L’allotissement, un « principe » de la commande publique « librement » mis en oeuvre par le pouvoir adjudicateur.

Par Marjolaine Rivière, Juriste.

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Explorer : # allotissement # commande publique # concurrence # marché global

L’article 10 du Code des marchés publics pose le principe selon lequel le pouvoir adjudicateur doit allotir le marché public. L’allotissement a pour objectif de décomposer le marché public en plusieurs lots. Ces lots sont des prestations qui répondent à des « besoins distincts » ou variables selon leur destination (TA Paris, 28 juin 2007, Société Miele).

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Cette règle participe au respect des principes de la commande publique et accorde une liberté importante au pouvoir adjudicateur dans la détermination du nombre et de la consistance des lots. Même si ce principe s’impose au pouvoir adjudicateur, ce dernier peut y déroger et recourir au marché global dans des hypothèses limitées. Cette dérogation est étroitement contrôlée par le juge administratif.

L’allotissement, un principe favorisant l’égal accès à la commande publique

Cette règle permet de « susciter la plus large concurrence » entre les entreprises. En distinguant les prestations, l’ensemble des entreprises peut davantage soumissionner et obtenir l’attribution d’un ou plusieurs lots d’un marché public. Le Conseil d’Etat dans sa décision « Société EGF-BTP » en date du 9 juillet 2007, a précisé que ce principe bien établit s’appliquait aussi bien aux « entreprises générales ou non » et qu’il n’était pas « établi que ce principe aurait en soi pour effet de créer une discrimination au détriment des entreprises générales, lesquelles, au contraire, sont aptes à soumissionner pour l’ensemble des lots d’un marché ». Le principe de l’allotissement s’applique aussi bien aux petites, moyennes et grandes entreprises. Il participe notamment au respect d’un des principes de la commande publique à savoir l’égalité dans l’accès à la commande publique. Le juge administratif protège régulièrement le principe de l’égalité entre les candidats comme fût-ce le cas dans sa décision « Conseil d’Etat, 10 mai 2006, Société Schiocchet ». Dans l’espèce, il est rappelé que lorsque « la personne publique choisit de recourir à un marché alloti, les offres présentées par les candidats doivent être examinées lot par lot ; que le respect du principe d’égalité entre les candidats à un marché public ne s’apprécie, dès lors, qu’entre les candidats à un même lot », et « qu’en prévoyant des durées différentes selon les lots des marchés mis en concurrence », le principe d’égalité entre les candidats n’avait pas été méconnu.

L’allotissement et la libre définition du nombre de lots par le pouvoir adjudicateur

Bien que le pouvoir adjudicateur soit lié par le respect du principe de l’allotissement, il peut «  choisi ( r ) librement le nombre de lots ». Ce choix sera déterminé en tenant compte « notamment des caractéristiques techniques, des prestations demandées, de la structure du secteur économique en cause et, le cas échéant, des règles applicables à certaines professions » (article 10 du Code des marché publics). Au regard de l’adverbe « notamment », le pouvoir adjudicateur peut définir le nombre de lots en se référant à d’autres critères que ceux listés dans l’article 10 du Code des marchés publics. Il convient de souligner qu’en déterminant librement le nombre de lots, le pouvoir adjudicateur définie la consistance propre de chacun des lots.

Le pouvoir adjudicateur peut « pour mieux assurer la satisfaction de ses besoins (…) s’adress(er) à une pluralité de cocontractants ou (pour) favoriser l’émergence d’une plus large concurrence, limiter le nombre de lots qui pourra être attribué à chaque candidat dès lors que ce nombre est indiqué dans les documents de consultation (CE, 20 février 2013, Société Laboratoire Biomnis). Le pouvoir adjudicateur peut également interdire à un même candidat de présenter une offre sur plusieurs lots si cela est justifiée et proportionnée (CAA Versailles, 22 février 2007, Préfet de l’Essonne). Par contre, le pouvoir adjudicateur ne peut « contraindre les candidats à présenter une offre pour chacun des lots du marché » (CE, 1 juin 2011, Société Koné).

