1/ Les faits.
Un salarié (responsable « grands comptes »), licencié pour faute grave, contestait cette mesure devant le Conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel d’Orléans.
Pour établir sa faute, l’employeur versait aux débats l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel le salarié tenait des propos ayant motivé son licenciement.
Cependant, cet enregistrement avait été réalisé à l’insu de l’intéressé.
Pour la Cour d’appel d’Orléans [1], cette preuve était irrecevable car l’enregistrement avait été réalisé de façon clandestine.
Ainsi, le licenciement avait été jugé sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur, formant un pourvoi en cassation, pose cette question : la preuve obtenue par l’enregistrement d’entretiens entre l’employeur et le salarié, réalisé à l’insu de ce dernier, est-elle recevable ?
La particularité de l’affaire réside dans le fait qu’aucune autre preuve ne permettait de démontrer la faute commise par le salarié.
2/ La position de la Cour de cassation.
L’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans est censuré par la Cour de cassation au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du Code de procédure civile.
La Cour de cassation rappelle que, suivant les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme [2], elle a consacré, en matière civile, un droit à la preuve qui permet de déclarer recevable une preuve illicite :
- Lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut
- Et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi.
Plusieurs arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation avaient retenu cette solution permettant de « sauver » une preuve illicite [3].
Cependant, la Cour de cassation considérait qu’est irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème [4].
Cette solution était fondée sur la considération que :
« la justice doit être rendue loyalement au vu de preuves recueillies et produites d’une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité ».
3/ Le revirement de jurisprudence.
Dans son arrêt du 22 décembre 2023, la Cour de cassation reconnaît que l’application de sa jurisprudence pouvait conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits.
Or, la CEDH ne retient pas, par principe, l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales.
En effet, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.
La Cour de cassation rappelle la position de la CEDH sur ce sujet [5] :
- L’égalité des armes implique l’obligation d’offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.
- L’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales implique notamment à la charge du juge l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre.
En conclusion, pour la Cour de cassation, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.
Dans son arrêt du 22 décembre 2023, la Haute juridiction va jusqu’à donner une feuille de route aux juges du fond saisis de ces sujets :
« Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».