[Tribune] Écocide, délit d'écocide et de mise en danger de l'environnement : comment mieux prévenir et sanctionner ? Par Jérôme Graefe, Juriste.

[Tribune] Écocide, délit d’écocide et de mise en danger de l’environnement : comment mieux prévenir et sanctionner ?

Jérôme Graefe
Juriste environnement
Titulaire du CAPA
France Nature Environnement

2285 lectures 1re Parution: Modifié: 4.5  /5

Explorer : # écocide # prévention environnementale # délinquance environnementale # sanctions pénales

Pour faire face à la criminalité environnementale loin d’être en berne dans l’hexagone, les propositions se suivent sans se ressembler. Alors que la convention citoyenne a proposé la création d’un « crime d’écocide », en réponse la ministre de la Transition écologique et solidaire et le ministre de la Justice ont annoncé la mise en place d’un « délit d’écocide » et y ont ajouté un délit général de « mise en danger » de l’environnement. En matière pénale, la diversité de chantiers traduit la diversité des atteintes et les diverses réponses pénales permettant de sanctionner la délinquance environnementale.

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Sur le terrain il est aujourd’hui un constat partagé selon lequel les règles imposées par le droit de l’environnement sont peu ou pas contrôlées. Et même en cas de contrôle relevant des infractions pénales, la réponse n’est guère dissuasive puisqu’il reste largement ignoré par les juridictions : en matière d’environnement, seule 20 000 procédures sont orientées par le ministère public chaque année ce qui représente 1% des condamnations prononcées par an. Et enfin, lorsque le juge est saisi, celui-ci prononce trop souvent des sanctions peu dissuasives compte tenu des gains tirés de la commission des infractions. En conclusion, les pollutions ne sont pas assez sanctionnées si bien qu’il est encore « avantageux » de détruire l’environnement.

Quelques lignes dépassionnées en recherche d’efficacité juridique tenteront de répondre à la problématique : Crime, délit d’écocide, mise en danger de l’environnement quelles solutions pour mieux prévenir et sanctionner les atteintes à l’environnement ?

L’écocide : une incrimination des situations les plus graves.

Les propositions de la convention citoyenne et des ministres se sont succédées pour tenter de définir juridiquement en droit français la notion d’écocide. La pluralité des définitions proposées, reflétant la polysémie de la délimitation de la notion, se heurte aux difficultés de son application concrète. Si on peut s’accorder sur le fait que les atteintes à l’environnement les plus graves méritent d’être criminalisées, la définition de cette nouvelle infraction se confronte encore à son applicabilité. Des questions toujours en suspens, relatives à la clarification des éléments matériel et surtout moral de l’infraction, la réalité du principe de légalité des peines, sont encore des obstacles qui doivent être surmontés pour rendre opérationnelle une telle incrimination. Au-delà, la notion est finalement, bien plus adaptée à la grande criminalité organisée, en particulier au plan international, qu’à la sanction de la délinquance environnementale ordinaire, qui constitue le principal enjeu de la réforme pénale en France.

Le délit d’écocide un apport limité pour la prévention des atteintes à l’environnement.

Les ministres ont proposé la création d’un délit général d’atteinte à l’environnement, contenant une graduation en fonction de la gravité des faits, la plus haute marche étant qualifiée de « délit d’écocide ». Juridiquement cette proposition s’appuie sur des délits déjà existants dans le code de l’environnement [1], étendus à la pollution des sols et de l’air. Il a pour principal intérêt de confirmer enfin le caractère « non intentionnel » de l’infraction, c’est-à-dire qu’il pourra être appliqué pour des imprudences, des négligences ou des manquements à une obligation de prudence ou de sécurité. L’échelle de gravité et donc des peines applicables étant justement fondé sur le degré d’intentionnalité ainsi que du caractère durable et irréversible ou non des dégâts causés.

L’apport de cette proposition nous semble limité et ne permet pas, in fine, de mieux prévenir les atteintes à l’environnement.
L’expérience de terrain de nos 3 500 associations, comme notre pratique contentieuse [2], nous montrent que le problème se situe moins dans la répression des atteintes les plus graves, que dans l’absence de réponse pénale à la délinquance ordinaire.

