Alors que beaucoup d’acteurs de la protection de l’environnement se sont focalisés sur la question de l’assouplissement de l’obligation d’étendre l’urbanisation en continuité avec les zones déjà urbanisées (article L. 121-8 du Code de l’urbanisme [1]), ou encore sur la récente remise en cause de plusieurs sites inscrits et la volonté de déconcentrer la délivrance des autorisations de travaux en site classé, peu de voix se sont véritablement élevées s’agissant du récent décret du 21 mai 2019, relatif aux aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables.
La consultation du public liée à ce décret a essentiellement donné lieu à des interventions de la part des chasseurs, ou à des oppositions de principe laconiques.
Les atteintes aux espaces remarquables par ce décret sont toutefois potentiellement importantes. Par ailleurs, il est possible de sérieusement douter de la clarification de cette réforme.
Dans la lutte qui oppose la protection de l’environnement au lobby des « constructeurs », le décret du 21 mai 2019 marque à l’évidence une victoire supplémentaire pour ces derniers.
I) Sur la genèse de cette réforme.
Il est important au préalable d’avoir conscience du fait que, dans l’ensemble des niveaux de protection de l’environnement découlant de la loi Littoral, la protection des espaces remarquables est la plus importante.
Le législateur a en effet souhaité sanctuariser au maximum ces espaces remarquables et limiter, le plus possible les travaux, aménagements, installations et autres constructions susceptibles de les altérer.
C’est dans ce but que le législateur est venu prévoir que dans les espaces remarquables, seuls peuvent être autorisés quelques aménagements légers. Il a alors habilité le pouvoir réglementaire à dresser la liste de ces aménagements légers.
Initialement limités aux chemins piétonniers, à certains objets mobiliers, et à des aménagements nécessaires à l’exercice d’activités agricoles (Cf. décret n° 89-694 du 20 septembre 1989 ancien article R 146-2 du Code de l’urbanisme) la liste des aménagements légers a significativement évolué avec le décret n° 2004-310 du 29 mars 2004 relatif aux espaces remarquables du littoral et modifiant le code de l’urbanisme, avant d’être codifiée à l’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme.
L’une des questions qui se posait à la lecture de cette disposition était de savoir si cette liste des aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables était limitative ou non ?
La jurisprudence administrative a semblé, dans un premier temps, s’orienter vers une forme de rigorisme en refusant systématiquement d’autoriser d’autres aménagements et travaux, que ceux expressément énumérés par le Code de l’urbanisme, conférant ainsi un caractère limitatif à cette liste (V. CE 20 octobre 1995 n° 151282 BJDU n° 5/95 p. 365 pour une aire de jeux ; CE 27 juin 2005 conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres n° 256668, s’agissant d’une aire de stationnement avant son ajout à la liste ; CE 13 février 2009 Communauté de communes du canton de Saint-Malo de la Lande n° 295885, s’agissant d’une cale d’accès à la mer ; V. enfin pour la formulation du Conseil d’Etat « La protection instituée par l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme implique par elle-même l’inconstructibilité des espaces caractéristiques du littoral, sous réserve de l’implantation d’aménagements légers prévus au deuxième alinéa du même article » (CE 27 septembre 2006, Commune du Lavandou n° 275922, mentionné au tables sur ce point).
Deux jurisprudences du Conseil d’État sont venues, très légèrement, assouplir cette position.
Le Conseil d’Etat a donné un premier infléchissement à l’occasion d’une demande d’autorisation d’abattage d’arbres en vue de l’aménagement d’un chemin d’accès à des bâtiments pour permettre l’intervention des véhicules de lutte contre l’incendie. La Haute juridiction administrative a jugé que « si les dispositions de l’article R. 146-2 du code de l’urbanisme [désormais R. 121-5] ne mentionnent pas les aménagements nécessaires à la lutte contre l’incendie, elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire la réalisation de tels aménagements sur des espaces protégés, à la condition qu’il s’agisse d’aménagements légers strictement nécessaires à cette fin » (CE 6 février 2013 Commune de Gassin n° 348278, BJDU n° 3/2013 p. 177)
L’aménagement d’une clôture a été l’occasion pour les juges du Palais Royal de préciser plus amplement le cas des aménagements et travaux autres que ceux autorisés par l’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme.
Selon le Conseil d’Etat : « L’article L. 146-6 [désormais L. 121-23 et suivants] du code de l’urbanisme, en vertu duquel les décisions relatives à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, ne s’oppose pas à ce que, eu égard à leur objet et à leur nature, des travaux d’édification et de réfection de clôtures, qui doivent faire l’objet d’une déclaration préalable dans les espaces remarquables en application des articles L. 421-4 et R. 421-12 du même code, soient autorisés dans ces espaces, alors même qu’ils ne sont pas mentionnés au nombre des aménagements légers prévus à l’article R. 146-2 [R. 121-5] du code. Il résulte seulement des articles L. 146-6, L. 421-4 et R. 421-12 du code de l’urbanisme qu’il appartient à l’autorité administrative saisie d’une déclaration préalable d’apprécier si ces travaux ne dénaturent pas le caractère du site protégé, ne compromettent pas sa qualité architecturale et paysagère et ne portent pas atteinte à la préservation des milieux » (CE 4 mai 2016 SARL Mericea n° 376049 BJDU 6/2016 p. 406 V. également CAA Bordeaux 5ème Chambre 14 mars 2017 n° 15BX01157).
