Cour d’appel de Douai, référé du Premier président, Ordonnance du 12 décembre 2013 [1].
Débats : à l’audience publique du 21 novembre 2013. Les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’ordonnance serait prononcée par sa mise à disposition au greffe
Ordonnance : contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe le douze décembre deux mille treize, date indiquée à l’issue des débats, par Monsieur. L., Président, ayant signé la minute avec Monsieur B., greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par ordonnance en date du 13 juin 2013, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Cambrai, saisi par le directeur régional des Douanes de Lille, a autorisé, sur le fondement de l’article L 38 du Livre des procédures fiscales, les agents de ses services à procéder à une visite domiciliaire assortie de saisies à l’encontre de la société Eurostock Nord suspectée, selon l’ordonnance, "d’infractions à ta législation des contributions indirectes (fraude aux droits d’accises)".
La visite des locaux de ladite société situés 104 rue de Solesmes à Cambrai par tes services des douanes s’est déroulée le 3 avril 2012.
Par déclaration du 1ef juillet 2013, la société Eurostock Nord a interjeté appel à rencontre de l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Cambrai autorisant la visite domiciliaire et sollicité l’annulation des opérations de visite. Ces déclarations d’appel ont été enregistrées à la cour de Douai sous deux numéros : 13/03683 et 13/03684. il convient d’ordonner la jonction de ces procédures.
La société Eurostock Nord demande au premier président d’annuler l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Cambrai au motif que l’ordonnance n’a pas été motivée par lejuge qui s’est contenté de signé un document préparé par ie service des douanes et que ne sont pas jointes à t’ordonnance la requête du service des douanes et les pièces qui auraient été produites à l’appui de la demande.
La société sollicite, en outre, l’annulation du procès-verbal de visite domiciliaire et la condamnation du directeur régional des douanes de Lille à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société appelante souligne qu’interrogé par la cour, le greffier du tribunal de grande instance de Cambrai a précisé : "la requête ne figure pas au dossier, de même que les pièces produites à son appui conservées par les douanes".
Le Directeur régional des douanes de Lille affirme au contraire que la procédure est régulière et que les pièces ont bien été produites à l’appui de la requête. Il sollicite donc le rejet des demandes formulées par la société Eurostock.
Par décision mentionnée sur le dossier, le premier président a ordonné la réouverture des débats et le renvoi de l’affaire à l’audience du 17 octobre 2013 afin que les parties prennent connaissance de l’envoi fait par la directrice de greffe du tribunal de grande instance de Cambrai le 1ef octobre 2013 et qui comporte la requête et les pièces "déposées à l’appui de la demande d’ordonnance de visite domiciliaire".
La société appelante soutient que le dossier a été re-constitué par le service des douanes et il demande donc qu’une enquête administrative soit diligentée.
Le directeur régional des Douanes affirme que le dossier avait été égaré dans le bureau du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Cambrai et n’a pu être retrouvé par le greffe qu’au retour de congé du magistrat.
Sur ce :
Attendu que ni la requête du service des douanes, ni l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention le 13 juin 2013 ne détaille la liste des pièces produites par l’administration des douanes ; qu’aucun bordereau n’a été établi qui permettrait de justifier des pièces produites au magistrat ;
que dans ces conditions et compte tenu de la première mention faîte par le greffier du tribunal de grande instance de Cambrai selon laquelle "la requête ne figure pas au dossier, de même que tes pièces produites à son appui conservées par les douanes", il n’est pas possible d’affirmer que ta requête et les pièces produites au juge sont bien celles transmises par le directeur de greffe du tribunal de grande instance de Cambrai à la cour te 1er octobre 2013 ;
qu’en conséquence, l’ordonnance doit être annulée ainsi que tous les actes de procédure subséquents ;
Attendu qu’il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de l’appelant les frais engagés par lui et non compris dans les dépens.
