Quelle actualité pour les protections juridiques ?

Quelle actualité pour les protections juridiques ?

Propos recueillis par Nathalie Hantz
Rédaction du Village de la Justice

7269 lectures 1re Parution: Modifié: 4.75  /5

Explorer : # assurance protection juridique # gestion des litiges # digitalisation des services

Le secteur des protections juridiques suit un chemin discret. Une discrétion paradoxale au vu de la croissance que connaissent ces assurances qui ont pour objet de garantir - pour faire simple- les sommes liées à des contentieux juridiques. En effet, les cotisations liées aux protections juridiques s’élevaient en 2020 à 1 564 M€ (dont 70% de cotisations de particuliers) [1]. Or la crise sanitaire liée au covid-19 a permis aux protections juridiques de venir déployer leurs offres là où les assurances classiques n’ont pas pu intervenir. Pour cela, elles n’hésitent pas à s’appuyer sur toutes les solutions innovantes du marché du droit, sans connaître les mêmes obstacles que les professions réglementées avec qui l’entente n’est d’ailleurs pas toujours évidente.
Hubert Allemand, Président du Groupement des Sociétés de Protection Juridique, analyse pour le Village de la Justice le présent et l’avenir de ce marché, qui compte depuis 2021 un DU qui lui est spécifiquement dédié, que son directeur Didier Krajeski nous présente (encadré à retrouver en bas de l’interview).

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Les assureurs ont été critiqués pour l’absence d’indemnisation des pertes d’exploitation du fait de la crise sanitaire : quel rôle les protections juridiques ont-elles joué ?

"La pandémie, avec les mesures de confinement, et plus récemment de couvre-feu largement étendu, a un impact considérable sur la clientèle des professionnels, en terme de problématiques diverses induites par ce contexte, et en terme de pertes de chiffre d’affaires et d’exploitation.

Les critiques sont effectivement fortes concernant l’absence d’indemnisation de ces pertes d’exploitation dans le cadre d’une telle pandémie par la plupart des contrats d’assurance. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a relevé que seulement 3% des entreprises titulaires d’une telle garantie bénéficieraient d’une indemnisation, 4% disposant de contrats donnant lieu à débat – à trancher par le juge- et 93 % étant équipés de contrats ne garantissant pas les conséquences de la pandémie. Et la Fédération française de l’assurance (FFA) a souligné que faute de possibilité de mutualiser le coût des dommages en cas d’évènement d’une telle ampleur, ce risque pandémique ne pouvait – et ne pourrait - pas relever des seules sociétés d’assurances ; un nouveau régime, impliquant également l’État, devant être déterminé afin de couvrir de telles catastrophes exceptionnelles. Le sujet est donc loin d’être clos.

"L’utilité tangible de l’assurance de protection juridique et de ses services associés s’est ainsi largement vérifiée durant cette période difficile."

Quant à eux, les contrats et garanties d’assurance protection juridique ont joué, et jouent toujours, un rôle important en terme d’accompagnement dans ce contexte pandémique, tant auprès des assurés particuliers que des assurés professionnels :
- Très fort développement des services d’information juridiques, en terme de nombre d’appels, marquant une forte appétence à l’accès à l’information ; plusieurs acteurs ont d’ailleurs ouvert durant une certaine période l’accès à ce service à l’ensemble des clients de leur groupe. Ils ont également enrichi leurs bases documentaires digitales, complétées d’un chapitre « covid 19 », outre un certain nombre de veilles juridiques spécifiques (ex : loyers commerciaux, annulations de voyages, suspension des voies d’exécution…)
Enfin, des formations auprès des juristes sur les conséquences juridiques et judiciaires de l’état d’urgence ont été assurées.
- Prise en compte des litiges spécifiquement induits par ce contexte (annulation de voyage, cyber escroquerie, droit social, client – fournisseur, …), avec également une forte sollicitation, y compris actuellement

L’utilité tangible de l’assurance de protection juridique et de ses services associés s’est ainsi largement vérifiée durant cette période difficile."

Dans le même contexte, se sont-elles montrées comme un soutien aux entreprises et aux particuliers ? Est-ce que cela va permettre aux protections juridiques de s’assumer au grand jour comme un acteur majeur du conseil juridique ?

"L’utilité ainsi vérifiée de l’assurance de protection juridique est effectivement le fruit du soutien apporté au quotidien par les équipes de juristes aux différentes catégories d’assurés. Le marché a fait preuve sur ce point d’une grande réactivité et d’agilité afin d’assurer une continuité de joignabilité et de service aux clients dès le 17 mars 2020, durant le confinement, grâce aux moyens techniques et au travail à domicile des juristes. Cette continuité se poursuivant dans le cadre des schémas de télétravail que la plupart des sociétés ont défini ensuite dans le cadre des accords sociaux.

"L’assurance de protection juridique fait totalement partie de l’écosystème du droit."

