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Facturation et recouvrement par les cabinets d’avocats : comment faire face en temps de crise sanitaire ?
Parution : lundi 13 avril 2020
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La réduction de l’activité juridictionnelle et le confinement en raison de la crise sanitaire entraînent, mécaniquement, une baisse de l’activité des cabinets d’avocats. Principe de réalité oblige, après plusieurs semaines de grèves, les risques économiques sont là. Que facturer et comment être payé ? Comment gérer les retards de paiement ? Autant de questions liées à la gestion de la trésorerie des cabinets et de la relation-client, pour lesquelles nous vous livrons des pistes pour vous aider à exploiter tout l’éventail des mesures existantes*.

Loin de nous l’idée de faire une « apologie de l’honoraire », dans le contexte actuel, où la solidarité nationale est bien évidemment indispensable. L’opération « Covid-19 / Avocats solidaires » [1] témoigne, avec force et parmi d’autres, de la mobilisation – désintéressée – de la profession en ces temps difficiles.

Certaines structures ont, au moins en partie, la trésorerie suffisante pour faire face à une baisse des revenus pendant quelques temps. D’autres vont pouvoir bénéficier de compréhension de la part de leur établissement bancaire et obtenir un prêt. D’autres encore, plus rares, vont pouvoir bénéficier du fonds de solidarité exceptionnel mis en place par le gouvernement ou par les barreaux. Mais les inquiétudes demeurent ; jusqu’ici tangibles, elles sont désormais mesurables (lire "Les avocats sont dans la tourmente, chiffres (du CNB) à l’appui").

Avocats : quelles prestations facturer pendant le confinement et comment ?

L’avocat confiné. — L’exercice à distance du métier d’avocat n’est pas une sinécure. Le télétravail n’était, jusqu’ici, pas très largement répandu dans la profession. En dépit de la digitalisation croissante des cabinets [2], l’absence de numérisation des dossiers ne simplifie pas la tâche et le respect des obligations déontologiques n’est pas des plus aisés dans ce contexte. Heureusement, bon nombre d’outils numériques permettent la poursuite de l’activité malgré le confinement [3]. Ainsi, en dépit des contraintes, et une fois les conditions matérielles mises en place, le télétravail s’organise [4] et la relation avec les clients s’adapte.

Les missions d’expertise, de médiation, de délégué à la protection des données, l’acceptation de mandats particuliers (recouvrement de créances, gestion de portefeuille ou d’immeubles) ou bien la réalisation de formations et d’enseignements sont également des activités autorisées [5], qui peuvent permettre aux cabinets de développer le périmètre de leur intervention. Le CNB le constate également, « la pratique des modes amiables de résolution des différends (MARD) est une solution à la gestion de la situation sanitaire actuelle et aux difficultés liées à l’accès restreint aux juridictions » [6]. Dans ce contexte, la procédure participative de mise en état pourrait particulièrement s’avérer utile [7].

Les cabinets ne sont donc pas totalement à l’arrêt et, en tout état de cause, l’accalmie juridictionnelle peut aussi permettre d’avancer par exemple sur la rédaction des conclusions et, ainsi, de vider le stock des dossiers en attente. Mais la situation est loin d’être homogène et la pérennité de certaines structures est déjà en jeu.

Certaines structures commencent à être sérieusement dans la tourmente et la fermeture du cabinet est l’une des options prises par plusieurs professionnels. À l’inverse, d’autres structures tournent à « plein régime », particulièrement dans le cadre de leur activité de conseil en droit social. Le droit des affaires n’est pas en reste, tant le besoin d’accompagnement dans la mise en œuvre des mesures relatives aux entreprises est grand. Le droit de la famille est également au cœur de très nombreuses problématiques auxquelles sont confrontées les justiciables et pour lesquelles l’assistance d’un avocat est essentielle. Pour les avocats pénalistes, la situation est encore différente, l’exercice effectif des droits de la défense étant, pour le moins, contrarié par les aménagements de la procédure liés au confinement [8]. Quoi qu’il en soit, il faut, autant que possible, « raisonner sans pression et dédramatiser pour faire face les trois prochains mois. Il va également être essentiel d’éviter le creux du mois d’août, en négociant avec les équipes pour "rester sur le pont" et tenter de récupérer les temps du confinement » conseille Michel Lehrer de l’Agence conseil Jurimanagement.

