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Catastrophe naturelle sécheresse : 5 conseils de survie face à l’assurance dans l’enfer de l’argile. Par Hugo Bruna, Avocat.
Parution : samedi 17 février 2024
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Petit guide de survie en 5 étapes pour sinistrés de la sécheresse avant ou après un refus de prise en charge de l’assurance.

La catastrophe naturelle sécheresse présente au moins deux similitudes avec les sables mouvants. Les éléments qui les composent (eau, argile et sable) et les moyens d’en sortir : ne jamais rester immobile et ne pas paniquer.

Le présent « guide » n’a vocation qu’à permettre à ceux qui ont été ou qui seront confrontés au premier de ces deux fléaux d’éviter les écueils fréquemment rencontrés par votre serviteur dans sa mission de défense de sinistrés de la sécheresse.

Autrement dit, suivre ces 5 recommandations ne vous permettra pas de vous en sortir à tous les coups mais vous évitera d’y sauter à pieds joints ou pire, la tête la première.

Conseil n° 1 : souscrivez un contrat d’assurance de protection juridique auprès d’une autre compagnie d’assurance.

Le premier obstacle qui dissuade un sinistré de contester un refus de prise en charge par son assureur multirisques habitation est le coût de l’expertise judiciaire. Outre leur montant élevé, ces frais d’expertise judiciaire doivent être avancés par le demandeur et restent généralement à sa charge s’il perd son procès.

Une assurance de protection juridique peut permettre de prendre en charge tout ou partie des frais d’expertise judiciaire. De même s’agissant des honoraires d’avocat, ainsi que frais de commissaire de justice (ex huissier). Et même parfois rémunérer un expert d’assuré qui pourrait intervenir en amont de la saisine du tribunal pour tenter de résoudre le différend à l’amiable.

En plus, le coût d’une telle assurance reste très raisonnable (une dizaine d’euros par mois en moyenne).

Problème : dans la très grande majorité des cas, un assuré ne dispose d’un contrat d’assurance de protection juridique que parce qu’il se l’est vu proposer par son assureur multirisques habitation. Donc, en cas de conflit survenant entre l’assuré et l’assureur (pour ce qui nous intéresse ici : suite au refus de prise en charge), l’assurance de protection juridique va refuser de financer un procès contre sa propre compagnie, invoquant une situation de conflit d’intérêts.

Solution : souscrire un contrat d’assurance de protection juridique auprès d’une autre compagnie d’assurance vous permet d’éviter cette situation de conflit d’intérêts et donc, d’être bien mieux « armé » pour faire face au refus de prise en charge.

Conseil n° 2 : soyez très vigilant vis-à-vis des dates de survenance des désordres que vous déclarez.

L’une des causes souvent invoquées par l’assurance pour refuser d’accord sa garantie est le désordre apparu en dehors des dates fixées par l’arrêté (portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle).

Soyez très attentifs lorsque vous procédez à votre déclaration de sinistre et en particulier, lors du remplissage du formulaire que votre assureur vous demande de renvoyer complété.

Mais soyez-le également au cours des opérations d’expertise par l’expert mandaté par votre assurance, à distance par « visio-expertise » et/ou sur les lieux du sinistre. Ce dernier pourrait être tenté d’inscrire dans son rapport certains de vos propos qui pourraient jouer en votre défaveur. Appliquez la réplique culte des séries policières américaines « Tout ce que vous direz sera retenu contre vous ». Si elle n’a aucune existence en droit français, elle peut trouver une résonance dans certains rapports d’experts d’assurance.

Contrairement à ses cousines (tremblement de terre, inondation, glissement de terrain...), la catastrophe naturelle sécheresse ne se caractérise pas par sa soudaineté et peut-être difficile à dater, ce qui favorise la survenance de cet écueil.

Conseil n° 3 : une fois le sinistre déclaré, envoyez un courrier recommandé par an à votre assureur (même si une expertise est en cours).

Bien évidemment, conservez (et scannez) une copie du courrier et de l’accusé de réception.

La prescription fait également partie des moyens fréquemment utilisés par les compagnies d’assurance pour échapper au paiement de l’indemnité.

En matière d’assurance, le délai de prescription est de 2 ans. Ce délai a été augmenté à 5 ans pour les catastrophes naturelles de type sécheresse par une loi du 28 décembre 2021 mais cette modification ne s’applique pas aux contrats en cours. Ce qui implique que dans la quasi-intégralité des sinistres actuels, le délai de prescription est toujours celui de 2 ans. C’est (très) court mais ce n’est pas le pire. Le pire, c’est que les événements qui interrompent cette prescription (les juristes parlent de « causes interruptives ou suspensives de prescription ») sont rares.

Pour simplifier, tant que vous n’avez pas saisi un tribunal ou que vous n’envoyez pas une lettre recommandée avec accusé de réception (formalisme impératif) à votre assureur, le délai de prescription de 2 ans court depuis la désignation de l’expert mandaté par votre assureur.

