Le référencement et le positionnement des marques, produits et services des annonceurs sur Internet sont essentiels pour de nombreuses sociétés dont la toile est devenue la vitrine de communication, de publicité et de vente.
Ainsi, certains annonceurs « parasites » choisissent volontairement dans le cadre de leur campagne de publicité Adwords de Google des mots clés de leur concurrent qui leur permettront d’avoir une visibilité supplémentaire sur Internet et d’apparaitre en bonne place dès qu’un internaute tapera les mots clés de leur concurrent.
Pour mémoire, les « Adwords » de Google sont les liens internet de publicité affichés en haut ou à droite d’une page de résultats des requêtes sur le moteur de recherche de Google, sur fond rose pâle aujourd’hui.
Google a changé progressivement leurs dénominations, ainsi ils se sont successivement appelés « liens commerciaux », « annonces publicitaires » et aujourd’hui « annonces ».
S’agissant des faits à l’origine de l’affaire jugée par la Cour d’appel de Paris, le 11 mai 2011, la société Cobrason vend en ligne, sur catalogue, et en magasin des produits Hi-fi Vidéo de marque haut de gamme.
La vente de ses produits en ligne s’effectue grâce à son site internet : www.cobrason.com accessible également grâce à l’adresse www.cobrason.fr.
La société Home Cine Solutions, ci-après Solutions, exerce à partir de son site internet la même activité de vente au détail des produits audio-vidéo et Hi-fi que la société Cobrason.
Elle exploite, pour sa part, le site "www.homecinesolutions.fr".
Or à chaque fois qu’un internaute effectuait une recherche avec le mot clé « Cobrason » dans le moteur de recherche de Google, il accédait automatiquement à une page de résultat diffusant une annonce publicitaire renvoyant vers le site d’une société concurrente dénommée Solution.
Alors que la CJUE a rendu, le 23 mars 2010, un arrêt empêchant pratiquement les titulaires de marque d’engager la responsabilité de Google et des annonceurs en cas d’utilisation d’une marque à titre de mot-clé, la solution rendue par la Cour d’appel de Paris, le 11 mai 2011, contourne intelligemment la décision de la CJUE en faveur des professionnels victimes de concurrence déloyale sur Internet.
En effet, la Cour d’appel de Paris sanctionne, d’une part, les annonceurs et Google Inc au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme économique (I) et, en plus, Google Inc du chef de publicité trompeuse (II), en éludant la question de la responsabilité limitée appliquée aux hébergeurs (III).
I - Condamnation de Google Inc et de l’annonceur pour concurrence déloyale et parasitisme économique
Dans un premier temps, la Cour d’appel de Paris rappelle que :
« Le parasitisme économique doit s’entendre comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer partie, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ».
Ainsi, ce n’est pas sur le fondement de la violation du droit sur la marque Cobrason que les sociétés Solution et Google Inc ont été condamnées mais sur ceux de la protection offerte par le droit de la concurrence et celui relatif à la dénomination commerciale et au nom de domaine dont dispose notamment et surtout les entreprises de commerce en ligne.
La Cour d’appel de Paris a expressément posé le principe selon lequel :
« l’apparition de ce lien commercial avait nécessairement généré une confusion dans l’esprit de la clientèle potentielle et provoqué, de ce seul fait, un détournement déloyal de clientèle ainsi qu’une utilisation parasitaire de l’investissement effectué par Cobrason au travers de son site et de l’organisation de ses campagnes publicitaires ».
Pour engager la responsabilité de Google Inc, la Cour ajoute que :
« en proposant le mot-clé “Cobrason” dans le programme Adwords et en faisant ensuite apparaitre sur la page de recherche s’ouvrant à la suite d’un clic sur ledit mot clé, sous l’intitulé “liens commerciaux”, le site d’un concurrent à celui correspondant au mot-clé sélectionné, la société Google Inc a également contribué techniquement à la confusion générée dans l’esprit du public intéressé ; qu’il y a lieu, dès lors, de dire que les sociétés Google Inc et Solutions ont toutes au travers de manquements à la loyauté commerciale spécifiques et propres, contribué à l’entier dommage subi de ce chef par la société Cobrason ».
