L’entreprise peut décider de faire réaliser un site sur mesure, original et personnalisé, ou bien faire réaliser un site conçu à partir d’une maquette préexistante. En tout état de cause, et a fortiori en cas de site original, la réalisation du site web constitue un réel projet pour l’entreprise qui aura, en collaboration avec le web-développeur, pensé et conçu l’architecture, chaque page et chaque élément visuel et graphique du site.
La réalisation d’un tel projet nécessite la rédaction de documents contractuels clairs et complets ainsi que la prise en compte de la propriété intellectuelle du site. A défaut, d’une part, les parties prennent le risque de voir leur projet échouer, avec pour conséquence éventuelle l’engagement de la responsabilité du prestataire et, d’autre part, l’entreprise-cliente risque de ne pas pouvoir exploiter librement son site web.
Dans deux arrêts récents concernant respectivement un projet ayant échoué et une affaire de contrefaçon des droits du prestataire, les juges rappellent les principes et obligations applicables au projet de développement de site web et aux droits du développeur.
1. La nécessaire formalisation des besoins du client et des engagements du prestataire
La complexité des projets informatiques, y compris pour la réalisation de sites web nécessite non seulement l’élaboration de documents contractuels précis et exhaustifs mais également une réelle collaboration entre web-développeur et client.
1.1 L’obligation de collaboration entre prestataire et client et l’importance des documents contractuels
Chaque projet, du plus simple au plus complexe, est unique.
Même pour les offres de création de sites standard, il conviendra de proposer un cadre juridique adapté, précis et clair. Les CGV devront indiquer clairement les prestations comprises dans la proposition, ainsi que les droits accordés au client (simple licence d’utilisation du site, ou cession des droits de propriété intellectuelle au client, qui aura ensuite la liberté de faire évoluer son site, avec ou sans recours au prestataire).
Les projets de développement de sites sur mesure doivent, pour leur part, être gérés comme de véritables projets informatiques.
Or, pour chaque projet, la collaboration est une obligation qui s’impose aux parties, prestataire et client. Pour le prestataire, cette obligation se traduit, avant même la signature du contrat de développement, par son devoir de conseil et d’information du client. Ainsi, au cas où les compétences techniques du client seraient limitées, le prestataire devra l’informer sur les éventuelles lacunes de la définition de ses besoins et de son cahier des charges, voire même l’avertir si les besoins définis sont particulièrement difficiles à atteindre, onéreux, ou irréalisables, et dans ce cas, proposer un recalibrage du projet. En outre, le prestataire devra tenir compte de la difficulté du projet dans la définition de ses engagements et la détermination du budget.
Parmi les documents indispensables à la bonne conduite du projet, les parties devront agréer un cahier des charges, un cahier de spécifications techniques et fonctionnelles et conclure un contrat de conception de site web. Ces documents formeront le cadre contractuel et le référentiel de travail du prestataire.
Le cahier des charges, document essentiel, doit recenser les besoins du client et présenter les objectifs poursuivis et les fonctionnalités attendues. Sur la base de ce document, le prestataire va définir ses modalités d’intervention et développer le site.
Le cahier de spécifications techniques et fonctionnelles consiste en la traduction, par le prestataire, des besoins du client tels qu’énoncés dans le cahier des charges.
Enfin, le contrat de conception ou de développement de site web devra notamment mentionner les étapes de la création du site, les obligations et les garanties fournies par le prestataire, les conditions relatives à la propriété intellectuelle (et éventuellement la cession au client des droits de propriété intellectuelle sur le site), le prix de la prestation, les délais d’exécution et la procédure de recette (préalable à la livraison définitive du site).
Ces trois documents sont trop souvent négligés par les parties, et source de conflit en cas de dérapage du projet de développement.
1.2 L’exemple de l’échec d’un projet suite à son mauvais calibrage
Dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 16 mars 2012, les juges ont condamné un prestataire informatique suite à l’échec du projet de développement de site web sur lequel il était missionné.