France Nature Environnement a participé en 2019 aux travaux de la mission d’inspection « justice environnementale », confiée à l’inspection générale de la justice et à l’inspection de l’environnement. Des propositions intéressantes et surtout partagées par l’ensemble des acteurs du droit en l’environnement en France ont émergées de ces travaux. Parmi elles la proposition portée par FNE de créer un nouveau délit affecté à la sanction du non-respect des obligations de prévention des atteintes à l’environnement, dans la philosophie de la Charte constitutionnelle de l’environnement) : le délit de mise en danger de l’environnement.

Le délit de mise en danger de l’environnement : mieux prévenir pour éviter de mal guérir.

Aujourd’hui, la situation montre qu’il est très difficile de réparer l’environnement. En effet, tant la définition que la mise en œuvre des mesures de réparation s’avèrent particulièrement complexes, voire impossibles dans certaines situations. Le génie écologique ne peut pas tout faire. Pour exemple il est aujourd’hui extrêmement difficile de recréer ou restaurer en totalité une zone humide ou encore des tourbières, milieux rares, remarquables qui auraient été détruits... Ces limites s’imposent de facto à la réparation en nature du préjudice écologique.

Pourquoi alors attendre une pollution, une dégradation, irréversibles ou non de l’environnement pour punir les comportements dangereux à l’origine de ces atteintes ? Il apparait évident que la seule sanction des atteintes à l’environnement ne peut suffire au devoir de prendre part à sa préservation. L’enjeu identifié est donc de prévenir en sanctionnant les risques que l’on fait prendre à l’environnement pour limiter au maximum les atteintes qu’on ne peut réparer.

Partant de ce constat, en application de l’obligation constitutionnelle de « prévenir les atteintes » que toute personne « est susceptible de porter à l’environnement » érigé à l’article 3 de la Charte, il est proposé que le droit pénal sanctionne désormais les comportements qui mettent en danger l’environnement.

Cette nouvelle voie engagée par le « délit de mise en danger de l’environnement » semble prometteuse. La nouvelle infraction aura un effet fortement dissuasif puisqu’elle vise à pénaliser la mise en danger délibérée de l’environnement par la violation d’obligation de sécurité ou de prudence. Elle conduira à pénaliser un spectre de comportements qui ne font parfois à ce jour pas l’objet d’incrimination ou de sanction suffisamment dissuasive (par exemple le non-respect des prescriptions utiles à la prévention des atteintes à l’environnement telles que celles prévues par les autorisations de travaux ou d’exploiter) .
Le caractère préventif de ce délit affirmé par l’étendue de son application est renforcé par la sanction dont il est assorti, puisqu’il exposera son auteur à 1 an de prison et 100 000 € d’amende.

Pour conclure, si la criminalisation des atteintes les plus graves à l’environnement est souhaitable, la notion d’écocide reste encore à construire, et cette construction passe sans doute par la voie internationale (à l’instar du crime de génocide).

Devant la délinquance environnementale ordinaire si le délit général d’atteinte à l’environnement (dont la version la plus grave serait qualifiée de « délit d’écocide ») propose un apport, celui-ci reste mesuré tant au regard du droit existant, que de la nécessité de prévention des atteintes (en plus de brouiller le message par l’emploi du terme « écocide », sans doute pas totalement adapté à une incrimination délictuelle).
Sans attendre de nouvelles catastrophes, une voie prometteuse nous semble être celle proposée par le « délit de mise en danger de l’environnement » tant l’objectif prioritaire reste de prévenir plutôt que de mal guérir (quand cela est possible), les atteintes à l’environnement.

Quels que soient les choix opérés par l’assemblée dans le cadre de ses débats, nous rappellons que le secret de la réussite d’un droit de l’environnement enfin effectif ne trouvera pas sa seule solution dans la gestion du très (trop ?) médiatique « écocide ».
L’enjeu majeur réside avant tout dans les choix qui seront faits pour donner plus de moyens aux services de police de l’environnement et aux tribunaux demain spécialisés.
Enfin, cela est trop peu souvent souligné, il s’agira de reconnaître plus de droits aux associations agréées qui défendent, souvent trop seules, la protection de la nature et de l’environnement depuis 50 ans en tant que parties civiles devant les juridictions pénales…

Jérôme Graefe
Juriste environnement
Titulaire du CAPA
France Nature Environnement

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Notes de l'article:

[1Notamment L216-6 et L173-1.

[2Plus de 1 250 dossiers par ans conduits par notre mouvement (FNE).

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