Aujourd’hui, tout le monde peut être amené à créer un hyperlien, et ce, pas forcément consciemment. En effet, des sites comme Facebook ou YouTube facilitent le partage de contenu. Mais qu’est-ce que les liens hypertexte ? En 1999, l’hyperlien a été défini par la Commission générale de terminologie et de néologie comme un « système de renvois permettant de passer directement d’une partie d’un document à une autre, ou d’un document à d’autres documents choisis comme pertinents par l’auteur » [1]. Il s’active en cliquant sur un pointeur caché dans un ou plusieurs mots, une icône, une image, etc. Le site lieur est celui qui établit le lien. Le site cible est celui qui contient l’information.
Les hyperliens sont aujourd’hui essentiels au fonctionnement du Web 2.0 puisqu’ils permettent d’éviter de connaître et saisir l’adresse URL de la ressource. Cependant, à ce jour, aucune réglementation spécifique ne leur est consacrée. Il serait alors raisonnable de se demander si le gestionnaire d’un site peut être responsable des liens qu’il établit. Et, quelles sont les actions envisageables à son encontre ?
Deux récentes décisions européennes permettent de mieux appréhender, juridiquement, ces liens, au regard du droit d’auteur. Dans l’univers de partage numérique qu’est Internet, la jurisprudence doit en effet se risquer à trouver un juste équilibre entre liberté du Net et protection des auteurs. Deux points majeurs sont ressortis de ces jurisprudences : l’harmonisation de la notion de communication au public au niveau européen (I) qui permet la liberté de lier. Mais également, l’indifférence de traitement quant au type de liens utilisé (II).
I- Arrêt Svensson : harmonisation de la notion de communication au public par l’étude des liens hypertexte
La première décision de la Cour de justice de l’Union européenne date du 13 février 2014 [2]. Cette affaire est connue sous le nom d’un des journalistes d’un quotidien suédois, Monsieur Svensson. Le quotidien propose, en libre accès sur son site Internet, les articles de ses journalistes. Une société fournit sur son site des listes de liens hypertexte à ses clients, certains liens renvoyant notamment vers les articles du journal. Monsieur Svensson et trois autres journalistes assignent la société pour exploitation des articles sans autorisation et réclament une indemnisation.
Quatre questions préjudicielles ont été posées par la Cour d’appel suédoise afin de savoir, si, un hyperlien pointant vers une œuvre protégée par le droit d’auteur permet sa communication au public, et nécessite, donc, une autorisation pour la mise en place du lien.
Exigence d’un public nouveau et licéité des liens
Cette décision, dans un premier temps, a permis à la Cour européenne de faire de la notion de communication au public de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 [3], une notion autonome du droit de l’Union. Cette notion devra donc s’interpréter de la même façon par tous les juges nationaux des États membres. En réponse à la quatrième question préjudicielle suédoise, la Cour décide que les États membres ne pourront prévoir davantage d’opérations au sein de cette communication afin d’obtenir une plus grande protection des auteurs que celle orchestrée dans cette affaire.
En plus d’un acte de communication entendu largement et un public, les juges européens viennent réaffirmer l’existence d’une troisième condition à la communication au public. Pour que l’auteur dispose de ses droits exclusifs et que son autorisation soit requise avant toute pose de liens, il faut relever la présence d’un public nouveau à la communication. Ce critère est la pierre angulaire de ce début de régime des liens hypertexte.
Le public nouveau s’entend comme un « public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur, lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public » . Sur Internet, quand un auteur upload son œuvre, elle concerne tous les internautes puisqu’ils peuvent tous y accéder en l’absence de mesures de restriction. Par conséquent, un lien hypertexte ne saurait augmenter le nombre de personnes ayant la possibilité d’accéder à l’œuvre. « Dès lors, faute de public nouveau, l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas » pour les liens de l’espèce.
La liberté de lier sur Internet est bien heureusement sauvegardée. Le web n’est pas envisageable sans l’aide que les hyperliens et les moteurs de recherche apportent à la découverte d’information. Il est également appréciable de disposer d’un critère permettant de jauger entre liberté de lier et respect de la volonté de l’auteur.
