L'abrogation immédiate du délit de harcèlement sexuel : l'effet papillon et le fétu de paille. Par Rachid Boumali, Juriste.

L’abrogation immédiate du délit de harcèlement sexuel : l’effet papillon et le fétu de paille.

Par Rachid Boumali, Juriste.

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Le délit de harcèlement sexuel, tel que défini par la loi du 17 janvier 2002, a été abrogé par le Conseil constitutionnel en raison de son imprécision. Cette décision a soulevé des questions sur les conséquences juridiques et les effets de l'abrogation immédiate d'une infraction. Le Conseil constitutionnel a rappelé l'importance du principe de légalité des délits et des peines et a invité le législateur à rédiger un nouveau texte plus précis.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans sa décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel était amené à se prononcer sur la conformité du délit de harcèlement sexuel qui figurait sous l’article 222-33 du Code pénal, tel qu’il résultait de la modification opérée par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, avec le bloc de constitutionnalité.

Un battement d’aile du Conseil constitutionnel peut-il provoquer un ouragan insusceptible d’emporter un fétu de paille ?

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Dans cette affaire, un individu fut condamné par la Cour d’appel de Lyon, le 15 mars 2011, à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d’amende et trois ans d’interdiction d’exercer une fonction ou un emploi public pour harcèlement sexuel conformément à la lettre de l’article 222-33 du Code pénal, lequel disposait que : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Le prévenu, ancien secrétaire d’État, forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Le requérant fit valoir, devant la Chambre criminelle, que la disposition sur le fondement de laquelle il fut condamné ne répondait pas aux exigences imposées par le principe ayant valeur constitutionnelle de légalité des délits et des peines. De surcroît, il arguait que ce défaut de précision posait un problème de sécurité juridique et de prévisibilité des comportements prohibés par la loi pénale. Il semblerait que sa question prioritaire de constitutionnalité, moyen de pur droit, fut déposée pour la première fois en cassation ce qui ne pose aucune difficulté.

L’avocat général près la Cour de cassation, quant à lui, considérait que la Chambre criminelle avait la faculté de ne pas renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Pour ce faire, elle devait remédier par elle-même aux insuffisances de la loi en définissant les éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel. Ce faisant, le représentant du ministère public reconnaissait, de manière assez univoque, que le principe légaliste n’avait pas été respecté par le législateur. Et ledit représentant d’ajouter qu’en procédant de la sorte, la Chambre criminelle ferait œuvre législative ce qui ne relevait ni de sa charge ni de son office.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation estima que la disposition contestée était applicable à la procédure, qu’elle n’avait pas déjà été déclarée conforme au bloc de constitutionnalité et qu’elle était sérieuse au regard du principe légaliste puisqu’en effet les éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel n’étaient pas définis avec précision. Ladite Chambre renvoya, le 29 février 2012, conformément à l’article 61-1 de la Constitution, la question au Conseil constitutionnel.

L’interrogation que posait alors le requérant aux Sages de la rue Montpensier était la suivante : « L’article 222-33 du Code pénal est-il contraire aux articles 5, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, 34 de la Constitution ainsi qu’aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique, en ce qu’il punit "le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle" sans définir les éléments constitutifs de ce délit » ?

Le Conseil constitutionnel considéra que le délit de harcèlement issu de la loi du 17 janvier 2002 était contraire au bloc de constitutionnalité et que l’abrogation de cette disposition prenait immédiatement effet à compter de la publication de la décision.

Ainsi, un questionnement point légitimement, celui de savoir quelles sont les conséquences, au sein de notre ordonnancement juridique, du défaut capital de précision d’un texte répressif qui a été considéré, par le Conseil constitutionnel, contraire au principe légaliste garanti par le bloc de constitutionnalité et abrogé avec effet immédiat ?

Les carences rédactionnelles du législateur n’ont pas laissé le Conseil constitutionnel de marbre qui a répondu avec hardiesse en prononçant l’abrogation avec effet immédiat de la disposition législative querellée.

