Les dispositions du PJL Confiance a été modifiées au gré des débats parlementaires. Les textes issus des travaux de la CMP sont consultables ici :
Projet de loi ordinaire
Projet de loi organique
Pourquoi les activités de travail et de formation sont-elles importantes en détention ? A-t-on quelques chiffres sur le sujet ?
Nicolas Ferran : Au début de l’année 2020, on évaluait à peu près à 28% le nombre de personnes détenues qui avaient accès au travail. Mais ce n’est pas parce qu’on a accès au travail que l’on travaille à mi-temps ou à plein temps. On peut ne travailler que quelques heures par semaine, et ce sera comptabilisé comme un détenu ayant eu un accès au travail.
Il y a quatre types de travail en prison. Les deux plus importants sont ce qu’on appelle le « service général », c’est-à-dire le travail pour l’Administration pénitentiaire, qui consiste à maintenir la propreté des locaux et à assurer le fonctionnement de l’établissement : cuisine, lingerie, bibliothèque, cantine, jardinage, coiffure, etc. Cela représente 52% des détenus qui travaillent.
Ensuite, vous avez 41% des détenus qui travaillent pour des activités de production, sous le régime de la concession de manœuvre. Ce sont des entreprises qui viennent en prison et l’essentiel de ses activités sont des activités de façonnage, pliage de prospectus, emballages de balles de ping-pong, etc. Des tâches répétitives qui, pour l’essentiel ne sont ni très formatrices, ni très épanouissantes.
En outre, vous avez le service de l’emploi pénitentiaire, qui offre des ateliers qui débouchent sur des activités qui sont plus formatrices (menuiserie, imprimerie, construction), mais cela représente moins de 7% des travailleurs.
Enfin, il y a la possibilité de travailler pour des structures d’insertion par l’activité économique, mais c’est extrêmement peu développé en détention. Donc en réalité, la majorité des personnes détenues qui travaille, c’est soit au service général, soit en concession.
De façon plus générale, une étude du ministère de la Justice indiquait en 2016 que les personnes détenues ne disposaient en moyenne que de 3h40 d’activité par jour en semaine. Ces chiffres doivent être précisés : d’une part, là, on compte toutes les activités, c’est à dire le sport, l’exercice d’une activité professionnelle, la formation et la participation à des ateliers socioculturels, le culte, etc. D’autre part, il s’agit d’une moyenne, ce n’est pas du tout représentatif de la réalité.
En maisons d’arrêt, qui sont les établissements les plus surpeuplés, la plupart des détenus passent en réalité entre 20 et 22heures sur 24 dans leur cellule de 9mètres carrés, avec un ou deux codétenus, souvent devant la télé toute la journée. Leur seule activité est la promenade. L’inactivité et l’oisiveté imposées sont terribles. Dans ce contexte, accéder à du travail, c’est aussi sortir de sa cellule. Évidemment, sur le terrain de la réinsertion, les activités professionnelles peuvent ou pourraient aider les personnes détenues à se projeter à l’avenir, se former, ouvrir des perspectives professionnelles pour la sortie de prison.
Qu’en est-il aujourd’hui de la rémunération du travail en détention ?
N.F : De façon très prosaïque, les activités de travail en détention permettent en effet d’offrir un revenu aux personnes détenues, même si les niveaux de rémunération sont très bas. Selon l’activité professionnelle exercée, les rémunérations peuvent aller de 20 % du SMIC à 45 %, en sachant que toute personne qui a accès au travail n’a aucune garantie du nombre d’heures de travail qu’il pourra effectivement réaliser, en tout cas pour tout le travail qui est fait en concession. Donc quand on parle de 45 % du SMIC, puisque c’est dépendant du temps de travail, ça ne veut pas dire qu’à la fin du mois, les gens touchent effectivement 45 % de ce que touche quelqu’un qui travaille à temps plein au SMIC.
Or il faut savoir que la population carcérale se caractérise par une surreprésentation des catégories sociales les moins favorisées, avec un cumul fréquent, en amont de l’incarcération, des difficultés socio-économiques de toutes sortes. Il y a donc une population très paupérisée en prison. Le coût de la vie en détention, pour la personne détenue, on en parle peu, mais est évalué à environ 200 euros par mois : cela va du coût des cantines, quand les détenus achètent de la nourriture pour compléter les maigres repas qui leur sont servis, des produits d’hygiène ou d’autres produits autorisés en détention à la location de la télévision, du frigo, les frais de buanderie dans certains établissements, le coût de la lessive, etc. Près d’un quart des personnes détenues sont en situation de « pauvreté carcérale » : elles disposent de moins de 50 euros par mois.
L’OIP, comme d’autres organisations, milite depuis longtemps en faveur de la création d’un contrat d’emploi pénitentiaire. Le Code du travail va-t-il « entrer en détention » ?
