Pourquoi les conseils de prud'hommes vont mourir. Par Michel Desrues.

Pourquoi les conseils de prud’hommes vont mourir.

Par Michel Desrues.

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Explorer : # justice du travail # délais de traitement # composition paritaire # réforme judiciaire

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La justice prud'homale est critiquée pour sa complexité et ses délais d'instruction trop longs. Malgré une baisse du nombre d'affaires, les délais continuent de s'allonger. Certains proposent l'introduction de juges professionnels pour améliorer l'impartialité et accélérer les procédures.
Description rédigée par l'IA du Village

A bout de souffle, les conseils de prud’hommes doivent se transformer s’ils ne veulent pas être engloutis dans les tribunaux judiciaires.

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Tout le monde connaît les errements propres à la juridiction prud’homale : une saisine par requête, complexifiée depuis le décret du 20 mai 2016, des délais d’instruction beaucoup trop longs, des taux d’appel importants, des sections qui ne font rien et d’autres qui font de l’abattage, une barémisation qui n’incite pas le justiciable à saisir le juge prud’homal, une procédure d’appel bourrée d’incidents en tous genres adorée des avocats anciens avoués…

La complexité de la règlementation oblige à conclure toujours plus, toujours plus long : on en arrive à une véritable chausse-trappe juridique. J’ai connu il y a vingt ans l’époque où les conclusions pouvaient faire cinq pages ; autant dire que cette période est largement révolue, y compris en référé.

Il n’est pas rare non plus que les frais exposés au titre de l’article 700 du Code de procédure civile soient mis à la charge du salarié perdant, qui subit alors une double peine, qui règle de sa poche une somme destinée à son adversaire bien souvent multi-millionnaire voire multinationale du CAC 40 (exemple récent au CPH de Nantes) qui, lui, s’il est condamné paye non sur ses deniers personnels mais sur ceux de l’entreprise, donc en fin de compte sur le dos du travail de ses travailleurs.

Malgré la diminution constante du recours à la justice prud’homale : 200 000 affaires en 2005, 100 000 en 2021, la situation est catastrophique : on aurait pu imaginer des délais de traitement raccourcis. Bien au contraire, ceux-ci se rallongent. Comprenne qui pourra !

Dans un rapport publié en juin 2023, la Cour des comptes pointe notamment les lenteurs de la justice du travail. Plutôt qu’un grand chambardement, elle préconise des mesures d’amélioration dont certaines rejoignent celles proposées par les acteurs sociaux, restées lettre morte.

Les délais de traitement des dossiers doivent impérativement être réduits. Le jugement rendu le 14 décembre 2023 par le tribunal judiciaire de Paris le rappelle.

Dans cette affaire qui traite de 1 320 jugements (pas seulement prud’homaux), rendus entre 2013 et 2016, l’État a été condamné sur la base de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales à environ 6 800 000 euros de dommages et intérêts.

Pourquoi de tels délais ?

1. Parce que les conseillers prud’hommes ne respectent pas les délais qui leur sont imposés : 1 mois pour statuer pour une requalification, une prise d’acte de la rupture, un départage…
2. Parce que la Cour de cassation a jugé que ces délais n’étaient pas prescrits à peine de nullité
3. Parce que certains avocats d’entreprises n’ont aucun intérêt à accélérer le mouvement
4. Parce qu’il manque des juges départiteurs, des greffiers et des moyens conséquents.

Quelle solution pour sauver les prud’hommes/pour inverser la tendance/pour rétablir la situation… ?

Dans une note publiée en décembre 2020,M. Philippe Ravisy, fondateur du cabinet d’avocats parisien Astae évoque la composition paritaire du conseil de prud’hommes qui pénaliserait le demandeur, donc le salarié et préconise le recours au magistrat professionnel.