Le critère de public nouveau n’échappe tout de même pas à la critique. En effet, les critiques fusent sur son absence de fondements . Mais c’est surtout la logique du critère sur Internet qui pose problème : la Cour n’a pas démontré en quoi ces internautes constituaient un unique et seul public. Il semble bien que tous les sites Internet ne visent pas le même type de public. Chaque site s’adresse à un public particulier. Pour Valérie-Laure Benabou il aurait été possible de concevoir des « sous-public » [4].
La question de la communication d’une œuvre dont la première mise en ligne aurait été illicite n’a pas été abordée par la Cour. Quoi qu’il en soit, la réponse à cette interrogation semble perceptible. L’auteur, qui n’a pas divulgué son œuvre sur Internet, n’a souhaité la rendre accessible à aucun internaute. Dès lors, pour tout lien renvoyant vers ce contenu illicite, il y a un public nouveau et donc une communication au public. Une autorisation des titulaires de droits sera nécessaire.
La communication au public est l’équivalent du droit de représentation français. Après intégration du critère de public nouveau au niveau national, il apparaît que les juges français pourront retenir une atteinte au droit de représentation de l’auteur, et donc condamner pour contrefaçon le poseur de liens non autorisés.
Cette question de l’illicéité de la source ne restera cependant pas en suspens. La Cour suprême des Pays-Bas a posé plusieurs questions préjudicielles [5] détaillées à la Cour de justice en avril 2015 qui permettront d’ôter tout doute sur ce cas.
Responsabilité en cas de contournement des mesures de restriction
La Cour pose, clairement, dans un second temps, une échappatoire à la liberté de lier à travers les mesures de restriction. En effet, lorsque le site prend des mesures pour restreindre l’accès de l’œuvre à ses seuls abonnés, un lien hypertexte les contournant communiquerait l’œuvre à un public plus large et donc à un public nouveau. Il convient alors, avant toute mise en place de liens, de demander l’autorisation au titulaire de droits qui conserve ici ses droits exclusifs. L’action en contrefaçon contre le fournisseur de liens semble donc, ici aussi, envisageable.
La forme de ces mesures n’a pas été arrêtée par la Cour. Elle a seulement précisé que la mesure doit restreindre l’accès à l’œuvre. Un accès à l’œuvre après renseignement d’un identifiant et d’un code obtenus lors d’un enregistrement payant ou gratuit apparaît ainsi assez représentatif et conforme.
La Cour indique toutefois que le consentement de l’auteur peut évoluer. L’apparition d’éventuelles modifications d’accès doit constamment être surveillée par le poseur de liens pour qu’il s’assure de l’irréprochabilité de son lien.
Ce système et cette échappatoire semblent prospérer face au rapport [6] de la parlementaire Julia Reda dont la commission des affaires juridiques du Parlement européen a adopté une version amendée le 16 juin dernier qui ne concernera plus la question des liens hypertexte [7].
II- Ordonnance BestWater : indifférence des types de liens
Le type de liens qu’est la transclusion, ou le framing en anglais, fait apparaître la page ciblée dans un cadre, visible ou non, au sein même de la page du site liant. L’embed, en cause dans la deuxième affaire de la Cour du Luxembourg du 21 octobre 2014 [8], en fait partie en permettant un aperçu similaire, par l’insertion sur une page, d’une vidéo hébergée sur YouTube.
La société BestWater International a fait produire une vidéo publicitaire de deux minutes mise en ligne sur le site YouTube. Deux agents commerciaux qui assurent la promotion de produits d’une société concurrente insèrent cette vidéo sur leurs sites en utilisant la technique de la transclusion. Les internautes peuvent alors consulter la vidéo directement sur les deux sites tout en ayant l’impression de ne pas les quitter. BestWater International saisit les tribunaux allemands pour cessation de sa diffusion et réparation en dommages et intérêts.
Licéité du framing
Dans l’ordonnance BestWater l’unique question était de savoir si cette technique de framing était à différencier des autres liens au regard de la notion de communication au public. Cette question reprend la question préjudicielle 3 de la décision Svensson, déjà tranchée, mais pour des faits, ici, plus proche.