En l’espèce, une société avait confié à un prestataire informatique la création d’un site web. Le contrat de développement comprenait deux phases : une première phase de réalisation d’un document de conception, suivie d’une phase de développement du site (plateforme multimédia). Au cours de la réalisation du projet, le prestataire, s’étant aperçu qu’il n’avait pas mesuré l’ampleur de la tâche à accomplir, a notifié au client que le montant du projet serait beaucoup plus élevé que prévu initialement (147.000€ au lieu de 47.000€). A la suite de quoi, les relations entre les parties se sont dégradées, le prestataire a rompu unilatéralement le contrat et le site web n’a pas été mis en ligne.
La Cour a relevé que les termes du cahier des charges et du contrat étaient trop imprécis :
Concernant le contrat, les parties avaient employé une terminologie inadaptée. Il existait une ambiguïté quant à la nature de la plateforme à concevoir, le contrat mentionnant d’une part la livraison d’une plateforme au format bêta (1ère version non complètement testée ni recettée définitivement) et d’autre part une plateforme commercialisable (donc, validée techniquement) ;
Concernant le cahier des charges, ce document contenait de nombreuses imprécisions, telles les mentions “à prévoir”, “à finaliser”, ou encore “en cours de construction”. Malgré ces imprécisions, le prestataire a accepté de s’engager contractuellement, a priori sans émettre de réserves particulières quant à la nécessité de calibrer le projet avant la signature du contrat, ou bien au fur et à mesure de l’avancée des développements.
Selon la Cour, le fait que le projet se soit avéré d’un niveau de complexité non anticipé n’autorisait pas le prestataire à résilier ce contrat de manière unilatérale. La simple consultation du cahier des charges devait lui permettre de se convaincre de son incapacité à réaliser le projet pour le montant contractuellement envisagé. Par ailleurs, le projet comportant de nombreux points non définis au moment de la signature du contrat, il aurait été nécessaire d’en définir le périmètre de manière plus formelle. La Cour a estimé que le prestataire avait commis une faute en rompant le contrat suite au refus du client de revoir le montant de la prestation à la hausse, et en étant incapable de proposer ne serait-ce qu’une version simplifiée du projet pour le montant convenu contractuellement.
La Cour a jugé la résiliation anticipée du contrat par le prestataire fautive et a condamné celui-ci à verser 30.000€ de dommages et intérêts à l’entreprise cliente. (1)
En conséquence, le projet de développement de site web doit être traité comme tout autre projet informatique. La réussite du projet passe par la prise en compte contractuelle des besoins techniques, des coûts afférents au développement du site, du calendrier de développement et de mise à disposition du site, des évolutions éventuelles, etc. Les parties devront porter une attention particulière à la rédaction des documents contractuels, et à la portée de leurs engagements respectifs.
2. L’exploitation du site web et la gestion des droits d’auteur
La question de la titularité des droits de propriété intellectuelle sur le site web et ses composantes est un autre aspect que les parties au contrat de développement de site web ont souvent tendance à négliger. Ainsi, le client qui “achète” son site web à un prestataire n’acquière en réalité qu’un droit d’utilisation du site, en l’absence d’une clause de cession des droits de propriété intellectuelle pour le site et ses composants, juridiquement valable.
2.1 En l’absence d’une clause de cession des droits d’auteur, le site web appartient à celui qui l’a développé
Pour rappel, le site web, en tant qu’œuvre de l’esprit, est protégé par le droit d’auteur, sous réserve d’être original, au sens du droit de la propriété intellectuelle.(2)
L’agence de web-développement (ou le prestataire indépendant), développeur du site web, est titulaire des droits d’auteur sur le site, ces droits comprenant les droits patrimoniaux et le droit moral.(3)
En sa qualité d’auteur, le prestataire dispose d’un monopole d’exploitation, les créations ne pouvant être utilisées par des tiers qu’avec son accord. Toute atteinte aux droits d’auteur, telle une reproduction non autorisée ou une imitation servile, peut être qualifiée de contrefaçon.
La loi prévoit que “l’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrages ou de services par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance (de ses droits)” (article L.111-1 al.3 du CPI). Ainsi, même si un client “commande” le développement d’un site web à un prestataire, les droits d’auteur sur le site appartiennent à ce dernier.
Contrairement aux idées reçues, l’entreprise-cliente, par le simple fait de payer la prestation, ne devient pas automatiquement propriétaire de “son” site.(4)
A défaut de contrat prévoyant la cession des droits d’auteur au profit de l’entreprise-cliente, le client ne disposera “que” d’un droit d’utilisation du site, le prestataire conservant les droits de propriété intellectuelle.