Il écrit :

« La nécessité d’une décision prise à l’unanimité en référé et à la majorité de trois conseillers sur quatre devant le bureau de jugement est pour nous une hérésie.
En effet, c’est arithmétique, une composition paritaire du conseil de prud’hommes met les conseillers employeurs en excellente position pour refuser de condamner l’entreprise ou, a minima, pour "marchander" le montant des condamnations en le tirant vers le bas. L’argumentaire est plus ou moins explicite mais implacable : certes le salarié a raison, mais si vous voulez que la décision qui sera prononcée lui soit favorable sur le principe, il faudra être mesuré sur le quantum car nous n’irons pas au-delà d’une condamnation supérieure à X mois de salaire… et si vous n’acceptez pas ce marchandage, tant pis pour le salarié, mettons-nous en partage de voix !
Intégrer des juges professionnels conduirait en effet à ce que, la justice soit rendue en toute impartialité, sans parti pris ou préjugé, et en fonction de la seule application des règles de droit applicables au litige. Dans la mesure où il ne serait plus nécessaire de faire des contorsions avec la jurisprudence, l’amélioration de la lisibilité et de la prévisibilité des jugements permettrait de faire chuter le nombre de recours et, subséquemment, de désengorger les Cours d’appel. Une motivation et des décisions cohérentes et rigoureuses aideront effectivement les justiciables à mieux accepter la décision de justice ou, au moins, à bénéficier de manière effective d’un double degré de juridiction
 ».

Des députés membres de la commission d’enquête sur les tribunaux de commerce, Messieurs François Colcombet et Arnaud Montebourg ont publié un rapport, certes ancien (3 juillet 1998), mais oh combien moderne qui donne un bel éclairage sur les avantages de l’échevinage.

Le premier avantage de l’échevinage, selon eux, est la garantie d’impartialité.

Les parlementaires précisent que l’échevinage apporte aux justiciables la certitude que la justice est structurellement impartiale, non parce que le président, juge professionnel est infaillible, mais parce qu’il est en dehors des milieux économiques.

Le justiciable, chef d’entreprise, sait donc qu’il ne sera pas jugé en fonction des relations amicales ou commerciales qu’il entretient avec le président de la juridiction, mais qu’il sera jugé par un magistrat étranger aux réseaux locaux d’influence et avec ainsi une plus grande objectivité.

Tout est transposable à la juridiction prud’homale : on peut parfaitement tenir semblable raisonnement à l’endroit des conseils de prud’hommes.

Un malheur supplémentaire semble tenir à la suppression de l’élection des conseillers prud’hommes et son remplacement par une désignation par les organisations syndicales ouvrières et patronales, décidées par Messieurs Hollande, Valls et Rebsamen avec la loi du 18 décembre 2014 relative à la désignation des conseillers prud’hommes.

Le gouvernement a pris des dispositions prévoyant la désignation des conseillers prud’hommes en fonction de l’audience des organisations syndicales de salariés mesurée sur la base des résultats des élections professionnelles dans les entreprises, définie à l’article L2121-1 du Code du travail issu de la loi du 20 août 2008, qui a repris l’essentiel de la « position commune » signée le 10 avril 2008 par le Medef, la CGPME, la CGT et la CFDT.

Ce processus relève de la même veine que celui qui a conduit à la mise en place désastreuse, avec la loi Valls- El Khomry du 2 août 2016, de l’inversion de la hiérarchie des normes en plaçant les accords d’entreprise au-dessus des accords de branche, permettant à des syndicats bienveillants de signer la dictée patronale.

De fait, il n’existe plus de véritable contrepoids significatif au patronat au sein de la juridiction, les syndicats dits « modérés », désormais très majoritaires dans les conseils, étant beaucoup plus enclins à des compromis boiteux, voire très défavorables aux travailleurs.

Ajoutons à cela que ce sont les chambres sociales des cours d’appel - et très rarement les conseils de prud’hommes, excepté lorsque c’est le juge départiteur qui préside - qui produisent de la jurisprudence novatrice. Les décisions relatives au dépassement du barème « Macron » en apportent la preuve.

Sauf à revenir à des élections générales des conseils de prud’hommes par tous les salariés à la même date dans tout le pays, l’échevinage semble une bonne solution pour sortir de l’ornière.

D’ailleurs celui-ci existe déjà au sein du pôle social du tribunal judiciaire - un juge professionnel et deux assesseurs (ouvrier et employeur) - qui a su, depuis la réforme initiée en novembre 2016, réduire drastiquement les délais de traitement. Et d’autres juridictions mixtes sont présentes dans l’organisation judiciaire française : le tribunal paritaire des baux ruraux, le tribunal pour enfants, le tribunal de commerce en Alsace-Moselle.