I/ L’impéritie rédactionnelle du législateur répressif.

L’insuffisance manifeste du législateur a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel qui, ce faisant, rappelle la valeur fondamentale du principe de légalité des délits et des peines.

A/ La légalité des délits et des peines : un principe constitutionnel cardinal.

Le garant des exigences constitutionnelles, par l’entremise de cette décision abrogeant le délit de harcèlement sexuel, rappelle l’importance du principe légaliste. En effet, l’article 34 de la Constitution confie le soin au législateur d’ériger un comportement, notamment, en infraction pénale. Mais, cette faculté est assortie d’un certain nombre de garanties pour qu’une loi puisse être promulguée conformément aux exigences constitutionnelles inhérentes à un État de droit. Cela étant, la lettre même de l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 prévoit que « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société », l’article 7 de la même Déclaration affirme que « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites » et l’article 8 de la Déclaration œcuménique d’ajouter que « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». En outre, soit dit en passant, les normes supranationales [1] et les dispositions légales internes [2] consacrent le principe de légalité criminelle. Cette redondance ne semble pas être fortuite et traduit l’importance du principe légaliste dans un État de droit.

Ainsi, le Conseil constitutionnel considère qu’il revient au législateur « de fixer, lui-même, le champ d’application de la loi pénale, de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d’infractions et d’exclure l’arbitraire dans le prononcé des peines » [3].

En conséquence de cet impératif constitutionnel, les Sages de la rue Montpensier n’hésitent pas à inviter le législateur à revoir sa copie lorsque les textes manquent aux exigences imposées par le principe des délits et des peines.

À titre illustratif, quelques décisions abrogeant des dispositions législatives pour imprécision textuelle méritent d’être succinctement rappelées. D’abord, la décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011 abrogea l’article 222-31-1 du Code pénal en ce qu’il ne définissait pas avec précision les liens familiaux qui conduisaient à ce que des viols et agressions sexuels soient qualifiés d’incestueux. Ensuite, nous pouvons citer la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 - Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins où la notion « d’inter opérabilité » n’était pas assez précise. Et, enfin, la décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998 - Loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France où le texte de l’alinéa nouveau ajouté par l’article 13 de la loi déférée à l’article 21 ter de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et au droit d’asile a été déclaré contraire à la constitution car non conforme au principe légaliste.

Le principe de légalité des délits et des peines innerve donc l’ensemble des matières juridiques et revêt une importance fondamentale dans un état de droit. Son irrespect ne saurait, en principe, être admis.

B/ La sanction de l’imprécision législative du délit de harcèlement sexuel par le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel n’est pas habilité à substituer son appréciation à celle du législateur. En conséquence, confronté à un texte lacunaire, qui ne précisait pas les éléments constitutifs du délit de harcèlement, face à une violation manifeste du principe constitutionnel de légalité, les Sages de la rue Montpensier n’eurent d’autre choix que de prononcer l’abrogation de la disposition querellée.

En effet, le délit de harcèlement sexuel, tel qu’il résultait de la loi du 17 janvier 2002 ne faisait que décrire un comportement de façon générale et floue alors que le législateur devait impérativement définir avec minutie quels agissements étaient susceptibles de caractériser l’infraction. Cette assertion répressive n’a, évidemment, pas passé le filtre du contrôle de constitutionnalité a posteriori effectué à la demande du requérant. D’ailleurs, il semble étonnant que, comme le prévoit l’article 61 de la constitution, ni le Président de la République, ni le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat ou encore que soixante députés ou sénateurs n’aient déféré cette loi au Conseil constitutionnel avant sa promulgation tant sa violation du principe légaliste était flagrante. La question de savoir comment un texte répressif si flou a pu intégrer notre ordonnancement juridique peut légitimement se poser. À cet égard, Cyrille Duvert évoque une « bévue législative » [4].