En outre, les sites web étant des oeuvres multimédia, intégrant du logiciel, des bases de données, du texte, des dessins et/ou des images ou photographies, voire de la vidéo et de la musique, plusieurs personnes (morales et/ou physiques) peuvent être impliquées dans leur développement informatique, graphique, etc. Ainsi, les sites web sont souvent des oeuvres de collaboration ou des oeuvres collectives.
Compte tenu de la complexité des droits des différents intervenants sur le développement du site (prestataire informatique, graphiste, photographe, le client et souvent l’auteur des contenus éditoriaux du site), il est impératif d’aborder la question des droits de propriété intellectuelle du site et de ses composants, a fortiori si le client-utilisateur souhaite effectivement acquérir les droits de propriété intellectuelle sur l’intégralité du site.
La cession des droits de propriété intellectuelle, pour être effective et opposable juridiquement, doit obligatoirement être constatée par écrit et respecter les conditions prévues par l’article L131-3 al.1 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que : “La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.”
2.2 L’exemple d’une reproduction de site web non autorisée par le prestataire, censurée par les tribunaux
Une décision récente du Tribunal de grande instance de Paris a rappelé qu’un client faisant réaliser son site par une web agency, n’était pas titulaire des droits d’auteur, puisque l’auteur est le prestataire qui a développé le site.
En l’espèce, le client avait confié la création et l’hébergement du site à un prestataire. Quelque temps après, le prestataire a constaté la reproduction du site qu’il avait créé, sans son consentement, sous un autre nom de domaine. En outre, la mention de son nom avait été supprimée, en bas de la page d’accueil du site web, au profit d’un nouveau prestataire.
Or, les pièces communiquées (bon de commande, photographies, télécopies) ont permis de constater que le site web avait été mis en ligne avec mention du nom du premier prestataire et que celui-ci, et non le client, possédait les compétences requises en matière de création et développement de sites web, avait conçu la présentation des différentes pages et l’agencement des éléments composant le site (graphisme, animation ou arborescence) et enfin disposait toujours des codes sources du site web.
Le Tribunal en a donc conclu que le client n’était pas titulaire des droits sur le site web (aucun accord de cession des droits n’ayant été conclu avec le client). Il ne pouvait donc le faire reproduire sans l’autorisation du premier prestataire. Le client a été condamné à verser 3.000€ au prestataire au titre de la contrefaçon.(5)
En conséquence, il appartient aux parties, prestataire et client, de ne pas négliger l’importance de la gestion des droits de propriété intellectuelle sur le site web à développer. En cas de cession des droits de propriété intellectuelle, celle-ci devra être constatée par écrit et détailler précisément les différents éléments et conditions de la cession, comme rappelé ci-dessus.
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(1) Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Ch. 11, 16 mars 2012 ; Sté Uzik c/ Sté Moralotop.
(2) Voir les articles L.111-1 et s., L.112-1 et s. et L.113-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle. Selon la jurisprudence, l’œuvre est originale lorsqu’elle porte en elle “l’empreinte de la personnalité de son auteur” et traduit “un effort personnel de création”, ce qui distingue cette oeuvre des autres.
(3) Le droit moral correspond notamment au droit de paternité, permettant à l’auteur d’exiger la mention de son nom sur l’œuvre (s’il s’agit d’une personne morale, il s’agira de la dénomination de l’entreprise)
(4) TGI Paris, Ordonnance de référé du 27 septembre 2000 ; Sté Prosodi Corp. / GIE Summits.
(5) TGI Paris, 3ème ch., 4ème section, 10 novembre 2011, Victoriaa, Estelle G. / Linkeo.com, Stéphane C.
Discussions en cours :
Bonjour, je voulais savoir est-ce que le contrat de création de site web est obligatoire ?
Je suis actuellement en litige avec un informaticien, je n’est pas de contrat , ni les codes sources et j’ai aucun documents qui stipule que le site m’appartient.
Merci
Bonjour,
Mon mari étant entrepreneur il dois pour une enseigne importante développer un programme sur leurs site.
il dois avoir l’idée de design, de texte, d’images, de praticité a t’il droit à la propriété intellectuelle de son développement qui pourra par la suite être surement proposé à la concurrence ?
