PSAN en faillite et action en revendication de crypto-actifs.

Par Olivier Martin, Avocat.

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Explorer : # crypto-actifs # faillite # action en revendication # propriété

L’âge d’or des prestataires de services d’échange et d’achat-vente de crypto-actifs est-il terminé ?
Après avoir fait l’objet d’une procédure de retrait de son enregistrement en tant que Prestataire de Services sur Actifs Numériques (P.S.A.N.), la société BYKEP (anciennement KEPLERK) est en liquidation judiciaire depuis le 13 octobre 2022.

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La situation est d’autant plus inquiétante pour les investisseurs que l’entreprise indique avoir été victime d’un piratage portant sur plusieurs bitcoins détenus pour le compte des clients.

Quelques semaines après la plateforme Celsius, c’est désormais la plateforme FTX qui est menacée de dépôt de bilan.

La brutalité de la chute de ces intermédiaires laisse bien souvent leurs clients totalement démunis.

La situation n’est peut-être pas désespérée pour autant. En effet, il existe en droit français une procédure spécifique permettant de récupérer des biens meubles dont on a la propriété légale : c’est l’action en revendication de propriété.

Cette actualité est l’occasion de faire le point sur une situation loin d’être anodine, dans un contexte de crise économique : peut-on revendiquer ces biens si atypiques que sont les crypto-actifs, notamment lorsqu’ils sont entre les mains d’un PSAN en faillite ?

L’action en revendication appliquée à la catégorie particulière des crypto-actifs.

En premier lieu, il convient de qualifier juridiquement les crypto-actifs afin de déterminer le régime de propriété qui leur est applicable.

Les crypto-actifs, biens meubles incorporels et fongibles

Au sens du droit civil, les crypto-actifs sont des biens meubles incorporels de nature fongible, à l’exception des NFT [1] qui font l’objet d’un traitement particulier.

En effet, il résulte de l’article 516 du Code civil que tous les biens qui ne sont pas des biens immeubles (par nature ou destination) sont des biens meubles.

L’article 517 du Code civil donne trois catégories de biens immeubles :
- Les immeubles par nature, c’est-à-dire notamment, les sols et bâtiments (article 518)
- Les immeubles par destination, c’est-à-dire qui prennent la qualité d’immeuble en raison de leur lien indissociable avec un bien immeuble (par exemple, une penderie sur mesure)
- Les immeubles par l’objet auxquels ils s’appliquent. Cette dernière catégorie marginale vise les biens qui seraient meubles par nature, mais qui portent sur des biens immeubles, c’est-à-dire en pratique, les droits réels portant sur des biens immobiliers.

Les biens meubles par nature sont définis à l’article 528 du Code civil comme des « biens qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre », par opposition aux biens immeubles.

Parce qu’ils ne peuvent être, ni des immeubles par destination, ni des immeubles par nature, et qu’ils répondent à la définition des biens meubles, les crypto-actifs sont par conséquent des biens meubles incorporels c’est-à-dire, non palpables.

Ni les dispositions spécifiques au Code monétaire et financier [2], ni celles spécifiques au Code général des impôts [3] ne viennent remettre en cause ce caractère de bien meuble. C’est d’ailleurs le Conseil d’Etat qui, saisi de la question de la nature des Bitcoins, a eu la primauté de les qualifier de biens meubles incorporels afin de leur appliquer le traitement fiscal de la catégorie résiduelle des BNC/BIC [4] :

« L’article 516 du Code civil dispose que : "Tous les biens sont meubles ou immeubles". Les unités de "bitcoin" ne relevant pas de la catégorie des biens immeubles, au sens de cet article, et ayant ainsi la nature de biens meubles incorporels, l’imposition des profits tirés de leur cession par des particuliers relève, en principe, des dispositions de l’article 150 UA précité. Il n’en va autrement que lorsque les opérations de cession, eu égard aux circonstances dans lesquelles elles interviennent, entrent dans le champ de dispositions relatives à d’autres catégories de revenus »

Cette qualification a ensuite été confirmée par le Tribunal de Commerce de Nanterre dans un jugement [5] qui opposait la société Paymium à une société de droit britannique à laquelle elle avait consenti un prêt. Dans cette affaire, les juges consulaires ont ainsi qualifié le prêt de crypto-actifs de prêt de consommation soit « un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité » [6].

L’action en revendication de meubles incorporels et fongibles.

L’action qui permettrait au propriétaire légitime d’obtenir la restitution de ses crypto-actifs serait donc une action adaptée aux biens meubles fongibles.

Or, l’article 2369 du Code civil dispose que

« La propriété réservée d’un bien fongible peut s’exercer, à concurrence de la créance restant due, sur des biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte ».

