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Les aménagements en mer côtière et la loi Littoral. Par Laurent Bordereaux, Professeur.
Parution : vendredi 29 mai 2020
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Les espaces marins côtiers sont le théâtre d’aménagements multiples et variés, comprenant, entre autres, les extensions portuaires, la réalisation de zones de mouillage et d’équipements touristiques [1] ou encore l’implantation de sources d’énergie renouvelable [2] et de filières conchylicoles. La localisation en mer de ces aménagements pourrait donner le sentiment qu’ils échappent de plein droit aux contraintes de la fameuse loi Littoral du 3 janvier 1986, ce qui n’est pas tout à fait le cas…

Les règles d’urbanisme de la loi Littoral n’ont bien évidemment pas vocation, de manière générale, à s’appliquer en mer, fût-elle côtière. Un moyen tiré de la violation du principe d’inconstructibilité de la bande (terrestre) des 100 mètres est en effet, par nature, entaché d’une erreur de droit, de même que l’invocation du principe d’extension en continuité de l’urbanisation (sauf à imaginer, un jour, de construire sur la mer, comme à Monaco…). Cela étant, le régime protecteur des espaces remarquables du littoral est parfaitement susceptible de s’appliquer dans des espaces à caractère marin, comme l’énonce d’ailleurs le texte même de la loi, aujourd’hui codifié à l’article L121-23 du Code de l’urbanisme :

« Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques ».

Ainsi, dans une logique (avant-gardiste pour l’époque) de développement durable intégrant les enjeux de protection de la mer côtière, il est bien précisé que les espaces remarquables peuvent être terrestres et marins. On notera dans un autre registre que si les plans locaux d’urbanisme (PLU) sont essentiellement des documents de planification terrestre, ils ont incontestablement une dimension maritime, dont la méconnaissance peut être sanctionnée par le juge administratif [3].

L’identification des espaces remarquables de la mer côtière.

Se pose en conséquence le problème délicat de l’identification des espaces remarquables de la mer côtière, dans un cadre certes aquatique mais qui, juridiquement, ne diffère pas sensiblement des problématiques terrestres. Il s’agira dans cette optique d’appliquer les cadres d’analyse de la jurisprudence du Conseil d’Etat, en retenant les sites faisant l’objet de protections particulières au titre du droit de l’environnement (zones Natura 2000 marines par exemple) mais devant également présenter des caractéristiques propres les rendant remarquables au sens de l’article L121-23 du Code de l’urbanisme [4]. Il est concrètement nécessaire de démontrer que l’espace en cause est caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral et/ou constitue un milieu nécessaire au maintien des équilibres biologiques.

Sur la côte Atlantique et dans la Manche, par exemple, le golfe du Morbihan sera très largement concerné par ce volet essentiel de la loi Littoral, tout comme les pertuis de Charente-Maritime ou la baie du Mont-Saint-Michel. En Méditerranée, des herbiers de posidonies peuvent tout à fait être qualifiés de « remarquables », ce qu’a reconnu le juge administratif à propos d’un projet d’extension de port de plaisance [5]. La limite en mer de l’identification de ces sites d’une nature particulière n’est pas tranchée et constitue une réelle difficulté.

La Cour administrative d’appel de Nantes, dans un litige relatif à un parc éolien offshore, a jugé que la législation protégeant les espaces remarquables du littoral n’était pas invocable à 12 km des côtes, ce qui ne semble pas illogique, étant entendu que les projets hydroliens, plus proches des côtes, n’échappent pas par principe à cette législation [6].

Dans une perspective de gestion intégrée des zones côtières, intégrant le lien terre-mer, la loi Littoral ne saurait ignorer l’élément marin mais n’a pas pour autant été conçue comme une loi maritime… Son application en mer doit donc faire preuve de discernement et s’opérer à la lumière des enjeux géographiques et écologiques en présence. Il est acquis que le littoral « va bien jusqu’à la mer » [7], mais jusqu’où ? Cette question demeure en suspens.

Le régime protecteur des espaces remarquables de la mer côtière.

Quoi qu’il en soit, dès lors qu’un espace remarquable est identifié, les projets d’aménagement doivent impérativement respecter le régime strict mis en place par le législateur depuis 1986. Ces espaces sont en effet soumis à un principe d’inconstructibilité, lequel s’accommode toutefois de quelques exceptions prévues par la loi.