Toujours du côté de la pratique quotidienne, il faut conserver ses clients et en trouver de nouveaux. Dans ce cadre, et depuis 2015, l’établissement d’une convention d’honoraires écrite entre l’avocat et son client est obligatoire (sauf urgence, force majeure ou au titre de l’aide juridictionnelle [9]). L’avocat peut recevoir d’un client des honoraires de manière périodique, y compris sous forme forfaitaire. La négociation dès le départ, d’honoraires complémentaires (en fonction du résultat obtenu ou du service rendu), pourrait aussi dans le contexte actuel, s’être avérée plus qu’opportune, de même que la constitution d’acomptes et de provisions suffisants. Par ailleurs et pour mémoire, lorsque la mission de l’avocat est interrompue avant son terme, il a droit au paiement des honoraires dus dans la mesure du travail accompli et, le cas échéant, de sa contribution au résultat obtenu ou au service rendu au client [10]...

La e-convention d’honoraires. — Pour les nouveaux dossiers, la conclusion de la convention d’honoraires peut se faire par voie dématérialisée. Le Conseil National des Barreaux (CNB) propose en effet aux avocats, un service en ligne de signature électronique des conventions d’honoraires accessible via le e-Barreau [11]. Il s’agira, de manière usuelle, de préciser notamment le montant ou le mode de détermination des honoraires de couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. Le tout, en tenant compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.

La facturation des honoraires. — On rappellera simplement ici que les règles relatives à la facturation sont notamment régies par les articles 242 nonies A du Code général des impôts [12] et L. 441-3 du Code du commerce [13]. Les logiciels de gestion de cabinet offrent aussi une solution pour éditer vos factures. Dans ce cadre, l’article 286 du Code général des impôts [14] impose à toute personne assujettie à la TVA (si elle ne facture pas dans les conditions de l’article 289 du même code [15] et qu’elle enregistre ces opérations au moyen d’un logiciel ou d’un système de caisse), d’utiliser un logiciel ou un système satisfaisant à des conditions d’inaltérabilité, de sécurisation, de conservation et d’archivage des données en vue du contrôle de l’administration fiscale, attestées par un certificat délivré par un organisme accrédité ou par une attestation individuelle de l’éditeur.

Paiement dématérialisé des honoraires : quelles solutions pour les avocats ?

Les honoraires d’avocat peuvent être payés dans les conditions légales et réglementaires, notamment en espèces (dans la limite de 1 000 €), par chèque, par virement, par carte bancaire ou bien encore par billet à ordre [16]. Mais confinement oblige, les cabinets d’avocats ne peuvent plus recevoir le public, les services postaux sont ralentis et le dépôt des chèques n’est pas des plus faisables. La réception des honoraires peut ainsi être problématique. Le virement bancaire est une solution, préconisée d’ailleurs par la CARPA. Mais d’autres solutions dématérialisées de paiement existent et il n’est pas trop tard pour les mettre en place. Mais il est vrai que pour ceux ayant une clientèle institutionnelle, composée de banques et de compagnies d’assurances ou bien encore relevant de l’aide juridictionnelle, la solution devra vraisemblablement être trouvée ailleurs...

Les préconisations de la CARPA. — Dans un communiqué du 16 mars 2020 [17], Jean-Charles Krebs, Secrétaire Général de la CARPA, indiquait que, concernant les chèques détenus aux dossiers, il était nécessaire de les remplacer par des virements. Il est en effet possible d’utiliser e-carpa, pour consulter les affaires, recevoir et émettre des virements. Et, ce, d’autant que les instructions envoyées par la poste ou le Vestiaire ne sont plus être traitées jusqu’à nouvel ordre. Les chèques en attente d’émission ne pourront pas être édités et les avocats sont donc invités, en cas d’urgence, à demander l’annulation des chèques et procéder par virement via e-carpa en joignant le RIB. L’équipe des maniements de fonds reste disponible par mail [18].

Le paiement en ligne. — Certains cabinets offrent déjà à leurs clients la possibilité de payer en ligne, par carte bancaire et de manière sécurisée, les factures qui leurs sont adressées. Le paiement peut se faire en amont de la réalisation de la prestation (rendez-vous « prépayés »), juste après le rendez-vous ou bien encore de manière différée et/ou échelonnée. Au-delà du seul règlement lui-même, plusieurs prestataires offrent un service permettant de gérer corrélativement le recouvrement des honoraires. De quoi « réduire le temps entre la production de la prestation et la facturation » [19].

Retard de paiement des honoraires : pour un moratoire sur la relance des impayés ?

En principe, tout retard de paiement est susceptible de générer une indemnité de retard, voire des pénalités, dans les conditions de l’article L. 441-10 du Code de commerce [20]. Mais la relance des impayés, alors que les clients eux-aussi peuvent être confrontés à des difficultés financières importantes en raison de la crise sanitaire, pose indéniablement des difficultés. Comment faire pour reconstituer « éthiquement » sa trésorerie en pareilles circonstances ?

