La complexité de la fusion-absorption en droit OHADA : état de la jurisprudence. Par Abdoul-Razak Tsahirou Idi, Doctorant.

La complexité de la fusion-absorption en droit OHADA : état de la jurisprudence.

Par Abdoul-Razak Tsahirou Idi, Doctorant.

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La complexité de la fusion-absorption en droit OHADA réside dans la multiplicité des critères légaux et des étapes procédurales requises, ce qui est reflété dans la jurisprudence.
Les décisions récentes de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) montrent une tentative d’apporter de la clarté sur les aspects controversés, tels que la transmission universelle du patrimoine et les droits des créanciers. Cependant, les divergences d’interprétation et le manque de directives précises continuent de poser des difficultés, soulignant la nécessité d’une réforme législative de l’AUSCGIE pour simplifier et sécuriser ces opérations complexes.

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On peut définir la fusion comme l’opération par laquelle deux sociétés se réunissent pour n’en former qu’une seule :

  • soit par voie de création d’une nouvelle société : dans ce cas, il y a disparitions des deux premières entités.
  • soit par absorption de l’une par l’autre. Dans ce cas, les éléments actifs et passifs des patrimoines d’une société sont transmis au profit de l’autre société.
    Le passif de la société absorbée est donc pris en charge par la société absorbante. Il y a dissolution de la société absorbée. C’est la fusion-absorption. C’est la forme de fusion la plus répandue.

L’Acte Uniforme sur les sociétés commerciales comporte des dispositions générales, des dispositions particulières aux Sarl. Le droit OHADA adapte ces dispositions aux Sociétés anonymes qui réalisent des fusions entre elles.
La fusion-absorption peut être réalisée entre des sociétés de formes différentes. Et, il est admis qu’une société même dissoute peut participer à une fusion à condition qu’il n’ait été procédé à aucune répartition d’actifs entre les associés.
Pour qu’il y ait fusion absorption, il faudrait que trois (3) conditions cumulatives soient remplies à savoir :

  • la transmission universelle de patrimoine,
  • l’échange de droits sociaux et,
  • la dissolution sans liquidation de la société absorbée.

Il est communément admis qu’une fusion-absorption suppose souvent une longue préparation et de longues tractations au cours desquelles sont discutées les conditions de l’opération.

Les lacunes de la fusion absorption entre les sociétés commerciales en droit OHADA s’aperçoivent au niveau théorique et pratique.

Au niveau théorique, la fusion absorption, en tant que mécanisme de restructuration d’entreprise, suscite des critiques. Tout d’abord, la concentration du pouvoir décisionnel entre les mains des dirigeants de la société absorbante peut compromettre les droits des actionnaires minoritaires, ce qui peut être perçu comme une perte financière pour ces derniers. Ensuite, la dilution des intérêts des actionnaires, en particulier ceux des sociétés absorbées, peut entraîner une diminution de la valeur des actions et susciter des préoccupations quant à l’équité de la transaction.
Au-delà des considérations financières, la fusion absorption peut avoir une influence sur les employés des sociétés concernées. Les suppressions d’emplois résultant des doublons de postes et les perturbations de la stabilité des équipes peuvent générer des tensions sociales et nécessitent des mesures appropriées pour atténuer l’impact sur les travailleurs. De plus, les défis opérationnels liés à l’intégration des systèmes, des processus et des cultures d’entreprise peuvent entraîner des perturbations opérationnelles et des inefficacités si elles ne sont pas gérées efficacement.
L’évaluation précise des actifs et des passifs des sociétés fusionnantes est également une étape critique, mais elle peut être sujette à des erreurs et à des divergences d’opinions. Les écarts dans l’évaluation peuvent créer des litiges entre les parties prenantes et nécessitent une transparence accrue ainsi que des mécanismes d’évaluation robustes pour éviter ces conflits. De plus, dans certains cas, la fusion absorption peut entraîner une concentration excessive sur le marché, limitant la concurrence et créant des barrières à l’entrée pour de nouvelles entreprises.

Par ailleurs, la fusion entraîne la transmission universelle du patrimoine de la ou des sociétés fusionnantes à la société absorbante ou à la société nouvelle. Cela soulève des préoccupations quant à la protection des droits des créanciers et des actionnaires minoritaires des sociétés absorbées. En effet, la transmission universelle du patrimoine peut conduire à une dilution des droits des créanciers et des actionnaires minoritaires, sans mécanismes adéquats de protection de leurs intérêts dans le processus de fusion.

De plus, le législateur OHADA ne prévoit pas de dispositions spécifiques pour les sociétés en liquidation qui participent à une fusion. Cette lacune peut poser des défis pratiques et juridiques, notamment en ce qui concerne la détermination des responsabilités et des obligations des sociétés en liquidation dans le cadre de la fusion, ainsi que la protection des droits de leurs créanciers. Ainsi, l’opération de fusion des sociétés commerciales présente des lacunes qui nécessitent une attention particulière par le législateur OHADA.

Par conséquent, bien que la fusion absorption puisse offrir des avantages en termes de synergies et de rationalisation des opérations, les entreprises doivent aborder ces opérations avec prudence en tenant compte des aspects critiques mentionnés. Un cadre juridique solide et des mécanismes de protection adéquats sont nécessaires pour assurer une mise en œuvre éthique et équilibrée de la fusion absorption.
Il est donc recommandé d’envisager des amendements pour préciser les étapes procédurales de la fusion, renforcer la protection des droits des créanciers et des actionnaires minoritaires, et établir des dispositions spécifiques pour les sociétés en liquidation participant à une fusion.

