Violences sexuelles : pourquoi seulement 8% de plaintes en cas de viol ou tentative de viol ?

Par Carine Durrieu Diebolt, Avocat.

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Explorer : # violences sexuelles # stéréotypes # psycho traumatisme # impunité

Dans leur vie, 16% des femmes ont subi des viols (6,8%) et tentatives de viols (9,1%) dont 59% avant 18 ans et 5% des hommes (enquête Contexte de la sexualité en France CST INSERM 2008). Dans 80% des cas par quelqu’un de connu. Par an, 190.000 viols commis en France. 3% des français sont victimes d’inceste.
Pourtant, seulement 8% des viols font l’objet d’une plainte et 1 à 2 % d’une condamnation judiciaire (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales 2008 et 2009).

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  • Pourquoi ce déni ?

Les victimes ont très peu confiance dans une justice qui se montre suspicieuse - le poids des stéréotypes mystificateurs sur les femmes (l’aguicheuse, la profiteuse, la pleureuse…). Les stéréotypes empêchent les victimes de se défendre et de se donner raison.
La procédure pénale pour les victimes ressemble à un parcours du combattant éprouvant : plainte au commissariat, UMJ, confrontations, expertises, longueur, coût…

  • Les problématiques juridiques :

1. La mauvaise prise en charge des victimes par la justice :
La méconnaissance des phénomènes de psycho traumatisme entraine une incompréhension par des discours parfois discordants ou distants de la part de femmes dissociées qui racontent les faits avec détachement, pouvant même entrainer un manque d’empathie. Si la victime n’a pas crié c’est qu’elle était consentante. Alors que ces comportements s’expliquent logiquement par la connaissance des phénomènes de psycho traumatisme.
Les projecteurs sont ciblés sur les victimes : comment était-elle habillée, pourquoi l’a-t-elle suivi, etc. ?

2. L’impunité des violeurs (1 à 2 % de condamnations)

3. Le traitement des circonstances du viol :
Les menaces de mort et les tentatives de meurtre sont peu prises au sérieux.
Pour plus de 50% des plaintes, les viols font l’objet d’une correctionnalisation.

4. La méconnaissance ou sous estimation de l’ampleur des conséquences psycho traumatiques :
Le stress post traumatique touche 60% des victimes d’agressions sexuelles et 80% des victimes de viols. Laissant une sensation de vide et de mort psychique.
Les victimes de violences présentent un risque de suicide entre 10 à 25 fois plus élevé que la moyenne.
Les violences font partie des facteurs de risques importants pour la santé au même titre que le tabagisme, l’alcool, l’obésité… avec des conduites addictives, mises en danger, automutilations, retards psychomoteurs des enfants, phobies …
Il s’agit d’un vrai problème de santé publique et de société, entrainant des conséquences sur la santé, le travail (absentéisme et pertes de revenus), la scolarité, la vie familiale, sexuelle et sociale…

Et pourtant, la justice indemnise très mal les victimes de viols. Depuis peu, il semble que l’on puisse invoquer un état de stress post traumatique sans blessures physiques : arrêt Chambre Criminelle du 21 octobre 2014 n°13-87.669 : cas d’un gendarme victime de violence avec arme qui était en état de stress psycho-traumatique important justifiant un suivi psychiatre lourd et une évaluation en termes de déficit fonctionnel permanent à hauteur de 20%.
La Cour avait relevé, dans une interprétation restrictive, que l’intéressé avait « uniquement subi un traumatisme psychologique résultant des violences commises et qu’en l’absence de blessures, aucun déficit fonctionnel temporaire ou permanent et aucun préjudice professionnel ne peuvent être retenus ».
Cette motivation appelait manifestement une cassation : « en écartant l’éventualité de préjudices corporels en l’absence de blessures, alors même que le médecin ayant examiné M. X... avait retenu une invalidité consécutive à cet état de stress, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé » (articles 1382 du Code civil, 455 du Code de procédure civile).

Cette solution ouvre des perspectives aux victimes qui pourront ainsi obtenir une meilleure reconnaissance de leur préjudice par la justice.

