La compétence juridictionnelle en matière de sursis à l’exécution dans l’espace OHADA.

Par Cheick Oumar Diakité, Juriste.

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La question de la juridiction compétente est une question que doit toujours se poser le demandeur avant d’exercer son action en justice.
L’objet de cet article est de traiter de la compétence juridictionnelle en matière de sursis à l’exécution dans l’espace OHADA.

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Le sursis à l’exécution consiste en la suspension de l’exécution d’un titre exécutoire.

Selon l’article 81 de la loi L/2017/N° 0003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Supreme :

« Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême peut décider qu’il sera sursis à l’exécution de l’arrêt ou du jugement attaqué, si cette exécution doit provoquer un préjudice irréparable, en ordonnant la constitution par le demandeur au pourvoi d’une garantie dont elle fixe souverainement les modalités et le montant ».

A la lecture ce texte, plusieurs enseignements peuvent être tirés :
1. A priori, la Cour suprême est compétente pour statuer sur une demande de sursis à l’exécution d’une décision rendue en dernier ressort ;
2. Le demandeur doit, avant de faire une telle demande, former pourvoi en cassation ;
3. L’exécution de la décision attaquée doit être de nature à provoquer un préjudice irréparable ;
4. Le demandeur doit constituer une garantie que fixe la Cour par ordonnance.

Sur ce dernier point, il est important de préciser qu’en Guinée, le demandeur au sursis à l’exécution a souvent recours à cette pratique qui consiste pour lui de fixer un montant de la garantie dans sa requête aux fins de sursis à l’exécution ; pratique que la juridiction présidentielle du Tribunal de commerce de Conakry semble ne pas vouloir entériner, dans la mesure où dans l’affaire Monsieur Claude André Gindein contre Madame Rouguiatou Bah, elle a rejeté, suivant ordonnance en date du 1er février 2022, une demande de nullité d’une saisie attribution de créances au motif que c’est la Cour suprême qui doit ordonner la constitution par le demandeur au pourvoi d’une garantie dont elle fixe souverainement les modalités et le montant, et non le demandeur lui-même.

Cela dit, il s’agit de se poser la question de savoir si la Cour suprême est compétente pour statuer sur le sursis à l’exécution d’un arrêt rendu par une cour d’appel.

A priori, et aux termes de l’article 81 de la loi sus-citée, la réponse est affirmative. D’ailleurs, en application du principe du double degré de juridiction, il est tout à fait normal de saisir la Cour suprême, afin que cette dernière se prononce sur le sursis à l’exécution d’un arrêt rendu en appel.

Toutefois, cette thèse doit être relativisée. En effet, l’article 81 de la loi sur la Cour suprême de Guinée semble être en contradiction avec l’article 49 de l’Acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUVE). En clair, la Cour suprême semble empiéter sur la compétence du juge de l’article 49 qui n’est personne d’autre que le Président de la juridiction compétente statuant en matière d’urgence, et en premier ressort, ou le magistrat délégué par lui.

En effet, l’article 49 de l’AUVE dispose :

« La juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui.
Sa décision est susceptible d’appel dans un délai de quinze jours à compter de son prononcé.
Le délai d’appel comme l’exercice de cette voie de recours n’ont pas un caractère suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du président de la juridiction compétente
 ».

Saisie d’un pourvoi en cassation, la CCJA a rappelé que la juridiction compétente en matière de sursis à l’exécution d’une décision rendue en dernier ressort est le Président de la juridiction compétente statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui, conformément aux dispositions de l’article 49 de l’AUVE [1].

En clair, selon la juridiction suprême de l’OHADA, les juridictions internes, fussent-elles des juridictions de cassation, ne peuvent pas spolier la compétence du juge de l’article 49 de l’AUVE qui statue sur toutes mesures relatives à une exécution forcée ou à une saisie conservatoire.

D’ailleurs, la compétence de la Cour suprême en matière de sursis à l’exécution d’un arrêt rendu en dernier ressort est discutable, dans la mesure où, en statuant sur le mérite de la demande de sursis, les juges de la Cour suprême apprécient des faits, ce qui, traditionnellement, ne relève pas de leur compétence : la Cour suprême est juge du droit et non juge des faits.

En outre, dans une espèce où la résolution du litige nécessite l’application d’un Acte uniforme, la partie ayant été déboutée en appel - qui formera un pourvoi et qui fera une demande de sursis à l’exécution - se heurtera à l’incompétence manifeste de la Cour suprême. Cela dit, en droit, on dit : « qui peut le plus peut le moins ».

A contrario, celui-là qui ne peut le plus ne pourra pas le moins. En clair, si la Cour suprême ne peut apprécier un pourvoi formé devant elle, elle ne saura a fortiori apprécier une demande de sursis à l’exécution.

Que fera alors la partie ayant été déboutée en appel ? Par devant quelle juridiction devra-t-elle introduire sa demande de sursis à l’exécution ? En application des dispositions de l’article 49 de l’AUVE, la partie ayant été déboutée en appel ne pourra que saisir le juge de l’article 49 de l’AUVE, qui est le seul compétent.

En définitive, et en application de l’article 10 du Traité OHADA, la Cour suprême guinéenne doit se déclarer incompétente au profit du juge de l’article 49 de l’AUVE, toutes les fois qu’elle sera saisie d’une demande de sursis à l’exécution d’un titre exécutoire, fut-ce un arrêt rendu en dernier ressort.

Cheick Oumar Diakité
Juriste
diakitecheick754 chez gmail.com

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Notes de l'article:

[1CCJA, arrêt n°012/2008, 27 mars 2008 Zongo André et Ayants-droit de feu Koama Paul c/ Société Générale d’Entreprise Bâtiments Génie Civil dite Sogeper.

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