Cela étant, l’imprécision textuelle du délit de harcèlement, tant de son élément matériel que moral, posait un problème de prévisibilité et de sécurité juridique. Comme l’indiquait, très justement, Agnès Cerf-Hollander (bien que nous ne soyons pas en accord avec l’intégralité de son propos concernant cette abrogation et ses effets), « Un tel texte plaçait en réalité la balle dans le camp du juge pénal, qui devait compenser le flou législatif. À l’imprévisibilité du texte s’ajoutait alors une imprévisibilité de l’appréciation du juge. On a ainsi pu voir des comportements identiques tantôt sanctionnés, tantôt blanchis... Si le juge est gardien de la liberté individuelle, il ne doit pas se substituer au législateur. Il doit au contraire, en tant que gardien des droits fondamentaux, se refuser d’appliquer un texte ne répondant aux exigences de clarté et de précision découlant du principe de la légalité » [5].

En d’autres termes, une infraction ne répondant pas aux exigences constitutionnelles de précision ne peut qu’être retranchée de l’ordonnancement juridique dans un État de droit à moins de tolérer l’arbitraire et l’impartialité crasses.

Toutefois, le Conseil constitutionnel semble s’être quelque peu précipité en prononçant une abrogation avec effet immédiat. L’eurythmie semble dure à trouver dans ce type d’affaire, ce qui fit écrire à Mathieu Disant que le Conseil constitutionnel doit concilier « l’équilibre entre l’obligation d’expulser de l’ordonnancement juridique une norme législative inconstitutionnelle et la garantie de la sécurité juridique qui doit conduire à en amortir l’impact » [6] et à Pascale Deumier que : « Il appartient donc au juge constitutionnel de trouver le meilleur équilibre entre la purge de l’ordre juridique d’une disposition inconstitutionnelle, le désordre provoqué par sa disparition brutale et la gestion de ses effets sur les instances en cours » [7].

II/ L’abrogation immédiate du délit de harcèlement sexuel et ses effets.

L’imprécision étant manifeste, du propre aveu de tous les observateurs, notamment de l’Avocat général près la Cour de cassation qui s’opposait tout de même au renvoi de la question soulevée par le requérant devant la Chambre criminelle, le Conseil constitutionnel, sans vacillation aucune, prononça donc l’abrogation avec effet immédiat du délit de harcèlement sexuel. Cette décision permit la création d’un nouveau texte d’incrimination définissant avec plus de précision les éléments constitutifs de l’infraction et répondant ainsi aux exigences imposées par le principe légaliste. Toutefois, les Sages ont sans doute réagi à cette nébulosité patente, violant de manière flagrante le principe de valeur constitutionnelle de légalité, avec hâte et précipitation ce qui a mis en lumière certaines faiblesses de leur contrôle dit a posteriori.

A/ La surréaction du Conseil constitutionnel et les faiblesses du contrôle de constitutionnalité a posteriori.

La question prioritaire de constitutionnalité relative au délit de harcèlement sexuel n’a pas manqué de créer des remous rue Montpensier. Ce battement d’aile du Conseil constitutionnel, si virulent eût-il été, semble, toutefois, insusceptible d’emporter le plus frêle des fétus de paille.

Le Conseil semble avoir perdu un peu de sa sagesse en prononçant l’abrogation sèche d’une infraction pénale tout en sachant, d’une part, que toutes les personnes poursuivies et non encore définitivement jugées sur la foi de cette incrimination seront, inévitablement, absous (sous réserve qu’ils soient poursuivis sur la foi d’une autre qualification pour les mêmes agissements bien que l’interprétation stricte de la loi pénale puisse rendre cet exercice relativement complexe), et que, d’autre part, aucun texte (ou presque car certaines dispositions du Code du travail réprimaient le harcèlement mais l’interprétation stricte de la loi pénale, là encore, qui n’est finalement que le corollaire du principe légaliste, serait susceptible de limiter leur champ d’application) ne pourrait plus, durant un certain laps de temps, si court eût-il été, réprimer ce type de comportements. En effet, une abrogation différée aurait pu être choisie par le Conseil dans un souci de préservation du principe de sécurité juridique et de sauvegarde de l’ordre public.

