Notations et commentaires sur les avocats : pour ou contre ?

Notations et commentaires sur les avocats : pour ou contre ?

Laurine Tavitian
Rédaction du Village de la Justice

62753 lectures 1re Parution: Modifié: 13 commentaires 4.79  /5

Explorer : # notation des avocats # avis clients # transparence juridique # e-réputation

Les notations d’avocats et commentaires des internautes suscitent de nombreuses réactions. Le Village de la Justice alimente le débat en vous présentant deux avis divergents, celui de Michèle Bauer, ancien membre du Conseil de l’Ordre, avocat au barreau de Bordeaux, globalement contre les notations et commentaires, et celui de Thierry Wickers, ancien Président du CNB, avocat du même barreau, plutôt en faveur de cette possibilité offerte aux clients.

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Alors que rien n’interdit aux clients de formuler des commentaires ou des appréciations sur les avocats et leurs prestations, que les sites de notations ne sont pas interdits et qu’il n’est pas non plus interdit à un avocat de figurer sur un site autorisant ce type de pratique, la question de leur autorisation sur les sites internet des cabinets fait débat. Le CNB a en effet rendu un avis pour une interdiction des commentaires de clients sur les sites des avocats.

Ouvrons le débat sur le sujet de fond, faut-il noter les avocats en ligne ?

Village de la Justice : N’est-ce pas une évolution nécessaire à l’heure où c’est le consommateur de droit qui a la main ?

Michèle Bauer : Malheureusement, c’est une évolution qui n’est pas nécessaire mais contrainte.
Certaines legal start up qui traitent la prestation juridique comme un produit ont créé un besoin chez le consommateur, celui d’avoir des avis sur les avocats.

Michèle Bauer, Avocat et ancien membre du Conseil de l’Ordre

Ce besoin a été créé et certains essaient de faire croire que cette évolution est inéluctable car si les consommateurs ne viennent pas consulter les avocats ce serait parce qu’ils ne pourraient pas les choisir en toute connaissance de cause à l’aide d’avis d’anciens clients.
Or, si cette thèse est vraie, les sites donnant des avis sur les avocats existent, a-t-on un retour statistiques sur leurs effets ? Les avocats sont-ils plus consultés du fait de cette mise en ligne de commentaires d’internautes ?
Cette argumentation n’est pas sérieuse. C’est connu, le premier frein empêchant l’internaute de franchir le pas de la porte d’un cabinet d’avocat, c’est le coût. Si ces avis doivent être acceptés, le moindre mal est qu’ils soient contrôlés par la profession pour éviter les dérives.
Il est grand temps que la profession prenne conscience de l’importance du numérique et se dote d’une Charte de bonne conduite sur internet.

Thierry Wickers : A en croire Richard Barton (qui figure dans la liste des 100 innovateurs de moins de 35 ans de la revue du MIT) l’économie digitale se développe en suivant une règle très simple, "everything that can be known will be known, everything that can be free will be free, and all that can be rated will be rated".

Thierry Wickers, ancien président du CNB, avocat au barreau de Bordeaux

La possibilité de noter un produit ou un prestataire joue un grand rôle dans le succès de certaines plateformes, dont les services reposent précisément sur la collecte des avis des internautes. Nous avons pris l’habitude, sur internet, de pouvoir donner notre opinion sur la qualité d’un produit ou d’un service, ou de nous appuyer sur les opinions exprimées par d’autres internautes.

Du point de vue des consommateurs de droit, rien ne semble justifier que les services des avocats ne soient pas concernés par ce mouvement général, alors précisément qu’ils sont particulièrement difficiles à évaluer. Etre confronté à l’obligation de choisir un avocat est en effet une épreuve difficile pour la plupart des individus et des entreprises, qui ne disposent ni d’un réseau pour les aider dans leur choix, ni des compétences nécessaires.

Qu’est ce que ces pratiques peuvent apporter à l’avocat d’une part et à son client d’autre part ?

Michèle Bauer : Ces pratiques apporteraient pour le client un éclairage sur les compétences des avocats et permettrait à ce dernier de faire un choix, ce serait « comme le bouche à oreille » mais virtuel.
Cette comparaison avec « le bouche à oreille » m’apparait comme erronée. En effet, lorsqu’un client vient nous consulter par le bouche à oreille, généralement « la bouche » qui a donné le nom de l’avocat est un proche, un ami, une association, une assistante sociale, son collègue de travail.
Sur internet, les avis sont donnés par des anonymes, les internautes qui donnent leur avis ne se connaissent pas. L’avis sera nécessairement subjectif et plein de ressenti, il pourra être vindicatif si le client a perdu son dossier. A mon sens, il ne permettra pas de bien guider les futurs clients. Rien ne vaut l’avis d’un proche à qui l’on fait confiance.

"Pour l’avocat, je crains que ces pratiques ne nivellent notre profession par le bas".

Pour l’avocat, je crains que ces pratiques ne nivellent notre profession par le bas. En effet, les sites, les forums sur lesquels figurent les avis sur des avocats existent déjà. Ils sont majoritairement négatifs et vindicatifs. L’internaute comme lorsqu’il donne les avis sur les hôtels où il a séjourné sera plus motivé pour écrire un avis lorsqu’il sera déçu et qu’il souhaitera dénigrer son conseil.

