Le 1er novembre 2022, la Première ministre a signé un décret visant à moderniser le dispositif du crédit d’impôt jeu vidéo afin de le rendre plus adapté aux jeux vidéo actuels et à prolonger le dispositif jusqu’au 31 décembre 2028 [1].
Pour le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications Jean-Noël Barrot, le nouveau barème « prend mieux en compte les nouveaux modèles d’affaires et les innovations qui tirent le secteur, comme le cloud gaming, la réalité virtuelle et la blockchain, et [qui] sont amenés à jouer un rôle central dans la construction des metaverses » [2].
L’émergence des crypto-actifs et des jetons non fongibles (ou NFT) est venue apporter de nouvelles perspectives à une industrie française des jeux vidéo déjà très dynamique.
Saisis de prime abord par le secteur des jeux d’argent en ligne [3], ces nouveaux actifs, qui permettent l’échange en pair-à-pair de valeur numérique, ont fait naître de nouveaux modèles économiques au sein de jeux vidéo (les play-to-earn) et apporté un renouveau au concept tombé en désuétude de métavers.
Le modèle des play-to-earn, popularisé par le projet Axie Infinity, vise à redistribuer aux joueurs une partie des recettes du jeu par le biais de récompenses monétisables (des crypto-actifs internes) versées selon le niveau d’implication et/ou de compétences du joueur. L’objectif de créer un cercle vertueux en alignant les intérêts des joueurs et des développeurs ne peut être atteint qu’en élaborant une architecture économique et juridique pertinente [4].
La notion de métavers, conceptualisée par les plus éminents auteurs de science fiction [5], désigne des espaces numériques, persistants et partagés. Mis en application par le jeu Second Life en 2003, le concept s’est essoufflé quelques années plus tard alors que la numérisation des interactions sociales et économiques n’a cessé de s’accélérer pour atteindre un apogée, du moins symbolique, lors des différents confinements liés à la crise sanitaire. Grâce à la possibilité d’échanger de la valeur en ligne, le concept de métavers a spectaculairement refait surface, porté par des projets tels que The Sandbox ou Decentraland et, bien sûr, par l’annonce, en grandes pompes, du groupe Facebook – renommé Meta – de l’investissement de plusieurs milliards de dollars dans le développement de son métavers Horizon Worlds.
Ces deux modèles impliquent de considérables investissements de recherche et de développement pour aboutir à des créations innovantes et riches sur le plan narratif, artistique et visuel.
Or, ce sont précisément ces efforts que le crédit d’impôt jeux vidéo vise à encourager en ayant financé, depuis 2008, plus de 370 projets portés par plus de 150 studios de développement. En modernisant le dispositif, le gouvernement entend faciliter son accès aux projets axés sur l’innovation technologique.
Le présent article vise à présenter les modalités de fonctionnement du crédit d’impôt et à préciser les raisons pour lesquelles sa dernière mise à jour est de nature à favoriser le développement de nouveaux modèles tels que les métavers.
En quoi consiste le crédit d’impôt jeux vidéo ?
Depuis le 1er janvier 2008, le secteur du jeu vidéo bénéficie d’un système d’aide publique au travers d’un crédit d’impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo, qui permet aux entreprises de création de jeux vidéo établies en France de déduire de l’impôt sur les sociétés 30 % des dépenses engagées pour la production de jeux, dans la limite de 6 millions d’euros par entreprise et par exercice [6].
Les dépenses éligibles comprennent notamment :
les dotations aux amortissements ;
les dépenses de personnel affectés à la création du jeu ;
les rémunérations des auteurs ayant participé à la création du jeu ;
les frais de fonctionnement ;
les dépenses de sous-traitance.
Si le montant du crédit d’impôt excède l’impôt dû au titre de l’exercice, l’excédent est remboursé [7].
Quelles entreprises peuvent bénéficier du crédit d’impôt jeux vidéo ?
