Depuis la fin des années 1990, de nombreux établissements bancaires français, notamment BNP, Crédit mutuel et Crédit agricole, proposent à des consommateurs français, pour financer leur résidence principale ou un investissement locatif, de souscrire des prêts en francs suisses, amortissables ou in fine, dans le cadre de montages contractuels souvent complexes.
Ces prêts, présentés par les banques comme avantageux en raison de leurs taux d’intérêt en apparence attractifs, se sont rapidement révélés toxiques puisqu’ils font supporter aux consommateurs seuls un risque de change illimité, dont la réalisation leur cause un préjudice financier particulièrement important, sans pour autant les en avoir correctement informés.
Ce risque de change s’étant réalisé par l’effet des crises économiques successives intervenues à partir des années 2000, les prêts libellés en francs suisses ont généré partout en Europe et notamment en France un contentieux très abondant.
L’affaire Helvet Immo, du nom commercial d’un prêt en franc suisse commercialisé par les sociétés UCB et BNP Paribas Invest Immo, devenues ensuite Cetelem puis BNP Paribas Personal Finance, en est l’illustration parfaite. Ce prêt a donné lieu à la condamnation pénale de la banque en première instance notamment du chef de pratique commerciale trompeuse [1] dès lors que les consommateurs à qui ce prêt avait été commercialisé n’avaient pas été mis en mesure de comprendre le risque de change auquel ils s’exposaient et encore moins les conséquences désastreuses de sa réalisation sur leurs situations financières . Ce prêt a également donné lieu a plus de 2.000 actions de consommateurs devant les juridictions civiles, qui portent aujourd’hui principalement sur le caractère abusif des clauses du contrat qui font supporter au consommateur le risque de change.
Ces actions devant les juridictions civiles, dans le cadre de l’affaire Helvet Immo, ont permis une évolution singulière du droit français des clauses abusives, sous l’impulsion de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En effet, à la suite de questions préjudicielles posées dans le cadre de ces actions devant les juridictions civiles, la CJUE a rendu deux arrêts déterminants le 10 juin 2021 [2] , rappelant l’interprétation qu’il convient de faire de la Directive 93/13 [3] . La Cour de cassation, ensuite de ces arrêts du 10 juin 2021, a reviré sa jurisprudence initialement favorable à la banque pour donner raison aux consommateurs par deux séries d’arrêts du 30 mars 2022 [4] et du 20 avril 2022 [5] , par la suite confirmés à plusieurs reprises [6].
Des décisions identiques ont été rendues au bénéfice d’emprunteurs ayant souscrit d’autres prêts en francs suisses similaires, notamment commercialisés par le Crédit Mutuel [7] .
Dans le prolongement de ces arrêts, le 12 juillet 2023, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée sur un prêt en francs suisses souscrit auprès du Crédit Mutuel [8] . À l’occasion de cet arrêt particulièrement important, publié aux lettres de la chambre du même jour et annoncé par un communiqué de presse , la Cour de cassation parachève sa jurisprudence relative au caractère abusif des clauses relatives au risque de change dans ce type de prêts en se prononçant pour la première fois sur la sanction attachée au caractère abusif de ces clauses (I) ainsi que sur ses conséquences (II).
I – Le caractère abusif des clauses relatives au risque de change entraine l’annulation du contrat.
Il était acté tant par la jurisprudence de la CJUE que de la Cour de cassation que l’action en constatation du caractère abusif d’une clause, notamment d’une clause relative au risque de change dans un prêt en francs suisses, est imprescriptible.
Il était également acté tant par la jurisprudence de la CJUE que de la Cour de cassation qu’une clause relative au risque de change dans un prêt en francs suisses est abusive dès lors que, bien que relevant de l’objet principal du contrat, celle-ci n’est pas transparente, c’est-à-dire qu’elle n’est ni claire ni intelligible pour le consommateur. En effet, il se déduit de cette absence de transparence et du risque qui pèse sur le consommateur que la banque, en l’ayant correctement informé, ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’il souscrive au contrat.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, la Cour d’appel de Paris avait relevé que les clauses relatives au risque de change du contrat en cause, souscrit auprès du Crédit Mutuel, n’étaient ni claires ni intelligibles pour le consommateur dès lors, notamment, qu’elles ne l’informaient pas ni sur les éléments fondamentaux du contrat ayant trait au risque de change, ni sur les conséquences financières résultant pour lui de la réalisation de ce risque. Elle en avait donc déduit que ces clauses étaient abusives et réputées non écrites.