L’assurance de protection juridique fait totalement partie de l’écosystème du droit. Dans ce cadre, elle assume déjà pleinement son rôle avec les garanties délivrées aux bénéficiaires par les professionnels du droit que sont les juristes protection juridique salariés des sociétés. Notre métier a ainsi pour objet de mettre le droit à la portée de nos assurés : informer, orienter, rassurer, en apportant une solution aux litiges déclarés.

Ainsi, les juristes assurent pour les bénéficiaires des garanties « l’accès au droit », par l’information juridique, qui joue un rôle préventif essentiel (2,1 millions d’informations juridiques/an), ou par le conseil juridique, qui est délivré en cas de litige (565 000 nouveaux litiges déclarés par an), ainsi que « l’accès à la justice » pour la solution des litiges – que la solution apportée soit amiable (70 % des litiges ainsi résolus, contribuant à la déjudiciarisation) ou judiciaire (30 % des résolutions).

Les circonstances, les attentes exprimées, et les réponses apportées dans le contexte de la crise sanitaire devraient ainsi impacter favorablement le développement de ce marché (taux de pénétration actuel restant modéré : environ 40 % pour les particuliers, et environ 20 % pour les professionnels).

Enfin, les acteurs du marché sont bien entendu attentifs à la mise en œuvre de la loi du 23 mars 2019 prévoyant pour le règlement des petits litiges du quotidien le recours à un mode alternatif de règlement (MARD) avant la saisine du tribunal judiciaire, en cas d’échec des pourparlers amiables."

Comment améliorer les rapports avec les professionnels du droit et notamment avec les avocats ? La charte commune signée le 11 septembre 2020 entre la FFA et le CNB est-elle une tentative d’apaisement des relations ?

"Les relations au quotidien des sociétés d’assurance de protection juridique, et de leurs juristes avec les autres professionnels du droit, huissiers de justice, avocats, sont objectivement bonnes, dans une approche commune au service des assurés justiciables.

Ces derniers contribuent par ailleurs via la TSCA (taxe sur le contrat d’assurance au taux de 13,4 %) au budget de l’Etat en vue du fonctionnement de l’aide juridique.

"Les relations avec les instances représentatives de la profession d’avocat méritaient une communication plus régulière."

Les relations avec les instances représentatives de la profession d’avocat méritaient effectivement une communication plus régulière et une forme de normalisation.

Récemment, un sujet comme le projet de loi relatif à la sur transposition des directives européennes en matière de services financiers (visant notamment la suppression de l’interdiction de négociation des honoraires de l’avocat par l’assureur), a pu générer des tensions ; étant souligné que ce projet était à l’initiative des pouvoirs publics et non de la profession de l’assurance.

La charte signée le 11 septembre 2020 entre le CNB et la FFA ne constitue pas « une tentative d’apaisement des relations », mais la définition après échange d’un cadre de dialogue, avec la mise en place de réunions périodiques à propos des domaines d’intervention communs et afin « de favoriser les échanges dans un esprit de collaboration pour le rayonnement des professions règlementées du droit », notamment en matière de formations réciproques."

Concernant les Legaltech, plusieurs partenariats se sont noués avec des protections juridiques : est-ce un axe fort de développement, notamment en matière de justice dite "prédictive" (analyse des jurisprudences) ?

"Un certain nombre d’accords ont effectivement été conclus entre des LegalTech et des sociétés d’assurance de protection juridique.
Celles-ci sont engagées dans une démarche globale de digitalisation de leurs services et gestion (base d’information digitales, e-declaration, espace assuré, ...). De nombreuses LegalTech peuvent ainsi être source de partenariats constructifs avec nos sociétés, certains outils optimisant nos métiers : fluidifier le parcours client, apporter des réponses pertinentes, digitaliser les flux et augmenter la satisfaction client.

"De nombreuses LegalTech peuvent être source de partenariats constructifs avec nos sociétés, certains outils optimisant nos métiers."

Plus spécialement, l’accompagnement de l’assuré, par une information précise à propos de son dossier, de l’orientation à lui donner, et des perspectives de succès, est au centre de nos missions. L’optimisation de la négociation amiable fondée sur une analyse préalable étayée est nécessaire. Les LegalTech de la statistique jurisprudentielle ont ainsi un rôle évident auprès des sociétés d’assurance de protection juridique.

L’avènement des MARD obligatoires nous a encore poussé à structurer autrement notre approche de la négociation et nos propositions de gestion amiable du litige.
C’est en ce sens que l’analyse statistique de la justice ouvre une voie alternative et stratégique à l’assureur de protection juridique, qui dispose d’un véritable levier de négociation amiable.
Cette avancée profite directement à l’assuré. Grace à cet outil d’aide à la décision, l’assureur est en mesure de lui apporter un éclairage objectif sur son litige, et sur ses chances de gain. L’assuré peut ainsi adhérer aux choix stratégiques de son dossier.
Il faut rappeler que l’assuré à la direction du procès et donc supporte le risque de la procédure, l’assureur ayant quant à lui a un devoir de conseil. L’analyse statistique des décisions nous permet ainsi de manager le risque juridique pour l’assuré."