Il est donc possible d’obtenir la restitution de biens meubles fongibles, en quelque main qu’ils se trouvent, par équivalence en termes de quantité, et de valeur.

En ce qu’ils sont interchangeables, les crypto-actifs ayant un caractère fongible (jetons de protocole tels que le Bitcoin ou l’Ether, jetons utilitaires non fongibles et jetons stables) pourraient donc être appréhendés et ce, y compris lorsqu’ils sont conservés dans un portefeuille électronique détenu au sein d’une plateforme tierce.

Une preuve du droit de propriété simplifiée.

L’action en revendication a donc pour objectif de permettre à celui qui parvient à faire reconnaitre son droit de propriété sur une chose, l’exercice de l’ensemble des droits relatifs à la chose et, notamment, celui d’obtenir la restitution forcée entre les mains d’un tiers qui en a la possession physique.

Cependant, la difficulté pour les investisseurs lésés de leurs crypto-actifs est de parvenir à démontrer leur droit de propriété alors que ceux-ci sont conservés par un P.S.A.N, dans le cadre d’un service de conservation de crypto-actifs au sens de l’article D54-10- 1° du Code monétaire et financier [7].

Or, selon que l’on est au stade du redressement ou de la liquidation judiciaire, la poursuite de l’activité n’est pas forcément évidente et l’accès aux services applicatifs de l’entreprise en faillite peut être interrompu.

Dès lors, on distingue deux situations :
- soit l’investisseur a acheté ses crypto-actifs antérieurement au dépôt sur la plateforme, et dans ce cas il pourra produire le justificatif de ses achats, ainsi que le dépôt grâce à des reçus ou des outils d’« explorateurs de blocs » permettant d’identifier les transactions et les portefeuilles (« wallets ») ;
- soit l’investisseur a procédé à l’achat des crypto-actifs directement auprès de la société en faillite et qui assurait la conservation ; dans le cas, il sera bien plus difficile de retracer l’historique de ses opérations.

Il existe cependant une spécificité en matière de biens fongibles. Dès lors que le revendiquant est en mesure de démontrer qu’il a « des » crypto-actifs conservés par un tiers, et que ces crypto-actifs ont effectivement la qualité de biens meubles fongibles, il n’a plus à prouver que les biens revendiqués sont bien ceux qu’il a déposé ou qui lui ont été livrés.

Cela ne dispense évidemment pas le revendiquant de démontrer que le tiers objet de la revendication a bien été en possession physique de ses crypto-actifs.

Un conseil de bon sens que l’on peut donner aux utilisateurs d’une plateforme de services sur crypto-actifs est de récupérer au fur et à mesure les factures d’achat, de vente, ainsi que les historiques des opérations (qui peuvent être téléchargés sous format csv. puis importés dans un tableur excel).

Pour conclure, il convient de préciser qu’en parallèle de l’action en revendication, d’autres options, pourraient être envisagées.

Par exemple, il conviendra de vérifier si le PSAN en faillite a été assuré au titre de sa Responsabilité Civile Professionnelle pour sa mission de conservation des crypto-actifs. Cela deviendra d’ailleurs la norme avec le nouveau passeport européen encadré par le Règlement MiCA, qui va rendre obligatoire pour le PSAN, soit la détention d’un niveau minimum de fonds propres en garantie de son activité, soit la souscription à une assurance au titre de son/ses services(s).

Par ailleurs, il existe un Fonds de Garantie de Dépôt et de Résolution, qui protège les avoirs des clients et les indemnise en cas de défaillance des intermédiaires financiers (banques, entreprises d’investissement ou sociétés de financement). Cependant ce fonds n’est ouvert qu’aux activités nécessitant un agrément de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution et à ce jour, aucune protection équivalente n’a été mise en place pour les clients de PSAN.

Olivier Martin, Avocat Associé
Barreau de Toulouse
Sarl Halt Avocats
https://www.halt-avocats.fr
martin chez halt-avocats.fr

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Notes de l'article:

[1Jetons non fongibles ou "non fungible tokens", c’est à dire un jeton numérique dont le sous-jacent n’est pas interchangeable et a par conséquent un caractère unique.

[2Art.L54-10-1 et suivants.

[3Art. 150 VH bis.

[4Conseil d’État, 8ème - 3ème chambres réunies, 26/04/2018, 417809, Publié au recueil Lebon.

[5T. com. Nanterre, 6e ch., 26 févr. 2020, no 2018F00466, SDE Bitspread Ltd c/ SAS Paymium.

[6Art.1892 du Code civil.

[7« Constitue le service de conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers le fait de maîtriser, pour le compte d’un tiers, les moyens d’accès aux actifs numériques inscrits dans le dispositif d’enregistrement électronique partagé et de tenir un registre de positions, ouvert au nom du tiers, correspondants à ses droits sur lesdits actifs numériques ».

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