La mise en demeure est morte, vive la mise en demeure ! Par Hervé Gallet, Huissier de Justice.

La mise en demeure est morte, vive la mise en demeure !

Par Hervé Gallet, Huissier de Justice.

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La dernière réforme de la justice a eu de nombreuses conséquences sur notre quotidien : juridictions fusionnées, procédures simplifiées...
Cette réforme aura d’autres effets sur la justice, moins visibles et plus lents à émerger, plus philosophiques également : le comminatoire va laisser la place au dialogue obligatoire.

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La loi 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice a engendré un certain nombre de bouleversements dans nos procédures : fusion des juridictions, modification des modes de saisine, des modes de représentation…

Il est intéressant de noter que la première section du premier chapitre de la réforme de simplification des procédures est consacré à la promotion des « modes alternatifs de règlement des différends » (MARD). Une énième opération promotionnelle de ces MARD sous le prétexte du désengorgement des tribunaux ! pas sûr…

Cette réforme va bien plus loin que la précédente qui, en 2015, formulait simplement la nécessité d’une tentative de résolution amiable du litige. Ce souhait exprimé comme un « vœu pieux » figurait à l’article 56 du Code de procédure civile et concernait toutes les assignations.

Force est de constater cependant que cette exigence n’avait pas trouvé place à s’appliquer dans le contentieux français, les juges ayant considéré qu’une simple mise en demeure non suivie d’exécution pouvait être considérée comme cette « tentative de résolution amiable du litige ».

Depuis le 1er janvier 2020, nous avons gravi un échelon. Le décret d’application de la loi de réforme a ajouté un article 750-1 dans le Code de procédure civile qui crée une nouvelle obligation : Toute demande en justice portant sur un litige de moins de 5 000 euros ou de voisinage doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative.

De « vœu pieux », nous sommes passés, en à peine plus d’un mois, à une obligation à peine de nullité et pouvant être soulevée d’office par le juge.

Force est de constater que personne n’était prêt à assumer cette nouvelle formalité. Ni les conciliateurs, ni les médiateurs et encore moins les juridictions elles-mêmes. Depuis lors, les ordres professionnels tentent de se mettre en ordre de marche, de lancer de nouvelles plateformes et de nouveaux canaux de médiation…

Cette nouvelle obligation est riche de conséquences pour les justiciables :
- Elle crée une nouvelle formalité préalable, qui retarde d’autant l’échéance d’un procès (et permet même aux parties récalcitrantes d’en user dans un but dilatoire). Rappelons cependant que l’urgence permet de s’exonérer de cette obligation ;
- Elle représente un coût à la charge des parties, sauf à ce que le dispositif de la conciliation puisse prendre en charge 100% du contentieux français… ce qui est clairement peu probable, la majorité des affaires devra donc passer par le filtre de la médiation ;
- Elle impose de tenter un dialogue avec son adversaire, même si toute tentative est vouée à l’échec, même à contrecœur… Aussi curieux que cela puisse paraître, la tentative de dialogue est désormais une obligation.

Jusqu’à présent, la mise en demeure régnait sur le monde du litige : Mise en demeure de faire, mise en demeure de payer… Par le plaignant, son avocat ou un huissier… par mail, par courrier ou par LRAR…

Mais cette réforme lui aura porté un coup fatal : elle ne suffit plus, désormais, pour pouvoir saisir le juge. Au mieux permet-elle encore de déclencher les intérêts de retard pour les obligations de paiement [1].

Il semble en fait très probable que la médiation devienne "le" traitement préjudiciaire de masse. Cette perspective révèle une conséquence plus philosophique de cette réforme : L’abandon du « comminatoire » au profit du dialogue.

Même si elle revêt souvent la même forme que la mise en demeure (lettre recommandée avec AR), l’invitation à entrer en médiation n’est qu’une simple invitation au dialogue sans qualification juridique ni interpellation formelle, et surtout elle n’aborde pas les revendications des parties.

Que cette invitation soit ou non suivie d’une médiation effective, elle suffit en soi à permettre d’engager une action en justice. Si elle n’est pas suivie d’effet, le médiateur dressera un constat d’échec d’entrée en médiation. Si en revanche les parties acceptent le principe d’une médiation, rien ne garantit encore qu’elles trouveront un accord…

Attention cependant aux effets pervers d’une industrialisation de l’entrée en médiation. Il faut se réjouir d’un recours systématique à la médiation mais, si elle est exercée sans une réelle conviction son taux de résolution sera faible et son impact négatif.

Le changement auquel nous venons d’assister sur le traitement préjudiciaire des litiges est fondamental : nous passons d’une lettre comminatoire systématique à une invitation au dialogue obligatoire.

Ce changement de ton est en lui seul une victoire pour la justice et les justiciables : il aura nécessairement des conséquences sur les volumes d’affaires traités, soit en provoquant des médiations ou des arrangements, soit en apaisant les tensions qui naissaient parfois du simple ton employé dans une mise en demeure, des menaces qu’elle contenait ou même des prétentions qu’elle exprimait.

Cet apaisement permettra naturellement de favoriser le dialogue, lorsque la mise en demeure pouvait parfois le briser.

Hervé GALLET
Huissier de Justice associé, cofondateur de //SYSLAW

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[1Art 1344-1 du CPC.

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Discussions en cours :

  • par VINCENT , Le 16 juillet 2020 à 16:48

    Bonjour Maître,

    Votre article est très clair et très intéressant d’un certain point de vue, celui du règlement amiable.
    Cependant, un créancier bien avisé ne peut-il pas jouer en la défaveur de son débiteur ?
    Un propriétaire indélicat n’abusera-t-il pas de son droit de propriété qui est, à lui seul, un pouvoir extraordinaire mettant les locataires, parfois, dans des situations extraordinairement injustes ?

  • par Sturgeon , Le 10 juillet 2020 à 13:52

    Merci pour votre article très clair et actuel. L’article 750-1 dans le Code de procédure civile s’applique t il également en cas de 4 mois d’ impayés de loyer, pour un montant inférieur à 5000€.
    Notre ancien locataire en difficulté a fait son possible et rapidement pour libérer le logement en plein confinement afin de ne pas aggraver la situation, il est dans un autre département, et en situation critique, ayant perdu son travail durant cette crise, sans droits au chomage, rsa, 0 patrimoine, insolvable. Il est certes de bonne foi et a été un locataire exemplaire durant 20 ans.
    Nous avons déduits les 2 mois de dépôt de garantie donc cela fait un peu plus de 2 mois de loyers restants dus.
    En réfléchissant sur la suite, nous voyons mal dans tous les cas comment mise en demeure, commandement de payer, saisies (il n y a rien à saisir...) aboutiraient pour solutionner le problème. En plus, nous nous sommes trompés sur le solde du, en sa défaveur, il peut contester le montant.

    Quid des délais de conciliation en cette période ? Juillet+pause estivale judiciaire+tribunaux et médiateurs sursollicités, cela repousserait également le rdv de conciliation à plusieurs mois ? Avec un débiteur dont la "capacité de remboursement est de 0€, allez disons 50€ mensuel, cela ferait dans les 7 années pour solder les comptes....
    Mais peut être que ce micro plan de remboursement serait mieux que des années de litige dans le vide ! Qu’en pensez-vous ?

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