Par ces motifs :
Statuant publiquement et contradictoirement,
Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 13/03683 et 13/03684.du greffe de la cour d’appel de Douai,
Annule l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Cambrai en date du 13 juin 2013 qui a autorisé, sur le fondement de l’article L 38 du Livre des procédures fiscales, les agents des services des douanes à procéder à une visite domiciliaire assortie de saisies à [’encontre de la société Eurostock Nord ;
En conséquence, annule le procès-verbal de visite domiciliaire et de saisie réalisé à la demande du service des douanes le 19 juin 2013 ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne le directeur régional des Douanes de Lille aux dépens de la présente instance.
Note.
La présente décision est exemplaire car elle illustre à la fois la trop grande confiance que les juges chargés d’autoriser les visites domiciliaires accordent aux directeurs des douanes qui les sollicitent et les ruses dont ces derniers sont capables pour tenter de tromper les juges d’appel chargés de vérifier la régularité et le bien fondé des demandes de l’administration.
Ici la ruse n’a pas fonctionné mais tout a pourtant été mis en œuvre pour neutraliser les améliorations législatives protectrices des libertés [2].
1. La demande de visite domiciliaire.
La procédure est classique, l’administration des douanes, sous la signature d’un directeur régional, soumet au Juge des libertés et de la détention une requête aux fins d’obtenir une ordonnance autorisant une visite domiciliaire (VD) d’un entrepositaire agréé d’alcool. La requête est accompagnée d’une ordonnance pré-rédigée. Si la loi exige de faire appel à un juge c’est bien pour s’assurer que la visite domiciliaire est suffisamment justifiée pour débusquer les preuves de la fraude. Plusieurs réformes accouchées dans la douleur ont été nécessaires pour tenter d’atteindre l’objectif de protection des libertés, il faut bien dire qu’on revenait de loin comme l’a montré l’arrêt Sadier de la chambre criminelle du 2 juin 1986.
A cette époque - qui ne date pourtant pas du Moyen-Age - point n’était besoin d’une ordonnance d’un juge pour forcer le domicile, les douaniers devaient seulement être accompagnés d’un OPJ. Le sieur Sadier se rendant compte de l’absence d’OPJ lors de la visite domiciliaire avait commencé à réagir mais – on ne saura jamais dans quelles circonstances exactes – les douaniers étaient parvenus à lui faire signer une renonciation à ce droit élémentaire. Le Tribunal correctionnel puis la Cour de Chambéry avaient fermé les yeux sur cette irrégularité grossière mêlée évidemment de pression. La Cour de cassation mis fort heureusement un terme à ces dérives en affirmant pour la première fois que la présence d’un OPJ lors d’une visite domiciliaire est une disposition d’ordre public [3].
Cette affaire illustre parfaitement l’état d’esprit et les tendances lourdes qui règnent en cette matière et la difficulté d’y mettre bon ordre y compris au niveau du législateur trop souvent invité à voter les réformes douanières à minuit passé devant un hémisphère quasi-vide. Au point de nécessiter le rappel à l’ordre de la Cour européenne [4].
En décembre 2013, le naturel revient encore et toujours au galop. Le JLD du tribunal de Cambrai, comme ses collègues, est débordé et n’a pas toujours le temps de lire la requête, il fait confiance à l’administration – après tout c’est l’Etat – il signe l’ordonnance pré-rédigée autorisant la visite domiciliaire sans état d’âme [5].
