Village de la Justice : Pourquoi passer une spécialisation ?
Katy Sadrin : « La spécialisation est la garantie, prévue par la loi, de la compétence de l’avocat. Elle favorise la lisibilité pour le public de compétences acquises au sein d’une liste renouvelée de mentions de spécialisation (arrêtée par le garde des Sceaux, sur proposition du CNB), sous condition du maintien d’un niveau élevé d’exigence et d’une formation continue renforcée ; les avocats titulaires d’une ou deux spécialisations sont référencés comme tels au sein de l’annuaire national des avocats.
- Katy Sadrin
Il y a d’abord une dimension individuelle : la satisfaction personnelle d’obtenir un certificat (comme on obtient un diplôme).
C’est la reconnaissance par ses pairs d’un investissement personnel pour une matière, de son savoir-faire, de ses compétences.
Corrélativement, cela oblige puisqu’en découle une obligation de formation continue dans cette matière pour pouvoir continuer de faire usage de la mention de spécialisation.
Cela donne du confort à sa présentation personnelle : il n’y a plus de risque d’excès de langage, on peut se prévaloir d’être spécialiste et ne pas se contenter d’évoquer une « activité dominante ».
Il y a en outre une réelle plus–value sur le terrain de la relation avec le justiciable/le futur client/son client.
Cela permet de se distinguer, par une compétence particulière reconnue, au-delà du seul diplôme d’avocat, qui peut être mise en avant, tout comme on peut le faire pour un mandat professionnel.
De fait on se rend plus visible, identifiable dans le contexte de la multiplication des offres de services juridiques.
On rend aussi visible sa compétence technique ab initio (avant toute intervention concrète pour le justiciable) et ainsi on rationalise les sollicitations que l’on peut recevoir de clients potentiels, en étant mieux référencé ; cela aide à assumer sa politique de facturation.
Il y a des vertus aussi sur le terrain « profession » :
Être identifié par ses pairs comme ayant une compétence, un savoir particulier (être identifié comme une personne ressource pour dispenser une formation, écrire des articles, intervenir en renfort sur un dossier d’un confrère dont ce n’est pas la spécialité, devenir membre d’un jury à commencer par celui de la spécialisation… etc.)
Dépasser le réseau qu’on a constitué naturellement au gré de son exercice, de ses rencontres.
Développer le sentiment d’appartenance à un panel de confrères dans le contexte où nous sommes 70 000 avocats.
Participer du mouvement qui consiste à renforcer les exigences techniques, améliorer le niveau de la profession, et l’idée que les justiciables peuvent en avoir (parallèle avec la médecine : besoin de généralistes mais aussi besoin de spécialistes).
Enfin, il y a bien un intérêt quelle que soit la matière :
Pour les matières « grand public » (ex : famille, travail : cela permet de se distinguer des avocats généralistes qui exercent aussi dans ce domaine) ;
Pour les matières « de niche » : c’est un moyen « facile » d’être identifié comme compétent dans ce domaine ».
Comment obtenir une mention de spécialisation ? Où se renseigner ? Comment est-elle délivrée ?
K.S. : « La mention de spécialisation est ouverte à tous les avocats dont le temps de pratique professionnelle doit :
"1° Correspondre à la durée normale de travail, telle qu’elle résulte des règlements, conventions collectives, accords ou usages en vigueur pour la catégorie professionnelle considérée ;
2° Avoir été rémunérée conformément aux règlements, conventions collectives, accords ou usages visés au 1° ;
3° Ne pas avoir été suspendue pendant plus de quatre mois à la date de la présentation de la candidature, et à titre exceptionnel pour une durée supplémentaire de quatre mois sur dérogation accordée par la commission de la formation professionnelle prévue à l’article 39."
Source : Article 90 du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.
Conditions pour acquérir la pratique professionnelle.
La pratique professionnelle peut être acquise en France ou à l’étranger :
en qualité d’avocat, dans le domaine de la mention revendiquée ;
en qualité de salarié, dans un cabinet d’avocat intervenant dans le domaine de la spécialisation revendiquée ;
en qualité de membre, d’associé, de collaborateur ou de salarié dans une autre profession juridique ou judiciaire réglementée ou dans celle d’expert-comptable, dont les fonctions correspondent à la spécialisation revendiquée ;
dans un service juridique d’une entreprise, d’une organisation syndicale, d’une administration ou d’un service public, d’une organisation internationale, travaillant dans la spécialité revendiquée ;
dans un établissement universitaire ou d’enseignement supérieur reconnu par l’État, en qualité de professeur ou maître de conférences chargé de l’enseignement de la discipline juridique considérée ;
en qualité de membre du Conseil d’État, de magistrat de la Cour des comptes, de l’ordre judiciaire, des tribunaux administratifs, des cours administratives d’appel, et des chambres régionales des comptes, affecté au sein d’une formation correspondant à la spécialisation revendiquée.