Les juges n’ont pas changé de point de vue. En effet, la transclution ne communique pas davantage l’œuvre à un public nouveau du moment que l’œuvre de départ n’était pas protégée par des mesures de restriction. Au regard du critère de public nouveau, cette solution est saine.
Responsabilité en cas d’appropriation de l’œuvre
Au-delà de l’interprétation pure de l’article 3, paragraphe 1, de la directive de 2001, la transclusion est toutefois susceptible de créer une certaine confusion dans l’esprit de l’internaute qui aurait le sentiment de rester sur le site qu’il consulte, alors qu’en réalité, une partie du cadre de ce site renvoie en interne à un autre site.
Par cette confusion, l’auteur peut, à juste titre, avoir l’impression que le gestionnaire du site s’approprie son œuvre. Ainsi, comme le pensaient les juges suprêmes allemands, à l’origine de la question préjudicielle BestWater, le poseur de liens transclusés devrait, dans certains cas, être plus responsable que s’il avait posé de simples liens hypertexte.
Il est sûrement possible de rechercher la responsabilité du poseur de liens incrustés pour atteinte aux droits moraux de l’auteur. Par exemple, le droit au respect de l’esprit de l’œuvre peut se trouver affecté lorsque le fournisseur de liens amène l’œuvre à côtoyer un environnement non souhaité par l’auteur de par le style de son site ou le type de publicité entourant le cadre d’incrustation. Le droit de paternité peut également se trouver lésé lorsque le nom de l’auteur n’est pas mentionné, à cause de la transclusion. L’auteur peut en effet avoir l’impression qu’il n’y a aucun renvoi extérieur au site qu’il consulte et donc, à défaut de mention de son nom, que les droits sur cette œuvre sont détenus par ce même site.
Cette confusion peut également être fautive et à l’origine d’une action en concurrence déloyale ou parasitaire lorsque le fournisseur de liens détourne le contenu ou l’image du site cible.
Fournisseurs de liens, vous savez ce qu’il vous reste à faire, respectez la volonté explicite de l’auteur !
Restent donc, tout de même, de nombreux points qui méritent l’éclaircissement de la Cour européenne pour que ce régime soit applicable de façon évidente : la forme des mesures de restriction, les conséquences du framing dans un cadre économique… En ce sens, la Cour suprême des Pays-Bas est à féliciter pour ces multiples questions préjudicielles, détaillées, afin d’aboutir, une bonne fois pour toutes, à une résolution de la question de la source illicite.
Cet article reprend brièvement quelques points développés dans mon mémoire sur la licéité des liens hypertexte au regard du droit d’auteur sous la direction de Mme Caroline Le Goffic. N’hésitez pas à me demander sa consultation ou à le lire directement sur mon linkedin.
Discussions en cours :
Bonjour,
Qu’en est-il du partage de liens pour/dans un cours ? Ai-je le droit de fournir aux étudiants des liens cliquables vers des contenus disponibles en ligne licites mais protégés par droit d’auteur ? Vers des vidéos sur Youtube ?
Le public des étudiants n’est pas le public des internautes...
Merci beaucoup de votre réponse !
Bonjour,
merci pour cet excellent article, très clair, sur le droit européen concernant les liens hypertextes. Mais quid du droit français ? L’article L 122-4 du code de la Propriété Intellectuelle semple interprété par les juristes français (du moins ceux que j’ai lus) de la façon suivante : les liens simples sont autorisés, les liens profonds sont soumis à autorisation du site original. D’ailleurs les sites web français prennent souvent la peine dans leurs mentions légales, de préciser si oui on non les liens profonds vers une page de leur site est soumise ou non à leur autorisation. Le droit français serait-il plus restrictif que le droit européen ?
Article intéressant, mais malheureusement, des fautes ont été oubliées.
Voilà les plus évidentes :
"En ce sens, la Cour suprême des Pays-Bas est a félicité " :-(
"Cet article reprend brièvement quelques points développez dans mon mémoire" :-(
Cordialement,
Effectivement, je vous remercie pour ce retour.
J’ai demandé une correction.
En espérant que vous avez tout de même pu apprécier le fond de l’article.
Cordialement,
Myriam
Le sujet est compliqué, mais l’exposé est clair est permet de comprendre les lois concernant la publication des liens hypertexte.