Bien que la résolution décentralisée des litiges [1] soit un mode extrajudiciaire de résolution des différends, elle reste une alternative « extra-traditionnelle » dans le cadre des modes alternatifs de résolution des litiges. En d’autres termes, l’arbitrage international est un mode traditionnel alternatif de règlement des litiges : il commence par une convention d’arbitrage ou une clause compromissoire allant par une audience munie de preuves arrivant à une sentence arbitrale [2]. Par ailleurs, le développement des nouvelles technologies a suscité l’apparition d’une nouvelle catégorie de litiges : des litiges liés à la technologie de la blockchain et aux smarts contracts.
La blockchain a fait son apparition sur le terrain pour la première fois à la fin de 2008, lorsque des auteurs anonymes ont publié un livre blanc sous le pseudonyme de « Satoshi Nakamoto » [3]. Depuis lors, la blockchain est considérée comme l’une des plus importantes avancées technologiques dans le domaine de la finance combinée à la technologie [4]. Grâce à cette technologie, les contrats intelligents ont pu se développer à travers le monde.
Les smart contracts représentent une alternative révolutionnaire pour des transactions sécurisées et automatisées dans le monde en constante évolution de la technologie blockchain. Les contrats auto-exécutables qui sont enregistrés sur la blockchain permettent d’améliorer l’efficacité, la transparence et la confidentialité.
Cependant, même intelligents, leur nature contractuelle à la base les rend susceptible de générer des désaccords. En effet, une fois que la technologie blockchain atteint une utilisation commerciale suffisamment répandue, des litiges impliquant cette technologie surgiront inévitablement. Ce qui est nécessaire, c’est un système arbitral rapide, peu coûteux, transparent et fiable.
A vrai dire, parmi les caractéristiques inhérentes à la technologie blockchain est la confidentialité et la rapidité : deux impératifs au monde du commerce international.
Ce qui fait que même en cas de litige les impératifs de rapidité et de confidentialité gardent une importance imminente. En effet, se tourner vers la justice étatique pour régler les différends relatifs à la blockchain n’est point pragmatique.
Les registres blockchain, en raison de la confiance et de la sécurité immuables qu’ils offrent, ainsi que les contrats intelligents qui intègrent ces registres, constituent une technologie évolutive qui est destinée, au cours des prochaines années, à connaître une utilisation en pleine expansion dans divers domaines. Par cet usage, des différends surgiront inévitablement. L’arbitrage offre une solution très pratique, voire même la seule manière réaliste de les résoudre de manière efficace et efficiente [5].
Avant d’examiner le rôle croissant de l’arbitrage dans les litiges liés à la blockchain et aux smart contracts (II) il est important de s’attarder sur une introduction de ces nouvelles technologies qui constituent un nouveau terrain pour l’arbitrage international (I).
I) Blockchain et smart contracts : un nouveau terrain pour l’arbitrage.
La technologie blockchain et les contrats intelligents peuvent-ils être utilisés dans le contexte du règlement alternatif des différends, prenant la place des procédures traditionnelles ? Avant de pouvoir satisfaire cette interrogation, une introduction technique de la technologie blockchain (A) ainsi que les smart contracts (B) est primordiale.
A) La technologie Blockchain.
En substance, une blockchain est un registre décentralisé sous la forme d’une base de données où les informations, les données, les événements ou les transactions sont stockées dans des « blocs » de date de manière transparente mais chiffrée [6]. En utilisant des fonctions de hachage [7] pour relier les blocs individuels chronologiquement, le résultat est une documentation inaltérable et traçable des informations sous la forme d’une « chaîne » [8]. En outre, cette chaîne de données est stockée d’une manière décentralisée dans un réseau composé de nombreux utilisateurs distribués [9].
En d’autres termes, la blockchain est un logiciel qui s’exécute sur un ordinateur connu sous le nom de « nœud ». Chaque nœud est connecté au réseau et a la capacité de faire et recevoir des opérations. Les nœuds rassemblent les transactions approuvées dans un bloc. Les blocs de la blockchain sont des conteneurs numériques où sont stockées différentes informations telles que des transactions, des contrats, des titres de propriété et des œuvres d’art. Dans leur ensemble, ces blocs constituent une base de données qui ressemble aux pages d’un grand livre de comptes. Le but de ce « livre de compte » est de regrouper toutes les informations utilisées par les acteurs depuis sa création [10].