D’ailleurs, le report dans le temps de la prise d’effet de l’abrogation de la loi est privilégié par le Conseil constitutionnel lorsque, notamment, « l’abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives » [8]. Toutefois, ces « conséquences manifestement excessives » ne sont pas systématiquement définies. Ce faisant, le Conseil a, en ce sens, rendu, deux années auparavant cette décision abrogative avec effet immédiat du délit de harcèlement sexuel, une décision abrogeant certaines dispositions législatives relatives à la garde à vue avec un effet différé dans le temps sur ce fondement [9].

Or dans l’affaire relative au délit de harcèlement sexuel, le Conseil constitutionnel considère que l’abrogation est d’effet immédiat, certainement, mû par la violation criante du principe légaliste alors que l’émiettement des principes de sécurité juridique et de sauvegarde de l’ordre public est indubitablement palpable.

Partant, entre le 5 mai 2012 et le 8 août de la même année, aucun texte ne réprimait plus en France les actes de harcèlement sexuel à proprement parler. Ce sauf-conduit infractionnel - à tout le moins dans l’esprit de certains - a certainement incité les délinquants sexuels qui se pensaient être au fait de l’actualité juridique à sévir en toute impunité (d’autant plus que cette abrogation a eu un écho médiatique relativement important). Il est d’ailleurs bien établi, en criminologie, que les délinquants sexuels ont un niveau d’instruction bien supérieur à la moyenne relevée chez les autres délinquants.

Il nous semble, définitivement, qu’il aurait été plus sage de différer l’abrogation de cette infraction dans le temps pour laisser au législateur le soin de rédiger un nouveau texte et éviter ainsi cette béance répressive. Nous comprenons que l’abrogation doit en principe bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionalité. Néanmoins, ce bénéfice doit céder face à l’intérêt général et à la préservation de l’ordre public - peu important le rang social occupé par le requérant. Ainsi, cette prise de position du Conseil constitutionnel démontre, de façon univoque, les limites de son contrôle de constitutionnalité a posteriori.

De surcroît, les effets de cette décision du Conseil constitutionnel sont néfastes pour au moins deux raisons supplémentaires qui ont trait, d’une part, au principe d’égalité devant la loi et, d’autre part, aux condamnations en train d’être purgées sur la foi du texte réprimant le harcèlement sexuel venant d’être abrogé.

D’abord, l’effritement du principe d’égalité devant la loi, corollaire de l’abrogation immédiate du délit de harcèlement, de cette surréaction du Conseil constitutionnel, se traduit dans la situation selon laquelle deux prévenus du chef de harcèlement sexuel, commis le même jour et qui seraient jugés à des dates différentes recevraient un traitement totalement différent - pour des raisons relatives à l’audiencement qui n’est pas le même dans une petite ville de province ou en région parisienne ; le taux de comparution immédiate étant disparate [10] il est d’un peu plus de 2% dans certaines provinces, de près de 20% à Paris et peut atteindre jusqu’à 33% à Bobigny [11]. En effet, celui qui serait jugé séance tenante, avant la décision d’abrogation du Conseil constitutionnel, pourrait se voir condamner par la juridiction répressive tandis que celui qui serait jugé au lendemain de ladite décision ne sera pas inquiété - en tout état de cause pas inquiété pour harcèlement sexuel.

Toujours dans ce souci d’application du principe d’égalité devant la loi, nous pouvons nous poser la question de savoir quelle est la légitimité d’une décision rendue, certes antérieurement à l’abrogation faite par le Conseil constitutionnel, mais sur la foi d’un texte violant, de manière si flagrante que celui du délit de harcèlement sexuel, le bloc de constitutionnalité ?

