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[Enquête 2024] Quelle est la réelle utilisation de la Legaltech par les Directions juridiques ?
Parution : vendredi 22 mars 2024
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Le Village de la justice a interrogé 136 Directeurs(trices) et Responsables juridiques pour déterminer la réalité de l’utilisation de la Legaltech en Directions juridiques.
Le but ? Obtenir de vrais chiffres sur l’utilisation début 2024, les partager et analyser ici, puis nourrir le programme de notre prochain Congrès RDV des Transformations du Droit en novembre 2024 auquel vous êtes tous conviés.
Ces chiffres vous surprendront-ils ? En tous cas, le panel est assez large pour donner une analyse intéressante, analyse à laquelle nous avons convié des experts de la transformation des DJ.

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On parle beaucoup de la Legaltech, mais dans la pratique, que font vos confrères en Directions juridiques ? Qu’utilisent-ils vraiment, quels sont leurs besoins et leurs freins ? Quel est leur avis sur le sujet pour la profession de juriste ?
Enquête et analyse.

Merci aux 136 participants ! Détail du panel et de la méthodologie en fin d’article.

Quel est leur accès actuel aux legaltech dans leur service juridique ?

Nous regardons ici les outils mis à disposition, sans lien avec l’usage réel. C’est un état des lieux à l’instant T du taux d’équipement, et le constat est que 29% ne sont équipés de rien, à part de solutions bureautiques de base. Est-ce peu ou beaucoup ? Et bien cela ne semble pas si mal, si l’on pense que les Legaltech constituent encore un jeune marché en croissance (moins de 5 ans d’existence pour la majorité des prestataires, 58%, voyez à ce sujet notre Observatoire de la Legaltech). Nous pouvons trouver positif, dans ce cadre, que 71% des DJ aient déjà adopté la Legaltech !


L’analyse d’Emilie Calame, consultante en Legal Operations :

35% des grandes entreprises et ETI disposent d’un unique outil Legaltech, tandis que 21% n’en possèdent aucun :
La présence de juristes dépourvus même des outils fondamentaux de la Legaltech témoigne d’un marché des technologies juridiques encore profondément inexploré. Un immense potentiel reste à exploiter dans ce domaine ! Combien d’autres départements de l’entreprise ne fonctionnent qu’avec les outils bureautiques classiques ? AUCUN ! Le département juridique est définitivement le parent pauvre de l’entreprise et cela se paie en efficacité, en productivité, mais également en qualité de vie, engagement et rétention des salariés.
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L’analyse de Christophe Dhiver, consultant en Legal Operations :

"Il est intéressant de constater la part croissante que prend le sujet dans le monde des PME (1/3 sans Legaltech, 1/3 a une Legaltech, 1/3 avec plusieurs services avancés), ce qui n’était pas forcément le cas encore récemment.
C’est une bonne chose, car plus on installe ce type d’outils quand on est « petit », plus c’est bénéfique lorsque l’on grandit. La DJ est armée pour accompagner son entreprise/groupe dans sa croissance. Ce qui est plus dur à faire lorsqu’on est plus grand, plus piloté aussi.
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Parmi ceux qui ont accès à ces outils Legaltech, quelle est leur fréquence d’usage réelle ?

A 90% les outils sont utilisés fréquemment, et même 50% quotidiennement, preuve qu’ils répondent à un besoin et aident le juriste ! C’est bien le but, mais c’est désormais confirmé :


L’analyse d’Emilie Calame, consultante en Legal Operations :

"L’usage quotidien des Legaltech par la moitié des juristes qui ont accès à ces outils incarne une révolution dans la pratique du droit : le droit à la vitesse de la technologie, efficace et sans frontières."



Utilisent-ils des solutions tech qui seraient “home made” (développées en interne) ou bien des solutions externes de prestataires ?

Toutes les possibilités sont couvertes et la part importante de solutions développées en interne montre que nous sommes en période exploratoire, mais aussi certainement que les compétences de la DSI sont mises à contribution :



Quels sont les outils Legaltech auxquels ils ont accès et lesquels sont utilisés ?

Découvrons ici les outils les plus intégrés dans les Directions juridiques et leur taux d’utilisation :


L’analyse d’Olivier Chaduteau, consultant auprès des Directions juridiques.