Source : Article 88 du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.
Pièces demandées.
L’avocat qui souhaite passer sa mention dépose un dossier de candidature avec les pièces demandées dont notamment :
Un courrier à l’attention du président du CNB précisant le certificat de spécialisation et, le cas échéant, la qualification spécifique, dont le candidat sollicite l’usage ;
Un curriculum vitae ;
Une attestation de suivi de son obligation de formation continue ;
Une attestation justifiant qu’il est à jour du paiement des cotisations ordinales et de celles du Conseil national des barreaux ;
Le cas échéant, en ce qui concerne la pratique professionnelle acquise en une autre qualité que celle d’avocat, une attestation mentionnant la durée du service effectué et la nature des fonctions occupées ;
Une note de synthèse (rapport synthétique) à destination des membres du jury sur ses activités professionnelles en lien avec le domaine de spécialisation revendiqué.
Une participation aux frais d’inscription est également demandée d’un montant de 800 € TTC (pouvant être prise en charge partiellement par le FIF PL).
Le Conseil National des Barreaux propose alors au candidat une date d’entretien devant un jury nommé par le CNB et composé de 4 membres (deux avocats déjà spécialistes dans la matière/un universitaire et un magistrat) dans un CRFPA. L’entretien dure une heure.
A la suite de cet entretien un procès-verbal est rédigé et retourné par le CRFPA au CNB qui délivre le certificat.
Le CNB est seul compétent pour répondre aux questions sur la spécialisation.
Depuis 2021, des formations sont proposées dans certains CRFPA pour informer et répondre aux questions des avocats sur la spécialisation.
A ce jour, 28 mentions de spécialisation sont proposées ».
Que sont les "qualifications spécifiques" ?
K.S. : « Lors de sa candidature à l’obtention d’une mention de spécialisation, l’avocat peut solliciter en même temps une "qualification spécifique".
La qualification spécifique précise un champ juridique d’intervention privilégié au sein même de la mention de spécialisation sollicitée par le candidat.
Lors de l’entretien, la demande de qualification spécifique, si elle est validée, permet au candidat de valoriser auprès du jury un champ juridique d’intervention privilégié.
Cela étant, le jury reste chargé de vérifier que les compétences professionnelles du candidat sont acquises dans l’ensemble du domaine de spécialisation revendiqué.
Une qualification spécifique ne saurait être accordée par le jury que si celui-ci valide également les compétences professionnelles du candidat dans la mention de spécialisation sollicitée ».
La liste des spécialisations et le dossier de candidature notamment sont à retrouver sur la page dédiée du CNB.
En chiffres ça donne quoi : combien d’avocats demandent une spécialité chaque année ? combien l’obtiennent ? quelles sont les 3 spécialités les plus demandées ?
Les 3 mentions les plus demandées sont pour 2022 :
1) le droit du travail
2) le droit du dommage corporel
3) le droit de la famille (au même niveau que le droit immobilier).
Viennent ensuite le droit fiscal et le droit public.
Pour le reste, voici les derniers chiffres :
(N.D.L.R : « Nombre total de sessions » signifie organisées en France durant l’année, tous CRFPA de France confondus (hors DOM TOM et Corse).)
Au 1er janvier 2024, sur 76 274 avocats :
5059 ont une mention et 1710 ont au moins une seconde mention.
[2].
La Rédac’ prolonge l’info : le décret du 1er décembre 2023.
On parle ici du Décret n° 2023-1125 du 1er décembre 2023 relatif à la formation professionnelle des avocats qui est venu modifier plusieurs articles du décret du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991).
Parmi ses dispositions, plusieurs concernent les spécialisations :
- Au titre de la formation continue, il est précisé (Nouvel article 85-1 du décret de 1991) : "Les titulaires d’un ou deux certificats de spécialisation prévus à l’article 86 consacrent au moins dix heures par an de formation dans le ou les domaines de chacune de leur mention de spécialisation. À défaut, l’avocat perd le droit de faire usage de sa ou ses mentions de spécialisation (...)".
- Désormais, "le Conseil national des barreaux dresse la liste nationale des avocats titulaires de mentions de spécialisation et l’intègre dans l’annuaire national des avocats". (Article 86 du décret de 1971)