Carine DURRIEU DIEBOLT
Avocate en droit pénal/ dommage corporel/droit des victimes
Membre de la CIIVISE
cabinet.durrieu chez free.fr
http://www.diebolt-avocats.com

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  • Dernière réponse : 16 août 2016 à 13:15
    par Solene , Le 28 juillet 2016 à 23:00

    A 14ans, j’ai été victime d’une tentative de viol, ce n’étais pas la première fois et n’en n’ai pas parlée... a personne.. les bleus, j’ai fais croire que je m’étais battue pour les avoir. Je ne suis pas sorti de mon lit pendant près de 48h... Et Lorsque je me suis décidée de "revivre" jai ete a nouveau victime d’un autre garçon... ma mère l’a remarqué et ma emmener à la police... j’avais 15ans, j’étais terrifiée... Je n’avais jamais vu la police sauver quelqu’un lors d’un problème.. Et ne voulais rien dire de peur que ma mère ne sache ce qui c’était passé avant, et ce que je vivait... résultat, personne ne m’a cru au commissariat. Mes "amis" et le peu de personne de ma famille qui m’ont cru ont dit que c’était de ma faute.. Et que je l’avais cherché.
    Après ces remarque, j’ai poser une question maladroite : pourquoi est ce que l’on me croirai moi plutôt que lui ??. On m’a dit que je ne pouvais pas être une victime car ma question avait été poser dans le mauvais sens.en effet j’aurais du demander si on laueais cru lui et pas moi... c’était maladroit
    J’avais refflechi près de 20mon pour cette question.. Je ne voulais pas passé pour une victime.. Je voulais parraitre forte et détaché.. résultat je ment... comme si le sens des mots dans une question indique ce que ressend

    Est ce étonnant que je n’ai pas porté plainte ? Cet homme est mon voisin, il est dans mon lycée, je le vois partout et j’ai peur, et si il recommence personne ne me croira, je dois subir sa présence et des regard.

    Le problème c’est les comportement des autres, lorsque l’on a besoin d’aide, que l’on est jeune, que l’on a peur, Et que les autres nous enfoncent.. si ma propre mère ne me croit pas.. pourquoi serais-je aller porter plainte ??

    Par peur que cette situation recommence, je ne suis jamais aller au commissariat. Même lorsque ce type de violence m’arrivai car je ne voulais pas être humilié à nouveau...
    La police m’a menti... ne m’a pas cru.. personne ne m’a soutenu... Et je ne suis pas seul...
    Chaque acte est gravée dans ma tête... Je me rappelle du jour, de l’heure, du lieu... de tout...
    J’ai demander de l’aide et personne n’a rien fait...
    Il y a très peu de condamner et les victimes deviennent coupable... pourquoi se battre si l’on a perdu avant même de commencer le combat ??

    • par Carine DURRIEU DIEBOLT- Avocate , Le 16 août 2016 à 13:15

      Votre récit est très exact et c’est d’autant plus complexe que la majorité des agressions sexuelles émanent de proches. Il est toutefois utile de déposer plainte pour soi et pour les autres potentielles victimes. Il est nécessaire aussi de se faire bien accompagner, par des psy formés en psycho trauma, des associations (le CFCV par ex) ou des avocats spécialisés qui interviennent aux côtés des victimes.

  • J’ai porté plainte en décembre 2010 contre mon père, pour faits de viols par ascendeurs sur mineurs de moins de 15 ans, maltraitance, corruption de mineurs et agressions.
    Pourquoi si tard ? Tout d’abord parce que je suis moi-même sortie du déni seulement en 2004 (avec la médiatisation de l’affaire outreau). Ensuite parce que j’ai toujours été en conflit de loyauté vis à vis de mon père, lui qui avait eu le courage de nous élever alors que notre mère nous avait abandonnés. Ce conflit perdure encore aujourd’hui alors qu’il est en prison depuis le 28 janvier.
    Ensuite il faut avoir le courage d’aller porter plainte sachant que dans de nombreux cas, on va briser la famille qu’il reste. Pour la plupart, il ne faut pas percer les secrets de famille, ne pas jeter la honte..Moi c’est ce qui fait qu’il y a eu un temps assez long entre la sortie du déni et la plainte. Je savais que je perdrais les quelques liens familiaux qui me restaient.
    Une fois la plainte déposée, il faut pouvoir affronter la solitude face à la procédure et toute l’incertitude, qui peut durer des années, sur l’aboutissement de la plainte. Pour ma part entre la plainte et le jugement aux assises, il se sera écoulé 5 ans et deux mois....!
    Enfin, il faut être en capacité de vivre un procès, de tout ressasser, d’entendre l’agresseur dire que vous mentez.
    Et aujourd’hui j’en suis encore à la phase indemnisation partie civile. Pour aller vite, mon avocate voulait faire une demande forfaitaire...Mais d’une part, moi je m’étais pas portée partie civile à l’origine, car ce que je voulais avant tout, c’était qu’il entende à quel point il m’avait brisée, non seulement dans mon enfance, mais encore plus dans ma vie d’adulte. Les conséquences post-traumatiques sont énormes, et aujourd’hui cela m’intéresse beaucoup de savoir comment la justice va chiffrer ceci. J’ai donc épluchée toute seule la grille dinthillac pour arriver à un chiffrage...
    Il faut donc être sacrément fort pour avoir le courage de briser cette foutue loi du silence !

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