Le principe de sécurité juridique semble imposer le maintien des condamnations passées en force de chose jugée quand bien même la sanction pénale aurait été prononcée sur la foi d’un texte ne répondant pas aux exigences constitutionnelles pourtant placées aux cimes de notre ordonnancement juridique. Toutefois, une distinction doit être établie. Ceux qui ont complètement purgé leur peine ne semblent pas pouvoir bénéficier de cette mesure abrogative. Il n’en va pas de même pour ceux qui purgeaient une peine sur la foi du texte imprécis au moment de son retranchement.

Ainsi, pour ces derniers, on peut noter une déperdition de la répression par l’effet de l’abrogation immédiate de son expression. Autrement dit encore, les personnes embastillées au moment de la décision rendue par le Conseil constitutionnel ont dû immédiatement être remises en liberté et celles qui réglaient une amende ont dû cesser de le faire.

En effet, l’article 112-4 alinéa 2 du Code pénal semble devoir s’appliquer, lequel prévoit que « La peine cesse de recevoir exécution, quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale » et ce nonobstant la précision du Conseil constitutionnel selon laquelle l’abrogation du délit de harcèlement est « applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ». Force est de constater que l’abrogation du délit de harcèlement sexuel était également applicable à certaines affaires définitivement jugées à cette date.

C’est d’ailleurs ce que le Conseil constitutionnel a admis dans une décision du 7 juin 2013 au sujet du délit de l’article L3124-9 du Code des transports où il considère que « la déclaration d’inconstitutionnalité […] prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu’elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ; que les peines définitivement prononcées avant cette date sur le fondement de cette disposition cessent de recevoir application » [12].

La Chambre criminelle, emboitant le pas des Sages de la rue Montpensier, considère que les déclarations de non-conformité du Conseil constitutionnel, s’imposant aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l’article 62 de la Constitution, qui ont pour effet qu’une infraction cesse d’être incriminée doivent être regardées comme des lois pour l’application de l’article 112-4 du Code pénal [13]. Ainsi, l’article 112-4 alinéa 2 du Code pénal doit s’appliquer sans équivoque à la suite de l’abrogation du délit de harcèlement sexuel.

En outre, le Conseil constitutionnel ne saurait écarter l’application d’une loi qui n’a pas été déférée devant lui. D’ailleurs, il considère lui-même que l’autorité de la chose jugée attachée à l’une de ses décisions « est limitée à la déclaration d’inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la loi qui lui était alors soumise ; qu’elle ne peut être utilement invoquée à l’encontre d’une autre loi conçue, d’ailleurs, en termes différents » (n° 88-244 DC du 20 juillet 1988).

Cependant, par sa décision n° 89-258 DC du 8 juillet 1989, les Sages ont légèrement atténué le principe posé l’année précédente. Ils estiment en effet que l’autorité de l’article 62 de la Constitution peut être invoquée à l’encontre d’une disposition d’une autre loi que celle initialement déférée. Il s’agit d’opposer cette autorité à une autre loi qui a « en substance » un objet « analogue ». Les potentialités de cette jurisprudence ont, toutefois, jusqu’à présent été peu explorées et ne semblent pas pouvoir être appliquées en l’espèce puisqu’en effet l’article 112-4 alinéa 2 du Code pénal n’a pas d’objet analogue avec la disposition abrogée.

Au surplus, la Cour de cassation, dans un arrêt d’Assemblée plénière, c’est dire la solennité du principe posé, le 10 octobre 2001, dit Breisacher, a jugé « que, si l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel s’attache non seulement au dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, ces décisions ne s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu’en ce qui concerne le texte soumis à l’examen du Conseil ».

La décision du Conseil constitutionnel est donc revêtue d’une autorité « relative » de la chose jugée, car limitée à l’objet et à la cause juridique de la décision. C’était d’ailleurs la conception du doyen Vedel qui pensait, au sujet d’une décision du 22 janvier 1999, « que la solution du Conseil est exacte sur le fond mais n’a pas autorité absolue de chose jugée et ne s’impose donc pas au juge pénal ».