Préserver l’e-réputation de l’avocat deviendra un nouveau marché que les start-up investiront avec joie car l’avocat n’aura pas le temps de « faire le nettoyage » sur internet des commentaires mal intentionnés.

Thierry Wickers : Pour le client, le bénéfice de la notation est évident. Les études disponibles permettent de conclure que la difficulté de choix est un véritable obstacle au développement du marché du droit et donc à l’accès au droit. Souvent, faute de pouvoir choisir de manière éclairée, le consommateur de droit se décourage et renonce à faire valoir ses droits. Pouvoir s’appuyer sur « l’opinion commune » réduit les efforts à réaliser pour sélectionner un avocat et favorise le « passage à l’acte ».

"Les avocats ont donc tout à gagner à une notation qui rendra leur marché moins opaque."

Réciproquement, les avocats ont donc tout à gagner à une notation qui rendra leur marché moins opaque. L’opacité du marché du droit fait partie des obstacles à son développement. Accepter d’être évalué, c’est aussi se contraindre à veiller à la qualité du service et plus seulement à la qualité de la prestation juridique. C’est aussi accepter l’idée d’une relation plus équilibrée entre le professionnel et son client.

Quelles sont les dérives possibles ?

Michèle Bauer : Comme pour la notation et les avis sur les Hôtels, les « faux avis » dithyrambiques seront nombreux et douteux. Si vous vous rendez sur certains sites où ces avis existent, vous serez surpris par les éloges sur certains cabinets d’avocats. Notre profession n’est pas à l’abri de ces faux avis alors que pourtant nous avons prêté un serment. La tentation sera grande pour certains de valoriser leur cabinet ainsi.
Des avis de concurrents dénigrant le cabinet pourraient être mis en ligne, mais ce serait plus rare je pense et je l’espère. Pour les produits de consommation, c’est une pratique courante.
Les dénigrements, les injures, les diffamations contre les avocats pourront se multiplier. L’avocat devra en plus de son travail veiller à sa e-réputation.

Thierry Wickers : Elles sont parfaitement connues et elles ne sont pas propres à la notation des avocats. Elles sont d’ailleurs clairement identifiées dans l’enquête publique consacrée par la Commission européenne à l’économie des plates-formes. Tout le monde peut y participer, jusqu’à la fin de l’année (voir https://ec.europa.eu/eusurvey/runner/Platforms/).

On sait donc que la pratique des faux avis existe et elle est évidemment condamnable. On sait aussi que l’internet peut donner de la visibilité à des prises de position outrancières. Enfin, dans le cas des avocats, il faut évidemment examiner la question du secret professionnel. Dans son avis déontologique du 18 mai 2015, la commission « règles et usages » du Conseil national des barreaux soulignait à juste titre que l’on ne pouvait pas nécessairement garantir « la provenance, la véracité et l’objectivité » des commentaires.
Cela ne permet ni de les interdire, ni de penser qu’ils ne concernent pas les avocats.

Laurine Tavitian
Rédaction du Village de la Justice

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Discussions en cours :

  • par SZADKOWSKI Anne , Le 30 août 2023 à 09:08

    Bonjour,

    Si certains avocats sont conscients de l’importance du concept de Confiance qui sous-tend déontologiquement leur Responsabilité sociétale et individuelle, d’autres sont tres éloignés de ce concept dans leur activité.

    Ces derniers n’ont pas attendu les plates formes et les évaluations pour " tirer la profession vers le bas"

    Ce n’est pas la profession qui se questionnera sur ses pratiques mais ses clients.

    Les moyens pour ces derniers sont insuffisants pour le faire tant cette profession, trop souvent, sait se protéger pour éviter toute incursion dans ses privilèges et ce, au détriment du justiciable.

    Il ne reste alors à ce dernier faute de moyens et de connaissances juridiques que la voie, certes très contestable, des divers réseaux sociaux.

    Anne Lise SZADKOWSKI

  • par Neila , Le 20 février 2016 à 11:12

    J’ai dans le passé eu hélas besoins d’avocats. En ce temps-là les sites d’appréciation de clients n’existaient pas. J’ai malheureusement eu affaire à un véritable vautour qui n’avait d’autre but que de s’enrichir sur le malheur des autres, quitte à les achever.
    En ayant parlé autour de moi je me suis rendu compte que mon cas est très loin d’être isolé, et ce n’est pas les bâtonniers qui y mettront bon ordre, même preuves sous le nez (mon cas et beaucoup d’autres).
    Comme dans tous les métiers il y a des brebis galeuses, je ne vois pas pourquoi le consommateur ne devrait pas en être avisé, d’autant que les conséquences sont dramatiques. On s’adresse rarement à un avocat pour une pécadille !

  • par Bob l’éponge , Le 1er août 2017 à 22:36

    Comme beaucoup d’autres, mon divorce m’a amené à fréquenter cette profession pour la première, et je l’espère, dernière fois. Voici mon expérience...