Il est certain que cela relève d’une gestion délicate de la relation client. La forme et le ton employés et l’intuitu personae sont déterminants pour resserrer les liens, en employant une formulation à la fois empathique et réaliste. L’important est de sensibiliser le client sur le fait que le cabinet est « une entreprise comme les autres » et que l’avocat est confronté aux mêmes problématiques que son client. Dès lors, tout ce que ce dernier pourra faire concernant le paiement des honoraires sera apprécié à sa juste mesure. Le fractionnement des paiements, la mise en place de solutions de financement, en 3 ou 4 fois sans frais, voire l’octroi de remises contre un paiement à (très) brève échéance sont, dans le contexte actuel, « loin d’être des arguties commerciales » [21].

L’important est de sensibiliser le client sur le fait que le cabinet est « une entreprise comme les autres »

Quoi qu’il en soit, les difficultés liées à la crise sanitaire montrent, si besoin en était encore, l’intérêt de disposer en tout temps et à l’avenir d’outils de CRM (Customer Relationship Management ou GRC pour Gestion de la Relation Client). Elles soulignent également l’importance de procéder à une négociation précise des honoraires : prendre l’habitude de planifier rigoureusement les modalités et les dates de règlement sera plus efficient, que la mention « en votre aimable règlement ». Et, ce, sans véritablement être de nature à altérer la qualité de la relation professionnelle, la transparence n’étant pas l’ennemie de la confiance.

En cas de difficultés relatives au recouvrement des honoraires, il restera possible de mettre en œuvre la procédure de taxation d’honoraires, relevant de la compétence du bâtonnier [22].

Avocat confiné : quelles aides pour les travailleurs indépendants ?

Nous ne pouvions pas rédiger ces quelques lignes sans évoquer les dispositifs d’ordre financier, bancaire, fiscal et social, mis en place pour aider les avocats confrontés à des difficultés financières. Retrouvez l’ensemble de ces mesures dans le Guide complet des aides financières et mesures de soutien aux avocats en difficulté que la Rédaction du Village de la Justice a préparé pour vous.

En amont (ou en parallèle) de la mise en œuvre de tout l’éventail de ces mesures, il importe de se plonger dans la trésorerie du cabinet. Ceci, en reprenant le tableau de bord du cabinet, notamment pour estimer le besoin de trésorerie et déterminer le seuil en deçà duquel la structure risque de ne plus être viable ou de rencontrer des difficultés (avec notamment le calcul du point mort (seuil de rentabilité) et du besoin en fonds de roulement, pour les dettes d’exploitation à très court terme) [23].

* La Rédaction du Village remercie particulièrement Michel Lehrer (Jurimanagement) pour son partage d’expérience.

Pour la Rédaction du Village de la Justice, A. Dorange

[1Opération Covid-19 / Avocats solidaires, qui s’est achevée le 6 avril (le bilan ici)

[2Voir le Bilan numérique des avocats réalisé par le Village de la Justice (éd. 2019).

[4Sur le télétravail ou le travail à domicile des collaborateurs des cabinets, voir les recommandations et précisions du CNB regroupée dans la FAQ - Collaborateurs & Covid-19

[5Le cas échéant après déclaration auprès de l’Ordre. Article 6 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN)

[8Plusieurs aménagements de la procédure pénale découlent de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 Sur la communication entre les personnes détenues et les avocats, voir la note de la Direction de l’Administration pénitentiaire du 6 avril 2020.

[11Conditions générales d’utilisation du service « e-convention d’honoraires » sur e-barreau. À lire aussi : P. Le Donne, Pleins feux sur le service « e-convention d’honoraires » disponible sur e-barreau, Guide de l’avocat numérique, 2016, 1re éd., Focus, p. 22.

[18carpamdf[@]avocatparis.org

[19M. Lehrer

[20Article L. 441-10 du Code de commerce (taux d’intérêt légal ; ancien article L. 441-6, mod. par Ord. n° 2019-359, 24 avr. 2019, JO 25 avr.) et Article D. 441-5 du Code de commerce (indemnité forfaitaire de 40 € pour frais de recouvrement, pour les clients professionnels).

[21M. Lehrer

[22Articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. Au sein de plusieurs barreaux, les audiences ont été reportées au début de la crise sanitaire ; elles tendent à se remettre progressivement en place, avec une saisine par voie électronique (par exemple à Paris).

[23Nous renvoyons le lecteur notamment aux interventions de Christophe Thévenet et d’Emmanuelle Badin lors de la conférence « Votre cabinet, l’Ordre et la période de crise sanitaire » organisée par le Barreau de Paris le 2 avril 2020, accessible en intégralité sur la page Facebook de l’Ordre, ainsi qu’au Guide du cabinet d’avocat pendant la période d’urgence sanitaire édité par le CNB. A lire aussi : "10 règles pour les avocats qui peinent à se faire payer".