Par conséquent, le conseil de prud’hommes dans sa forme actuelle doit mourir, dans l’intérêt des travailleurs et ressusciter grâce à l’introduction d’un magistrat professionnel dédié.

Nota bene : cette note n’engage que son auteur qui, on l’aura compris, n’est pas en accord avec la position confédérale de l’organisation syndicale à laquelle il appartient.

Michel Desrues, défenseur syndical CGT

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Discussions en cours :

  • par Dominique HOLLE , Le 16 avril 2024 à 21:30

    Il est vrai que les conseils de prud’homes vivent des moments difficiles, conséquences des lois de 2008 (fermeture de CPH, forfaitisation des activités prud’homales....), de 2013 (reforme de la prescription...), de 2014 (suppréssion des élections) de 2015 (la requête, la médiation...) de 2016 (inversion de la hiérarchie des normes...) et 2017 (le barême Macron) et j’en passe et des meilleurs. Et c’est sans parler du projet de réduction du délai pour saisi la juridcition qui en rajoutera une couche.
    Les pretextes sont nombreux (l’emploi, la réduction des délais de procédure, le cout, simplification...),mais ils sont tous inopérants. Le chomage n’a pas baissé, les délais de procédure se sont rallongées, la simplification n’est qu’un mythe et le cout pour le justiciable a augmenté.
    Résultats : les conseils ont vu leur influence divisée par deux et les salariés les plus précaires s’en sont éloignés.
    Certes, le constat est amère. Mais pour redonner de la couleur à cette juridiction, ne devrions nous pas commencer par analyser les conséquences des dispositions précitées et proposer des rectificatifs propres a rendre aux CPH leur vocation initiale : une juridiction simple dans son fonctionnemment et dans sa saisine, accessible aux salariés seuls ou accompagnés d’un défenseur qui lui même disposerait des moyens pour l’assister au mieux.
    Il existe des pistes (celle de l’auteur n’étant pas à privilègier) pour réouvrir en grand les portes des conseils. C’est encore une question de volonté politique.

  • par Simon , Le 15 avril 2024 à 14:12

    Oui, on ne peut pas être satisfait de l’augmentation des délais, de la complexité de la procédure, qui de fait est réservée aux professionnels ou aux militants tres engagés dans le juridique. J ai la même expérience que l’auteur de l’article (30 ans de prudhommes salariés pour la cfdt et autant en défenseur syndical). Oui l’équité est de moins respectée sur l’article 700, les salariés sont plus souvent condamnée en 1ere instance et parfois à des montants délirants. Mais je ne partage pas l’idée d’un tribunal des prudhommes échevins, qui a existé un temps en Alsace-Moselle. Les cph Employeurs et salariés y perdraient leur spécificité sans que les garanties attendues en terme d’impartialité et de délais soient si évidente que cela : Etre juger par des professionnel (e)s reste la meilleure garantie d’une décision equilibree sur le fond. Quant à la forme, peut être faut-il renforcer le ROLE du greffe dans la rédaction, une fois le DÉLIBÉRÉ effectué. Ne jetons pas le BÉBÉ avec l’eau du bain.

  • par storne didier , Le 10 avril 2024 à 16:24

    Initialement défenseur syndical (depuis plus de 20 ans), j’ai au surplus eu la "chance" de siéger au CPH a l’époque du choix souverain du peuple ; l’élection.

    Je confirme totalement les propos de son auteur !

    Toutefois quitte, moi aussi a déranger le sommeil bienveillant de ma confédération, je me limiterai a constater qu’un juge pro dans une formation d’échevinage a un cout nullement comparable aux indemnités qu’accorde l’état au conseiller (moins que le SMIC !). La question qui me semble essentielle est donc si la justice n’a pas de prix il est évident qu’elle a un cout !

    A défaut d’accepter de le payer a terme il est probable que se soit le sang serve de monnaie !

    Etes vous prêts pour payer ce cout ?

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