Une avancée en la matière, devenue visiblement nécessaire au regard des abus pratiqués par certains distributeurs et producteurs alimentaires (destruction ou javellisation des produits invendus par les distributeurs, ou encore refusés à la vente en raison de mauvais étiquetage, destruction des denrées sous marque de distributeurs retournés au fournisseur…). [1].
Que dit cette loi ?
Amendant le livre V du Code de l’environnement, elle y ajoute une sous-section relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, traitée par les nouveaux articles L. 541-15-4 et suivants.
Le texte vient poser, dans un premier temps, les quatre piliers de la lutte contre le gaspillage, énoncés selon un ordre de priorité : « 1° la prévention du gaspillage alimentaire ; 2° l’utilisation des invendus propres à la consommation humaine, par le don ou la transformation ; 3° la valorisation destinée à l’alimentation animale ; 4° l’utilisation à des fins de compost pour l’agriculture ou la valorisation énergétique, notamment par méthanisation ».
Il est prévu que cette lutte contre le gaspillage passe par la sensibilisation et la formation de tous les acteurs, visant notamment la communication auprès des consommateurs et notamment des programmes locaux de prévention des déchets. A cet égard, l’éducation à l’alimentation dès l’école, prévue par la loi, doit être saluée comme, il nous semble, une des dispositions phare du texte : si l’on souhaite changer les choses dans ce domaine, rien ne fonctionnera sans une sensibilisation dès le plus jeune âge. Les mesures prises à l’égard des commerçants du secteur alimentaire aujourd’hui ne sont qu’un « pansement », et ne soignent pas la cause originelle du gaspillage : un comportement, un mode de pensée à changer radicalement et définitivement.
Le texte interdit en outre aux distributeurs du secteur alimentaire, sous peine d’une amende de 3.750 euros, de rendre délibérément leurs invendus alimentaires encore consommables impropres à la consommation ou à toute autre forme de valorisation de ces denrées, telles qu’énoncées par l’article. Cette nouveauté fait clairement écho à la pratique des distributeurs et fournisseurs de javellisation ou destruction de leurs produits périmés ou non destinés à la vente. A cet égard, la loi vient également préciser que les produits sous marque de distributeur retournés au fournisseur pourront être donnés, alors qu’ils sont aujourd’hui détruits systématiquement.
Les députés ont également prévu que tout commerce de détail alimentaire dont la surface serait supérieure à 400 m2 devront conclure des conventions avec des associations afin de préciser les modalités selon lesquelles les denrées seront cédées gratuitement, à moins de se voir condamner à payer une amende prévue pour les contraventions de troisième classe.
Des mesures concrètes et audacieuses, dont on ne peut que se réjouir. La mise en œuvre de la loi, dont une partie devrait être encadrée par décret (dans la mesure toutefois où la loi serait également adoptée par le Sénat, ce dont on ne doute plus), semble néanmoins déjà être source de difficultés pour les acteurs concernés et appeler certaines critiques.
Aux dires des associations, et nous portons leur parole bien volontiers, l’application effective de ces mesures pourrait engendrer un travers : faire des associations de solidarité une filière d’écoulement des produits donnés par les grandes surfaces. Cette situation conduirait pour les associations à manquer de place pour stocker les denrées, et notamment celles comportant une date limite de consommation qui ne serait pas encore dépassée. Ce phénomène fera naître des besoins de moyens logistiques et humains colossaux. Il ne faudrait pas que la quantité prenne alors le pas sur la qualité des produits, ce qui ne ferait que déplacer le lieu de gaspillage...
Une autre remarque portant cette fois sur la rédaction-même de la loi : le texte prévoit l’interdiction pour les commerçants cités de rendre impropres à la consommation ou à toute autre forme de valorisation leurs invendus alimentaires « encore consommables ». Il précise également que l’article ne s’applique pas « aux denrées impropres à la consommation ». Toutefois, aucune définition de denrée « consommable » ou « impropre à la consommation » n’a été précisée. La logique conduirait à penser que sont consommables les denrées dont la date limite de consommation ou la date de durabilité minimale (« à consommer de préférence avant... ») ne sont pas encore atteintes. Admettons. Deux questions restent alors selon nous en suspens.
Tout d’abord, concernant les produits comportant une date de durabilité minimale : la DGCCRF précise dans ses publications [2] que le produit dont cette date est dépassée n’est pas pour autant périmé et qu’il reste consommable si tant est qu’il soit stocké selon les indications du fabricant. Dans ce cas, il serait selon nous souhaitable de le préciser dans la loi afin d’éviter encore une source de gaspillage et dans un souci d’efficacité de la loi. Mais peut-être cette précision sera-t-elle amenée par décret.
Ensuite, et enfin, quid des denrées non préemballées ? En effet, ces produits sont exemptés des mentions de date limite de consommation ou de date de durabilité minimale. Cela ne signifie pas qu’ils sont impérissables. En effet, il s’agit selon la DGCCRF des produits comme « les fruits et légumes frais, les boissons alcoolisées, les vinaigres, sels de cuisine, sucres solides, produits de la boulangerie et de la pâtisserie normalement consommés dans les vingt-quatre heures parès leur production et certains produits de confiserie ». Comment décider que ces denrées sont encore ou non consommables et en conséquence soumises ou non aux dispositions de la nouvelle loi ?
Cette précision mériterait d’être apportée à moins que cette qualification ne laisse place à une trop grande subjectivité d’appréciation, rendant les dispositions de la nouvelle loi en partie inefficaces.