Par ailleurs, la blockchain a été définie par le législateur français dans l’article L223-12 du Code monétaire et de finance comme étant
« un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans ces conditions, notamment de sécurité, définies par décret en conseil d’Etat ».
La blockchain, fondée sur une décentralisation et une sécurité presque infaillible, bouleverse les modèles traditionnels en supprimant tout organe de contrôle centralisé et en garantissant l’intégrité des transactions. Pourtant, même dans cet univers de confiance sans intermédiaire, des désaccords peuvent émerger : une clause de contrat intelligent mal interprétée, une transaction contestée... Dans ces moments de friction, la beauté décentralisée de la blockchain devient aussi son défi, car il n’existe pas d’autorité interne pour arbitrer. C’est là qu’intervient l’arbitrage, véritable pont entre le monde de la technologie et celui du droit. Loin de compromettre l’esprit libre et sécurisé de la blockchain, l’arbitrage offre une solution créative et adaptée pour résoudre les litiges, tout en respectant les principes mêmes qui font la force de cette technologie.
B) Smart contracts.
Tout d’abord, il faut souligner que la blockchain offre aux utilisateurs la possibilité de créer différentes applications en utilisant cette technologie. Bien que le principe même de la blockchain soit de rendre les transactions plus sécurisées, fiables et pseudonymisées, la nature, la complexité et l’étendue des transactions se distinguent d’une blockchain à une autre.
Prenons l’exemple de la blockchain Bitcoin, qui était la première de son type, qui a été spécialement développée pour faciliter le commerce des crypto-monnaies [11]. Pour donner plus de fonctionnalité à la blockchain, l’utilisation des smarts contracts sur cette dernière à vu le jour. Même si les contrats intelligents ont gagné en popularité grâce à la mise en place de la blockchain Ethereum, la notion elle-même remonte aux travaux de « Nick Szabo », qui a déclaré en 1994 que les contrats pouvaient être transformés en code informatique afin de garantir leur exécution automatique [12].
Dans le cadre de la blockchain, un contrat intelligent est essentiellement une transaction numérique auto-exécutable qui utilise des mécanismes cryptographiques décentralisés pour ses applications [13]. Un exemple récent est celui d’une assurance inondation utilisant un contrat intelligent connecté à des données météo du Met Office [14]. Si les précipitations dépassent un certain seuil, l’assurance verse automatiquement une compensation.
De nombreux experts en technologie croient que les contrats intelligents pourraient substituer le droit des contrats par du code. A vrai dire, il est erroné de penser que leur fonctionnement automatique et leur exécution sans interruption éliminent le risque de litiges. Actuellement cette idée demeure une aspiration irréaliste.
De ce fait, il est judicieux d’avancer que l’arbitrage constitue le mode de règlement des différends le plus approprié pour les litiges relatifs aux contrats intelligents en raison de sa flexibilité procédurale, de la confidentialité qu’il garantit, ainsi que de la rapidité de ses mécanismes. En outre, la possibilité de désigner des arbitres dotés d’une expertise technique spécifique, notamment en matière de blockchain et de technologies numériques, permet une appréciation plus adéquate des enjeux techniques et juridiques de ce type de contrat [15].
En somme, il est légitime de constater que les nouvelles technologies de blockchain et de smart contracts constituent un nouveau terrain où l’arbitrage international pourrait jouer un rôle important. Ce constat tire ses raisons de la particularité de ces nouvelles technologies tel que démontré ci-dessus.
II) Le rôle croissant de l’arbitrage dans les litiges liés à la blockchain et aux smart contracts.
L’arbitrage peut être utilisé comme un moyen de résoudre les conflits survenant sur la blockchain. Cependant, dans le domaine de la blockchain, le terme "arbitrage" est communément utilisé pour désigner à la fois l’arbitrage « hors chaîne » [16] (A) et l’arbitrage « sur chaîne » (B) qui utilise des contrats intelligents pour automatiser tout ou partie du processus d’arbitrage.
