Face à une société où l’opinion, le ressenti personnel priment souvent sur les faits, la Justice a parfois du mal à se faire entendre et surtout à faire comprendre ses décisions.
Au travers de plusieurs affaires judiciaires ayant eu un large écho en France (les procès de Jérôme Kerviel, de Catherine Sauvage, du Cardinal Barbarin...), l’auteure s’inquiète de l’emprise du système médiatique, entendu ici au sens large, sur la réalité d’une situation et qui en faisant primer l’immédiateté, le spectaculaire, le manichéisme, des valeurs morales, politiques ou autres réussit à imposer la "vérité" voulue par le public. Vérité qui n’est pas toujours celle des faits.
Or c’est à la vérité factuelle que s’attache la Justice et comme le dit si bien Olivia Dufour, "La Justice, c’est l’émotion placée sous le contrôle de la raison".
Si les médias ont une légitimité à mener des investigations pour faire sortir d’autres vérités, il est inconscient de leur part d’instrumentaliser un procès et de transformer ce dernier en tribune médiatique.
Olivia Dufour donne à réfléchir sur une partie de la société qui n’accepte plus d’attendre, de prendre du recul et qui peut s’opposer à une décision de justice qui serait contraire à l’opinion qu’elle s’était faite d’une affaire judiciaire.
Cédons la place à Olivia Dufour, journaliste et Présidente du Cercle des journalistes juridiques plus qu’elle nous précise l’objet de son ouvrage.
Le Village de la Justice : Quelles ont été les motivations à la réalisation de cet ouvrage ?
- Olivia Dufour.
(Crédits photo : Lextenso, Rita Baniyahya)
Olivia Dufour : "Depuis quelques années on constate un décalage parfois très important entre le bruit médiatique dominant qui entoure une affaire judiciaire et la réalité du dossier.
Ce fut le cas notamment dans l’affaire Kerviel. Elle restera dans l’esprit du public l’histoire d’un trader traité par sa banque comme un bouc-émissaire de la crise des subprimes alors que des dizaines de journalistes ayant assisté aux deux procès en première instance et en appel sont en mesure d’attester que Jérôme Kerviel a bien commis les infractions qui lui sont reprochées, et que la banque n’était pas au courant de ses activités.
De la même manière dans l’affaire Jacqueline Sauvage, on a fait croire au public que Madame Sauvage avait tué son mari dans un acte de légitime défense alors qu’en réalité elle a tiré dans le dos d’un homme assis qui, à cet instant précis, ne l’agressait pas. Cela peut mériter les circonstances atténuantes, car l’homme était violent, ce qu’ont jugé deux cours d’assises, mais pas la qualification de légitime défense.
Pourtant sous la pression de l’opinion publique, le président François Hollande, appuyé en cela par le Garde des Sceaux de l’époque Christiane Taubira, a jugé pertinent de désavouer la justice en accordant une grâce totale à l’intéressée. Tant mieux pour Madame Sauvage.
Mais la Justice ne méritait pas ce désaveu. Surtout, on a ici réduit à néant deux décisions de justice rendues par des personnes qui connaissaient le dossier, qui avaient entendu les protagonistes pendant plusieurs jours et surtout pris l’immense responsabilité de juger, sous prétexte qu’une foule de personnes ignorant tout du dossier et ne prenant d’autre responsabilité que celle de s’indigner l’exigeaient.
"Souvent la foule trahit le peuple" écrivait Hugo. C’est que j’appelle le populisme. Un populisme que l’on voit poindre aussi parfois dans la tentation des juges de satisfaire l’opinion publique, quitte à tordre le droit. Ou encore dans l’émergence d’une justice médiatique sur les réseaux sociaux qui est terriblement inquiétante.
S’il ne fallait en retenir qu’un, quel point fort souhaitez-vous mettre en avant dans votre livre ?
Le message essentiel consiste à montrer que la Justice a mis des siècles à élaborer des processus très sophistiqués pour aboutir à la meilleure justice possible. Elle est humaine, faillible, imparfaite, mais nettement plus fiable que les condamnations médiatiques rendues par des gens qui ne connaissant pas les dossiers et réagissent sur la foi souvent de données partiales, partielles voire franchement erronées. La Justice, c’est l’émotion placée sous le contrôle de la raison. Les médias c’est exactement le contraire.
"Or, il se trouve que les médias ont pris une telle puissance avec Internet et les réseaux sociaux qu’ils sont aujourd’hui en mesure de dicter leur loi à la Justice et de la forcer à renoncer à ses valeurs. C’est très inquiétant. Il nous faut tous ensemble, journalistes, avocats, magistrats réfléchir et réagir."
A quel public vous adressez-vous ?
"J’ai écrit ce livre dans le but d’être accessible à tous car l’observation attentive des mécaniques populistes à l’œuvre dans le champ judiciaire permet de mieux comprendre cette maladie qui menace l’ensemble des institutions démocratiques.
Mon souci a été aussi d’alerter les professionnels de justice d’une dérive qui me semble inquiétante. Beaucoup en sont conscients et je ne prétends pas avoir réalisé une découverte exceptionnelle, le projet est plus modeste : décrire méticuleusement les mécaniques à l’œuvre pour contribuer à conforter ce que chacun perçoit au quotidien mais n’a pas forcément le temps d’analyser et de théoriser.
Enfin, mon objectif est aussi de mettre en garde le public contre une certaine "malbouffe médiatique". Les journalistes travaillent globalement bien en France, mais il y a des effets de système qui parfois conduisent à des dérapages collectifs très toxiques. Il faut que les citoyens développent leur esprit critique quand ils sont face à des emballements. L’information de qualité est disponible, mais elle est généralement moins bruyante et spectaculaire, c’est d’ailleurs souvent à cela qu’on la reconnaît !"
Pouvez-vous en quelques mots nous indiquer votre parcours ?
"Titulaire d’un DEA de philosophie du droit sous la direction de Marie-Anne Frison-Roche et François Terré, je me destinais à l’origine au métier d’avocat, j’ai exercé trois ans dans un cabinet en tant que juriste et puis par hasard je suis entrée dans un journal et j’ai adoré ce métier de sorte que j’y suis restée.
J’exerce depuis 25 ans en indépendante. Mes spécialités sont le droit, la justice et la finance. Il y a deux ans j’ai fondé avec quelques confrères le Cercle des journalistes juridiques car notre pratique ne disposait pas d’une association."
Informations techniques :
Titre : Justice et médias. La tentation du populisme ;
Auteure : Olivia Dufour ;
Editeur : LGDJ ;
Edition : juin 2019 ;
ISBN : 978-2-275-05084-3 ;
Prix : 24 euros.