En conséquence, l’effet le plus néfaste de l’abrogation faite par les Sages réside sans l’ombre d’un doute en la libération prématurée de nombreux harceleurs sexuels que la société a jugé bon d’écarter par l’enfermement.

Il faut, en sus, souligner que le justiciable condamné sur la foi d’un texte contraire aux exigences constitutionnelles, qui a intégralement purgé sa peine, ne pourra pas, malgré une abrogation postérieure faite par le Conseil constitutionnel de la loi visée, porter sa cause devant une nouvelle juridiction qu’elle soit interne ou supranationale.

Là encore, les carences du contrôle de constitutionnalité a posteriori retentissent de tous leurs poids sur le justiciable sanctionné pourrait-on dire presque injustement pour ne pas dire « illégalement » en vertu d’un texte inconstitutionnel (vecteur neutre et objectif). Il est totalement inconséquent que celui qui a purgé l’entièreté de sa peine ne puisse pas bénéficier des effets de l’abrogation d’une loi non conforme à la constitution alors que celui qui n’aurait fait qu’un seul jour d’emprisonnement bénéficie, immédiatement, des largesses législatives, corollaire de l’incurie du rédacteur répressif. Cette inégalité de traitement nous paraît problématique.

Cependant, une alternative pourrait être envisagée pour combler ce type de carence arythmique et dysharmonique. Il s’agit d’une indemnisation par l’État pour les personnes sanctionnées sur la foi du texte imprécis du délit de harcèlement sexuel en vigueur en France entre le 17 janvier 2002 et le 4 mai 2012. Ce paradigme indemnitaire semble avoir été institué par un mouvement du Conseil d’État puisqu’il a en effet ouvert la voie à ce type de démarche pour obtenir réparation des préjudices résultant de l’application d’une loi déclarée contraire à la Constitution dans trois décisions rendues le même jour [14].

D’ailleurs, dans le même ordre d’idée, une proposition de loi visant à réparer les préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 en France vient d’être déposée au Parlement. Il faut souligner que le 6 mars 2024, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, avec néanmoins quelques modifications mais à l’unanimité, la proposition de loi.

Il ne nous parait donc pas inconséquent que si des individus peuvent être indemnisés car condamnés, fut un temps, sur la foi d’un texte qui ne correspond plus aux mœurs actuelles mais qui était totalement licite, dépourvu de vice substantiel constitutionnel durant la période de son application, d’autres personnes puissent se prévaloir du même mécanisme dès lors que la condamnation dont ils ont fait l’objet résidait sur des fondations législatives contraires au bloc de constitutionnalité. Au reste, le Conseil d’État offre donc un blanc-seing aux personnes condamnées sur la foi du texte défaillant qui réprimait le harcèlement sexuel entre 2002 et 2012 pour engager la responsabilité de l’État et demander des dommages-intérêts.

Cela étant précisé, une légère digression, point superfétatoire, traduisant, là encore, les faiblesses du mécanisme du contrôle a posteriori de la loi par le Conseil constitutionnel, mérite d’être faite. En 2013, soit un an seulement après cette décision abrogeant avec effet immédiat le délit de harcèlement, la Chambre criminelle fut saisie d’une autre question prioritaire de constitutionnalité relative au délit de corruption de mineur visé par l’article 227-22 du Code pénal, lequel prévoit que : « Le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur » est punissable de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Le requérant soutenait que cette incrimination, à l’instar du délit de harcèlement abrogé l’année précédente, ne repondérait pas aux exigences du principe légaliste en ce qu’il ne définirait pas les éléments constitutifs de l’infraction. À la lecture du texte susvisé, il ne semble pas y avoir de doute : les éléments constitutifs du délit de corruption de mineur ne sont pas définis avec la précision nécessaire pour répondre aux impératifs constitutionnels de précision et de prévision.