Il s’agissait alors pour le Conseil d’État de ménager le droit de se clore (article 647 du Code civil), qui découle du droit de propriété et d’assurer que la protection des espaces remarquables ne porte pas une atteinte disproportionnée à ce droit constitutionnel.
En dehors de ces deux cas très strictement limités (motif de sécurité et respect du droit de se clore), la jurisprudence administrative restait extrêmement stricte et interdisait tout autre aménagement.
Par ailleurs, il apparaissait que dans la pratique les acteurs locaux avaient conscience du caractère exceptionnel de ces espaces remarquables, et qu’ils ne s’autorisaient pas, malgré ces deux jurisprudences, à faire preuve d’audace avec la liste des aménagements légers autorisés.
En la matière, les associations de protection de l’environnement constituent un garde-fou puissant.
Le législateur a toutefois souhaité intervenir.
II) Sur l’article 45 de la loi ELAN.
Amenée à faire évoluer la loi Littoral, la loi ELAN s’est saisie de la question du caractère limitatif de la liste des aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables.
Alors que la « philosophie » générale de la modification de la loi Littoral par la loi ELAN était d’assouplir et d’atténuer ses contraintes pour favoriser les constructions dans les communes littorales soumises à une pression foncière importante [2], le législateur avait semblé concéder au moins un renforcement de la protection de l’environnement en prévoyant un durcissement des modalités d’autorisation des aménagements légers implantés dans les espaces remarquables.
Ce durcissement pouvait donner un sentiment d’équilibre à la réforme.
L’objectif était alors de faire dresser cette liste par décret en Conseil d’État, mais surtout, de prévoir expressément son caractère limitatif.
L’article 45 la loi ELAN est donc venu modifier l’article L. 121-24 du Code de l’urbanisme pour prévoir que « des aménagements légers, dont la liste limitative et les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’Etat, peuvent être implantés dans ces espaces et milieux lorsqu’ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public, et qu’ils ne portent pas atteinte au caractère remarquable du site » (nous soulignons les modifications).
Un projet de décret a alors été mis en consultation publique.
Il ressortait du projet de décret que celui-ci « reprend en grande partie la rédaction de l’article R.121-5 du code de l’urbanisme dans sa version en vigueur. Les principales modifications sont : le mot « Seuls », qui affirme le caractère limitatif de la liste, l’insertion des « équipements légers et démontables », qui comprend notamment les clôtures, l’insertion des aménagements nécessaires à la lutte contre l’incendie et l’affirmation clarifiée de l’interdiction de tout changement de destination » (Extrait de la Note de présentation synthétique du projet de décret).
Le pouvoir règlementaire a finalement publié au JORF du 22 mai 2019, le décret du 21 mai 2019 relatif aux aménagements légères autorisés dans les espaces remarquables.
Ce décret ne manque pas de surprendre.
III) Sur le décret du 21 mai 2019.
1.
La première chose qui surprend dans ce décret est la formulation de la modification du 1° de l’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme.
Comme évoqué précédemment, le Conseil d’État a autorisé, dans des conditions très strictes et limitées, la possibilité d’édifier une clôture dans des espaces remarquables afin de ne pas porter atteinte de manière disproportionnée au droit de propriété.
Le pouvoir réglementaire souhaitait entériner cet ajout à la liste des aménagements légers autorisés.
Il lui suffisait alors de prendre la plume pour indiquer que les clôtures sont autorisées dans les espaces remarquables.
Rien n’était plus simple et plus clair.
Mais le pouvoir règlementaire a préféré utiliser une formulation compliquée et contraire à l’esprit de la loi ELAN
Ainsi, d’après ce décret, sont autorisés « les équipements légers et démontables nécessaires à leur préservation et à leur restauration ».
Le terme « équipement » ne connaît aucune définition juridique précise.
Il ne s’agit pas d’un terme évoqué par l’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme.
Une clôture semble être un tel équipement d’après le pouvoir règlementaire.
Ainsi, un mur de clôture pourrait être qualifié « d’équipement ».
L’utilisation de cette formulation générale pourrait conduire à permettre potentiellement à d’autres « équipements » d’être autorisés dans les espaces remarquables.
Ainsi, il sera nécessaire de saisir le juge administratif pour qu’il détermine si tel ou tel « équipement » peut relever de la liste des aménagements légers autorisés.
Par ailleurs, l’article R. 121-5 1° indique que ces équipements devront être nécessaires à la gestion ou à l’ouverture au public de ces espaces.