Ainsi, en manquant aux exigences de loyauté en matière commerciale, la société Google et l’annonceur ont été condamnés à réparer l’entier préjudice subi par la société demanderesse, plus de 100.000 euros en l’espèce.
La faute de Google, au sens de l’article 1382 du Code civil, est d’avoir proposé le mot clé Cobrason et ainsi d’avoir « également contribué techniquement à la confusion générée dans l’esprit du public intéressé ».
La cour admet donc qu’une confusion dans l’esprit du public intéressé existe du seul fait d’utiliser le nom commercial appartenant à un de ses concurrents.
II - Condamnation de la société Google Inc pour publicité trompeuse
L’intérêt juridique de cet arrêt prend une dimension supérieure dans la mesure où il s’appuie sur le fondement de la publicité mensongère pour sanctionner une seconde fois Google Inc sur ce fondement.
En effet, Google Inc est condamnée, d’une part, sur le fondement de la concurrence déloyale et, d’autre par, sur le fondement de publicité trompeuse.
Les juges d’appel rappellent qu’aux termes de l’article L 121-1 du Code de la consommation :
« I- Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien au service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d’un concurrent ; 2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service à savoir ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectuées sur le bien ou le service ;
c) le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
b) Le service après-vente, la nécessité d’un service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou d’une réparation ;
e) La portée des engagements de l‘annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;
f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
3°) Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n‘est pas clairement identifiable..."
De plus, l’article 20 de la loi du 21 juin 2004 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, rappelé par la Cour, dispose que :
« Toute publicité, sous quelques formes que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée. L’alinéa précédent s’applique sans préjudice des dispositions réprimant la publicité trompeuse, prévues à l’article L 12-1 du Code de la consommation ».
Or, si en matière de contrefaçon de marque, il est de jurisprudence constante que pour de mêmes faits de contrefaçon, il n’est envisageable d’agir sur le fondement de la concurrence déloyale qu’à la condition de pouvoir démontrer un préjudice distinct.
Cependant, compte tenu que la Cour d’appel n’a pas exigé une telle démonstration dans la présente affaire, les sociétés d’e-commerce victimes de concurrence déloyale dispose d’une possibilité d’action et d’indemnisation plus importante.
Ainsi, s’agissant de la présentation du site concurrent à la suite d’une requête Google avec le mot-clé Cobrason, la Cour d’appel a considéré qu’elle était constitutive en elle-même d’une publicité trompeuse « dès lors que l’internaute, client potentiel, ne peut qu’être porté à croire à l’existence d’un lien commercial particulier entre les sites des sociétés Cobrason et Solutions au travers, entre autres, d’une possible identité des produits offerts à la vente ; que le lien litigieux présentant le site concerné de la société Solutions et contenant la formule ‘‘pourquoi payer plus cher” est aussi, eu égard à la terminologie employée, susceptible d’induire en erreur l’internaute en prenant connaissance et d’entraîner un détournement de la clientèle considérée ».
Une autre solution aurait sans doute été rendue si les sociétés en cause n’avaient pas été concurrentes et n’exerçaient pas la même activité car, a priori, le « public intéressé » est le public ciblé par un marché spécifique (en l’espèce, il s’agissait de matériel Hifi).
III - Le non-bénéfice du régime de responsabilité limitée des hébergeurs de contenus au profit de la société Google
Google, en tant qu’hébergeur de contenus, a l’habitude de se prévaloir du régime de responsabilité limitée prévue par la Loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 (aussi dénommée la LCEN).
En effet, profitant de ce régime responsabilité allégée, les hébergeurs de contenus peuvent voir leur responsabilité écartée au motif qu’il n’ont pas à surveiller a priori l’ensemble des activités sur leur service.
Or, en l’espèce, l’application de ce régime aurait sans doute permis à Google d’échapper à une telle condamnation.
En effet, cet arrêt oblige désormais Google à vérifier, au préalable, que toute personne qui utilise un mot-clé sur son service Adwords n’est pas dans une situation de concurrence éventuelle avec une autre entreprise.
Le respect d’une telle obligation à la charge de Google Inc est quasiment intenable en pratique, voir impossible à mettre en place.
En l’absence de précision sur ce point dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris précité, il convient de ne pas aller plus loin dans l’interprétation de cette absence remarquée du régime de responsabilité limitée applicable aux hébergeurs.