Toujours-est-il que ladite Chambre criminelle ne le voyait pas sous cet angle, et, à rebours de la décision rendue en 2012 concernant l’infraction de harcèlement sexuel, mais finalement toujours avec cette tendance à l’immédiateté, voir à la précipitation qui peut être dangereuse juridiquement, elle considéra que la question soulevée par le requérant ne présentait pas de caractère sérieux en affirmant que le délit de corruption de mineur est suffisamment clair et précis en sorte qu’il aurait repris les éléments constitutifs de l’ancienne infraction d’excitation de mineur à la débauche (texte qui n’est pourtant plus en vigueur et qui n’a donc pas vocation à s’appliquer dans quelque litige que ce soit) qui incriminait les agissements qui traduisent de la part de leur auteur la volonté de pervertir la sexualité d’un mineur. Partant, la Chambre criminelle refusa de renvoyer la question aux Sages de la rue Montpensier [15].

Comment la Chambre criminelle de la Cour de cassation a-t-elle pu affirmer que la définition de la corruption de mineur était claire et précise avant de n’avoir indiqué, ce qui soit dit en passant ne figurait nulle part (ni dans sa jurisprudence, ni dans le texte d’incrimination, ni dans les travaux parlementaires) que la définition actuelle de cette infraction reposait sur une incrimination qui avait été abrogée en 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal ?

Cette solution ne nous paraît pas sérieuse juridiquement. Il aurait, semble-t-il, été plus sage de transmettre la question au Conseil constitutionnel. Du reste, la définition à laquelle renvoie la Chambre criminelle concernant l’ancien délit d’excitation de mineur, issu de la loi n°81-82 du 2 février 1981, qui était définie par l’ancien Code pénal comme le fait d’attenter « aux mœurs en excitant à la débauche ou en favorisant la corruption des mineurs » ne semble pas plus répondre aux exigences de légalité criminelle que le délit de harcèlement sexuel qui fut abrogé en 2012. En d’autres termes, la Chambre criminelle affirme, selon l’expression d’Emmanuel Dreyer, que : « un nouveau texte s’interprète à la lumière de celui qu’il remplace, même s’il était encore plus flou… » [16].

Nous pouvons, raisonnablement, penser que ce raisonnement critiquable opéré par la Chambre criminelle n’est que la résultante de la surréaction du Conseil constitutionnel conduisant à l’abrogation immédiate du délit de harcèlement en 2012 qui, rappelons-le, a permis l’absolution et l’élargissement de nombreux harceleurs et a peut-être favorisé la commission de certains harcèlements en toute impunité durant quelques mois. Ce type de décision rendue par le Conseil a donc pour effet d’entacher les relations entre les juridictions suprêmes, de rompre le dialogue des juges, ce qui peut conduire à des prises de positions sur le plan juridique pour le moins surprenantes.

B/ La promulgation de la loi nouvelle « conforme » au principe légaliste.

Les critiques relatives au positionnement du Conseil constitutionnel et notamment son manichéisme outré, en ce sens que l’abrogation du délit imprécis de harcèlement fut immédiate, peuvent être légions.

Toutefois, cette décision a eu pour conséquence directe la rédaction d’un nouveau texte d’incrimination pour réprimer ce type d’agissements - même s’il a fallu au législateur quelques mois pour promulguer la loi nouvelle. Depuis lors, le harcèlement sexuel se définit comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». La rédaction vaporeuse opérée par le législateur de 2002 semble bien loin de ce texte qui délimite, dorénavant, parfaitement le type d’agissements pouvant consommer l’infraction de harcèlement sexuel. Néanmoins, nous considérons cette rédaction encore floue pour partie et notamment le membre « créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » qui pourrait légitimement être amputé tant il est vrai qu’il renvoie à des notions impalpables, arachnéennes voire éthérées qui ne peuvent pas faire bon ménage avec le principe de légalité des délits et des peines.