"L’étude confirme que les premiers processus à être digitalisés dans les directions juridiques sont la signature électronique, le contract management et le collaboratif. On pourrait s’étonner de voir, 4 ans après le COVID, que seulement 84% des entreprises ont accès à la signature électronique qui, manifestement, peine encore à convaincre quelques réticents pour flirter avec les 100% de déploiement. On voit d’ailleurs que parmi ceux qui n’ont pas encore mis en place de legaltech, 50% pensent à la signature électronique.
Quant au contract management, s’il est toujours le processus central dans la digitalisation, l’étude montre que les outils mis en place n’ont pas encore tiré les bénéfices de l’IA qui est la technologie qui permet de faire basculer les outils de CLM (« Contract Lifecycle Management  ») dans des solutions apportant une aide majeure et un gain de temps significatif pour les juristes (rédaction avancée, premières relectures des contrats au regard des clauses standards et politiques contractuelles, audit automatisées, synthèses personnalisées…).
En milieu de classement, on retrouve les outils liés au suivi des participations et les outils de Compliance dont on comprend qu’ils vont se développer de plus en plus dans les directions juridiques tant les besoins et le poids de la réglementation dans ces domaines sont importants.
Enfin, à la toute fin du classement des outils auxquelles les directions juridiques ont accès, on retrouve les outils de propriété intellectuelle et les outils de délégations de pouvoir ainsi que l’e-discovery. Pour ce dernier, compte tenu du marché quasi-inexistant de l’e-discovery en France, on ne s’étonnera pas, mais concernant les outils de délégations de pouvoir, ils devraient se développer davantage car ils sont une des briques supplémentaires à l’automatisation totale du processus contractuel afin de permettre à la machine d’être encore plus autonome.
Dernier enseignement de cette étude très intéressante du Village de la Justice, on voit poindre, certes sans surprise, des attentes fortes concernant l’impact de l’IA pour les sujets de rédactions avancées et de veille juridique et jurimétrie, ce qui présage de grandes transformations du métier de juriste, mais également du marché du Droit en France.
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L’analyse de Christophe Dhiver, consultant en Legal Operations :

"En termes de thématiques, le sujet CLM est l’arbre qui cache (un peu trop ?) la forêt actuellement. Même si c’est une belle réussite (à la française, faut-il le souligner, avec quelques acteurs solides), la perception du sujet par les DJ est monopolisée par ce prisme lorsqu’il faut pousser une réflexion sur sa digitalisation (" je n’y vais pas, car je n’ai pas le budget pour un CLM ").
Sans doute la variété des investissements va-t-elle s’accélérer avec les sujets du moment (IA notamment, Gestion de la PI, de l’actionnariat…)
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L’analyse d’Emilie Calame, consultante en Legal Operations :

"Le grand absent de ce sondage demeure l’eDiscovery, un outil largement méconnu des entreprises françaises. Le processus utilisé par cet outil est pourtant crucial dans le contexte actuel où une grande partie des données et des communications se fait de manière numérique.
(Note : les outils eDiscovery facilitent la gestion de volumes massifs de données, permettant une recherche précise et une révision des documents, réduisant ainsi les coûts et le temps nécessaires à la préparation des dossiers juridiques.)

Les taux d’utilisation réels extrêmement hauts dans cette étude démontrent un point capital : les juristes qui disposent d’outils les rentabilisent largement. De fait, les juristes reconnaissent enfin que la technologie est le levier ultime d’efficacité, de précision et de productivité dans leurs pratiques. A se demander pourquoi les CFO hésitent encore !"



Quels sont les outils Legaltech qui leur manquent ?

Qu’ils soient équipés ou pas, ils expriment ici leurs besoins, et notamment une "envie d’intelligence artificielle"... Besoins exprimés qui précèdent sans doute les prochains investissements, tant l’IA est à l’ordre du jour en 2024 chez les prestataires également, avec de nombreuses solutions à venir :



Qu’est-ce qui les freine ou limite pour l’adoption de nouvelles solutions Legaltech dans la DJ ?

Qu’ils soient équipés ou pas, ils expriment ici les freins identifiés pour l’adoption de Legaltech :


L’analyse de Laurie David-Henric, LegalOps internationale :