Au Sénat, dans le rapport n° 413 (2007-2008) déposé au nom de la commission spéciale le 24 juin 2008, M. Laurent Beteille, Mme Elisabeth Lamure et M. Philippe Marini, sénateurs soulignent : « Dans ce cadre législatif que l’on peut désormais considérer comme stabilisé, il importe que les pratiques de l’administration fiscale et douanière respectent sa lettre comme son esprit, et par conséquent, qui doit dans les faits être réservée aux cas de grande fraude, ainsi que s’en prévaut l’administration. A cet égard, certaines pratiques évoquées par les professionnels, telles que des ordonnances pré-rédigées par les services fiscaux ou le fait de soumettre au juge un volume important de documents quasiment impossible à examiner dans les délais requis, sont de nature à contrevenir au respect des droits du contribuable. »
En général le délai d’appel de 15 jours s’écoule sans réaction. Ici l’appel avait permis de découvrir une curiosité assez croustillante qui illustre parfaitement l’esprit routinier et l’inertie qui continuent de régner en matière de protection des libertés. N’y voyant pas malice un agent des douanes s’était rendu au greffe du JLD pour récupérer l’ordonnance autorisant la VD et en même temps la requête du directeur des douanes avec ses annexes. Situation extraordinaire qui rendait évidemment impossible le contrôle de la régularité de la procédure par la Première présidente de la Cour d’appel.
2. La Cour d’appel constate en outre l’absence de pièces justificatives.
« Attendu que ni la requête du service des douanes, ni l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention le 13 juin 2013 ne détaille la liste des pièces produites par l’administration des douanes ; qu’aucun bordereau n’a été établi qui permettrait de justifier des pièces produites au magistrat ».
La greffière du JLD avait pris la précaution de préciser que « La requête ne figure pas au dossier, de même que les pièces produites à son appui conservées par les douanes ».
Mais c’était sans compter avec la réaction du directeur régional des douanes de Lille qui n’a pas hésité à faire réintroduire la requête et ses annexes au tribunal de Cambrai affirmant lors de la deuxième audience de la Cour que le dossier aurait été égaré dans le bureau du JLD et n’a pu être retrouvé qu’au retour de congé du magistrat. Cette manière d’agir d’une grande administration qui relève de l’outrage à magistrat n’avait guère de chance d’emporter la conviction de la Cour.
Dans ces conditions, conclut la Cour, "il n’est pas possible d’affirmer que la requête et les pièces produites au juge sont bien celles transmises par le directeur de greffe du tribunal de grande instance de Cambrai à la Cour le 1er octobre 2013."
Certes des progrès ont été réalisés à la suite des différentes réformes de l’article 64 du code des douanes et l’article L 16 B du LPF qui gèrent les visites domiciliaires mais elles ne doivent pas faire oublier l’état d’esprit qui règne encore aujourd’hui dans les services d’enquêtes et parfois même au niveau de leur ministre de tutelle qui n’avait pas hésité à offrir - pour les corrompre - des sommes très importantes à deux ingénieurs informaticiens de l’UBS de Lausanne pour récupérer illégalement comme la justice suisse l’a parfaitement caractérisé un fichier contenant 5.000 Français titulaires de comptes dans cette banque [6].
Ce rappel historique – la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris avait annulé d’un coup 18 procédures douanières – caractérise la désinvolture de la douane à l’égard de l’autorité judiciaire qui a réagi fermement en rappelant à l’administration qu’elle devait respecter le principe de loyauté dans la recherche des preuves. [7].
Notons enfin que douchée par l’ordonnance de la Cour de Douai et contrairement à sa stratégie jusqu’auboutiste légendaire, la douane s’est abstenue de déposer un pourvoi en cassation tant son attitude pouvait heurter. En effet, en osant affirmer que le dossier était resté dans le bureau du JLD alors que la greffière avait elle-même restitué du dossier complet à l’inspecteur des douanes étourdi la douane se rendait coupable d’outrage à magistrat. Encore et toujours ce problème de désinvolture. L’état d’esprit ne change guère, les fonctionnaires se servent de la justice quand ça les arrange et ne se gênent pas toujours pour la manipuler. On comprend mieux la réserve des parquetiers dans les affaires de douane devant les juridictions correctionnelles. Le plus souvent ils s’en rapportent.
Ainsi l’ordonnance du 12 décembre 2013 de la Première présidente de la cour d’appel de Douai est-elle devenue définitive et bénéficie pleinement de l’autorité de la chose jugée.