Merci pour votre réponse.
Bonjour,
Merci pour toutes les précisions apportées dans cet article très complet.
J’ai une question qui me vient à l’esprit : si un fonctionnaire travaillant pour une collectivité territoriale alimente un site web (un site représentant l’agglomération dont fait partie sa collectivité et ventant les services publiques qui y sont liés) d’articles et notamment d’avis personnels sur des produits culturels prêtés par la médiathèque de cette collectivité, cela relève-t-il du droit d’auteur ou non ?
Jusqu’à quel point un article peut-il être perçu comme une oeuvre de l’esprit ou un simple document rédigé dans le cadre de son métier ? La frontière me semble floue...
Merci pour vos éclaircissements.
Bonjour
Merci pour votre article
Ayant travailler avec un codeur sur une création d’un webapp sans avoir signé aucun contrat car il s’agit d’un prototype et je ne pensais pas qu’il fallait prendre les mesures que vous avez listez.
Je voulais savoir quels documents devrais je télécharger pour les faire faire signé par mon développeur ?
Je vous remercie vivement pour votre aide et vos conseil
Bonjour
Votre article et très utile et tres bien expliqué.
Je suis un particulier avec une idée d’application, j’ai fait appel à un ami developpeur pour mener à bien se projet. Je suis graphiste et ma connaissance en creation de projet, en juridiction est limité.
Je ne savais pas que le projet appartiendrait au developpeur.
je suis actuellement dans la creation du contrat. Est -il possible davoir une expertise de votre part ? ainsi que le prix de ce service.
Merci
Bonjour,
Cherchant des info sur le droit d’auteur je tombe sur votre article, fort passionnant, mais qui m’interpelle sur plusieurs aspects.
Le développement des indépendant et des AE met depuis quelques années en évidence un sérieux problèmes concernant les obligations et les droits. En effet, travaillant dans le domaine du web, je ne peux que vous affirmer qu’en dehors des grosses entreprises, les clients ne savent jamais rédiger un cahier des charges correctement en vu de la création d’un site web pour leur activité. De là, il s’impose au prestataire de prendre soin d’aider son futur client dans la rédaction de celui-ci et donc, de le conseiller en fonction des spécifications techniques et fonctionnelles. Mais alors... qu’en est-il du cahier de spécifications technique et fonctionnelle lorsque le cahier des charges comprend toutes ces informations ?
Concernant la cession des droits d’auteur, nous touchons ici un énorme problème oublié ou refusé de beaucoup.
Si l’on prend l’exemple du logo Nike... Une "virgule" coutant techniquement quelques centaines d’euros mais en valant en réalité quelques centaine de milliers du à sa notoriété...
Quid d’une oeuvre de l’esprit pour un petit entrepreneur, qui peut-être, un jour, deviendra grand ?
Inutile de vous dire qu’il n’acceptera jamais d’entendre parler de milliers d’euro de droit d’auteur ou même de durée de cessions courtes en vu de révision...
Nous sommes donc condamné à accepter la cession de droits quasi gratuite, définitive et internationale pour l’ensemble de ces petites "boites" si nous voulons conclurent avec elles.
Bonjour,
Merci pour votre commentaire et retour d’expérience.
L’objet de notre article est avant tout d’informer les professionnels (prestataires ou clients) sur les contraintes légales et les bonnes pratiques à adopter en matière de développement de sites web. Même si ces règles ne sont pas toujours faciles à appliquer pour des professionnels du web, elles sont essentielles pour encadrer la réalisation des prestations et protéger les droits des parties.
Ainsi, le cahier des charges est un document essentiel. C’est le document pivot qui permet de définir les besoins du client et la base pour ensuite définir les ressources à mettre en oeuvre pour la réalisation de la prestation. Si le client ne sait pas rédiger un cahier des charges (ce qui est relativement fréquent), le prestataire peut y participer, ou de préférence un consultant externe.
Concernant la cession des droits d’auteur, ce point est ignoré d’un grand nombre de prestataires comme de clients. L’achat d’une prestation n’entraîne pas la cession automatique des droits d’auteur et cette question doit être discutée avec le client. La gestion des droits de propriété intellectuelle est un élément fondamental pour les prestataires.
Cordialement,