dans une culture de gestion des risques.
Cette ou ces informations doivent pouvoir être divulguées directement ou par le truchement de journaux ou de sites d’informations ou par des agents publics sans que ces derniers soient inquiétés dans la mesure où cette ou ces informations semblent vraisemblables et que les termes utilisés sont pondérés et qu’elles ne sont pas une forme d’injure ou de diffamation.
On le voit, le Conseil apporte un certain assouplissement dans sa position vis-à-vis de la violation de cette obligation déontologique de réserve pour les lanceurs d’alerte.
Pour autant, il convient d’être réservé sur la position tenue par le Conseil dans son colloque qui s’est déroulé le 4 février 2015 sur ce même sujet et qui a préconisé l’usage de canaux internes de diffusion et que la voie médiatique ne devant rester que l’ultima ratio.
Il est évident qu’en procédant de la sorte, l’administration a tout loisir de censurer des informations d’une importance majeure pour le citoyen.
Pourquoi ne pas considérer qu’une ou plusieurs observations constructives et circonstanciées faites par un ou plusieurs agents et respectant les principes républicains seraient une source d’amélioration du service rendu à la population et un gage de transparence de la vie publique en générale ?
Pour terminer, on aurait pu s’attendre que la nouvelle loi votée récemment (Loi 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligation des fonctionnaires) apporte à une avancée substantielle dans ce domaine.
Pour autant, on reste sur sa faim puisque le législateur a décidé d’évoquer ces lanceurs d’alerte uniquement lorsque se présentait un conflit d’intérêt entre un fonctionnaire et son administration.
Cette reconnaissance « a minima » semble ne pas être à la hauteur d’une loi qui ambitionnait de rénover totalement la déontologie de la fonction publique.