Peuvent bénéficier du crédit d’impôt, les entreprises de création de jeux vidéo au sens de l’article D. 331-19 du code du cinéma et de l’image animée qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :
Elles créent un jeu vidéo dont le coût de développement est supérieur à 100 000 € :
Le jeu vidéo est défini comme tout logiciel de loisir mis à la disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistique et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d’interactions s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées et se traduisant sous forme d’images animées, sonorisées ou non.
Le jeu vidéo doit attester d’un coût de développement supérieur ou égal à 100 000 € ; être destiné à une commercialisation effective ; être réalisé principalement soit par des auteurs et collaborateurs résidents français ou de nationalité française, soit par des ressortissants d’un autre État membre de l’UE ou de l’EEE ; se distinguer par le niveau des dépenses artistiques, la qualité, la structure narrative, l’originalité ou le caractère innovant du concept et enfin respecter des critères liés à la contextualisation de la violence [8].
Elles sont soumises à l’impôt sur les sociétés :
Les entreprises exonérées partiellement ou temporairement d’impôt sur les sociétés sont également éligibles, ce qui permet de cumuler le crédit d’impôt jeux vidéo avec d’autres dispositifs tels que le statut de jeune entreprise innovante ou le crédit d’impôt recherche.
Le CIJV est imputé sur l’impôt sur les sociétés dû par l’entreprise au titre de l’exercice au cours duquel l’entreprise a exposé les dépenses.
Elles respectent la législation sociale en vigueur :
Cette condition suppose la remise des copies des bordereaux de déclaration des cotisations et de la déclaration annuelle des données sociales ou de la déclaration sociale nominative.
Comment bénéficier du crédit d’impôt jeux vidéo ?
Avant l’achèvement du jeu vidéo, un agrément provisoire délivré par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) doit être demandé. L’agrément est délivré par le directeur général du CNC, après avis d’un comité d’experts.
Après l’achèvement du jeu vidéo, il convient de faire une demande d’agrément définitif dans un délai de 36 mois à compter de l’agrément provisoire. En cas de non obtention de l’agrément définitif dans ce délai, l’entreprise doit reverser le crédit d’impôt dont elle a bénéficié. Ce délai est porté à 72 mois pour les jeux dont le budget est supérieur à 10 millions d’euros.
L’obtention de l’agrément provisoire n’entraîne pas automatiquement la délivrance de l’agrément définitif, notamment dans l’hypothèse où le jeu, dans sa version définitive, serait modifiée de façon substantielle par rapport au projet ayant obtenu l’agrément provisoire.
Qu’en est-il des projets exploitant des technologies innovantes, tels que les métavers ?
La décision d’agrément est fondée sur un barème permettant d’évaluer l’adéquation d’un projet par rapport à des critères tenant, par exemple, à la création visuelle, la création musicale et la création narrative ; le critère de la qualité narrative étant, avant la modernisation, particulièrement favorisé, ce qui pénalisait des œuvres principalement visuelles.
Depuis le 1er novembre 2022, le barème d’évaluation des projets de jeux vidéo a été modifié afin d’être plus adapté aux nouveaux usages (notamment aux jeux mobiles) et de favoriser l’innovation technologique.
Ainsi, la modernisation du dispositif opère un rééquilibrage des critères précités (création visuelle, musicale, narrative) et institue de nouveaux critères tels que (i) le fait de pouvoir justifier de la création d’un nouvel univers et/ou d’un nouveau concept ou (ii) le caractère innovant du jeu.
Dans ces conditions, les métavers et les jeux play-to-earn élaborant un gameplay et une économie interne innovants auront plus de chance d’obtenir l’agrément ouvrant le droit au financement public de près d’un tiers du coût de développement du jeu.
En tout état de cause, l’initiative du gouvernement intervient à un moment stratégique et devrait permettre d’inciter de nombreux acteurs du secteur à exploiter ces nouvelles technologies dans un contexte moins favorable au financement de projets via le capital-risque.