La Cour de cassation, appliquant sa jurisprudence désormais constante, valide ce raisonnement et, ainsi, le caractère abusif de ces clauses.
C’est au niveau de la sanction appliquée à ces clauses que se situe le réel premier apport de l’arrêt, puisque c’est la première fois qu’elle avait à se prononcer à ce sujet.
Reprenant à son compte le raisonnement tenu par la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation confirme ainsi qu’une clause relative au risque de change abusive et réputée non écrite, parce qu’elle relève de l’objet principal du contrat, fait disparaitre de manière rétroactive l’entier contrat.
Cette solution n’a toutefois rien de surprenant. Elle résulte d’une application rigoureuse, d’une part, de l’article 6 de la Directive, qui dispose qu’une clause abusive est réputée non écrite et que « le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives » et, d’autre part, de la jurisprudence de la CJUE qui pose une présomption d’impossibilité pour le contrat de continuer à fonctionner, et donc de subsister, lorsque la clause abusive relève de l’objet principal du contrat [9].
II – L’ensemble des versements effectués au-delà du capital initial du prêt doit être restitué à l’emprunteur.
Dans cet arrêt de la Cour de cassation, deux autres questions importantes lui étaient posées au sujet des conséquences de la disparition rétroactive du contrat, qui implique de replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées si le contrat n’avait pas été conclu et, partant, d’ordonner des restitutions réciproques consécutives.
D’abord, le pourvoi soutenait que la demande des consommateurs tendant à obtenir les restitutions se prescrivait par application du délai de cinq ans, prévu à l’article 2224 du Code civil et dont le point de départ glissant devait être fixé à la première baisse significative, selon elle, du cours de change EUR/CHF, c’est-à-dire en 2009.
La Cour d’appel, quant à elle, avait jugé que la demande de l’emprunteur n’était pas prescrite, en fixant comme point de départ du délai de prescription le jour du remboursement du capital du prêt in fine.
Ces deux thèses sont écartées par la Cour de cassation, qui retient par une substitution de motifs de pur droit que le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution de l’emprunteur doit être fixé au jour de la constatation judiciaire du caractère abusif de la clause.
Cette solution doit être approuvée en ce qu’elle est parfaitement conforme à la jurisprudence constante de la CJUE et respectueuse de ses principes fondamentaux, notamment d’effectivité et d’équivalence [10]. Elle assure ainsi la protection effective du consommateur, précisément la possibilité de pouvoir de solliciter les restitutions consécutives à l’annulation du contrat.
Ensuite, la Cour de cassation se prononce sur le contenu des restitutions réciproques entre les parties, validant ainsi l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait retenu que l’emprunteur doit restituer à la banque les sommes effectivement mises à sa disposition lors de la conclusion du contrat, la banque devant quant à elle restituer à l’emprunteur toutes les sommes perçues en exécution du prêt, en tenant compte du taux de change applicable au moment de chaque paiement réalisé.
Il faut à nouveau se réjouir de cette prise de position de la Cour de cassation en ce qu’elle est la seule à même d’effacer intégralement tous les effets passés du prêt, ce qui correspond à l’objectif premier poursuivi par la Directive 93/13. Elle prive également le Crédit Mutuel de toute rémunération dans le cadre de ce prêt et confère un effet dissuasif à la sanction, participant à l’un des objectifs à long terme de la directive, à savoir l’éradication totale des clauses abusives dans les contrats de consommation.
Notons enfin que cet arrêt, au-delà de ses apports juridiques évidents en ce qu’il apporte des réponses pratiques attendues par de nombreux juges du fond, ce qui est largement souligné par la Cour de cassation au sein de son communiqué de presse, marque l’aboutissement d’une construction jurisprudentielle sur le fondement des clauses abusives en parfaite conformité avec la Directive 93/13 telle qu’interprétée par la CJUE.
Il marque également un tournant dans l’important contentieux généré par les prêts en francs suisses puisqu’il constitue la première victoire définitive d’un emprunteur sur ce fondement tout en lui assurant une réparation intégrale de son préjudice.
Dès lors, désormais, l’ensemble des consommateurs concernés par ces prêts peuvent, selon leur situation, prétendre au bénéfice de cette jurisprudence.
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C’est article nous apporte que du bonheur
Vivement le 28 novembre
Bon travail Maître
Très bon article
Enfin des explications claires
Encore merci pour nos droits