Si l’expert tarde à rendre son rapport, puisque vous contestez le refus de prise en charge par mail ou (pire) par téléphone, la prescription a continué à courir et peut très facilement être acquise dans ce cas de figure qui demeure assez répandu.

Une solution à 5,36 euros (tarif actuel) : envoyez, au moins une fois par an depuis votre déclaration de sinistre, une lettre recommandée avec accusé de réception à votre assureur en le mettant en demeure de « régler l’indemnité relative à ce sinistre » (après avoir rappelé les références du sinistre).

À compter de la date d’envoi de ce courrier, la prescription recommence à courir pendant 2 ans, ce qui vous permet de « souffler » (et l’avocat que vous aurez saisi plus tard vous remerciera).

Souvenez-vous de ce qui a été évoqué en introduction à propos des sables mouvants : ne jamais rester immobile…

Conseil n° 4 : gardez votre argent pour l’essentiel : pas de constat de commissaire de justice (ex huissier), pas de travaux (sauf travaux de mise en sécurité impératifs) et recours raisonné à l’expert d’assuré.

… et ne pas paniquer. Nombreux sont les sinistrés qui, ayant essuyé un refus de prise en charge, exposent des frais en pure perte pensant faire changer de position leur assureur.

Il faut garder à l’esprit deux choses.

La première, c’est que la compagnie d’assurance est pragmatique. Elle n’a aucun intérêt à changer de position tant qu’elle ne considère pas qu’un risque de condamnation existe. Compte tenu des montants en jeu dans le cadre des sinistres de type catastrophe naturelle, il ne faut attendre aucune faveur de votre assureur (si vous croyez encore que la fidélité est récompensée, détrompez-vous). Vous ne ferez donc pas changer d’avis votre compagnie d’assurance.

La seconde, c’est que sauf si vous êtes l’une des 500 fortunes de France (ce qui n’est vraisemblablement pas le cas sinon vous ne seriez pas en train de consulter ce guide), votre combat contre la compagnie d’assurance sera comparable à celui de David contre Goliath. Vous n’avez pas les mêmes armes (moyens) que votre adversaire donc il faut rationaliser les dépenses.

Exit donc les constats d’huissier (désormais « commissaire de justice »). L’expert mandaté par l’assurance aura lui-même pris des photographies. Certes, il passe souvent très vite sur les désordres qui sont les plus préoccupants à vos yeux mais ces photos suffiront au juge des référés pour désigner un expert judiciaire.

N’entreprenez pas de travaux. Sauf évidemment si les désordres sont tels que la solidité de tout ou partie de l’ouvrage est menacée mais seuls des travaux de mise en sécurité peuvent être effectués. N’espérez pas faire effectuer des travaux de remise en état et ensuite vous en faire rembourser le coût. Les experts (amiables ou judiciaires) détestent quand il n’y a plus rien à constater.

Ayez un recours « raisonné » à un expert d’assuré. D’abord, parce que comme toutes les victimes, la victime d’une catastrophe naturelle présente une certaine fragilité. Et cette fragilité pourrait permettre à des individus mal intentionnés et/ou dépourvus d’une véritable expertise en bâtiment de proposer (plus facilement) des services aux sinistrés d’une catastrophe naturelle et de littéralement « saborder » un dossier. Par exemple en n’obtenant aucun résultat tout en laissant s’écouler suffisamment de temps pour que la prescription soit acquise… Ne choisissez pas votre « expert » au hasard, ce qui au demeurant est tout aussi valable pour votre avocat. Ensuite, comme évoqué infra le fait de faire changer de position la compagnie d’assurance qui a notifié un refus en dehors de toute procédure judiciaire relève de l’exploit. Il arrive en effet trop souvent que l’assurance n’ait cure du rapport de votre propre expert. Reste alors la possibilité d’avoir recours à un troisième expert dont vous devrez encore payer la moitié des honoraires. Et si vous n’obtenez pas gain de cause, il faudra encore payer l’expert judiciaire. « Qui paie mal, paie (ici) 3 fois ! ». En revanche, un expert d’assuré compétent peut avoir une véritable valeur ajoutée en intervenant au stade de l’expertise judiciaire.

S’agissant de l’étude de sol (mission G5), elle sera incontournable. La question reste ouverte de savoir s’il est ou non pertinent de la faire en amont ou une fois l’expert judiciaire désigné.

Conseil n° 5 : ce qui est essentiel : faites désigner un expert judiciaire.

Cette dernière étape reste, à ce jour, souvent inévitable pour espérer obtenir le financement par votre assureur des travaux de remise en état de votre bien sinistré.

Cette procédure a fait l’objet d’un article détaillé Catastrophe naturelle sécheresse : un expert judiciaire, sinon rien.

Ne vous laissez jamais convaincre qu’un sinistre est définitivement classé sans suite, prescrit ou perdu d’avance.

Hugo Bruna Avocat inscrit au Barreau de Grasse Droit social - Défense des sinistrés sécheresse