A) Arbitrage off-chain.
Il existe un certain nombre de problèmes juridiques liés aux projets qui peuvent généralement être considérés comme des arbitrages « hors chaîne », c’est-à-dire sans reconnaissance automatique des sentences mais avec automatisation de certains éléments de la procédure devant le tribunal arbitral.
En d’autres termes, l’arbitrage off-chain s’apparente davantage à une procédure d’arbitrage traditionnelle dans la mesure où il ne prévoit pas l’exécution automatique de la sentence. Celui-ci peut être facilité par des règles d’arbitrage spécifiquement conçues pour la blockchain et les contrats intelligents. Par exemple, en Pologne, le premier tribunal d’arbitrage pour la blockchain a été créé au sein de la Chambre de commerce de la blockchain et des nouvelles technologies [17].
Sur le plan réel, plusieurs transactions cryptographiques et marchés NFT [18] incluent déjà désaccords d’arbitrage dans leurs conditions d’utilisation habituelles. A titre d’exemple, Binance est une plateforme de trading de crypto-monnaies très populaire [19]. Cette dernière inclut une convention d’arbitrage dans ses termes et conditions [20] qui stipule que tous les litiges seront soumis à un arbitrage effectué par le Centre d’arbitrage international de Hong Kong [21].
Par ailleurs, la force exécutoire d’une convention d’arbitrage contenue dans les conditions générales d’utilisation du marché NFT basé à l’Amérique, Nifty Gateway, a également fait récemment l’objet d’un litige devant le tribunal anglais. Toutefois, le tribunal anglais a suspendu la procédure judiciaire en faveur de la procédure d’arbitrage JAMS [22] à New York, concluant que l’arbitrage était le forum approprié pour traiter le différend [23].
Il est évident que les règles d’arbitrage commerciales actuelles peuvent et ont déjà un impact sur la résolution des conflits liés à la technologie blockchain. On peut noter plusieurs avantages tels que l’expertise de arbitres [24], la flexibilité [25] et confidentialité [26].
Cependant, si des parties conviennent à intégrer une convention d’arbitrage dans leur relation contractuelle, elles devraient accorder une attention minutieuse à la rédaction pour éviter des litiges futurs. Il est essentiel de préciser clairement la portée de l’accord afin de déterminer les différents types de conflits qui sont soumis à l’arbitrage.
Il convient également de prendre une décision concernant la composition du tribunal arbitral et les compétences nécessaires des arbitres, en particulier si des connaissances spécifiques telles que la blockchain sont requises. Il est crucial de préciser clairement le choix du siège de l’arbitrage et de la loi applicable afin d’éviter des conflits de compétence, en particulier avec des technologies décentralisées telles que la blockchain. Les parties doivent finalement sélectionner les règles d’arbitrage à adopter, que ce soit des règles commerciales traditionnelles ou des règles spécialisées dans les litiges numériques, telles que les Digital Dispute Resolution Rules du Royaume-Uni ou les règles de contrats intelligents de JAMS [27].
D’un autre côté, l’arbitrage hors chaîne soulève des doutes sur diverses questions. Le premier doute est celui de la capacité des tribunaux étatiques à faire respecter les sentences arbitrales rendues à l’aide de la technologie blockchain. De plus, il existe des préoccupations concernant la validité formelle des clauses d’arbitrage dans les contrats intelligents. Selon la Convention de New York de 1958, une clause d’arbitrage doit être rédigée par écrit pour être reconnue et appliquée à l’international [28].
Cependant, les contrats intelligents sont créés et exécutés numériquement, ce qui soulève des doutes sur leur conformité à cette exigence. Si une clause d’arbitrage est incluse dans un contrat intelligent, il pourrait être difficile pour un tribunal étatique de considérer cela comme un accord écrit au sens juridique traditionnel.
Il est également important de noter que les projets d’arbitrage off-chain qui prévoient de prendre des décisions uniquement sur la base de documents sont discutables, car la résolution des litiges, en particulier dans les affaires complexes, peut rarement se limiter à l’examen de documents, mais nécessite généralement d’autres formes de preuve, telles que les témoignages.
B) Arbitrage on-chain.
