Les magistrats agents du service public de la justice, illégitimes et irresponsables ?

Par Yanis Kemmat, Etudiant.

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Explorer : # indépendance judiciaire # responsabilité des magistrats # légitimité démocratique # recrutement méritocratique

« Le pouvoir sans la responsabilité », mots utilisés par Patrick Le Lidec pour titrer son ouvrage discutant du Conseil national de l’évaluation des politiques publiques locales. En effet les mots de « pouvoir » et de « responsabilité » peuvent être transposés à n’importe quels organes ou acteurs politiques ou juridiques de notre société. On parle en effet de responsabilité politique du Premier ministre et de son gouvernement ou encore de la responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement du service public.
Qu’en est-il du statut des magistrats, sont-ils irresponsables ? Ou au contraire sont-ils responsables juridiquement ou politiquement ?

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Selon un éditorialiste politique controversé, nommé Eric Zemmour

« les juges se sont imposés comme un pouvoir alors qu’ils n’ont aucune légitimité démocratique ».

A entendre cet éditorialiste, on pourrait comprendre que comme les magistrats en tant qu’agents du service public de la justice ne sont pas élus par la société de facto ces derniers ne sont pas légitime pour rendre la justice au nom du peuple français.

Dès lors ces derniers magistrats sont-ils illégitimes ?

Il convient de rappeler que le magistrat n’est pas un fonctionnaire de l’Etat, il est indépendant et impartial et fait partie du corps judiciaire. Le corps judiciaire comprend d’un côté le parquet et de l’autre le siège.

Ces magistrats sont nommés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par un avis conforme, les présidents des tribunaux, les premiers présidents des Cours d’appels sont nommés sur proposition du CSM. Quant au parquet, c’est le ministère de la Justice qui choisis les candidats, mais il y a un avis conforme tout de même du CSM. 

Le garde des Sceaux depuis une loi de juillet 2013 (loi du 25 juillet 2013 relatives aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique), ne peut plus donner d’instructions particulières aux procureurs généraux, le lien entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire est ainsi coupé.

Il y a donc une indépendance des magistrats vis-à-vis de la justice et des justiciables, les membres de l’autorité judiciaire se trouvent protégés de toutes pressions des justiciables. Le parquet est indépendant à l’égard du juge et des parties, il fait ce qui croit le mieux pour la loi, ce magistrat est en parfaite égalité avec le magistrat du siège. Le parquet est maître de ses arguments, il ne peut recevoir aucune injonction du président lors de l’audience, ce n’est pas un sous-commissaire du gouvernement, le magistrat du parquet est un acteur autonome de la justice. Cela montre in fine qu’il y a bien un corps judiciaire indépendant et impartial.

I) La responsabilité des magistrats.

S’agissant de la responsabilité des magistrats, il y a une ordonnance en date du 22 décembre 1958 qui porte sur le statut de la magistrature et qui pose un principe selon lequel « les magistrats ne sont responsables que de leurs fautes personnelles ».

La faute du magistrat peut être caractérisée hors exercice de ses fonctions comme dans l’exercice de ses fonctions. Hors exercice de ses fonctions, le magistrat est responsable selon le droit commun, c’est-à-dire comme un justiciable, un citoyen français. Pour illustrer ce cas de figure, on peut penser à l’affaire de la magistrate de Rouen jugée pour le vol d’un portefeuille au tribunal correctionnel de Rouen le 17 décembre 2020.

La faute du magistrat peut être caractérisée dans l’exercice de ses fonctions et donc être rattaché à l’activité du service public de la justice. Dans ce cas précis, le justiciable victime de la faute civile du magistrat peut intenter uniquement une action qu’à l’encontre de l’Etat, l’Etat se chargera par la suite d’effectuer une action récursoire contre le magistrat visé (notons qu’aucune action de ce type n’a été effectuée à ce jour). En revanche en matière de responsabilité pénale, les magistrats sont responsables dans les conditions de droit commun et ne peuvent échapper à cette responsabilité de part leur statut de magistrat.

Enfin, il convient de souligner que le statut du magistrat incombe à ce dernier des devoirs tels qu’un devoir de délicatesse, de loyauté ou encore de dignité. Le manquement à ces devoirs peut être sanctionné par l’engagement d’une responsabilité disciplinaire (procédure disciplinaire impliquant une saisine du CSM).

II) La légitimité des magistrats.

S’agissant de la légitimité des magistrats, il convient de rappeler qu’originellement notamment sous l’Ancien Régime, les magistrats étaient investit d’une office transmis héréditairement, c’était l’époque de la vénalité des offices complété par une hérédité. Sous l’Ancien Régime, le statut de la magistrature étaient donc réservé aux notables ainsi la légitimité de ces derniers pouvait être légitimement discuté par le peuple français.

Aujourd’hui, l’accès à la fonction de magistrat est complètement différente. Elle est, en effet, tournée vers un recrutement méritocratique opérant une égalité entre les candidats et privilégiant une mixité du corps judiciaire en instaurant 3 concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature. La légitimité du corps en lui-même n’est donc a priori pas discutable, mais alors qu’en est-il de la légitimité démocratique des magistrats étant donné qu’il représente le fameux « pouvoir judiciaire » accolé au pouvoir législatif et exécutif, composant à eux trois la garantie de la démocratie, avec la fameuse expression de Montesquieu dans l’esprit des lois « le pouvoir arrête le pouvoir ».

L’article 64 de la Constitution française répond à cette problématique en disposant que :

« Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature
Une loi organique porte statut des magistrats.
Les magistrats du siège sont inamovibles
 ».

Cet article issu de notre Constitution permet de comprendre par une lecture que même si les magistrats ne sont pas élus par un vote des citoyens comme le Président de la République ou les députés, ils ne sont pas moins illégitimes démocratiquement car c’est le Président de la République qui est garant de l’indépendance et de l’autorité judiciaire et non le CSM qui assiste seulement le Président de la République dans l’énoncé de la mission résultant de la lettre de l’article 64 de la Constitution française.

Il convient dès lors de comprendre que les magistrats agents du service public de la justice, ne sont ni irresponsables, ni illégitimes, bien au contraire.

Yanis KEMMAT, étudiant M2 droit

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