Au niveau pratique, la complexité réside dans la compréhension des défis rencontrés lors de sa mise en œuvre effective et efficace. En effet, bien que la réglementation prévue par le législateur OHADA fournisse un cadre juridique pour les opérations de fusion absorption, la réalité pratique démontre que leur exécution n’est pas toujours aisée. Cette complexité peut être illustrée à travers des jurisprudences, tant anciennes que récentes, qui mettent en lumière les difficultés rencontrées dans la pratique.

Dans l’arrêt du 7 mars 2013 de la CCJA, bien que la décision confirme la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante conformément à l’article 189 de l’AUSCGIE de l’OHADA, elle révèle également une difficulté pratique. Les créanciers ont soulevé le fait que la nouvelle société issue de la fusion continue à exploiter les actifs de la société absorbée, tels qu’une plantation et un quota d’exportation, dont ils étaient bénéficiaires. Cette situation soulève des questions sur la gestion des actifs post-fusion et la protection des droits des créanciers. Malgré la transmission universelle du patrimoine, la continuité de l’exploitation des actifs fusionnés peut être sujette à des litiges et à des désaccords entre les parties, illustrant ainsi les défis pratiques de la fusion absorption en termes de gestion des actifs et des intérêts des parties prenantes.

De même, dans l’arrêt du 27 avril 2015, bien que la Cour ait confirmé la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante et la disparition de la première au profit de la seconde, elle a également souligné que cette transmission permet à la société absorbante de s’approprier le nom commercial de la société absorbée disparue. Cette interprétation soulève des préoccupations quant à la préservation des droits de propriété intellectuelle et à la continuité de l’exploitation sous le nom commercial de la société absorbée. La fusion absorption peut ainsi entraîner des conflits potentiels en matière de propriété intellectuelle et de marques, illustrant les défis pratiques liés à la protection des droits de propriété intellectuelle dans le cadre de ce processus.

Dans un arrêt du 10 octobre 2019 rendu par la CCJA, une nouvelle dimension des difficultés pratiques de la fusion absorption a été mise en évidence. En l’espèce, ORABANK a absorbé la BTD, entraînant la disparition de cette dernière en tant qu’entité distincte. La question soulevée était de savoir si, malgré cette dissolution, la société absorbée pouvait encore être tenue responsable de ses dettes antérieures et si elle pouvait être assignée en justice.
La CCJA a confirmé que, en vertu de l’article 189 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE, la fusion entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société bénéficiaire, et que la société bénéficiaire est tenue de l’intégralité du passif de la société absorbée. Cependant, malgré cette transmission, la société absorbée disparaît en tant qu’entité juridique distincte, ce qui soulève des questions sur sa capacité à être assignée en justice.
Cet arrêt met en lumière un autre aspect des difficultés pratiques liées à la fusion absorption : la question de la responsabilité des dettes et des obligations post-fusion. Bien que la société absorbante soit légalement responsable du passif de la société absorbée, la disparition de cette dernière en tant qu’entité distincte peut compliquer la procédure d’assignation en justice, comme le montre le cas présent.

Dans un autre arrêt du 9 avril 2020, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) a souligné l’importance de rapporter la preuve de la réalité de la fusion. Selon cet arrêt, la réalisation effective de la fusion doit être démontrée, et si cela est fait, il convient de rappeler que, conformément à l’article 1165 du Code civil, les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et ne nuisent pas aux tiers. Ainsi, les sociétés assignées pour une question de fusion ne peuvent être tenues responsables que si la réalité de la fusion est dûment établie.

Dans un autre arrêt en date du 29 décembre 2022, la CCJA a abordé la question de la fusion absorption dans le cadre d’une liquidation de biens. La Cour a souligné que, dans le cas d’une société placée en liquidation des biens, une opération de fusion absorption ne peut être conclue sans fraude. En effet, une telle opération n’est autorisée que dans le cadre d’une liquidation amiable ou judiciaire organisée pour les sociétés en bon état financier, excluant ainsi les sociétés en cessation de paiements placées sous le régime de la liquidation des biens. Cette procédure collective ne prévoit pas la fusion absorption comme solution, ce qui a conduit la Cour à rejeter une demande de fusion absorption conclue en fraude de la loi.

Ces arrêts mettent en lumière les défis pratiques et les considérations juridiques complexes liés à la fusion absorption dans le contexte du droit OHADA.
Ils soulignent l’importance de démontrer la réalité de la fusion et de respecter les dispositions légales applicables, notamment en ce qui concerne les procédures collectives de liquidation. En outre, ils soulignent la nécessité d’une approche prudente et conforme à la loi lors de la réalisation d’opérations de fusion absorption, afin d’éviter toute fraude ou irrégularité juridique.

Abdoul-Razak Tsahirou Idi, Expert ZLECAF & OHADA, Doctorant, Chargé des Travaux dirigés dans plusieurs universités privée, Juriste Collaborateur au Cabinet ALLA KOFFI ETIENNE, Avocats à la Cour

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