D’abord, on rappellera que les projets d’aménagement dans les ports militaires, de commerce et de pêche (ou conchylicoles) ne sont pas soumis aux contraintes de la loi Littoral, bénéficiant d’une large dérogation formulée à l’article L121-4 du Code de l’urbanisme, dès lors que leur localisation répond à une nécessité technique impérative [8]. Les ports de plaisance ne bénéficient donc pas de ce régime d’exception.

Ensuite, on retiendra que les canalisations de raccordement des énergies marines renouvelables (ainsi que celles liées aux communications électroniques depuis la loi ELAN) au réseau électrique sont autorisées dans un cadre spécifique [9] ; « Les techniques utilisées pour la réalisation de ces ouvrages électriques et de communications électroniques sont souterraines et toujours celles de moindre impact environnemental » [10]. L’autorisation d’occupation du domaine public maritime (indispensable) devra être refusée si ces canalisations « sont de nature à porter atteinte à l’environnement ».

Enfin, la loi Littoral admet l’implantation d’aménagements dits « légers » dans les espaces remarquables : « Des aménagements légers, dont la liste limitative et les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’Etat, peuvent être implantés dans ces espaces et milieux lorsqu’ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public, et qu’ils ne portent pas atteinte au caractère remarquable du site » [11]. La loi ELAN du 23 novembre 2018 a précisé que cette liste décrétale d’aménagements admissibles était bien limitative, ce que confirme le récent décret d’application n° 2019-482 du 21 mai 2019, qui ajoute cependant « Les équipements d’intérêt général nécessaires à la sécurité des populations et à la préservation des espaces et milieux », et (sous conditions mais de manière très discutable), « les canalisations nécessaires aux services publics ou aux activités économiques » (surtout pour les thalassothérapies) [12]. Cela étant, les possibilités d’implantation d’aménagements légers dans les espaces remarquables restent globalement très cadrées, soumises à l’avis de la CDNPS [13] et largement cantonnées aux projets traditionnels (sentiers, installations de pêche et de cultures marines ou agricoles, postes de secours, d’observation de la faune…). Il faut se référer à la liste figurant à l’article R121-5 du Code de l’urbanisme.

Il résulte de ce dispositif strict que nombre de projets d’aménagements en mer côtière sont totalement inenvisageables au sein d’un espace jugé remarquable, ce qui sera incontestablement le cas d’une extension (a fortiori d’une création) de port de plaisance [14] ou même d’une zone de mouillage, d’une base nautique ou d’un habitat marin touristique, faute de constituer un aménagement léger prévu par les textes réglementaires en vigueur (le projet vendéen très controversé de Port-Brétignolles survivra-t-il à la loi Littoral ?).

Il en va de même des installations conchylicoles en mer (dites sur filières), dès lors qu’elles ne présentent pas un caractère « léger », ce qui peut donner lieu à des appréciations variables. A ce sujet, les requérants ont tout intérêt à ne pas négliger ce moyen de légalité interne devant le juge administratif, étant par ailleurs souvent déçus par les seuls moyens de procédure (s’agissant notamment de la question des évaluations environnementales et de la saisine pour avis des différentes instances compétentes) [15].

Les décisions d’utilisation du domaine public maritime et la préservation de la mer côtière.

On ajoutera, pour conclure, que l’invocation de la loi Littoral en mer côtière ne se limite pas à la problématique des espaces remarquables. Il faut également penser aux dispositions de l’actuel article L2124-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (issues de la loi Littoral) :

« Les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques ; elles sont à ce titre coordonnées notamment avec celles concernant les terrains avoisinants ayant vocation publique ».

Ces dispositions s’inscrivent dans une logique de gestion durable du domaine public maritime naturel (propriété historique et exclusive de l’Etat), fort bien explicitée par une circulaire ministérielle du 20 janvier 2012. Si l’on a pu douter de l’efficacité contentieuse de ces dispositions, s’agissant par exemple de projets de cultures marines ou d’extraction de granulats [16] (surtout dans le cadre d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation), on ne saurait négliger l’intérêt contentieux de cet article L2124-1 du Code général de la propriété des personnes publiques ainsi relatif aux impératifs de préservation du domaine public maritime. Pourrait-on discuter la légalité d’un projet de parc éolien offshore (comme celui d’Oléron, localisé au cœur d’une zone Natura 2000 et d’un parc naturel marin) sur ce fondement ?