Plus largement, l’IA est elle prometteuse voire indispensable pour les protections juridiques ? Suivez-vous également de près les débats sur l’Open Data ?

"L’IA avec les outils du type chatbot, mail bot, est non seulement prometteuse, mais elle sera à terme nécessaire dans la gestion du parcours client, en permettant à nos juristes de se concentrer sur leur expertise et la relation client.

Comme je viens de le préciser, les assureurs sont des utilisateurs naturels de la justice prédictive, du moins statistique.

"Associées à l’open data, l’analyse des décisions et l’exploitation des prévisions renforcent la dynamique de gestion amiable des litiges."

Associées à l’open data, l’analyse des décisions et l’exploitation des prévisions renforcent la dynamique de gestion amiable des litiges en pesant dans la négociation avec l’adversaire.

Le décret du 29 juin 2020 a enfin règlementé l’open data des décisions de Justice. C’est une très bonne nouvelle, pour trois raisons :
- L’augmentation de la volumétrie de la donnée : la quantité des décisions en open data ne peut qu’améliorer la qualité de la statistique. Exploiter de la data ne peut se faire qu’avec un certain aliment
- La prise en compte des décisions des juges du fond, avec l’exploitation très utile des data décisions du 1er et 2nd degré : nos sociétés gèrent un contentieux assez significatif de litiges du quotidien, ou dont le faible enjeu ne permet pas d’interjeter appel, ou qui ne finissent que rarement devant la Cour de cassation.
- Une meilleure vision de la justice rendue en France par juridiction.
Il conviendra que les délais de mise à disposition soient respectés et que tous les greffes aient les moyens et le temps de mettre en œuvre ce décret."

Création d’un D.U « Règlement des différends et solution d’assurance » à Toulouse.

Le nombre de juristes en protection juridique a augmenté de 10% en 2020. Les besoins des sociétés d’assurance protection juridique augmentent et le recrutement est permanent.

Pour répondre à cette demande, ce diplôme « Règlement des différends et solution d’assurance », accessible aux étudiants ayant validé une L3 en droit, a été créé en 2021. Le professeur Didier Krajeski qui le dirige a répondu aux questions du Village de la Justice sur les motivations à l’origine de cette formation.

V.J : Qui est à l’origine de ce DU ? Quels sont ses objectifs, quel manque vient-il combler ?

D.J : "Le DU est né d’une sollicitation du GSPJ, groupement des sociétés d’assurance de protection juridique et d’un partenariat avec Université Toulouse 1 Capitole.
Il part du constat d’une méconnaissance des étudiants du secteur de l’assurance et plus particulièrement de l’assurance de protection juridique. C’est dommage car il s’agit d’un secteur qui recrute et dans lequel il est possible de faire des carrières assez variées. Les assureurs du secteur de la protection juridique recherchent des étudiants titulaires d’une licence en droit. Depuis l’abaissement de la sélection au niveau licence, de nombreux étudiants se retrouvent sans perspective. C’est ce que nous leur offrons avec ce DU."

V.J : Combien d’étudiants la 1ère promotion compte-elle ? Quel est leur profil ?

D.J : La première promotion compte dix étudiants répartis sur l’ensemble du territoire, mais La capacité d’accueil du diplôme est de 25 personnes. Il s’agit soit d’étudiants titulaires d’une licence en droit ou d’un M2 souhaitant intégrer ce secteur d’activité. Nous avons aussi des étudiants en situation professionnelle dans le secteur de l’assurance profitant du DU pour assurer une montée en compétences.

V.J : Pourquoi est-elle intégralement dispensée en distanciel ? Le sera-t-elle aussi pour la rentrée 2022 ?

D.J : "Le distanciel nous permet d’atteindre un public qui se trouve partout sur le territoire français. L’université Toulouse Capitole a développé une longue expertise en la matière. Le distanciel nous permet en outre de solliciter des collègues d’autres universités. Cela étant dit, il est prévu que les ateliers se déroulent en présentiel, mais la crise sanitaire ne l’a pas encore permis. Cela pourrait évoluer lors de la prochaine rentrée."

V.J : Quel en est le programme ?

D.J : "Le programme a été conçu avec nos partenaires assureurs. Il comporte une partie enseignement et une partie stage. La partie enseignement comporte une initiation au droit des assurances, l’assurance de protection juridique, la procédure, les modes alternatifs de règlement des sinistres et les legaltech. Une autre partie est consacrée, sous forme d’ateliers, à préparer les étudiants à gérer un sinistre protection juridique. Le tout est complété par un stage en entreprise. Les membres du GSPJ proposent ces stages qui doivent permettre aux étudiants de s’immerger dans l’entreprise et, dans le meilleur des cas, rencontrer leur futur employeur. "

L’info en + : Pour trouver des offres d’emploi dans le domaine de l’assurance PJ, vous pouvez consulter les offres d’emploi en Droit des assurances du Village de la justice.

Propos recueillis par Nathalie Hantz
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[1Source Etude Xerfi France.

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