N.F : La difficulté du travail en détention aujourd’hui, c’est l’absence de toute forme de contrat de travail, ce qui a pour effet d’exclure les personnes détenues du bénéfice de tous les droits sociaux, y compris fondamentaux. Cela a aussi pour conséquence de placer toute l’organisation du travail dans une espèce de zone de non-droit ou, en tout cas, de grand flou juridique. Il n’y a pas aujourd’hui d’encadrement juridique strict du processus d’embauche ou de la perte du travail.
Le contrat qui est proposé aujourd’hui dans le projet de loi répond, en théorie, à l’idée qu’il faut construire un statut du travailleur détenu qui soit respectueux à la fois des droits humains et des normes du travail décent. Le projet de loi contient des intentions importantes : d’abord, il consacre l’existence d’un contrat, il vise à la définition d’un processus d’entrée dans le travail, il définit des hypothèses de suspension et de rupture du contrat de travail, il prévoit l’introduction de droits sociaux qui seront adoptés par ordonnance, ainsi qu’un encadrement de la durée de travail sur les bases du Code du travail (durée du travail, temps de repos, heures supplémentaires, etc.).
Cela constitue une avancée pour l’État de droit, dans le sens où le législateur se saisit d’une question qui était jusqu’à présent laissée aux mains du pouvoir réglementaire, voire des chefs d’établissement : jusqu’ici, les droits et obligations des détenus sont définis dans le cadre de l’acte d’engagement, qui est cet acte unilatéral du chef d’établissement. Sans aucune protection d’aucune sorte. C’est donc extrêmement important qu’il y ait un statut juridique qui soit défini. La bonne nouvelle est que cette question est désormais prise en charge par le Législateur et c’est une bonne chose, mais sans aller jusqu’au bout de la logique.
Les dispositions du PJL confiance sont-elles (seulement) une première étape selon vous ?
N.F : Le projet soulève un certain nombre de questions. D’abord, le fait qu’il y ait énormément de choses qui sont encore renvoyées au pouvoir réglementaire et nous pensons qu’un certain nombre de questions auraient dû être beaucoup plus approfondies et définies par la loi et non par décret.
Sur le contenu même du projet, on peut s’interroger sur deux points : le projet clarifie un certain nombre de choses, mais cette clarification vise surtout à ratifier la très grande flexibilité du travail en prison. La durée du travail ne fait l’objet d’aucun plancher, ni d’un seuil minimum. Le texte de loi invite à la signature de « contrats de mission », donc on peut imaginer une succession de contrats. Le contrat pénitentiaire peut être suspendu en cas de baisse temporaire de l’activité, sans que cette immense flexibilité soit compensée par de réelles protections pour les travailleurs détenus. Il n’y a pas de prévision de prestation chômage partiel en cas de baisse de l’activité, etc.
Les objectifs politiques de cette grande flexibilité sont très clairs : il s’agit de rendre le travail en prison plus attractif. Sauf qu’il l’est déjà depuis des années, des décennies, avec un succès très relatif. Au début des années 2000, on avait plus de la moitié des personnes qui travaillent et aujourd’hui on est à peu près 28 %. Donc, à notre sens, cette flexibilité ne permettra pas forcément un développement important du travail en prison. Cela pose véritablement la question d’une offre de travail en prison. Et là, le projet de loi passe complètement à côté : quel travail veut-on en prison ? J’évoquais tout à l’heure l’existence des dispositifs de l’insertion par l’activité économique. Nous pensons qu’il faut développer ce genre d’activités qui sont pensées dans une optique de formation, sans lien avec une compétitivité quelconque et qui peuvent être au service d’une politique de réinsertion, ce que ne sont pas jusqu’à présent les activités de concession, pour l’essentiel très peu formatrices.
La deuxième difficulté, c’est qu’à notre sens, le travail tel qu’il est conçu dans le projet de loi demeure un outil de gestion de l’ordre en détention. C’est à dire que là aussi, les problématiques sécuritaires ou de gestion de la détention de l’Administration pénitentiaire l’emportent encore sur la fonction que pourrait jouer le travail en termes de réinsertion. Le travail en prison, aujourd’hui, c’est plus un outil de gestion de la détention qu’un instrument de réinsertion. Les considérations de travail passent en général derrière toutes les autres lorsqu’il s’agit de prendre des décisions à l’égard des détenus. Un détenu peut être transféré d’une prison à une autre sans égard pour les activités professionnelles qu’il peut avoir ; depuis 2019, on peut déclasser un détenu de son travail pour faute disciplinaire même s’il ne l’a pas commise dans le cadre du travail.
Donc, certes, l’accès au travail se clarifie, mais l’entrée dans le travail demeure (motifs de classement au travail), au départ, définie au bon vouloir de l’Administration et pas forcément dans le cadre d’un projet dans lequel s’insèrerait la personne détenue. L’influence du champ disciplinaire et sécuritaire reste très lourde. Comme vous le disiez, on peut parfaitement concevoir un pouvoir disciplinaire de l’employeur, y compris en détention, mais il faudrait que cela soit totalement décorrélé de la discipline pénitentiaire elle-même – sauf, en effet, si la faute disciplinaire est commise dans le cadre de l’activité de travail.