L’édification d’une clôture ne semble pas répondre à de telles nécessités.
Elles visent principalement à permettre à des propriétaires, généralement privés, de délimiter leurs parcelles et ainsi d’éviter des intrusions.
En conséquence, la réforme qui voulait acter le caractère limitatif des aménagements légers, conduit en réalité, avec l’utilisation de cette terminologie vague, à créer du flou juridique.
Le principe d’intelligibilité du droit aurait imposé au pouvoir réglementaire de clairement délimiter et définir la liste de ces équipements autorisés.
C’était la volonté du législateur.
Manifestement, le pouvoir réglementaire n’a pas respecté cette obligation.
Au lieu de dresser la liste des aménagements légers autorisés (ce qui existait à ce jour dans l’article R. 121-5, un chemin piétonnier, une aire de stationnement, la réfection d’un bâtiment existant…), ce décret fixe une liste de catégories d’aménagements légers autorisés.
Le caractère exhaustif de la liste, voulu par le législateur, perd alors beaucoup de son sens.
Exactement la même critique peut être formulée avec l’article R. 121-5 6°, ajouté par le décret du 21 mai 2019.
2.
Ce décret prévoit en effet la possibilité d’installer des « équipements d’intérêt général nécessaires à la sécurité des populations et à la préservation des espaces et milieux ».
Il s’agissait alors d’entériner la jurisprudence administrative relative aux aménagements liés à la lutte contre les incendies.
Or, une nouvelle fois, le pouvoir réglementaire utilise une formulation vague en permettant potentiellement un grand nombre d’équipements dès lors qu’ils visent à répondre à des besoins de sécurité des populations ou de préservation de ces espaces.
Le volet préservation des espaces (déjà présent au 1° de l’article R. 121-5) pourrait conduire à multiplier les équipements, notamment pour permettre la poursuite de l’utilisation d’un espace remarquable à des fins purement économiques.
3.
Mais il y a encore plus choquant.
Alors que rien ne le laissait présager (aucune des interventions du public n’en faisait clairement mention), le pouvoir réglementaire est venu prévoir que des travaux d’installation de canalisations étaient possibles dans les espaces remarquables.
En effet le pouvoir règlementaire a modifié l’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme pour prévoir que sont autorisés dans les espaces remarquables « à la condition que leur localisation dans ces espaces corresponde à des nécessités techniques, les canalisations nécessaires aux services publics ou aux activités économiques, dès lors qu’elles sont enfouies et qu’elles laissent le site dans son état naturel après enfouissement, et que l’emprise au sol des aménagements réalisés n’excède pas cinq mètres carrés ».
Une telle dérogation est plus que surprenante et constitue un recul évident dans la protection des espaces remarquables.
Outre les problèmes juridiques que va engendrer l’application de ce nouvel « aménagement léger » [3], sa compatibilité avec l’article L. 121-24 apparaît douteuse.
Comme indiqué précédemment, cette disposition prévoit que « des aménagements légers, dont la liste limitative et les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’Etat, peuvent être implantés dans ces espaces et milieux lorsqu’ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public, et qu’ils ne portent pas atteinte au caractère remarquable du site ».
En l’espèce, il est difficile de comprendre en quoi l’implantation de canalisations, pour un bâtiment de thalassothérapie par exemple, serait nécessaire à la gestion, à la mise en valeur (même économique) ou à son ouverture au public, d’un espace remarquable.
En effet, il résulte de la formulation de l’article L. 121-24 que l’aménagement léger doit bénéficier à l’espace remarquable.
Il apparaît peu concevable qu’une canalisation bénéficie, d’une quelconque manière, à des espaces remarquables.
Ils bénéficient nécessairement, in fine, à l’opérateur qui entend utiliser ces canalisations pour ses activités de service public ou économique.
Au final alors que le législateur voulait clarifier la liste des aménagements légers en consacrant son exhaustivité, il ressort de l’analyse de ce décret qu’il n’est satisfaisant sur aucun de ces pans.
L’autorisation d’édifier une clôture dans un espace remarquable, qui répond à une situation juridique très spécifique (droit de se clore de l’article 647 du Code civil, qui est un démembrement du droit de propriété), conduit à permettre de manière générale l’installation d’équipements visant à permettre la préservation ou la restauration des espaces remarquables.
De la même manière, l’autorisation d’effectuer des abattages d’arbres dans les espaces remarquables pour lutter contre les incendies, conduit à permettre tout type d’équipements visant à garantir la sécurité et la préservation des espaces remarquables.
Difficile de conclure au caractère exhaustif de ce décret, eu égard aux multiples formulations générales utilisées par le pouvoir réglementaire.
Comme le relève le professeur Laurent Bordereaux, dans son article précité, les contestations juridictionnelles contre ce décret (soit directement, soit par voie d’exception), risquent d’être nombreuses, tant ce dernier n’apparaît pas satisfaisant.