Une question prioritaire de constitutionnalité a été déposée concernant le nouveau délit de harcèlement sexuel. Le requérant soutenait devant la Chambre criminelle que la nouvelle rédaction de l’article 222-33 du Code pénal était contraire, notamment, au principe de légalité des délits et des peines. Ladite Chambre refusa de renvoyer la question au Conseil constitutionnel en considérant que la question ne présentait pas de caractère sérieux puisque le nouveau délit de harcèlement est « rédigé en termes suffisamment clairs et précis pour que l’interprétation de ce texte, qui entre dans l’office du juge pénal, puisse se faire sans risque d’arbitraire » [17].

Cette interprétation de la Chambre criminelle nous paraît conforme au principe légaliste même si une partie du texte, éminemment superfétatoire, aurait pu être retranchée pour laisser le texte d’incrimination immaculé et ainsi éviter de prêter le flanc à la critique.

Ainsi, malgré un long cheminement, loin d’être parfait juridiquement et bien souvent critiquable, du Conseil constitutionnel, de la Chambre criminelle et du législateur contemporain concernant l’épineux délit de harcèlement sexuel, il semblerait que cette infraction réponde dorénavant au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines qui, rappelons-le en passant, est un garde-fou contre l’arbitraire et qui permet de protéger tant les victimes que les auteurs d’infractions pénales.

Aussi, faut-il relever, pour terminer, un dernier effet de l’abrogation du Conseil constitutionnel qui a permis au législateur d’aggraver la répression des comportements constitutifs du délit de harcèlement sexuel. En effet, le texte qui a été censuré de l’ordre interne prévoyait une peine d’emprisonnement d’un an et 15 000 euros d’amende. Dorénavant, le harcèlement sexuel est punissable de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. En outre, les peines peuvent être portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros dans certains cas comme par exemple le harcèlement sur un mineur de quinze ans. Cette aggravation des peines répond certainement au souci du législateur contemporain de protéger certaines valeurs sociales relatives à la conjoncture sociétale du moment.

Rachid Boumali
Juriste, Auteur & Président
Association de défense des droits humains
et de sauvegarde des libertés fondamentales "Mais Pourquoi Moi !?"

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[1Notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou encore le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.

[2Notamment l’article 111-4 du Code pénal relatif à l’interprétation stricte de la loi pénale.

[3Décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998, cons. n° 7.

[4Semaine sociale Lamy, 14 mai 2012 n° 1538, Page 3.

[5Agnès Cerf-Hollander, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2012/2 (N° 2), ISSN 0035-1733 DOI10.3917/rsc.1202.0377, Page 382, Éditions Dalloz.

[6Mathieu Disant, « Les effets dans le temps des décisions QPC », NCCC, 2013, p. 63 et s.

[7Pascale Deumier, « Effet constitutionnel différé versus effet conventionnel immédiat », RTD Civ., 2018, p. 620 et s.

[8Conseil constitutionnel 30 juill. 2010, no 2010-14/22 QPC.

[9QPC, 30 juillet 2010, précitée.

[10Avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur le projet de loi (n° 1395) de finances pour 2014, tome VII justice accès au droit et à la justice et aide aux victimes, Nathalie Nieson, n° 1438-III-32.

[11Juger vite, juger mieux ? Les procédures rapides de traitement des affaires pénales, état des lieux, Rapport d’information n° 17 (2005-2006), déposé le 12 octobre 2005.

[12Conseil constitutionnel 7 juin 2013, no2013-318 QPC.

[13Crim., 16 novembre 2016 n° 16-82.377 ; Crim., 9 novembre 2021 n° 20-87.078.

[14Conseil d’État, Assemblée, 24 décembre 2019, requêtes numéros 425981, 425983 et 428162.

[15Crim., QPC, 20 février 2013.

[16Gazette du Palais 8-11 mai 2013, p. 25, obs. Dreyer.

[17Crim., 25 mai 2016 n° 16-82.377 QPC.

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