Décret de dissolution "Les Soulèvements de la Terre", la désobéissance civile légitimée.

Par Pierre-Henri Bovis, Avocat.

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Explorer : # désobéissance civile # dissolution d'association # liberté d'association # violence

La décision du Conseil d’Etat pourrait constituer une jurisprudence importante en matière de droit à la désobéissance civile. Au-delà de dire le droit et protéger les libertés fondamentales, le Conseil d’Etat assume de plus en plus un rôle de régulateur social évident...et conforte aussi l’idée que la participation à des manifestations interdites, lesquelles sont à l’origine de violences, peut être tacitement autorisée selon les cas.

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Pourquoi viser Les Soulèvements de la Terre ?

« Le recours à la violence n’est pas légitime dans un Etat de droit et c’est bien cela qui est sanctionné », affirmait le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, à l’issue du Conseil des ministres pour justifier la dissolution des Soulèvements de la Terre.

Formé en 2021, "les Soulèvements de la Terre" se définit comme une « tentative de construire un réseau de luttes locales tout en impulsant un mouvement de résistance et de redistribution foncière à plus large échelle ». Comprendra qui voudra, le but poursuivi de ce collectif fait la promotion de violences pour atteindre un objectif soi-disant pacifique. La désobéissance civile est donc au coeur de l’action. Peut-elle être toutefois utilement légitime in fine ?

Le 21 juin, le ministre de l’Intérieur et de l’outre-mer prenait un décret de dissolution des Soulèvements de la Terre. En effet, depuis la loi du 24 août 2021 confortant les valeurs de la République, la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait en raison d’agissements de l’un de ses membres est possible. Pour engager cette responsabilité par ricochet, les agissements doivent être directement liés à l’activité du collectif. À défaut, la dissolution ne peut être prononcée légalement.

Sur quelle base juridique le décret a t-il été pris ?

Dans son décret, le ministre se fonde notamment sur l’article L212-1, 1° du Code de sécurité de l’intérieure, lequel dispose que :

Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens.

Or, par une ordonnance du 11 août 2023, le juge des référés du Conseil d’État, statuant dans une formation composée de trois conseillers d’État, a suspendu la dissolution des Soulèvements de la Terre. Les juges des référés ont estimé qu’il existe un doute sérieux quant à la qualification de provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens retenus par le décret de dissolution et que la décision attaquée (autrement dit le décret) cause une atteinte disproportionnée à la liberté d’association. Par cette décision, le Conseil d’Etat protège les libertés fondamentales mais rend également la désobéissance civile légitime in fine dans les actions menées.

Comment fonder une demande de suspension en matière de référé ?

En effet, pour qu’il soit fait droit à la demande de suspension en référé, deux conditions doivent être remplies : la mesure en cause doit caractériser une situation d’urgence et qu’il y ait un doute sérieux sur sa légalité. Les juges des référés du Conseil d’État estiment que ces deux conditions sont remplies.

Au stade du référé, les éléments apportés par M. G. Darmanin pour justifier la légalité du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre n’apparaissent pas suffisants au regard des conditions posées par l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure. Il semblerait que ni les pièces versées au dossier, ni les échanges lors de l’audience, ne permettent de considérer que le collectif cautionne d’une quelconque façon des agissements violents envers des personnes.
A quel moment le juge considère ainsi qu’il existe un trouble à l’ordre public ?
A quel moment le juge considère qu’un collectif cautionne des actions violentes ?
Le curseur est librement apprécié par les juges comme il a été rappelé dans les décisions dites "Burkini".

Est-ce que la décision en référé, laquelle est provisoire, permet d’anticiper la décision au fond à intervenir ?

Le référé administratif a précisément pour objectif de priver la décision publique de son exécution d’office en cas de doutes sérieux sur sa légalité. Il est évident que la décision du Conseil d’État juge en amont de l’analyse du fond, de la légalité de la décision de dissolution puisqu’elle constate un « moyen sérieux » d’illégalité et la prive de sa force exécutoire.
Si le dossier soumis aux juges des référés n’est pas de nouveau argumenté, amplifié avec de nouvelles preuves, constats, arguments juridiques et moyens de faits, les juges du fond devraient prendre une décision d’annulation du décret querellé.

Décision juridique ou politique ?

Créé sous le Consulat en 1799, la plus haute juridiction administrative pourrait illustrer la permanence d’une grande et longue tradition bureaucratique française comme le fait remarquer par Alexis de Tocqueville dans son ouvrage L’Ancien Régime et la Révolution.

Au fil des années, le Conseil d’État s’est pourtant affranchi de son rôle de conseil en matière judiciaire, jusqu’à l’abandon définitif en 1889 par l’arrêt Cadot du principe de la « justice retenue » selon lequel il rendait la justice au nom du gouvernement. Il œuvre désormais au développement du droit administratif au travers de ses arrêts, le droit administratif étant largement « prétorien ».

Et plus la société se judiciarise et s’enflamme autour de débats intéressant la vie publique, les libertés et l’affrontement quasi séculaire entre culturel et cultuel, plus le Conseil d’État s’exprime et sa jurisprudence s’impose.

Pour autant, le fonctionnement du Conseil d’Etat et la composition de ses membres peuvent questionner sur l’objectivité réelle d’appréciation et l’impartialité des juges des référés sur ces moyens sérieux d’illégalité tant le sujet est parfois politique et l’enjeu de taille pour le gouvernement. Les allers-retours entre le Conseil d’Etat et les lieux d’exercice du pouvoir sont la cause de ces interrogations légitimes. À lire les biographies de ceux qui y sont nommés, il est possible de comprendre pourquoi. A seul titre d’exemple le président de la section du contentieux est Christophe Chantepy... ancien directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, et proche de François Hollande. Tandis que la section de l’intérieur du Conseil d’État était présidée par...l’ancienne directrice de cabinet de François Hollande, Madame Sylvie Hubac avant qu’elle ne soit remplacée par M. Thierry Tuot.

Cette collusion doit disparaître pour que le juge administratif suprême puisse incarner pleinement cette conception radicale de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire. Le Conseil d’Etat est protecteur des droits et des libertés fondamentaux, doit le rester et doit surtout s’affranchir de tout risque de critiques sur son mode de fonctionnement pour que l’Etat puisse se soumettre sans difficulté au droit.

Ce doute de partialité paraît toutefois levé au cas d’espèce des Soulèvements de la Terre par la pluralité des magistrats requis pour la cause. Trois magistrats ont statué sur ce dossier pour justement éviter qu’un seul magistrat devienne la cible d’attaques ad hominem , ad personam ou politiques.

En tout état de cause, il est toujours cocasse de voir le juge suprême de l’ordre administratif, conseiller juridique du gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat, sanctionner un décret pris par un ministre en poste...

Pierre-Henri Bovis
Avocat au Barreau de Paris
phb chez raultbovis.fr

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