    J’ai du changer d’avocat au bout de quelques mois, me rendant compte que le premier, choisi un peu au hasard sur la liste des praticiens en droit de la famille sur le site web du barreau m’avait, sur quelques points bien précis, raconté de grosses bêtises. (mais vraiment des grosses !). J’aimerais vous dire qu’il s’agissait d’un petit jeune inexpérimenté mais ce n’était pas le cas.

    J’en ai alors rencontré un deuxième, qui m’a reçu avec près d’ 1/2 heure de retard, et m’a proposé des honoraires de 300€ de l’heure (Hors taxes !) , au terme d’un rendez vous bâclé et néanmoins facturé. Je n’ai pas donné suite.

    Le troisième est plus raisonnable question tarifs (attention ça fait quand même très mal : 220 €ht de l’heure), mais j’ai fait mon deuil d’une défense efficace. Je corrige les fautes d’orthographe des conclusions en me demandant comment on peut obtenir une maitrise de droit en écrivant un français aussi lamentable. J’ai renoncé à expliquer certains points qui manifestement ne sont pas compris : c’est fou de payer aussi cher pour expliquer de trucs basiques à quelqu’un qui ne comprend pas vite.

    Donc OUI à l’évaluation en ligne. Il n’y a aucune raison pour les clients ne puissent pas noter une prestation qu’ils sont obligés de payer, sous prétexte qu’ils n’auraient pas la compréhension nécessaire pour le faire (si on en croit les intéressés). Et aussi pour que ceux qui sont systématiquement injoignables soit identifiés. Après tout, s’ils n’ont pas une seconde pour rappeler leurs clients ce n’est pas grave s’ils n’en ont pas plus. C’est à ma connaissance le seul domaine d’activité où certains appellent leurs clients en numéro masqué. On croit rêver...

    Il y a plus de 100,000 divorces par an en France. Un avocat à chaque fois minimum, et certainement deux la plupart du temps. C’est une rente. Un pur scandale.

    Vivement que les legal tech fassent un peu de ménage là-dedans.

  • La farouche opposition à une notation des prestations ; reflète une profession gangrenée par la médiocrité de ses prestataires. Celle-ci faisant valoir cette majorité, pour s’y opposer.

    Sans moins laisser libre court, à de plus amples dérives. D’autant que la profession bénéficie d’une obligation représentative d’autre part.

    Quant aux "faux avis" érigé en étendard, pour l’occasion. Une légion de moyens est disponible pour les empêcher, tout en légitimant les autres.

    D’ailleurs les meilleurs vous le diront. Les plateformes de service (plombiers, électriciens...), ont bien compris l’avantage contre intuitif des notations, pour leur "business model".

    Il doit en être de même pour les avocats. Sinon, où serait la justice !

  • Dernière réponse : 31 mai 2018 à 17:24
    par Florence , Le 2 février 2018 à 08:33

    Ce qu’il faut souligñer c’est que le nombre très élevé d’avocats fait que nombre d’entre eux pour gagner leur vie y compris ceux qui font de très beaux articles dans les’ media ont des pratiques. Très reprehensibles. Or le barreau en particulier en Ile de France ne joue pas son rôle de régulation comme prévu par la réglementation et privilégie parfois même honteusement les avocats. Exemple d’un avocat qui n’avait fait aucun acte en un an depuis qu’on lui avait confié l’affaire mais pour lequel le barreau a estimé que le simple classement avec des intercalaires du dossier justifiât des honoraires de2000 euros.
    Le client est donc obligé de se tourner vers les forums
    en résumé, que la profession d’avocat fasse le ménage en son sein .

    • par NAJA13, pour la publication, mon nom Najib EL MEJLISSI, 06 27 14 90 17 , Le 31 mai 2018 à 17:24

      Je pense que je n’ai vraiment pas de chance avec les Avocats, sauf les fruits bien sur !
      J’habitais encore chez mon ancien propriétaire, à Marseille, en Novembre 2016, j’avais pris un avocat contre lui.
      Après plus d’un an, et mon déménagement, j’ai commencer à trouver que cela prenait trop de temps pour avoir une date d’audience. En février 2018, il m’annonce une date pour la mi-Mars, après il me dit que mon affaire n’a pas été retenue. Le 2 Avril 2018, j’ai vérifier au Tribunal de Marseille, il n’y avait aucune demande à mon nom. Aujourd’hui, 25 Mai 2018, encore pas d’audience.
      La première affaire, 50 salariés, confiée au mois de Mars 2013, à une Avocate d’Aix en Provence, le jugement prononcer au mois de Février 2016, aucune indemnité à ce jour !
      Pire, elle a divulgué ses conclusions, sur un site, pour 15 personnes, avec les coordonnées personnelles, ceci devaient être confidentiels. Et j’en passe, comme faire une lettre A.R pour un RdV avec celle-ci
      Prévenu, le Bâtonnier d’Aix en Provence, ne fera rien contre elle, et prendre pour des C... le collectif qui c’est adresser à lui. Je pense qu’il doit la connaître !!!
      Aucune chance de les mettre au Tribunal, ou dans les médias,

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