Avant de s’aventurer dans les traits de l’arbitrage on-chain, il est légitime de mentionner les règles de résolution des litiges numériques au Royaume-Uni [29]. Ces règles introduisent un concept où certaines décisions peuvent être prises directement sur la blockchain (on-chain) tout en s’inscrivant dans un cadre procédural traditionnel qui se déroule en dehors de la blockchain (off-chain).
Cela implique que, même si les litiges sont réglés dans un cadre légal traditionnel, certaines actions, telles que la gestion d’actifs numériques, peuvent être mises en œuvre immédiatement sur la blockchain par le tribunal. Ainsi, ce système allie l’efficacité de la technologie blockchain à une structure juridique connue, ce qui rend plus facile la résolution des conflits concernant les cryptomonnaies et les actifs numériques [30].
D’un autre côté, l’arbitrage on-chain est un processus de résolution de conflits qui se déroule sur une blockchain, où les décisions, appelées sentences arbitrales, sont exécutées automatiquement par des contrats intelligents. Les parties déposent des actifs, comme des crypto-monnaies, dans le contrat intelligent, qui les garde en attente jusqu’à ce qu’une décision soit prise. Une fois la sentence rendue, le contrat intelligent transfère automatiquement ces actifs d’une partie à l’autre, en fonction du résultat de l’arbitrage. Ce système élimine le besoin d’intervention de tiers ou de procédures supplémentaires, garantissant une exécution rapide, sécurisée et sans intervention humaine après la décision.
En effet, l’arbitrage on-chain est un moyen de résoudre les litiges en utilisant la technologie blockchain, ce qui rend le processus plus rapide et efficace. Cela fonctionne grâce à des contrats intelligents, qui sont des programmes qui s’exécutent automatiquement lorsque certaines conditions sont remplies. Par exemple, si les parties conviennent d’utiliser une plateforme d’arbitrage, elles doivent ajouter un code spécial dans leur contrat. Ce code permet de diriger automatiquement tout litige vers cette plateforme.
Lorsqu’un problème survient, les parties peuvent choisir combien d’arbitres vont les aider et leur niveau d’expertise. Dès qu’un litige est signalé, un mécanisme de gel bloque le contrat intelligent pour éviter toute manipulation jusqu’à ce que le litige soit résolu. Une fois qu’une décision est prise, elle est appliquée directement sur la blockchain, ce qui signifie qu’elle prend effet immédiatement, sans avoir besoin de démarches supplémentaires. En résumé, l’arbitrage on-chain facilite la résolution des conflits liés aux cryptomonnaies et aux actifs numériques de manière rapide et sécurisée.
Il n’y a pas encore de procédures d’arbitrage standardisées pour résoudre les conflits liés aux contrats intelligents, car ces technologies sont encore très récentes. Le développement de plateformes d’arbitrage entièrement automatisées adaptées à la blockchain est en cours. Par exemple, la plateforme Kleros [31], basée sur la théorie des jeux, opère en tant qu’infrastructure autonome sur le réseau Ethereum.
En effet, dans un litige impliquant un contrat intelligent sur la blockchain, la plupart des preuves et des soumissions des parties sont enregistrées sous forme de transactions sur la blockchain. Cela nécessite que les arbitres aient un accès sécurisé à ces transactions pour les examiner. Pour cela, ils doivent disposer d’un logiciel spécifique qui leur permet de lire et de copier les informations des blocs, ainsi que des autorisations et des clés cryptographiques pour utiliser ce logiciel [32].
De plus, pour mieux évaluer la crédibilité des témoins, les arbitres et les parties peuvent préférer utiliser des vidéoconférences en ligne plutôt que des audiences en personne ou par téléphone. Cette méthode électronique permet d’économiser du temps et de l’argent liés aux déplacements.
Bien que l’arbitrage on-chain soit la solution la mieux adaptée pour les litiges liés à la blockchain tel que souligné ci-dessus, il reste encore des interrogations à satisfaire tel que le consentement des parties, le siège de l’arbitrage et la loi applicable. Toutefois, ces interrogations n’empêchent pas le fait que la blockchain et les smart contracts offrent un nouveau terrain pour l’arbitrage international où il peut jouer un rôle effectif.