"« Manque de budget » et « Manque de temps » sont les raisons universelles avancées pour résister tout changement, et dans le cadre de ce sondage, pour ne pas regarder du côté de la technologie. Or, c’est une parfaite illustration de la raison pour laquelle un soutien opérationnel au département juridique est critique.
Le nature même de la fonction de responsable des opérations juridiques - « legal ops » - est de faire gagner du temps (et donc in fine, de l’argent) aux juristes et au département en optimisant le modèle opérationnel, et cela passe indéniablement (mais pas que) par la technologie.
Le frein « Manque de temps » - tout comme ceux « Manque de connaissances des solutions existantes » et « Outils non adaptés à mon besoin » - sont de facto écartés en ayant un personnel dédié, car une partie du rôle est d’analyser l’écosystème technologique et de constamment le mettre en perspective avec les besoins internes.
Encore faut-il que ce personnel comprenne la dynamique du département, ait un attrait certain pour la technologie, en connaisse les codes et le langage, connaisse les acteurs du milieu, et fasse partie d’un réseau de pairs avec lesquels échanger sur la réalité de la tech en question, mais il s’agit là principalement de bien sélectionner son candidat.
Le frein « Manque de budget » n’est est en réalité pas un !
D’une part, (i) le personnel « legal ops » est déjà là, (ii) il n’y a aucun frais lié à l’exploration du marché, et (iii) avec la plupart des vendeurs sérieux, il n’y a non plus aucun frais majeur pour tester la solution dans une « sandbox » (environnement test) voire pour faire un test grandeur nature avec un pilote, permettant de s’assurer de la pertinence du produit avant tout engagement financier.
D’autre part, la proposition de mettre en place une technologie doit être recherchée, détaillée et documentée. Notamment, elle doit démontrer avec des données claires et objectives comment la technologie va faire réaliser des économies d’échelles rapidement (en temps passé) avec un retour sur investissement (financier) sur 3 à 5 ans en moyenne, permettant donc de significatives économies à partir de cette date, et dans l’intervalle, une meilleure gestion du temps et donc, des coûts. Cette proposition doit être à même de pouvoir convaincre même ceux qui « n’en ressentent pas le besoin » !
Les autres freins liés à la « confiance », la « complexité » redoutée, et le fait de ne pas savoir « s’en servir » vont de pair, et sont facilement adressés par un robuste plan de formation interne, arrêté en collaboration avec le vendeur et faisant partie intégrante de la négociation d’un part, et de la planification du projet d’autre part. Ne surtout pas se précipiter sous peine de rencontrer une résistance disproportionnée !
Par ailleurs, la qualité, fiabilité et disponibilité du support client post-implémentation sont des points essentiels dans la phase de sélection de la technologie. J’en fais personnellement un sujet central, car une fois la technologie déployée, il est pour moi hors de question qu’un professionnel se retrouve bloqué dans son travail par un problème technique.
"


L’analyse d’Emilie Calame, consultante en Legal Operations :

"54% des DJ n’adoptent pas de nouvelles solutions Legaltech par manque de temps ou de connaissance des solutions existantes  :
Face à la complexité et à l’abondance des outils Legaltech, négligés par certaines Directions Juridiques par manque de temps et de connaissance, le métier de Legal Ops devient le pilier des entreprises pour transformer ces défis en stratégies gagnantes.

66% des directions juridiques manquent de budget pour adopter de nouvelles solutions Legaltech :
Quand un certain nombre de directions juridiques reporte encore aux CFO, il est plus que jamais nécessaire de s’interroger sur le lien entre ces deux départements, et la compréhension par les CFO des enjeux rencontrés par le juridique ! Il faut leur parler productivité, efficacité, gain de temps et coûts maîtrisés !


L’analyse de Christophe Dhiver, consultant en Legal Operations :

"Le triptyque « je n’ai pas le temps, les moyens , les connaissances » a encore la vie dure et démontre le chemin que tous les acteurs de l’écosystème (Tech, Consultants,…) ont encore à faire pour démystifier sur le terrain ces points de blocage, qui n’en sont pas réellement (ou qui peuvent être canalisés). Celles et ceux qui ont pris le temps de poser le sujet avec méthode pourront témoigner : la recherche et la concrétisation réussie d’un projet legaltech est plus un marathon en équipe (avec les autres fonctions cousines de l’entreprise) qu’une course de sprint en solo."



Comment qualifient-ils l’importance des legaltech…

Pour leur propre Direction juridique et pour l’ensemble de la profession de juristes, comment évaluent-ils l’importance des legaltech ?
La prise de conscience des enjeux est réelle, avec une qualification à 71% des répondants de "Cruciale" ou de "Très importante" pour l’ensemble des DJ - curieusement, un peu moins pour leur propre DJ, c’est sans doute parce que le mouvement est en route et non encore abouti.
Seuls 5% semblent négliger l’importance du sujet... Le débat semble donc clos à une écrasante majorité : "il faut le faire !", même si 32% des décisionnaires juridiques jugent la Legaltech "non prioritaire" (on a vu précédemment que le sujet "Budget" est sans doute sujet d’arbitrage).



Nous vous donnons désormais RDV en novembre pour notre congrès #Transfodroit afin d’aborder tous ces sujets, de rencontrer des prestataires, d’assister à des conférences et ateliers :


Le Panel des répondants et la méthodologie

Enquête réalisée par internet en janvier-février 2024 après de 136 Responsables et Directeurs juridique en France dans un panel que nous avons souhaité diversifié et donc contacté nominativement :
- Répartition par taille et type d’entreprise : 41% travaillent en Grande entreprise, 21% en ETI, 27% en PME voire TPE, 11% dans le secteur public ou associatif.
- Répartition par taille de DJ : 25% des DJ participantes comptent plus de 15 personnes, 29% entre 5 et 15 personnes, 46% moins de 5 personnes.
- Répartition par années d’expérience : 41% des répondants ont plus de 20 ans d’expérience, 40% de 10 à 20 ans d’expérience et 19% moins de 10 ans d’expérience.

Rédaction du Village de la Justice