En ce sens, la Cour administrative d’appel de Marseille a pu considérer que le refus d’implantation d’un parc aquatique sur le domaine maritime était tout à fait justifié dans une zone Natura 2000 abritant une flore protégée, ce refus étant lié « au respect de l’intégrité des fonds marins et à la préservation de la faune et de la flore sauvages du littoral » [17]. Ajoutons encore qu’il a déjà été jugé que « le domaine public maritime naturel n’a pas vocation à recevoir des installations permanentes qui ne seraient pas démontables, de telles installations étant incompatibles avec les impératifs de préservation » [18], et qu’un refus d’implantation sur le domaine maritime peut enfin être motivé par le respect du PLU en vigueur…

Encore faut-il se montrer vigilant concernant l’intérêt à agir du requérant (personne physique ou morale) lorsqu’il conteste la légalité d’une autorisation d’occupation privative du domaine public maritime. Un riverain ne présentant pas d’éléments « suffisamment étayés de nature à justifier les nuisances dont il se prévaut » (notamment de l’impact visuel) n’est pas regardé comme étant « lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine », alors même que l’implantation litigieuse paraît éminemment discutable sur le fond [19] (installation en Martinique d’un village hôtelier flottant pour une durée de quinze ans !).

Au final, comme à terre, la problématique contemporaine de l’application de la loi Littoral aux aménagements en mer côtière se doit de concilier au mieux la protection rigoureuse des espaces remarquables avec leur mise en valeur raisonnée (dans le cadre des dispositions du Code de l’urbanisme), et, sur le plan de la stratégie contentieuse, d’allier judicieusement moyens de procédure et… de fond.

Laurent BORDEREAUX Professeur - Droit du littoral & portuaire, aménagement-urbanisme Université de La Rochelle

[1Habitats saisonniers marins en outre-mer, bases nautiques reliées à un îlot.

[2Parcs éoliens et hydroliens.

[3CE, Ass., 30 mars 1973, Sieur Schwetzoff, n° 88151 ; TA Rennes, 22 nov. 2012, M. et Mme Cailloce et a., n° 1003623.

[4CE, 3 sept. 2009, Commune de Canet-en-Roussillon, n°s 306298 et 306468, DMF 2010, p. 169.

[5CE, 17 juin 2015, Syndicat mixte Ports Toulon Provence, DMF 2015, p. 911, note J.-M. Bécet.

[6CAA Nantes, 15 mai 2017, Assoc. pour la protection du site et de l’environnement de Sainte-Marguerite et a., DMF 2017, p. 746, note L. Bordereaux.

[7A. Merckelbagh, Et si le littoral allait jusqu’à la mer ! La politique du littoral sous la Ve République, éd. Quæ, 2009.

[8« Les installations, constructions, aménagements de nouvelles routes et ouvrages nécessaires à la sécurité maritime et aérienne, à la défense nationale, à la sécurité civile et ceux nécessaires au fonctionnement des aérodromes et des services publics portuaires autres que les ports de plaisance ne sont pas soumis aux dispositions du présent chapitre [aménagement et protection du littoral] lorsque leur localisation répond à une nécessité technique impérative ».

[9Art L. 121-25 al. 1 C. urb. : « Dans les communes riveraines des mers, des océans, des estuaires et des deltas mentionnées à l’article L321-2 du code de l’environnement, l’atterrage des canalisations et leurs jonctions peuvent être autorisées, lorsque ces canalisations et jonctions sont nécessaires à l’exercice des missions de service public définies à l’article L121-4 du code de l’énergie ou à l’établissement des réseaux ouverts au public de communications électroniques ».

[10Art. L121-25 du Code de l’urbanisme.

[11Art. L121-24 du Code de l’urbanisme.

[13Commission départementale de la nature, des paysages et des sites.

[14CE, 17 juin 2015, Syndicat mixte Ports Toulon Provence, op. cit. ; TA Rennes, 12 oct. 2012, Assoc. pour un petit port sympa à Plougasnou, JCP A, 8 avr. 2013, comm. 2106, note L. Bordereaux et V. Leclercq.

[15CAA Nantes, 18 déc. 2018, SAS Algolesko, n° 17NT02154 ; CAA Bordeaux, 10 mars 2020, Comité régional de la conchyliculture de Poitou-Charentes, n° 17BX02304.

[16Voir respectivement : CE, 21 juin 1996, SARL Aquamed, n° 136044 ; et CE, 25 févr. 2019, Assoc. « le Peuple des Dunes des Pays de la Loire », n° 410170.

[17CAA Marseille, 26 oct. 2018, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 17MA02410.

[18CAA Marseille, 29 juin 2017, M. A…, n° 15MA04890 (à propos d’une plage).

[19CAA Bordeaux, 14 mai 2020, M. D…, n° 18BX01700.