Le recours au marché global, une dérogation à l’application du principe de l’allotissement

L’article 10 du Code des marchés publics dispose que « le pouvoir adjudicateur peut toutefois passer un marché global ». Ce même article précise strictement les cas où le recours au marché global est admis.

Le recours au marché global est admis dès lors que :
-  Le pouvoir adjudicateur est dans l’impossibilité d’identifier des prestations distinctes
-  « La dévolution en lots séparés est de nature, dans le cas particulier, à restreindre la concurrence »
-  Le recours à l’allotissement « risque de rendre techniquement difficile ou financièrement coûteuse l’exécution des prestations ».
-  Le pouvoir adjudicateur « n’est pas en mesure d’assurer par lui même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ».

Le juge administratif rappelle régulièrement le principe de l’allotissement et veuille à ce que le pouvoir adjudicateur justifie avec précision le recours au marché global. Les décisions jurisprudentielles suivantes permettent d’avoir un aperçu de la position du juge administratif.

Concernant le recours au marché global en raison des difficultés techniques, d’organisation, de pilotage et de coordination que rencontrent le pouvoir adjudicateur  :

Dans sa décision « SMAROV » du 29 octobre 2010, le Conseil d’Etat considère que le pouvoir adjudicateur « n’établit ni que l’allotissement du marché rendrait son exécution techniquement difficile, ni qu’il ne serait pas en mesure d’assurer par lui même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ; que la passation d’un marché global a donc méconnu les dispositions de l’article 10 du Code des marchés publics ».

Concernant le recours au marché global en raison d’un surcoût financier :

Dans sa décision « Communauté urbaine de Nantes » du 11 août 2009, le Conseil d’Etat a considéré qu’une hausse de 2% du coût du marché entraîné par le recours au marché alloti ne justifiait pas le recours à un marché global. Le Conseil d’Etat précisera quelques mois plus tard dans sa décision « Département de l’Eure » (CE, 9 décembre 2009) qu’il faut une réduction significative du coût des prestations « au moment du choix entre des lots séparés ou un marché global » pour recourir au marché global.

Concernant l’identification des prestations :

Le pouvoir adjudicateur à savoir la Région Réunion a recouru au marché global bien que les prestations se réalisent sur quatre sites distincts. Dans sa décision « Région Réunion » du 23 juillet 2010, le Conseil d’Etat considère que la « Région Réunion ne justifiait pas se trouver en présence de l’une des exceptions prévues par l’article 10 du Code des Marchés Publics, (…) et que le marché faisait bien apparaître des prestations distinctes à raison de la répartition géographique des sites objet du marché de surveillance  ». L’article 10 du Code des Marchés Publics n’a pas été respecté.

Le recours au marché global, une liberté soumise au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation.

Le pouvoir adjudicateur apprécie « librement le nombre (et la consistance) de lots en tenant notamment compte des caractéristiques techniques des prestations demandées, de la structure du secteur économique en cause, et le cas échéant, des règles applicables à certaines professions » (art 10 du CMP). Le pouvoir adjudicateur peut ne pas recourir à l’allotissement mais au marché global s’il le justifie précisément. Le juge administratif sanctionne la méconnaissance de l’article 10 du Code des Marchés Publics. Dans sa décision « Commune d’Ajaccio » du 21 mai 2010, le Conseil d’Etat précise l’étendue du contrôle juridictionnel. « Il appartient au juge des référés précontractuels de relever un manquement aux obligations de mise en concurrence résultant d’une méconnaissance de ces dispositions, s’agissant de la définition du nombre et de la consistance des lots ». Le contrôle opéré par le juge se limite à l’erreur manifeste d’appréciation, en raison de la liberté accordée au pouvoir adjudicateur.

Marjolaine Rivière, juriste

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