Et sur les droits collectifs ?
N.F : Le silence du projet de loi sur les droits collectifs pose problème. Actuellement, toute personne qui revendique, qui manifeste ou exprime publiquement des difficultés liées au travail s’expose à des sanctions disciplinaires.
Il y a quelques années, un détenu qui travaillait à la bibliothèque de l’établissement avait réuni d’autres détenus pour signer une lettre collective aucunement injurieuse, agressive ou quoi que ce soit, dans laquelle ils dénonçaient le fait qu’il n’y ait pas d’organisation de promenades spécifiques pour les travailleurs, puisque les promenades avaient lieu pendant les heures de travail. Ceux qui travaillaient étaient donc privés de promenade, ce qui est pourtant un droit des personnes détenues. Quand bien même l’Administration, après avoir pris connaissance de ce courrier, avait fait droit aux demandes des détenus en aménageant des promenades, la personne a fait l’objet, dès qu’elle a remis cette lettre à l’Administration, de poursuites disciplinaires et a été déclassée de son travail.
Cette situation paraît pour le moins anormale et le projet de loi passe complètement à côté de cette question de l’expression collective de revendications qui peuvent être assez légitimes dans le cadre pénitentiaire contraint. Il y a des expériences à l’étranger, en Italie, par exemple, où le droit de grève existe, sans occupation des locaux (le jour où l’on doit travailler, on reste dans sa cellule) et sans que cela entraîne de perturbation. Des tas d’autres dispositifs peuvent être imaginés, par exemple avec des délégués de détenus susceptibles d’être consultés sur des conditions de travail. Le projet de loi reste marqué par le poids des logiques sécuritaires et disciplinaires de l’Administration ce qui, à notre avis, entrave très fortement la possibilité pour le travail d’être un vrai outil de réinsertion pour les personnes incarcérées.
L’ouverture des droits sociaux aux personnes détenues est une mesure qui peut ne pas être bien comprise. Que diriez-vous aux personnes qui n’y sont pas favorables ?
N.F : J’ai plutôt tendance à considérer que c’est la situation actuelle qui est totalement incompréhensible ! Avec la disparition de l’obligation de travailler en 1987, le travail a été détaché de la peine. Il n’y a aucune raison de priver les travailleurs détenus d’un statut qui respecte les droits humains et les normes du travail décent.
Mais si on veut être un peu plus concret, je me pose vraiment la question de savoir quel est l’intérêt pour la collectivité, pour la société, que l’inspection du travail n’intervienne pas en prison dans des conditions identiques à l’extérieur, ou qu’il n’y ait pas de médecine du travail. Quel est l’intérêt de la collectivité qu’un détenu qui a travaillé pendant plusieurs années en prison ne touche pas une retraite convenable ou qu’il n’ait pas droit à une indemnisation chômage s’il ne retrouve pas immédiatement un travail à la sortie ? Ou qu’en travaillant en prison, il n’alimente pas son compte personnel de formation qui pourrait l’aider à la sortie à financer une formation ? En fait, je n’en vois absolument pas le sens. Cette privation des droits sociaux ne contribue qu’à une précarisation plus forte des personnes détenues. Et cette précarisation très forte participe évidemment des difficultés auxquelles elles se heurtent pour se réinsérer à la sortie.
La personne détenue qui a travaillé 5 ans en prison, qui sort de prison, qui n’a pas de ressources, qui n’a rien et qui ne peut pas faire valoir de droits au chômage, qu’est-ce qu’elle fait quand elle n’a pas de ressource ? En réalité, on crée les conditions d’une précarisation persistante, qui entretiennent les difficultés de sortie de délinquance et qui sont susceptibles d’alimenter la récidive. Quand vous avez 60% des personnes qui sortent de prison qui y retournent dans les 5 ans, combien est-ce que cela coûte à la collectivité ? Quelle est l’utilité de cela, même si l’on pense la peine de prison dans sa dimension afflictive ? Cela ne peut que se retourner contre la collectivité.
La prison, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, est une institution qui ne « marche pas », clairement, et il faudrait très sérieusement repenser son fonctionnement, voire son utilité. Et toute cette réflexion passe aussi par les sujets de l’accès aux activités et au travail, dans des conditions décentes. Pour une question de respect des droits fondamentaux des personnes, mais aussi dans une optique très pragmatique de l’intérêt immédiat de la collectivité, pour ne pas précariser les personnes détenues plus encore qu’elles ne le sont au départ. Lorsque vous entrez en prison, si vous avez un logement, vous le perdez, si vous avez un travail, vous le perdez, si vous avez un emprunt, lorsque vous sortez, vous êtes surendetté, etc. La vie ne s’arrête pas quand on va en prison, toutes les charges que l’on a à l’extérieur continuent. Sans compter le délitement familial. On met les gens dans un système qui fait tout pour reproduire les conditions qui ont amené à l’acte délinquant la plupart du temps.